Intervention du P. Vincent Leclercq - Alliance Assomptionniste
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« Le mariage, l’aventure continue »<br />
L’aventure <strong>du</strong> couple, de la famille et de la vie chrétienne<br />
Père <strong>Vincent</strong> <strong>Leclercq</strong>, aa<br />
Journée Couples Saint Lambert des Bois (78) le dimanche 19 mai 2013<br />
Engager son mariage dans la <strong>du</strong>rée demande de considérer l’amour de manière réaliste. Car<br />
trop idéalisé, l’amour humain a toutes les chances de décevoir assez vite. Mais à l’inverse, si<br />
l’amour est complètement dés-idéalisé, s’il ne nous fait plus rêver… S’il ne nous permet plus<br />
d’avancer ou de nous dépasser, l’amour cesse tout simplement de nous intéresser. Il risque<br />
alors d’être désinvesti progressivement ou délaissé. L’amour est alors en danger. Souvenonsnous<br />
<strong>du</strong> message <strong>du</strong> Christ ressuscité à la communauté d’Ephèse : « Je connais ton labeur, ta<br />
con<strong>du</strong>ite et ta constance… Mais j'ai contre toi que tu as per<strong>du</strong> ton amour d'antan ». Ap, 2, 4<br />
A travers le sacrement <strong>du</strong> mariage que vous avez reçu, vous n’êtes pas invités à <strong>du</strong>rer dans le<br />
mariage dans le seul but de « <strong>du</strong>rer » mais au contraire appelés à « continuer l’aventure » ; à<br />
poursuivre un chemin que vous avez tracé ensemble le jour où vous avez échangé vos<br />
consentements. Toute la difficulté est de continuer l’aventure en ayant davantage<br />
connaissance des contraintes de la vie ou en les subissant davantage dans vos existences.<br />
Il est alors essentiel d’être attentif à tous ces petits gestes de tous les jours, à toutes ces<br />
pratiques chrétiennes ou tout simplement humaines, liturgiques ou extra liturgiques, qui font<br />
vivre et grandir l’amour au quotidien.<br />
L’aventure continue…. c’est-à-dire trois dimensions de votre mariage :<br />
- Celle de votre amour de votre couple en tant que couple<br />
- mais aussi l’aventure de votre famille qui s’agrandit parfois avec l’arrivée des enfants<br />
- Et enfin l’aventure de votre vie chrétienne, de votre vie spirituelle<br />
I. PREMIERE PARTIE : L’aventure de l’amour <strong>du</strong> couple<br />
L’aventure de l’amour vous recon<strong>du</strong>it à l’intimité de votre couple. Et sans doute aux<br />
souvenirs de vos fiançailles ou de votre propre préparation au mariage. Lorsque vous<br />
évoquiez ensemble votre première rencontre, les premiers échanges et expressions de votre<br />
amour, la découverte progressive l’un de l’autre et la réalité toute nouvelle de votre couple, en<br />
tant que couple. Puis, à travers le sacrement <strong>du</strong> mariage, vous avez fait cette découverte<br />
extraordinaire que cet amour que vous vous donniez mutuellement était d’abord un amour à<br />
recevoir chaque jour. Que cet amour était d’abord l’expression de la grâce de Dieu à l’œuvre<br />
dans votre vie. En d’autres termes, vous avez compris que votre amour humain était un don de<br />
Dieu et même le don absolument gracieux de son propre amour qu’on appelle Agapè,<br />
indissociable lié à l’Eros qui en est l’expression humaine la plus charnelle.<br />
Dans un premier temps, arrêtons-nous sur cette dimension Eros-Agapè qui est à l’origine et à<br />
l’œuvre dans la vie de vos couples.<br />
1
I. 1 Pourquoi la foi chrétienne rend-elle la sexualité intéressante ?<br />
Le philosophe protestant Paul Ricœur (1913-2005) a qualifié la sexualité de « merveille ».<br />
Cela signifiait pour lui - et il était marié - que la sexualité est à interpréter dans la célébration<br />
<strong>du</strong> sacré, d’un « sacré transcendant-immanent » et avec tout ce qu’elle comporte de mystère.<br />
Devant ce mystère de la sexualité, la religion monothéiste a opéré une démythologisation sous<br />
la forme d’une institution : le mariage. Autrement dit, la religion chrétienne a assagi la<br />
violence de l’Eros ou de l’élan sexuel. Cette institution <strong>du</strong> mariage a ainsi identifié la<br />
sexualité à sa fonction sociale de procréation.<br />
Et face à cette « discipline » institutionnelle qu’est le mariage, l’Eros fut qualifié de<br />
« puissance d’égarement ». Ainsi, alors même que la sexualité avait mission de chanter la<br />
terre entière, elle se voit finalement comme assignée à résidence : « une fonction strictement<br />
utilitaire et communautaire de perpétuation de la famille ».<br />
Le philosophe Ricœur y voit une vraie question pour l’éthique. Selon lui, seule la notion de<br />
« tendresse » permet de ne pas laisser tomber l’Eros dans l’aventure institutionnelle <strong>du</strong><br />
mariage. L’aventure <strong>du</strong> mariage est une subversion de l’Eros (c’est-à-dire une reprise mais<br />
avec un déplacement salutaire). En effet, le « vieux sacré » originel de la sexualité est devenu<br />
inaccessible à l’homme depuis que celui-ci s’est civilisé et socialisé. Cependant, Eros est<br />
toujours à l’œuvre et sans cesse renouvelé sur le plan de l’identité personnelle. L’institution<br />
<strong>du</strong> mariage prend ainsi en charge la « merveille de la sexualité » pour donner à la « tendresse<br />
humaine » tout son aspect interpersonnel et relationnel.<br />
I. 2 Mais L’Eros se laisse-t-il si facilement absorbé par l’Agapè ? ».<br />
Une question se pose pour Ricœur : « l’Eros se laisse-t-il si facilement absorbé par<br />
l’Agapè ? ». En fait, le prix à payer est très lourd pour l’indivi<strong>du</strong> vivant sa condition sexuée.<br />
En effet:<br />
- Le lien sexuel doit se soumettre à la discipline de l’institution : il doit accepter d’y être<br />
é<strong>du</strong>qué.<br />
- le lien sexuel doit se soumettre aussi au politique car toute société a un intérêt à socialiser<br />
l’Eros, à le contraindre : en droits et de devoirs, par l’inhibition ou les interdits…<br />
- Toute société se voit assigner la mission de faire correspondre la singularité <strong>du</strong> désir sexuel<br />
à l’universel d’une institution (le mariage)<br />
- mais censé faire <strong>du</strong>rer le lien et l’intimité de ce lien ; l’institution fait courir le risque de<br />
ruiner l’un et l’autre.<br />
Par conséquent, le « pari de la tendresse » demeurera toujours un pari risqué pour le couple<br />
des amoureux, pour le couple des amants. Ce pari est le suivant : « le mariage est la meilleure<br />
chance de la tendresse ». Aussi, le mariage est vu par le philosophe Paul Ricœur comme une<br />
opération de transfert <strong>du</strong> politique vers l’intime : il s’agit d’y transférer les règles de justice,<br />
de respect, d’égalité de droit, de réciprocité, et toutes les obligations à l’œuvre dans société…<br />
dans la sphère privée <strong>du</strong> couple. Le mariage place ainsi le couple au cœur d’une vocation<br />
sociale et politique et non plus seulement au cœur de l’intimité ou de la vie privée.<br />
I. 3 Où est le problème ?<br />
2
Pour Ricœur, le problème est que l’institution <strong>du</strong> mariage en opérant cela a quelque peu<br />
détourné le sens de la sexualité, c'est-à-dire le sens de son intention. En effet, l’Eros est<br />
sublimé, il s’est civilisé au profit de la tendresse. Et la sexualité est mise à profit pour la<br />
procréation. Car le « Le mariage a pour fin dominante la procréation, la perpétuation de<br />
l’humanité comme espèce » Alors que «l’éthique de la tendresse veut [voulait] inclure la<br />
procréation dans la sexualité et non la sexualité dans la procréation ». 1<br />
Il s’agit donc de vivre au mieux un compromis. Comme tout compromis, ce compromis est<br />
