Mes souvenirs - Adélaïde Herculine Barbin - Éditions du Boucher
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MES SOUVENIRS<br />
étonnement. Heureusement pour moi, le nom de Monseigneur<br />
de B… me protégeait. On savait la part qu’avait prise en cela<br />
l’éminent prélat, et on était forcé de s’incliner. Le lendemain<br />
même j’allai lui faire une visite sous mon nouveau costume, ce<br />
qui lui permit alors de me témoigner avec plus d’abandon toute<br />
son affectueuse bienveillance. Sa Grandeur me serra chaleureusement<br />
la main, m’appelant son ami! Le souvenir de cette scène<br />
m’est encore présent à l’esprit.<br />
Oh! je n’oublierai jamais tout ce que je dois à cet homme<br />
évangélique, et vraiment digne de ses hautes fonctions, tant par<br />
l’élévation de son rare génie, que par l’immense générosité de<br />
son âme. J’avais vu également le docteur H… « Si vous m’en<br />
croyez, dit-il, vous allez me suivre à la préfecture. Le préfet désire<br />
vous voir, et je ne doute pas qu’il soit disposé à vous être utile. En<br />
ce moment surtout il peut tout pour vous. »<br />
Me voilà donc avec le docteur dans le cabinet <strong>du</strong> préfet,<br />
auquel ma visite parut faire plaisir. Il me reçut en père, me questionna<br />
amicalement sur mon passé et sur mes projets d’avenir.<br />
Ma position était difficile, elle l’intéressa. Je ne sais trop pourquoi<br />
l’idée m’était venue d’entrer au chemin de fer. J’en parlai au<br />
préfet qui ne me désapprouva pas, et me promit de faire une<br />
demande à la compagnie de… Puis souriant gaiement: « Vous<br />
savez, me dit-il, quelle tempête vous avez soulevée et les nombreux<br />
méfaits dont on vous accuse. N’y prenez donc pas garde.<br />
Marchez tête levée; vous en avez le droit. Cela vous sera peutêtre<br />
difficile, qui ne le comprendrait pas? Aussi, et c’est un bon<br />
conseil que je vous donne, résignez-vous à abandonner ce pays<br />
pour quelque temps. Je vais m’occuper de cela. » Mieux que personne<br />
j’appréciais la justesse de ce conseil. Je sentais la nécessité<br />
d’un éloignement momentané, je le désirai vivement.<br />
Ainsi que je l’avais craint, des bruits odieux circulaient dans le<br />
public sur l’intimité de mes relations avec mademoiselle Sara P…<br />
Selon les uns elle était réellement déshonorée. Oh! je l’avoue, ce<br />
coup me fut le plus sensible. L’idée de voir cette pauvre enfant<br />
victime de la fatalité qui m’accablait, m’était insupportable. Le<br />
monde, ce juge impitoyable, pouvait impunément flétrir cette<br />
sainte affection de deux âmes loyales, lancées ensemble sur le<br />
bord d’un abîme secret, dont la chute inévitable avait été le lien<br />
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