Mes souvenirs - Adélaïde Herculine Barbin - Éditions du Boucher
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MES SOUVENIRS<br />
courbées sous le joug de sa morale impitoyable, désespérante,<br />
diamétralement opposée à celle <strong>du</strong> Maître divin.<br />
En revanche, il était cordialement détesté de toute la partie<br />
masculine, et il le savait bien.<br />
Heureusement, de tels prêtres sont rares, et vraiment on ne<br />
saurait trop s’en féliciter pour la gloire de la religion chrétienne,<br />
religion toute d’amour et de pardon.<br />
De retour à la maison, je fis part de mon impression à Sara, ce<br />
qui ne l’étonna pas trop.<br />
« Camille, me dit mon amie, n’en parlez pas ainsi devant<br />
maman, vous lui déplairiez souverainement. À ses yeux,<br />
l’abbé H… est un saint. Depuis longtemps mes sœurs ont abandonné<br />
sa direction, à la grande satisfaction de leurs maris. Elles<br />
ont pour guide spirituel le curé d’une petite commune voisine de<br />
la nôtre. Si je n’avais pas à craindre les reproches de ma mère, je<br />
n’hésiterais pas à en faire autant. Mais sur ce chapitre elle est<br />
intraitable. »<br />
Les jours suivants, je visitai les environs. M me P… y avait une<br />
propriété assez éten<strong>du</strong>e, dans le meilleur état possible. Travailleuse<br />
infatigable, elle surveillait tout par elle-même sans le<br />
secours de ses gendres.<br />
Rarement le jour la surprenait au lit.<br />
Le jardinage, les soins de sa nombreuse basse-cour et de son<br />
bétail, tout cela l’absorbait. Elle ne se fût pas toujours reposée<br />
sur sa servante des soins de certaines choses extrêmement pénibles.<br />
C’était là sa vie. Sans fatigues, elle n’eût pas vécu.<br />
Avait-elle besoin de quelques légumes? Si le temps était beau,<br />
elle nous appelait, Sara et moi. « Allons, mes enfants, allez faire<br />
un tour au Guéret, vous me rapporterez tel objet. » Et nous<br />
partions gaiement bras dessus, bras dessous. Le Guéret était un<br />
immense jardin lui appartenant, éloigné d’un quart d’heure au<br />
plus de la maison, à l’entrée <strong>du</strong>quel se trouvait une gentille<br />
tonnelle. C’était notre promenade favorite. Que d’heures délicieuses<br />
nous y passions!<br />
Cette vie de la campagne avait pour moi un charme<br />
incomparable! Je me sentais revivre au milieu de cette végétation<br />
luxuriante, à cet air pur et vivifiant que je respirais à pleins<br />
poumons.<br />
Heureux temps à jamais disparu!<br />
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