Perec joueles faussaires - Direccte
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4<br />
Littérature Critiques<br />
Roman, chanson, théâtre, essais, poésie, peinture… L’artiste, âgé de 83 ans, aexcellé<br />
dans tous les domaines. Nouvelle démonstration avec cet «Ultime amour»<br />
Le nouveau tourbillon de Rezvani<br />
Xavier Houssin<br />
Atout à l’heure… » Marie-<br />
José Nat s’est éclipsée vers<br />
le fond de l’appartement,<br />
emportant un petit bloc,<br />
un stylo, son téléphone. «Jevais<br />
lire.» Serge Rezvani lui sourit. Elle<br />
plisse un peu les yeux. Un instant,<br />
leur sourire àtous les deux al’air<br />
d’envahir la pièce. Juste une affaire<br />
de reflets. «Ons’est connu, on s’est<br />
reconnu», ce vers du Tourbillon, la<br />
chanson que Rezvani créa pour<br />
Jeanne Moreau dans le Jules et Jim<br />
de Truffaut en 1962, est aussi le titre<br />
d’une pièce qu’il vient d’écrire pour<br />
cette femme qu’il aime et qu’il a<br />
épousée il yamaintenant six ans.<br />
Ils se sont rencontrés chez des<br />
amis, en 2005, et ne sont plus quittés.<br />
Coup de foudre tardif et improbable.<br />
Il venait alors de perdre Lula,<br />
la compagne de sa vie pendant plus<br />
de cinquante ans. Lula lentement<br />
détruite,éteinte,effacéeparlamaladie<br />
d’Alzheimer. «Jen’imaginais<br />
pas alors comment poursuivre ma<br />
vie»,dit-il. Lula aété, en effet, sans<br />
cesseaucœurdesonexistenceetde<br />
sa création. Ensemble ils ont vécu<br />
une exceptionnelle passion grâce à<br />
laquelle il apu«aller aux confins».<br />
«Point final»<br />
Peintre et écrivain, à bientôt<br />
84ans, après une quarantaine de<br />
romans et récits, de pièces de théâtre,<br />
de chansons, de poésie, d’essais,<br />
de traductions, il publie Ultime<br />
amour («lepoint final àmalongue<br />
explorationdelapremièrepersonne<br />
du singulier»), récit terrible de ces<br />
derniers moments et témoignage<br />
de la reconnaissance infinie envers<br />
celle qui l’a «tiré par la main». Le<br />
livredevraitdoncclorelecycleautobiographique<br />
entamé en 1967 avec<br />
Les Années-Lumière (Flammarion)<br />
qu’avaitsuiviLesAnnéesLula(Flammarion,<br />
1968). S’y répondent les<br />
douleurs d’une enfance où il se<br />
retrouve tôt orphelin de mère, ballotté<br />
par un pèrefantasque d’institutions<br />
en pensions sordides, une<br />
jeunesse d’âpre bohème dans le<br />
Paris de l’Occupation où il veut être<br />
peintreet,après qu’ilacontractéun<br />
bref premier mariage, le moment<br />
où Lula qui surgit dans sa vie: «Ce<br />
fut immédiat, et pour toujours.»<br />
Christine Rousseau<br />
C’était il yalongtemps.<br />
Vingt ans peut-être, ou<br />
plus. Au coind’une porte,<br />
d’une rue, d’un vieil<br />
immeuble voué àladémolition.<br />
D’un monde disparu, comme ces<br />
figures, bouleversantes, qui hantentlenarrateurdunouveaulivre<br />
de Dominique Fabre.<br />
De Jérôme, cet ami d’enfance<br />
qui s’est envolé vers des paradis<br />
artificiels, de ce père qui aabandonné<br />
femme et enfants ou d’Anna,<br />
cette grand-mère aux chemisiers<br />
colorés et àlamémoire en<br />
vadrouille, ne restent que quelques<br />
images:celle d’un parasol<br />
sous lequels’élevaientles accords<br />
d’IndiaSong;d’unevaliseavachie<br />
contenant les reliquats d’une vie;<br />
ouencored’unearmoirehauteen<br />
secrets enfouis dans d’innombra-<br />
L’œuvre intime de Rezvani traverseainsilesjours,enassociantsa<br />
longue félicité de couple, les rappels<br />
du passé, les arrangements<br />
nécessaires avec le présent.<br />
«J’avais commencé par écrire des<br />
chansons, raconte-t-il. Je me suis<br />
aperçu que ces chansons étaient<br />
pour moi comme un journal chanté.Ilnemerestait<br />
qu’un pas àfranchir.»<br />
Ces textes sont étonnamment<br />
sincères et exigeants. «Pour<br />