instable. Cette tension existant entre le fait d’être deux amoureux/deux amants, mais aussi des<br />
conjoints et des parents s’exprime encore aujourd’hui. Etre amoureux, conjoints, parents n’est<br />
pas tout à fait équivalent dans « la vraie vie ». Une telle tension évolue entre des tentatives de<br />
désacralisation et de re-sacralisation incessantes de l’amour. Votre couple peut aussi être<br />
traversé par un tel compromis entre Eros et le mariage, entre la sexualité et conjugalité. La<br />
conjugalité pouvant être comprise ici comme la manière qu’a le couple de se former, de se<br />
fortifier ou au contraire de s’éloigner l’un de l’autre.<br />
I. 4 Ricœur parle de l’érotisme comme de l’errance d’une anti-tendresse<br />
Ricœur nous rappelle une chose importante. L’érotisme est pour lui l’expression d’un désir<br />
errant <strong>du</strong> plaisir. Une telle conception « érotique » <strong>du</strong> plaisir sexuel fait courir le risque que<br />
l’égoïsme ne l’emporte finalement sur le don.<br />
Certes, l’érotisme a toujours existé. Il serait même en régression aujourd’hui par rapport à<br />
hier, à cause de notre mode de vie actuel axé sur le travail. Et c’est d’ailleurs un véritable<br />
problème pour de nombreux couples. En fait, l’érotisme est nécessaire au couple, car il est un<br />
« jeu » qui met <strong>du</strong> jeu entre sexualité et la fonction repro<strong>du</strong>ctive. Un jeu relationnel nécessaire<br />
qui fait jouer les relations et bien évidemment les acteurs de la relation. Mais pour Ricœur il y<br />
aurait dans la sexualité, à la fois la tendresse et l’érotisme Notre sexualité est toujours remise<br />
à la responsabilité éthique de l’Homme : l’Eros semble être autant capable de tendresse que<br />
d’érotisme, autant capable de l’Agapè que de l’égoïsme. Pour Ricœur :<br />
- L’Eros peut être vu et vécu comme une force centrifuge de la sexualité con<strong>du</strong>isant à<br />
l’érotisme (dans un sens péjoratif pour Ricoeur).<br />
- La Tendresse est une force centripète de la sexualité qui la ramène au lien institutionnel <strong>du</strong><br />
mariage, à l’endroit même où l’Eros se tourne vers l’agapè.<br />
I. 5 L’érotisme est l’errance <strong>du</strong> désir, ce désir devient alors l’égoïsme d’une antitendresse<br />
- Pour beaucoup, la sexualité est devenue insignifiante<br />
Ce qui est disponible est facile à obtenir. Or, ce qui est facile devient insignifiant. Et ce qui est<br />
insignifiant est proprement déshumanisant. En fait, un certain mode d’accès au sexe le<br />
déshumanise profondément et met en danger la sexualité elle-même! Les causes en sont<br />
multiples : la mixité généralisée, la liberté sexuelle, la rencontre facile (aujourd’hui amplifié<br />
par Internet), l’arrivé de la sexologie (le sexe nous est présenté comme une technique), la<br />
dépersonnalisation et l’anonymat qui entraîne une perte de goût pour la relation. A travers les<br />
1 Paul RICŒUR, « Sexualité, la merveille, l’errance, l’énigme », in Esprit 289, 1960, p. 203<br />
3
sondages, de plus en plus de personnes disent « faire l’amour » mais sans aimer. On remarque<br />
ainsi que l’anonymat social des grandes villes et l’anonymat sexuel s’entraînent l’un l’autre<br />
- Et puis la sexualité est devenue impérative<br />
La sexualité est devenue impérative au sens où elle est de plus en plus vécue comme un<br />
remède aux principales frustrations de l’existence. Pour le philosophe Ricoeur, la sexualité<br />
serait entrée dans le domaine de la « compensation ». Elle serait instrumentalisée pour<br />
remédier à une perte de sens de notre existence.<br />
1. La sexualité est une réaction à une déception primaire. L’homme est déçu par son activité<br />
dans le travail et reporterait alors tout le sens de sa vie sur les loisirs. Dans cette perspective,<br />
pour bon nombre de nos contemporains, l’érotisme est devenu un « loisir ». La sexualité serait<br />
ainsi la revanche <strong>du</strong> loisir sur le travail.<br />
2. La sexualité serait aussi une réponse à une déception plus politique. Ne pouvant plus<br />
véritablement s’inscrire dans les dimensions historiques et collectives d’une société en panne<br />
se sens, l’indivi<strong>du</strong> n’aurait de solution que de se refugier dans la sphère de l’intime et de<br />
l’indivi<strong>du</strong>. La sexualité gèrerait la pénurie de sens social et d’intérêt pour le collectif en<br />
compensant la frustration qui en résulte par l’exercice de la sexualité. La sexualité opèrerait<br />
ainsi une revanche <strong>du</strong> privé sur le politique dont on aurait per<strong>du</strong> le sens.<br />
3. Enfin, l’érotisme serait la réponse à l’absurde et au non sens. « Quand rien n’a plus de sens<br />
– écrit Ricœur – il reste le plaisir instantané et des artifices ». La sexualité est devenue<br />
impérative pour nos contemporains, car elle serait fondamentalement une lutte contre sa<br />
propre insignifiance, une ultime tentative pour la rendre elle-même intéressante.<br />
I. 5 En quoi l’éthique chrétienne – notre vision et nos pratiques <strong>du</strong> mariage - rend-elle la<br />
sexualité intéressante ?<br />
1. Dans un contexte de dé-liaison entre la sexualité avec la procréation lorsque les modes de<br />
conjugalité et de parentalité se donnent de manière de plus en plus distincte.<br />
2. Mais aussi – comme le souligne Ricœur - dans un contexte de dé-liaison entre l’érotisme et<br />
la tendresse. En effet, comment redonner le goût de la tendresse à une sexualité tellement<br />
désespérée dans sa manière même de compenser en « désespoir de cause » ce qu’elle a ellemême<br />
écarté de tendresse?<br />
Voyez combien la sexualité, l’intimité <strong>du</strong> couple est votre. En ce sens, elle vous appartient et<br />
bien-sûr, elle ne regarde que vous. Mais elle est aussi un témoignage et une mission et un<br />
message pour le bien de tous : « le mariage est la meilleure chance de l’amour », la meilleure<br />
chance de la tendresse ou de la sexualité. La société a besoin de la tendresse de votre couple<br />
pour vivre avec le plus grand bonheur possible l’énigme de la sexualité!<br />
La sexualité se donne donc à vivre soit par « l’éthique de la tendresse» soit par « la nonéthique<br />
de l’érotisme ». Mais dire cela, c’est oublier que la sexualité échappe à la maitrise de<br />
l’homme : « finalement, quand deux être s’étreignent, ils ne savent pas ce qu’ils font ; ils ne<br />
savent pas ce qu’ils veulent, ils ne savent pas ce qu’ils cherchent… » écrit Ricoeur. 2<br />
2 Paul RICŒUR, « Sexualité, la merveille, l’errance, l’énigme », in Esprit 289, 1960, p. 207.<br />
4
La sexualité demeurera toujours une célébration de la vie. Et quelquepart un démenti – ou tout<br />
au moins un correctif important - à tout ce que nous venons de dire. La sexualité peut bien se<br />
personnaliser, ou se faire « relation », se « juridiciariser », elle replonge à chaque fois dans<br />
le grand fleuve de la vie. La sexualité restera une énigme car elle renvoie à la Vie et à son<br />
mystère, mystère que personne ne s’est donné à lui-même. Personne ne maitrise<br />
complètement les forces de sa propre sexualité. Et personne ne peut donc assigner la sexualité<br />
à son instrumentalisation (érotisme-hédonique), à une technique (sexologie-sciences <strong>du</strong><br />
langage conscient et insconscient) ou au droit (institution, mariage). En effet, l’Eros n’est pas<br />
institutionnel : « On l’offense en le ré<strong>du</strong>isant au contrat, au devoir conjugal ; son lien ne se<br />