écrire monhistoire, puis notre histoire,<br />
il m’a fallu passer par tous<br />
ceux qui m’ont fait –sans travestir<br />
leurs noms –etles mettre les uns<br />
Extrait<br />
«Etmevoilà (…) plus que jamais enivré d’énigme!Mourir sans<br />
avoir compris!Quelle ivresse!Moi, je dirai plutôt:mourir en<br />
ayant compris qu’il n’y arien àcomprendre si ce n’est que l’humain<br />
ainscrit àmême le ciel le plus beau d’entre tous les signes,<br />
le point d’interrogation. Ce signe (…) crée une rencontre délectable!Rien<br />
que pour cela, l’Humanité mériterait d’exister, aussi<br />
fugitive soit-elle!Etrien que pour signifier ces signes par la pratique<br />
àlafois inutile et nécessaire de la peinture, ma vie de peintre<br />
méritait d’être vécue. Depuis mes dix-sept ans (…),jerevois<br />
ces dizaines et dizaines d’années d’interrogations par la peinture<br />
et par l’écriture, comme une grisante raison d’avoir été!»<br />
Ultime amour, page104<br />
La ritournelle du temps qui passe<br />
Au comptoir des souvenirs, Dominique Fabre paie sa dette aux êtres aimés et disparus<br />
bles tiroirs. Des images aussi<br />
tenues que les trois petites phrases<br />
qui reviennent cisailler le<br />
cœurderegretsetderemords.«Je<br />
veux les rappeler une fois, encore<br />
unefois,parcequed’eux,ilnereste<br />
rien et qu’ils vivent seulement un<br />
peu de ça, les souvenirs.»<br />
Trois petites phrases-refrain<br />
qui rythment le temps qui passe,<br />
perdu àrêver, àaimer, àimaginer<br />
une autre vie, àsetromper parfois,<br />
àattendre souvent, sans que<br />
rien ne se passe vraiment. C’est<br />
sur cet air connu et familier aux<br />
lecteursde Dominique Fabre,que<br />
ce miniaturiste sensible et délicat<br />
acomposé Il faudrait s’arracher le<br />
cœur.Unroman-nouvelle–genre<br />
où il excelle–empreint de grâce<br />
et de mélancolie. Un roman-dette<br />
aussi, écrit comme une valse à<br />
trois temps où les phrases-titres<br />
des nouvelles battent le rappel<br />
des disparus. «Luc les mains froides,ManuGarouste,JérômeCanetti,<br />
Tony Desplanche (…), et tous les<br />
Ultime amour,<br />
de Serge Rezvani,<br />
Les Belles Lettres,<br />
154p., 19¤.<br />
autresdontjenecitepaslenom,et<br />
pardon àceux que j’oublie, ils<br />
connaissent tous un peu cette histoire.<br />
Elle tient en dix lignes ou<br />
alors en une vie. Parfois, je voudrais<br />
lui imposer le silence, et de<br />
nouveau, quand elle revient, je ne<br />
peux que la raconter.»<br />
La fac «option cafétéria»<br />
Unehistoired’amour,d’amitié<br />
d’abord qui laisse des regrets en<br />
pagaille.Comme celui de ne pas<br />
avoir entendu l’appel de Jérôme<br />
qui murmurait entre deux fixes:<br />
«Ilfaudrait s’arracher le cœur.»<br />
C’était au début des années 1980,<br />
entre Asnières-Clichy et Gennevilliers,<br />
lieux de mémoire depuis<br />
toujoursdeFabre.Etudiantenphilo,<br />
«option cafétéria», le narrateur<br />
naviguait alors entre deux<br />
mondes et deux amis. L’un,<br />
connuàlafacetdontilétaitamoureux,<br />
vivait dansun appartement<br />
cossu du boulevard Pereire. Fréquemment,<br />
il venait yjouer les<br />
après les autres dans leur exacte<br />
lumière»,explique-t-il dans Le Testamentamoureux(Stock,1981).Ilva<br />
continuer l’investigation avec<br />
Variations sur les jours et les nuits.<br />
Journal (Seuil, 1985), Les Repentirs<br />
dupeintre(Stock,1993),oùilévoque<br />
ses allers-retours entre peinture et<br />
littérature, et Le Romand’une maison<br />
(Actes Sud, 2001) consacré, avec<br />
photoset dessinsàl’appui,àLaBéate,<br />
la propriété nichée dans le massif<br />
des Maures, où Lula et lui ont<br />
vécu si longtemps. Le bonheur sera<br />
étouffé par la maladie. L’Eclipse<br />
(Actes Sud, 2003) tient la chronique<br />
des années obscures où Lula s’enfoncesansrémissiondansl’effroyable<br />