laisse pas analyser en devoir-dette ; sa loi, qui n’est plus loi est la réciprocité <strong>du</strong> don » 3 p. 209.<br />
Conclusion<br />
Entre l’errance <strong>du</strong> désir et une volonté irréaliste de constance que Ricœur qualifie même<br />
d’hypocrite, l’amour s’avance ainsi entre deux abimes. Et pourtant, cette rencontre entre<br />
l’Eros impatient de toute règle et l’institution <strong>du</strong> mariage constitue la meilleure chance de la<br />
tendresse. Même si cette rencontre ne se fait pas sans sacrifice.<br />
II. DEUXIEME PARTIE : L’aventure de la famille<br />
Nos familles ont beaucoup changé en quelques décennies. Les sociologues nous expliquent<br />
que nous sommes passés de la famille patriarcale qui soulignait les liens de la filiation, à la<br />
famille conjugale privilégiant les indivi<strong>du</strong>s et leurs liens interpersonnels, puis nous serions<br />
actuellement parvenus à la famille moderne qui mettrait en œuvre sa privatisation.<br />
II. 1 De la famille patriarcale à la famille conjugale jusqu’à la famille moderne<br />
Ces mutations de la famille se sont accompagnées à chaque fois d’une baisse de leur<br />
inscription institutionnelle en général, et de l’affaiblissement <strong>du</strong> mariage en particulier<br />
(statistiquement, culturellement, juridiquement)<br />
Pour nombre de nos contemporains, le mariage est moins un acte social et communautaire<br />
qu’une stratégie d’épanouissement et de développement personnel. Le sociologue François de<br />
SINGLY décrit ainsi : « le soi a mis le couple et la procréation au service de sa propre<br />
stratégie, si bien que la famille s’est transformée, sa fonction centrale consistant désormais à<br />
pro<strong>du</strong>ire de l’identité indivi<strong>du</strong>elle » 4 . Le théologien Eric FUCHS confirme cette vision :<br />
« L’institution familiale est considérée comme un moyen au service des indivi<strong>du</strong>s qui la<br />
constituent et non l’inverse ». 5 Cette dés-institutionalisation de la famille a aussi entrainé<br />
une certaine « désocialisation » de la famille. La « famille conjugale » <strong>du</strong> sociologue Emile<br />
3 Paul RICŒUR, « Sexualité, la merveille, l’errance, l’énigme », in Esprit 289, 1960, p. 209<br />
4 Philippe BORDEYNE, « Est-il moral de proposer le mariage catholique ? » dans Louis-Marie Chauvet (dir), Le<br />
sacrement de mariage entre hier et demain, Paris, Ed Atelier, 2003. p. 57.<br />
5 Eric Fuchs, « la famille, réflexions théologiques et éthiques », in l’exigence et le don, Genève : Labor et Fides,<br />
2000, pp. 155.<br />
5
DURKEIM a laissé place à la « famille moderne » : soulignant l’intimité, l’espace privatif des<br />
relations personnelles. Cette famille est prioritairement relationnelle, s’intéressant d’abord<br />
aux personnes plus qu’aux objets ou au patrimoine à conserver et à transmettre.<br />
La privatisation de la famille est une contraction ou un repli de la famille vécue sous une<br />
pluralité de formes de vie et sur le fond d’une déstabilisation institutionnelle. 6 Pour François<br />
de SINGLY : « La famille contemporaine existe moins en fonction de critères formels qu’en<br />
référence à une double exigence : la création d’un cadre de vie où chacun peut se<br />
développer tout en participant à une œuvre commune ». 7<br />
II. 2 La famille moderne continue à être à la fois privée et publique.<br />
Est-ce à dire que nos familles perdent peu à peu toute inscription sociale? Certes la<br />
désaffection de la famille contemporaine vis-à-vis de l’institution constitue un constat<br />
indéniable des sciences humaines (sociologie, droit, histoire) et un deuil pour les<br />
communautés chrétiennes qui les accompagne notamment lorsque les familles sont de plus en<br />
plus nombreuses à s’éloigner des pratiques évangéliques. Mais en même temps, la famille<br />
résiste même si ces modèles évolutifs constituent une nouvelle donne pour l’éthique.<br />
Comme le faisait remarquer le théologien Eric FUCHS, la famille est aujourd’hui à la fois<br />
« dévalorisée » et « surinvestie ». « Surinvestie » par tout ce qu’on lui demande d’accomplir<br />
dans nos vies. Et « dévalorisée » car la famille est aujourd’hui dépossédées de ses rôles<br />
traditionnels, et ses prérogatives 8 .<br />
1. Le travail et la famille sont aujourd’hui presque toujours dissociés. Par conséquent, il faut<br />
mener une « carrière » familiale et une vie sociale et professionnelle en même temps, et<br />
souvent de front, pour ne pas dire en concurrence. Il n’en était pas ainsi dans la France rurale<br />
des années 1950.<br />
2. Par l’école et la performance <strong>du</strong> système é<strong>du</strong>catif, la famille n’est plus le premier lieu de la<br />
transmission <strong>du</strong> savoir et de socialisation de l’enfant.<br />
3. Par l’urbanisation, la famille n’est plus autant liée au patrimoine et à sa transmission d’une<br />
génération à l’autre.<br />
4. Enfin, avec l’avènement fort heureux de la sécurité sociale (branche maladie, vieillesse,<br />
chômage) ; la famille n’est plus la garantie première de la solidarité entre les générations.<br />
Bref, le fonctionnement de l’Etat, nos modes d’organisation en société, et jusqu’à nos modes<br />
de vies et emploi <strong>du</strong> temps, en viennent à nous décentrer constamment de la famille et nous en<br />
éloignent concrètement voire même physiquement. Dans une famille, ces mêmes<br />
fonctionnements peuvent éloigner les enfants des parents, les conjoints l’un et l’autre. Mais<br />
dans le même temps cette tension entre l’espace privé qu’est la famille et tout ce qui l’en<br />
éloigne la fait vivre socialement et plus ouvertement qu’auparavant.<br />
6 « A partir des années 1960, les indivi<strong>du</strong>s ont apporté un démenti à cette prévision <strong>du</strong>rkheimienne, avec<br />
l’augmentation <strong>du</strong> concubinage, <strong>du</strong> divorce par consentement mutuel, de la séparation conjugale, de la<br />
cohabitation, des naissances hors mariage. Lorsqu’il n’est pas entravé, le processus d’indivi<strong>du</strong>alisation con<strong>du</strong>it à<br />
une certaine déstabilisation institutionnelle et à une pluralité des formes de vie familiale », François de SINGLY<br />
Sociologie de la famille Contemporaine 3 ème édition. Paris, Armand Colin, 2007 p. 17.<br />
7 François de SINGLY Sociologie de la famille Contemporaine 3 ème édition. Paris, Armand Colin, 2007, p. 8.<br />
8 Eric FUCHS, « la famille, réflexions théologiques et éthiques », in l’exigence et le don, Genève : Labor et<br />
Fides, 2000, pp. 153-169.<br />
6
Familiaris Consortio, l’exhortation apostolique de Jean-Paul II sur la famille commence par<br />
souligner les aspects positifs d’une telle évolution : « On constate une conscience plus vive de<br />
la liberté personnelle et une attention plus grande à la qualité des relations personnelles dans<br />
le mariage, à la promotion de la dignité de la femme, à la procréation responsable, à<br />
l’é<strong>du</strong>cation des enfants ». 9<br />
II. 3 L’aventure des enfants : après l’aventure de la différence des sexes, celle de l’intergénérationnel<br />
Les choix de la naissance se démultiplient aujourd’hui. D’un côté, il y a la science<br />
et les techniques médicales qui maitrisent de mieux en mieux le tout début de la<br />
vie humaine : avec la contraception, les procréations médicalement assistées, le<br />
diagnostic préimplantatoire sur l’embryon ou le diagnostic prénatal sur le fœtus…<br />
Et de l’autre côté, notre manière de vivre en société inventent de nouveaux modes<br />
de filiation : développement de l’adoption, familles monoparentales ou<br />
recomposées, homoparentalité voire sans doute homofiliation, et bientôt peut-être<br />
la gestation pour autrui,...<br />
En croisant ces nouvelles possibilités de la médecine avec les mutations qui<br />
traversent actuellement la société française, et en faisant jouer toutes les<br />
combinaisons possibles entre ces deux paramètres, nous obtenons une grande<br />
diversité dans l’expression <strong>du</strong> désir d’enfant et dans les choix de la grossesse. Une<br />
telle diversité ne peut que nous interroger sur la signification de la naissance. Et<br />
reconnaissons que les chrétiens ne sont pas les seuls à être interpellés.<br />
II. 4 Une légitimité à exister qui appelle la responsabilité des parents<br />
La naissance est certes le commencement de la vie extra-utérine. Mais elle<br />
renvoie aussi à une question plus fondamentale qui est celle de l’origine de la vie.<br />
Commencement et origine de la vie ne sont pas tout à fait identiques.<br />
Habituellement, les croyants fondent l’origine et le sens de toute vie en Dieu.<br />
Et donc pour eux, la naissance ne tient pas seulement <strong>du</strong> « hasard », ou des<br />
possibilités actuelles de la technique médicale, ni même de l’optimisme ou de la<br />
bonne forme sexuelle des parents… elle est aussi un don de Dieu. Pour l’enfant,<br />
une telle conviction religieuse représente une très forte légitimité à exister : sa vie<br />
est donnée mais elle est aussi voulue par Dieu. Pour le couple, un tel<br />
positionnement quant à l’origine de la vie va avoir des conséquences importantes<br />
dans la manière d’envisager sa responsabilité de parents. Ils ne sont pas à l’origine<br />
de la vie de leur enfant, finalement ils ne font que la transmettre – et c’est déjà<br />
beaucoup.<br />
Aussi pour des parents croyants, la filiation va de paire avec l’inscription <strong>du</strong><br />
nouveau-né dans la société. Et à chaque fois qu’il en a été besoin dans l’histoire,<br />
9 Familiaris Consortio, n° 6<br />
7
les Églises se sont mises au service de cette appartenance de l’enfant à l’ensemble<br />
de la communauté humaine. En témoigne par exemple, le soin apporté par les<br />
communautés religieuses aux enfants abandonnés, aux enfants a<strong>du</strong>ltérins ou<br />
encore dans l’organisation de l’adoption.<br />
Face aux nouveaux choix de la naissance, les Églises cherchent encore à préserver<br />
ce lien de l’enfant avec les parents qui lui ont transmis la vie et donné d’entrer<br />
ainsi dans la communauté humaine. Dans ce sens, les croyants vont s’attacher à<br />
défendre les droits et l’intérêt de l’enfant lorsque de nouveaux choix concernant la<br />
naissance peuvent être compris comme un « droit à l’enfant », ou un droit à un<br />
enfant « à tout prix ».<br />
Pour le dire autrement, les pratiques des chrétiens ainsi que les normes de l’Église<br />
rappellent à tous que la naissance de l’enfant constitue une véritable mission pour<br />
les parents : accueillir l’enfant dans la fragilité de toute vie mais aussi servir les<br />
liens qui le feront vivre, grandir et s’épanouir dans la société de ses semblables.<br />
Une telle vision des choses est bien-sûr marquée par la particularité car elle est<br />
façonnée par des convictions religieuses personnelles et institutionnelles. Mais<br />
elle n’est pas pour autant réservée aux seuls croyants. Elle peut donc être<br />
proposée à tous, soumise au débat de la société, en vue d’un discernement sur les<br />
pratiques de PMA. Bien-sûr, une telle proposition se confronte à d’autres visions<br />
de l’homme et de l’enfant comme celles que nous pouvons rencontrer aujourd’hui<br />
dans une société pluraliste comme la nôtre. Pour autant, elle fournit des repères<br />
importants à entendre…<br />
III. TROISIEME PARTIE : L’aventure de votre vie chrétienne<br />
III. 3 L’aventure de l’amour dans la perspective biblique <strong>du</strong> récit de la création<br />
L’amour humain permet l’alliance. Pour les chrétiens, il est même le lieu de l’alliance avec<br />
Dieu. Cette alliance est à vivre et à expérimenter à travers l’amour humain, dans un quotidien<br />
qui peut paraître souvent banal mais qui – si nous le regardons avec les yeux de la foi – est<br />
aussi le lieu d’une présence active et amoureuse de Dieu à nos côtés, marquée aussi par la<br />
miséricorde et l’hospitalité. 10<br />
L’Eros comme l’agapè vous ont été donnés. Eros comme Agapè sont confiés à la<br />
responsabilité de chacun, à l’un et à l’autre, à l’un avec l’autre, et l’un mais jamais plus sans<br />
l’autre. L’alliance manifeste que la sexualité n’est sans doute pas à sacraliser mais elle est à<br />
sanctifier. La sexualité n’est pas le but ultime de votre couple, mais elle en est un des moyens<br />
privilégié. En d’autres termes, elle est importante car elle est sainte à travers la relation qu’elle<br />
ouvre à Dieu.<br />
Ce qui peut résister à une telle vision, c’est évidemment toute la force <strong>du</strong> péché. D’ailleurs,<br />
dans le récit de la Genèse, la volonté d’indépendance à l’égard de Dieu vient très vite brouiller<br />
les relations entre l’homme et la femme : « Vous serez comme des dieux ». (Gn 3, 5). Ce que<br />
le serpent dit à la femme annonce déjà le refus de l’appel de Dieu, et la volonté de le faire<br />
10 Philippe BORDEYNE, Ethique <strong>du</strong> mariage. La vocation sociale de l’amour. Paris, Desclée de Brouwer, 2010,<br />
p. 176<br />
8
disparaitre pour mieux prendre sa place. Mais il est aussi le prélude à une perte de<br />
reconnaissance de l’homme pour sa femme : « La femme que tu as mise auprès de moi, c’est<br />
elle qui m’a donné <strong>du</strong> fruit de l’arbre ». (Gn 3, 12). Quelle distance tout à coup au sein de ce<br />
premier couple de l’humanité au moment même qu’il fait l’expérience de la tentation et <strong>du</strong><br />
péché.<br />
Dans l’Ancien Testament, l’Ecriture reprend avec Abraham et Moise sous un autre angle<br />
théologique (théologie de l’histoire <strong>du</strong> salut) tout le travail entrepris lors des récits de la<br />
Création. Le lecteur moderne reste très étonné <strong>du</strong> caractère patriarcal de certains textes et de<br />
la place de la femme. Il y a quelques exceptions pourtant, celle <strong>du</strong> livre de la Sagesse qui fait<br />
l’éloge de la femme avisée ou celle <strong>du</strong> Cantiques des cantiques qui exalte le couple amoureux<br />
sans qu’il ne soit question de mariage. Dans ces deux exemples, aucun rapport de force de<br />
l’homme sur la femme, aucun machisme. « A travers ces interpellations contrastées, l’Ancien<br />
Testament ne fait que refléter l’ambigüité profonde de la sexualité. Elle est bonne en son<br />
ordre et même bénie par Dieu. Mais l’expérience témoigne qu’elle fut et restera le lieu de<br />
nombreux désordres en l’homme » 11<br />
Mais revenons au livre de la Genèse<br />
Dans le premier récit de la création, livre de la Genèse, au chapitre premier : c’est le couple<br />
humain qui est présenté comme créature de Dieu. Ce n’est pas l’homme ou la femme, c’est<br />
bien comme couple et donc à travers la relation homme-femme, que l’Homme est déclaré<br />
avoir été créé « à l’image et à la ressemblance de Dieu »<br />
Dieu créa l’homme à son image<br />
A l’image de Dieu Il le créa<br />
Homme et femme Il les créa<br />
Gn 1, 27<br />
Dans le second récit de la création, à l’issue d’un face-à-face, Adam reçoit de Dieu le souffle<br />
de la vie. Dès lors, il ne vivra plus seulement de l’ordre biologique mais de la vie même de<br />
Dieu. Dans ce récit, la femme Eve ne vient qu’après. Et ce « retard » permet justement à<br />