absence. Mais Rezvani n’était<br />
pas allé jusqu’au bout. Il lui fallait<br />
parleraussidelaviolence,deshumiliations,des<br />
lâchetés. Ultimeamour<br />
est un impitoyable réquisitoire<br />
contre les profiteurs, les prédateurs<br />
dumalheur.Ces«bravesgens»auxquels<br />
on se soumet, faute de pouvoir<br />
affronter seul la situation, et<br />
qui se révèlent d’inquiétants<br />
voleurs. Ces voisins, ces amis qui<br />
vous abandonnent, ou pis, ceux<br />
qu’on imaginait les plus fidèles, qui<br />
s’emparent de votre désarroi. «La<br />
longue maladie de ma Lula, qui<br />
sauveurs de ce fils d’avocat qui,<br />
afin de tromper l’ennui et le désamour,<br />
absorbait des cachets<br />
«pour ne pas vraiment mourir».<br />
Tandis qu’ailleurs, de l’autre côté<br />
dupériph’,Jérôme,lecopaind’enfance,<br />
du Café du Cercle et des<br />
baladesenbordsdeSeine,s’enfonçait<br />
dans le dur de la drogue.<br />
«Il faudrait s’arracher le<br />
cœur » pour oublier les errements<br />
amoureux, les négligences,<br />
les abandons et tous ces chagrins<br />
d’enfance qui saisissent un<br />
jouraudétourd’unephrasebanale<br />
àpleurer. Tel ce «Jevais devoir<br />
vous laisser», lancé par un père<br />
au bras duquel tangue sous le<br />
poids du mal-être une valise<br />
amochée. A10ans, près d’une<br />
sœur délurée et d’une mère qui<br />
peine àrefaire sa vie, on cogite<br />
dans un appartement soudain<br />
trop grand;onjoue au détective<br />
dans lesrues, en quête d’une silhouette<br />
grise, on s’invente des<br />
martingales d’espoirs, puis en<br />
ULF ANDERSEN/<br />
EPICUREANS<br />
avait fini par m’enlever toute réaction<br />
de défense, avait autorisé ceux<br />
qui m’entouraient àmeconsidérer<br />
commequelqu’undefini.J’étaisintérieurement<br />
mort. Donc àlamerci de<br />
la “gentillesse” de ceux qui croisaient<br />
mon chemin.» On ne lui pardonne<br />
rien. Ni un roman vengeur<br />
(Le Dresseur, Cherche-Midi, 2009)<br />
qu’il arédigé rageusement pour<br />
«laver le poison de ces temps-là».Ni<br />
sa renaissance amoureuse avec<br />
Marie-José Nat. «J’en sais qui n’ont<br />
pas compris que je ne me suicide<br />
pas», insiste-t-il. Mais l’inespérée<br />
douceur est la plus forte. «J’ai suffisamment<br />
raté de pages d’écriture<br />
poursavoirqu’aujourd’huij’écrisau<br />
plus près de ce que je ressens.» Les<br />
Belles Lettres, son nouvel éditeur, a<br />
rééditéLaTraverséedesmontsnoirs<br />
paru chez Stock en 1992, livremosaïque<br />
du sens et des sens, qui a<br />
le pouvoir de «ces contes qui<br />
réveillent».Ils’achevait sans réponses<br />
(«ces paroles entendues ici, vous<br />
lesemporterezavecvous–mêmecelles<br />
que vous n’avez pas pu comprendre…»).<br />
Serge Rezvani acommencé<br />
às’atteleràlasuite. Aumur,sesportraits<br />
de Marie-José Nat. Il sourit.<br />
«J’en conviens. Ultime amour n’est<br />
pas vraiment “le point final”.» p<br />
grandissant, on va se réchauffer<br />
le cœur près des copains au Café<br />
du Cercle pour oublier l’attente<br />
de ce père disparu sans laisser<br />
d’adresse.<br />
«Aubout d’un certain nombre<br />
d’années, tous les mots vous font<br />
penseràdesgens, et lesgens disparaîtront,<br />
mais pas les mots. Les<br />
mots ne disparaîtront jamais tout<br />
àfait»,écritDominiqueFabrequi,<br />
àmots simples, ombrés de sourires,dedouleursetdepudeur,évoque<br />
avec tendresse Anna :cette<br />
grand-mèreauxlunettespapillon<br />
et au phrasé désuet («Qu’est-ce<br />
quejevoulaisvousdirepaslamesse…»).<br />
Une femme arrachée àson<br />
appartement de Ménilmuch’ et à<br />
sa mémoire. Celle d’une vie faite<br />
de riens, de bonheursfugitifs que<br />
ravive magnifiquement ce petitfils<br />
de Bove et d’Henri Calet. p<br />
Il faudrait s’arracher<br />
le cœur,deDominique Fabre,<br />
L’Olivier, 224p., 18¤.<br />
0123<br />