Adam de vivre une expérience de solitude avant d’entrer pleinement dans la reconnaissance ;<br />
« Enfin, celle-ci, l’os de mon os, chair de ma chair ». Gn 2, 23.<br />
L’anthropologie biblique – c’est-à-dire la vision de l’homme que déploie la Révélation dans<br />
les textes des Ecritures - donne ainsi au mot « chair » non seulement le sens de « corps » mais<br />
également celui de la parenté et de la relation. Dès lors, les deux – homme et femme - sont<br />
invités moins à se compléter qu’à se révéler l’un à l’autre. Et puisque cette relation renvoie<br />
aussi à Dieu, puisque la relation homme-femme est dite à son image, se dessine alors pour<br />
l’homme accompagné de sa femme un « itinéraire privilégié qui mène à la rencontre de Dieu,<br />
le Tout-Autre » 12 Cet itinéraire spirituel est donné à chacun d’entre vous pour poursuivre<br />
l’aventure humaine de l’amour. « […] le chrétien sait que le bonheur de l’homme, la vraie vie<br />
de l’homme, se réalisent dans le lien mutuel d’amour entre lui et Dieu, son créateur et son<br />
sauveur » 13 L’amour humain vécu dans le mariage est ainsi une vocation et une authentique<br />
aventure spirituelle.<br />
11 Sexualité et vie chrétienne : Point de vue catholique. Paris, le Centurion, 1981, p. 43<br />
12 Sexualité et vie chrétienne : Point de vue catholique. Paris, le Centurion, 1981, P. 42<br />
13 Xavier Thévenot, Repères pour un monde nouveau. Mulhouse, Salvator, 1982 p. 14.<br />
9
III. 2 Lc 5, 1-11 : Récit de vocation et d’envoi de Pierre<br />
1 Un jour, Jésus se trouvait sur le bord <strong>du</strong> lac de Génésareth ; la foule se pressait autour de<br />
lui pour écouter la parole de Dieu.<br />
02 Il vit deux barques amarrées au bord <strong>du</strong> lac ; les pêcheurs en étaient descen<strong>du</strong>s et lavaient<br />
leurs filets.<br />
03 Jésus monta dans une des barques, qui appartenait à Simon, et lui demanda de s'éloigner<br />
un peu <strong>du</strong> rivage. Puis il s'assit et, de la barque, il enseignait la foule.<br />
04 Quand il eut fini de parler, il dit à Simon : « Avance au large, et jetez les filets pour<br />
prendre <strong>du</strong> poisson. »<br />
05 Simon lui répondit : « Maître, nous avons peiné toute la nuit sans rien prendre ; mais, sur<br />
ton ordre, je vais jeter les filets. »<br />
06 Ils le firent, et ils prirent une telle quantité de poissons que leurs filets se déchiraient.<br />
07 Ils firent signe à leurs compagnons de l'autre barque de venir les aider. Ceux-ci vinrent, et<br />
ils remplirent les deux barques, à tel point qu'elles enfonçaient.<br />
08 A cette vue, Simon-Pierre tomba aux pieds de Jésus, en disant : « Seigneur, éloigne-toi de<br />
moi, car je suis un homme pécheur. »<br />
09 L'effroi, en effet, l'avait saisi, lui et ceux qui étaient avec lui, devant la quantité de poissons<br />
qu'ils avaient prise ;<br />
10 et de même Jacques et Jean, fils de Zébédée, ses compagnons. Jésus dit à Simon : « Sois<br />
sans crainte, désormais ce sont des hommes que tu prendras. »<br />
Les récits de vocation se ressemblent tous un peu dans la Bible. En fait, ils sont bâtis à<br />
l’identique. Il y a d’abord la manifestation de Dieu. S’agissant de l’appel <strong>du</strong> prophète Isaïe (Is<br />
6, 1-8), le texte nous dit même qu’il voit trône de Dieu, qu’il entend Sa voix, et qu’il peut<br />
dialogue avec le Seigneur. Puis l’appelé est appelé pour remplir une mission. Et c’est toujours<br />
le peuple qui est destinataire. Car c’est le peuple qui a besoin d’être sauvé. Mais celui qui est<br />
appelé a toujours une objection : « Je suis un homme aux lèvres impures » déclare le jeune<br />
Isaïe. C’est alors qu’invariablement vient le signe de Dieu, un signe qui réassure et qui efface<br />
toute crainte. Un signe qui dit que Dieu ne commet pas d’erreur dans son choix. Pour Isaïe :<br />
c’est un charbon ardent qui va toucher ses lèvres pour en ôter tout pêché.<br />
Dans l’Evangile de Luc, même scénario. Sans doute pour mieux montrer que Pierre entre dans<br />
cette grande lignée des serviteurs de l’<strong>Alliance</strong> et qu’il poursuit la succession des prophètes de<br />
l’Ancien Testament. Sauf que la manifestation de Dieu aujourd’hui, c’est Jésus lui-même. En<br />
effet, Jésus parle mais c’est la Parole de Dieu que la foule entend.<br />
Récit de vocation mais aussi récit de mission<br />
Jésus appelle pour la mission. Mais curieusement, c’est d’abord des poissons qu’il invite à<br />
pêcher. En fait, Jésus choisit Simon là où il en est, il l’appelle au cœur de sa vie. Et Simon,<br />
lui, il a encore le nez dans ses filets. « Normal - me direz-vous - c’est un pêcheur » … Mais<br />
Jésus est patient… et aussi tellement délicat. Il connait si bien l’homme. Il sait parler sa<br />
langue, il connait l’humain.<br />
« Avance au large » c’est appeler Pierre à aller plus loin, « Jette ton filet » c’est l’inviter à<br />
aller au plus profond de sa vie. Mais comme pour tout appelé, comme pour tout prophète… la<br />
10
éaction de Pierre, bibliquement prévisible et humainement intelligible : c’est de dire :<br />
objection Seigneur ! « Eloigne-toi de moi, car je suis un homme pécheur ».<br />
Mais alors où est le signe de Dieu qui le réassure dans son appel, quel est-il ce signe de la<br />
vocation dans cet Evangile? La pêche miraculeuse ? Autrement dit, ces deux barques remplies<br />
de poissons à ras bord ou alors cette simple phrase de Jésus : « Sois sans crainte, désormais ce<br />
sont des hommes que tu prendras ». Il me semble à moi que toute l’épiphanie est dans cette<br />
phrase « sois sans crainte ». Quel est-il ce « sois sans crainte » dans vos vies à vous, quel est<br />
l’appel de Dieu à faire vivre l’aventure continue <strong>du</strong> mariage alors que le monde en a tellement<br />
peur? Qu’en est-il <strong>du</strong> signe qui nous réassure dans notre mission ?<br />
La grâce de la réassurance : quelle est-elle dans nos vies ?<br />
J’imagine ce que Pierre a enten<strong>du</strong> « Au plus loin que tu iras, au plus profond que je te<br />
con<strong>du</strong>irai, Pierre je serai avec toi… sois sans crainte…Pierre… Quitte tout pour me<br />
suivre… » Car Pierre n’a pas suivi le Christ pour suivre un « porte bonheur ». Ou parce que<br />
Jésus lui porterait chance et qu’il lui offrirait le succès dans ses affaires. Non, je crois que<br />
Pierre a suivi le Christ parce qu’Il l’a libéré de ses peurs. Il l’a rassuré de sa grâce. Et la vie de<br />
Pierre en a été transformée, renouvelée. La grâce de Dieu est le signe qui réassure le mieux le<br />
chemin de l’homme, dans ses difficultés à se décider, dans sa peine à s’engager, à <strong>du</strong>rer dans<br />
la fidélité. Mais Jésus est patient. Il parle et comprend la langue de l’homme pour que Dieu<br />
lui-même parle à son cœur, parle à son peuple, parle à ses peurs.<br />
Concluons<br />
Dans le Christ Jésus, Dieu nous appelle à la mission, aujourd’hui comme hier. Il se manifeste,<br />
il nous envoie, nous objectons. Il nous réassure, et par un signe de Lui, le grand secret de son<br />
amour peut être annoncé à tous. Ce signe de Dieu pour nous… Il est à garder, à contempler<br />
dans le secret des cœurs et de nos vies. Il est aussi parfois à demander au Seigneur… Mais en<br />
tous les cas il est à partager avec le peuple. Telle est le Christ pour nous, une grâce reçue en<br />
notre chemin d’homme et de femme qui nous permet de vivre sans crainte toutes les autres<br />
grâces<br />
Quelques éléments bibliographiques pour aller plus loin :<br />
Paul RICŒUR, « Sexualité, la merveille, l’errance, l’énigme », in Esprit 289, 1960, pp.<br />
202-203.<br />
« Le prix à payer pour socialiser Eros est assurément terrible. Nulle société moderne pourtant<br />
n'envisage de renoncer à canaliser tant bien que mal et à stabiliser le démonisme d'Eros par<br />
l'institution de la famille conjugale. On peut concevoir des destinées singulières affranchies de<br />
cette légalité — et il en est de très grandes, principalement parmi les artistes et les grands<br />
créateurs de culture, qu'on n'imagine guère contenues dans les liens <strong>du</strong> mariage. Mais quel<br />
législateur en tirerait argument pour « désinstitutionnaliser » le sexe, et ériger en règle<br />
universelle la maxime de ces destinées singulières ? C'est un fait que l'homme n'a atteint son<br />
humanité et n'a humanisé sa sexualité qu'à travers la discipline — coûteuse à bien des égards<br />
— de l'institution conjugale. Il s'est noué un pacte précaire entre Eros et l'institution <strong>du</strong><br />
11
mariage, qui n'est pas sans contrepartie, sans sacrifice, sans souffrance et même parfois sans<br />
destruction d'humanité; le mariage reste le pari cardinal de notre culture quant au sexe; ce pari<br />
n'est pas entièrement gagné; sans doute ne peut-il être entièrement gagné ; c'est pourquoi le<br />
procès <strong>du</strong> mariage est toujours une tâche possible, utile, légitime, urgente ; il revient à la<br />
littérature et aux arts de dénoncer l'hypocrisie d'une société qui toujours tend à couvrir <strong>du</strong><br />
prétexte de ses idéaux toutes ses trahisons; toute éthique de contrainte engendre la mauvaise<br />
foi et l'imposture ; c'est pourquoi la littérature a une fonction irremplaçable de scandale ; car<br />
le scandale est le fouet de l'imposture. Et l'imposture accompagnera l'homme aussi longtemps<br />
qu'il ne pourra faire coïncider la singularité <strong>du</strong> désir et l'universalité de l'institution ; or le<br />
mariage est, dans notre civilisation, toujours à quelque degré, sous le signe de l'obligation ;<br />
beaucoup en sont écrasés ; le mariage veut protéger la <strong>du</strong>rée et l'intimité <strong>du</strong> lien sexuel et ainsi<br />
le rendre humain, mais il est aussi pour beaucoup ce qui ruine et la <strong>du</strong>rée et l'intimité. Le pari<br />
d'une éthique de la tendresse c'est que, en dépit de ces risques, le mariage reste la meilleure<br />
chance de la tendresse. »<br />
Gaudium et Spes n ° 48-53 extrait de la constitution pastorale sur l’Eglise dans le monde<br />
de ce temps 14<br />
48. Sainteté <strong>du</strong> mariage et de la famille<br />
1. La communauté profonde de vie et d’amour que forme le couple a été fondée et dotée de<br />
ses lois propres par le Créateur ; elle est établie sur l’alliance des conjoints, c’est-à-dire sur<br />
leur consentement personnel irrévocable. Une institution, que la loi divine confirme, naît<br />
ainsi, au regard même de la société, de l’acte humain par lequel les époux se donnent et se<br />
reçoivent mutuellement. En vue <strong>du</strong> bien des époux, des enfants et aussi de la société, ce lien<br />
sacré échappe à la fantaisie de l’homme. Car Dieu lui-même est l’auteur <strong>du</strong> mariage qui<br />
possède en propre des valeurs et des fins diverses ; tout cela est d’une extrême importance<br />
pour la continuité <strong>du</strong> genre humain, pour le progrès personnel et le sort éternel de chacun des<br />
membres de la famille, pour la dignité, la stabilité, la paix et la prospérité de la famille et de la<br />
société humaine tout entière. Et c’est par sa nature même que l’institution <strong>du</strong> mariage et<br />
l’amour conjugal sont ordonnés à la procréation et à l’é<strong>du</strong>cation qui, tel un sommet, en<br />
constituent le couronnement. Aussi l’homme et la femme qui, par l’alliance conjugale « ne<br />
sont plus deux, mais une seule chair » (Mt 19, 6), s’aident et se soutiennent mutuellement par<br />
l’union intime de leurs personnes et de leurs activités ; ils prennent ainsi conscience de leur<br />
unité et l’approfondissent sans cesse davantage. Cette union intime, don réciproque de deux<br />
personnes, non moins que le bien des enfants, exigent l’entière fidélité des époux et requièrent<br />
leur indissoluble unité.<br />
2. Le Christ Seigneur a comblé de bénédictions cet amour aux multiples aspects, issu de la<br />
source divine de la charité, et constitué à l’image de son union avec l’Église. De même en<br />
effet que Dieu prit autrefois l’initiative d’une alliance d’amour et de fidélité avec son peuple<br />
ainsi, maintenant, le Sauveur des hommes, Époux de l’Église, vient à la rencontre des époux<br />
chrétiens par le sacrement de mariage. Il continue de demeurer avec eux pour que les époux,<br />
par leur don mutuel, puissent s’aimer dans une fidélité perpétuelle, comme lui-même a aimé<br />
14 Site <strong>du</strong> Vatican, consulté le 19 mai 2013<br />
http://www.vatican.va/archive/hist_councils/ii_vatican_council/documents/vat-ii_cons_19651207_gaudium-etspes_fr.html<br />
12
l’Église et s’est livré pour elle. L’authentique amour conjugal est assumé dans l’amour divin<br />
et il est dirigé et enrichi par la puissance rédemptrice <strong>du</strong> Christ et l’action salvifique de<br />
l’Église, afin de con<strong>du</strong>ire efficacement à Dieu les époux, de les aider et de les affermir dans<br />
leur mission sublime de père et de mère. C’est pourquoi les époux chrétiens, pour accomplir<br />
dignement les devoirs de leur état, sont fortifiés et comme consacrés par un sacrement spécial.<br />
En accomplissant leur mission conjugale et familiale avec la force de ce sacrement, pénétrés<br />
de l’Esprit <strong>du</strong> Christ qui imprègne toute leur vie de foi, d’espérance et de charité, ils<br />
parviennent de plus en plus à leur perfection personnelle et à leur sanctification mutuelle ;<br />
c’est ainsi qu’ensemble ils contribuent à la glorification de Dieu.<br />
3. Précédés par l’exemple et la prière commune de leurs parents, les enfants, et même tous<br />
ceux qui vivent dans le cercle familial, s’ouvriront ainsi plus facilement à des sentiments<br />
d’humanité et trouveront plus aisément le chemin <strong>du</strong> salut et de la sainteté. Quant aux époux,<br />
grandis par la dignité de leur rôle de père et de mère, ils accompliront avec conscience le<br />
devoir d’é<strong>du</strong>cation qui leur revient au premier chef, notamment au plan religieux.<br />
4. Membres vivants de la famille, les enfants concourent, à leur manière, à la sanctification<br />
des parents. Par leur reconnaissance, leur piété filiale et leur confiance, ils répondront<br />
assurément aux bienfaits de leurs parents et, en bons fils, ils les assisteront dans les difficultés<br />
de l’existence et dans la solitude de la vieillesse. Le veuvage, assumé avec courage dans le<br />
sillage de la vocation conjugale, sera honoré de tous. Les familles se communiqueront aussi<br />
avec générosité leurs richesses spirituelles. Alors, la famille chrétienne, parce qu’elle est issue<br />
d’un mariage, sera image et participation de l’alliance d’amour qui unit le Christ et l’Église,<br />
manifestera à tous les hommes la présence vivante <strong>du</strong> Sauveur dans le monde et la véritable<br />
nature de l’Église, tant par l’amour des époux, leur fécondité généreuse, l’unité et la fidélité<br />
<strong>du</strong> foyer, que par la coopération amicale de tous ses membres.<br />
49. L’amour conjugal<br />
1. À plusieurs reprises, la Parole de Dieu a invité les fiancés à entretenir et soutenir leurs<br />
fiançailles par une affection chaste, et les époux leur union par un amour sans faille.<br />