Vendredi 24 février 2012<br />
Sans oublier<br />
Sur le fil d’une vie<br />
Une rue étroite d’Alexandrie par<br />
une belle journée ensoleillée, le<br />
souvenir d’un choc, une voiture à<br />
pleine vitesse, «unzigzag noir sur<br />
le macadam», une odeur de caoutchouc…<br />
L’auto vient de faucher un<br />
jeune couple en voyage d’amoureux.<br />
Clémence est allongée sur le<br />
sol, inerte. «Stéphane laisse aller<br />
son esprit, pour ne pas entendre le<br />
silence, celui de Clémence» :ilse<br />
souvient de leur histoire, raconte<br />
la naissance de leur fils, leur rencontre,<br />
ses peurs, ses impuissances,<br />
l’éclat minuscule d’une vie.<br />
Pour échapper au présent, Stéphane<br />
«retrouve les étapes qui, bout à<br />
bout, forment l’existence». Jean-<br />
Baptiste Gendarme arrête le temps<br />
qui mène àlamort. Si l’existence<br />
tient en équilibre sur un fil, c’est<br />
sur celui qui relie le passé au présent.<br />
Et il est incassable. Car la<br />
mort ne brise que l’avenir. Elle ne<br />
peut rien contre la beauté d’un souvenir,<br />
la couleur d’un rêve, l’étincelle<br />
d’un sentiment ou le brasillement<br />
d’un amour. Et c’est bien cette<br />
phosphorescence immuable<br />
que rend l’écriture du romancier,<br />
laquelle procède par embellie, comme<br />
une éclaircie pendant le mauvais<br />
temps. p Vincent Roy<br />
aUn éclat minuscule, de Jean-Baptiste<br />
Gendarme, Gallimard, 114p., 12,90 ¤.<br />
Mamie flingueuse<br />
Méfiez-vous des «mamiesgâteaux»,<br />
surtout lorsqu’elles sont<br />
«activées»par Brigitte Aubert,<br />
une des plus talentueuses gâchettes<br />
du polar actuel. Voyez Hélène,<br />
62ans, veuve de Joe, un ex-caïd<br />
dont le cœur alâché –lamauvaise<br />
blague, un vendredi13–auretour<br />
d’une balade en mer. Depuis lors,<br />
histoire de ne pas sombrer –mais<br />
est-ce vraiment dans sa nature?–,<br />
la sexagénaire, au parlédigne d’un<br />
Audiard, joue du fouet et de la<br />
cuillère en bois pour confectionner<br />
tartes et moelleux qu’elle vend au<br />
voisinage. Rien d’une mamie flingueuse<br />
donc, sauf le jour où débarque<br />
une équipe de tueurs àgages<br />
venus massacrer avec méthode<br />
une famille de notables. Il n’en<br />
faut guère plus pour qu’Hélène,<br />
alias Véra, retrouve ses réflexes<br />
d’antan et règle ses comptes avec<br />
son passé. Mais on<br />
s’en voudrait d’effeuiller<br />
davantage<br />
le mystère de cette<br />
héroïne détonante<br />
avec laquelle Brigitte<br />
Aubert rend hommage<br />
au cinéma de<br />
genre.p Ch. R.<br />
aFreaky Fridays,<br />
de Brigitte Aubert,<br />
ELB, 222p., 15€.<br />
Un cœur en hiver<br />
Lorsqu’il apprend qu’il est malade,<br />
un homme choisit de mettre fin à<br />
l’histoire qu’il vivait avec sa jeune<br />
compagne. Il refuse ensuite ses visites<br />
àl’hôpital et meurt sans avoir<br />
accepté de la revoir. Ne reste plus à<br />
la narratrice qu’à écrire pour tenter<br />
de surmonter cette double perte<br />
et de comprendre le sens de cette<br />
folle histoire d’amour brutalement<br />
interrompue. Dans ce premier<br />
roman, l’écriture d’Anne Barrovecchio<br />
se révèle lyrique et poétique,<br />
mais aussi progressivement distanciée<br />
et parfois comique. L’exercice<br />
de style est un peu visible et les<br />
références littéraires saturent le<br />
texte sans toujours vraiment le servir.<br />
Mais le lecteur était d’emblée<br />
prévenu, et la démarche assumée:<br />
«Ettant pis pour la pédanterie:je<br />
sais depuis longtemps qu’on ne se<br />
refait pas, et qu’il faut se contenter<br />
de tirer de soi le meilleur, dût-il<br />
venir des autres.»Leroman du<br />
deuil se fait roman d’hommage, à<br />
l’homme aimé autant qu’à la littérature.<br />
p Florence Bouchy<br />
aUn drame ordinaire, d’Anne<br />
Barrovecchio, Le Passage, 158p., 17€.