Beaucoup de nos contemporains exaltent aussi l’amour authentique entre mari et femme,<br />
manifesté de différentes manières, selon les saines coutumes des peuples et des âges.<br />
Éminemment humain puisqu’il va d’une personne vers une autre personne en vertu d’un<br />
sentiment volontaire, cet amour enveloppe le bien de la personne tout entière ; il peut donc<br />
enrichir d’une dignité particulière les expressions <strong>du</strong> corps et de la vie psychique et les<br />
valoriser comme les éléments et les signes spécifiques de l’amitié conjugale. Cet amour, par<br />
un don spécial de sa grâce et de sa charité, le Seigneur a daigné le guérir, le parfaire et<br />
l’élever. Associant l’humain et le divin, un tel amour con<strong>du</strong>it les époux à un don libre et<br />
mutuel d’eux-mêmes qui se manifeste par des sentiments et des gestes de tendresse et il<br />
imprègne toute leur vie ; bien plus, il s’achève lui-même et grandit par son généreux exercice.<br />
Il dépasse donc de loin l’inclination simplement érotique qui, cultivée pour elle-même,<br />
s’évanouit vite et d’une façon pitoyable.<br />
2. Cette affection a sa manière particulière de s’exprimer et de s’accomplir par l’œuvre propre<br />
<strong>du</strong> mariage. En conséquence, les actes qui réalisent l’union intime et chaste des époux sont<br />
des actes honnêtes et dignes. Vécus d’une manière vraiment humaine, ils signifient et<br />
favorisent le don réciproque par lequel les époux s’enrichissent tous les deux dans la joie et la<br />
reconnaissance. Cet amour, ratifié par un engagement mutuel, et par-dessus tout consacré par<br />
le sacrement <strong>du</strong> Christ, demeure indissolublement fidèle, de corps et de pensée, pour le<br />
13
meilleur et pour le pire ; il exclut donc tout a<strong>du</strong>ltère et tout divorce. De même, l’égale dignité<br />
personnelle qu’il faut reconnaître à la femme et à l’homme dans l’amour plénier qu’ils se<br />
portent l’un à l’autre fait clairement apparaître l’unité <strong>du</strong> mariage, confirmée par le Seigneur.<br />
Pour faire face avec persévérance aux obligations de cette vocation chrétienne, une vertu peu<br />
commune est requise : c’est pourquoi les époux, ren<strong>du</strong>s capables par la grâce de mener une<br />
vie sainte, ne cesseront d’entretenir en eux un amour fort, magnanime, prompt au sacrifice, et<br />
ils le demanderont dans leur prière.<br />
3. Mais le véritable amour conjugal sera tenu en plus haute estime, et une saine opinion<br />
publique se formera à son égard, si les époux chrétiens donnent ici un témoignage éminent de<br />
fidélité et d’harmonie, comme le dévouement dans l’é<strong>du</strong>cation de leurs enfants, et s’ils<br />
prennent leurs responsabilités dans le nécessaire renouveau culturel, psychologique et social<br />
en faveur <strong>du</strong> mariage et de la famille. Il faut instruire à temps les jeunes, et de manière<br />
appropriée, de préférence au sein de la famille, sur la dignité de l’amour conjugal, sa fonction,<br />
son exercice : ainsi formés à la chasteté, ils pourront le moment venu, s’engager dans le<br />
mariage après des fiançailles vécues dans la dignité.<br />
50. Fécondité <strong>du</strong> mariage<br />
1. Le mariage et l’amour conjugal sont d’eux-mêmes ordonnés à la procréation et à<br />
l’é<strong>du</strong>cation. D’ailleurs, les enfants sont le don le plus excellent <strong>du</strong> mariage et ils contribuent<br />
grandement au bien des parents eux-mêmes. Dieu lui-même qui a dit : « Il n’est pas bon que<br />
l’homme soit seul» (Gn 2, 18) et qui dès l’origine a fait l’être humain homme et femme (Mt<br />
19, 4), a voulu lui donner une participation spéciale dans son œuvre créatrice ; aussi a-t-il béni<br />
l’homme et la femme, disant : « Soyez féconds et multipliez-vous » (Gn 1, 28). Dès lors, un<br />
amour conjugal vrai et bien compris, comme toute la structure de la vie familiale qui en<br />
découle, tendent, sans sous-estimer pour autant les autres fins <strong>du</strong> mariage, à rendre les époux<br />
disponibles pour coopérer courageusement à l’amour <strong>du</strong> Créateur et <strong>du</strong> Sauveur qui, par eux,<br />
veut sans cesse agrandir et enrichir sa propre famille.<br />
2. Dans le devoir qui leur incombe de transmettre la vie et d’être des é<strong>du</strong>cateurs (ce qu’il faut<br />
considérer comme leur mission propre), les époux savent qu’ils sont les coopérateurs de<br />
l’amour <strong>du</strong> Dieu Créateur et comme ses interprètes. Ils s’acquitteront donc de leur charge en<br />
toute responsabilité humaine et chrétienne, et, dans un respect plein de docilité à l’égard de<br />
Dieu, d’un commun accord et d’un commun effort, ils se formeront un jugement droit : ils<br />
prendront en considération à la fois et leur bien et celui des enfants déjà nés ou à naître ; ils<br />
discerneront les conditions aussi bien matérielles que spirituelles de leur époque et de leur<br />
situation ; ils tiendront compte enfin <strong>du</strong> bien de la communauté familiale, des besoins de la<br />
société temporelle et de l’Église elle-même. Ce jugement, ce sont en dernier ressort les époux<br />
eux-mêmes qui doivent l’arrêter devant Dieu. Dans leur manière d’agir, que les époux<br />
chrétiens sachent bien qu’ils ne peuvent pas se con<strong>du</strong>ire à leur guise, mais qu’ils ont<br />
l’obligation de toujours suivre leur conscience, une conscience qui doit se conformer à la loi<br />
divine ; et qu’ils demeurent dociles au Magistère de l’Église, interprète autorisé de cette loi à<br />
la lumière de l’Évangile. Cette loi divine manifeste la pleine signification de l’amour<br />
conjugal, elle le protège et le con<strong>du</strong>it à son achèvement vraiment humain. Ainsi, lorsque les<br />
époux chrétiens, se fiant à la Providence de Dieu et nourrissant en eux l’esprit de sacrifice,<br />
assument leur rôle procréateur et prennent généreusement leurs responsabilités humaines et<br />
chrétiennes, ils rendent gloire au Créateur, et ils tendent, dans le Christ, à la perfection. Parmi<br />
ceux qui remplissent ainsi la tâche que Dieu leur a confiée, il faut accorder une mention<br />
14
spéciale à ceux qui, d’un commun accord et d’une manière réfléchie, acceptent de grand cœur<br />
d’élever dignement même un plus grand nombre d’enfants.<br />
3. Le mariage cependant n’est pas institué en vue de la seule procréation. Mais c’est le<br />
caractère même de l’alliance indissoluble qu’il établit entre les personnes, comme le bien des<br />
enfants, qui requiert que l’amour mutuel des époux s’exprime lui aussi dans sa rectitude,<br />
progresse et s’épanouisse. C’est pourquoi, même si, contrairement au vœu souvent très vif des<br />
époux, il n’y a pas d’enfant, le mariage, comme communauté et communion de toute la vie,<br />
demeure, et il garde sa valeur et son indissolubilité.<br />
51. L’amour conjugal et le respect de la vie humaine<br />
1. Le Concile ne l’ignore pas, les époux qui veulent con<strong>du</strong>ire harmonieusement leur vie<br />
conjugale se heurtent souvent de nos jours à certaines conditions de vie et peuvent se trouver<br />
dans une situation où il ne leur est pas possible, au moins pour un temps, d’accroître le<br />
nombre de leurs enfants ; ce n’est point alors sans difficulté que sont maintenues la pratique<br />
d’un amour fidèle et la pleine communauté de vie. Là où l’intimité conjugale est interrompue,<br />
la fidélité peut courir des risques et le bien des enfants être compromis : car en ce cas sont mis<br />
en péril et l’é<strong>du</strong>cation des enfants et le courage nécessaire pour en accepter d’autres<br />
ultérieurement.<br />
2. Il en est qui osent apporter des solutions malhonnêtes à ces problèmes et même qui ne<br />
reculent pas devant le meurtre. Mais l’Église rappelle qu’il ne peut y avoir de véritable<br />
contradiction entre les lois divines qui régissent la transmission de la vie et celles qui<br />
favorisent l’amour conjugal authentique.<br />
3. En effet, Dieu, maître de la vie, a confié aux hommes le noble ministère de la vie, et<br />
l’homme doit s’en acquitter d’une manière digne de lui. La vie doit donc être sauvegardée<br />
avec un soin extrême dès la conception : l’avortement et l’infanticide sont des crimes<br />
abominables. La sexualité propre à l’homme, comme le pouvoir humain d’engendrer,<br />
l’emportent merveilleusement sur ce qui existe aux degrés inférieurs de la vie ; il s’ensuit que<br />
les actes spécifiques de la vie conjugale, accomplis selon l’authentique dignité humaine,<br />
doivent être eux-mêmes entourés d’un grand respect. Lorsqu’il s’agit de mettre en accord<br />
l’amour conjugal avec la transmission responsable de la vie, la moralité <strong>du</strong> comportement ne<br />
dépend donc pas de la seule sincérité de l’intention et de la seule appréciation des motifs ;<br />
mais elle doit être déterminée selon des critères objectifs, tirés de la nature même de la<br />
personne et de ses actes, critères qui respectent, dans un contexte d’amour véritable, la<br />
signification totale d’une donation réciproque et d’une procréation à la mesure de l’homme ;<br />
chose impossible si la vertu de chasteté conjugale n’est pas pratiquée d’un cœur loyal. En ce<br />
qui concerne la régulation des naissances, il n’est pas permis aux enfants de l’Église, fidèles à<br />
ces principes, d’emprunter des voies que le Magistère, dans l’explication de la loi divine,<br />
désapprouve.<br />
4. Par ailleurs, que tous sachent bien que la vie humaine et la charge de la transmettre ne se<br />
limitent pas aux horizons de ce monde et n’y trouvent ni leur pleine dimension, ni leur plein<br />
sens, mais qu’elles sont toujours à mettre en référence avec la destinée éternelle des hommes.<br />
15
52. La promotion <strong>du</strong> mariage et de la famille est le fait de tous<br />
1. La famille est en quelque sorte une école d’enrichissement humain. Mais, pour qu’elle<br />
puisse atteindre la plénitude de sa vie et de sa mission, elle exige une communion des âmes<br />
empreinte d’affection, une mise en commun des pensées entre les époux et aussi une attentive<br />
coopération des parents dans l’é<strong>du</strong>cation des enfants. La présence agissante <strong>du</strong> père importe<br />
grandement à leur formation ; mais il faut aussi permettre à la mère, dont les enfants, surtout<br />
les plus jeunes, ont tant besoin, de prendre soin de son foyer sans toutefois négliger la<br />
légitime promotion sociale de la femme. Que les enfants soient é<strong>du</strong>qués de telle manière<br />
qu’une fois a<strong>du</strong>ltes, avec une entière conscience de leur responsabilité, ils puissent suivre leur<br />
vocation, y compris une vocation religieuse, et choisir leur état de vie, et que, s’ils se marient,<br />
ils puissent fonder leur propre famille dans des conditions morales, sociales et économiques<br />
favorables. Il appartient aux parents ou aux tuteurs de guider les jeunes par des avis prudents,<br />
dans la fondation d’un foyer ; volontiers écoutés des jeunes, ils veilleront toutefois à n’exercer<br />
aucune contrainte, directe ou indirecte, sur eux, soit pour les pousser au mariage, soit pour<br />
choisir leur conjoint.<br />
2. Ainsi la famille, lieu de rencontre de plusieurs générations qui s’aident mutuellement à<br />
acquérir une sagesse plus éten<strong>du</strong>e et à harmoniser les droits des personnes avec les autres<br />
exigences de la vie sociale, constitue-t-elle le fondement de la société. Voilà pourquoi tous<br />
ceux qui exercent une influence sur les communautés et les groupes sociaux doivent<br />
s’appliquer efficacement à promouvoir le mariage et la famille. Que le pouvoir civil considère<br />
comme un devoir sacré de reconnaître leur véritable nature, de les protéger et de les faire<br />
progresser, de défendre la moralité publique et de favoriser la prospérité des foyers. Il faut<br />
garantir le droit de procréation des parents et le droit d’élever leurs enfants au sein de la<br />
famille. Une législation prévoyante et des initiatives variées doivent également défendre et<br />
procurer l’aide qui convient à ceux qui, par malheur, sont privés d’une famille.<br />
3. Les chrétiens, tirant parti <strong>du</strong> temps présent, et discernant bien ce qui est éternel de ce qui<br />
change, devront activement promouvoir les valeurs <strong>du</strong> mariage et de la famille ; ils le feront et<br />
par le témoignage de leur vie personnelle et par une action concertée avec tous les hommes de<br />
bonne volonté. Ainsi, les difficultés écartées, ils pourvoiront aux besoins de la famille et lui<br />
assureront les avantages qui conviennent aux temps nouveaux. Pour y parvenir, le sens<br />
chrétien des fidèles, la droite conscience morale des hommes, comme la sagesse et la<br />
compétence de ceux qui s’appliquent aux sciences sacrées, seront d’un grand secours.<br />
4. Les spécialistes des sciences, notamment biologiques, médicales, sociales et<br />
psychologiques, peuvent beaucoup pour la cause <strong>du</strong> mariage et de la famille et la paix des<br />
consciences si, par l’apport convergent de leurs études, ils s’appliquent à tirer davantage au<br />
clair les diverses conditions favorisant une saine régulation de la procréation humaine.<br />
5. Il appartient aux prêtres, dûment informés en matière familiale, de soutenir la vocation des<br />
époux dans leur vie conjugale et familiale par les divers moyens de la pastorale, par la<br />
prédication de la parole divine, par le culte liturgique ou les autres secours spirituels, de les<br />
fortifier avec bonté et patience au milieu de leurs difficultés et de les réconforter avec charité<br />
pour qu’ils forment des familles vraiment rayonnantes.<br />
6. Des œuvres variées, notamment les associations familiales, s’efforceront par la doctrine et<br />
par l’action d’affermir les jeunes gens et les époux, surtout ceux qui sont récemment mariés,<br />
et de les former à la vie familiale, sociale et apostolique.<br />
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7. Enfin, que les époux eux-mêmes créés à l’image d’un Dieu vivant et établis dans un ordre<br />
authentique de personnes, soient unis dans une même affection, dans une même pensée et<br />
dans une mutuelle sainteté [120], en sorte que, à la suite <strong>du</strong> Christ, principe de vie [121], ils<br />
deviennent, à travers les joies et les sacrifices de leur vocation, par la fidélité de leur amour,<br />
les témoins de ce mystère de charité que le Seigneur a révélé au monde par sa mort et sa<br />
résurrection [122].<br />
« L’originalité de la morale chrétienne n’est pas dans le contenu des normes. La foi chrétienne<br />
ne créée pas un champ éthique particulier mais elle joue un rôle important dans le<br />
discernement des choix possibles, de valeurs, d’orientations de vie et de société partagée avec<br />
d’autres. Au centre de la foi chrétienne, il y a la rencontre avec le Christ. Cette rencontre<br />
avec Quelqu’un qui m’aime et que j’aime me transforme de l’intérieur »<br />
cours de Morale Familiale <strong>du</strong> P. Luc CREPY, Eudiste supérieur <strong>du</strong> séminaire d’Orléans.<br />
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