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Liens et documents - Etienne Chouard - Free

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« Crise du capitalisme ou crise de la monnaie ? »<br />

par Jean Peyrelevade, dans Le Monde, 6 mai 2009 :<br />

http://www.lemonde.fr/web/imprimer_element/0,40-0@2-3232,50-1189614,0.html<br />

« Faillite, crise, disparition, refus, refondation ou moralisation du capitalisme ? Ces qualifications, venant des diverses parties<br />

de l'échiquier politique, ont un point commun. Invectivant un coupable désigné, elles manquent la vraie cible. La facilité<br />

d'expression empêche la lucidité. Crise du capitalisme ? Non mais, ce qui est plus grave, crise de l'économie<br />

menacée dans l'une de ses fonctions essentielles : la fonction monétaire. La monnaie est un bien collectif, ciment du<br />

vivre ensemble dans l'ordre économique. C'est son acceptation indiscutée par tous les acteurs qui perm<strong>et</strong> de passer de<br />

l'économie de troc à l'économie d'échanges, de la tribu néolithique à la société moderne. Elle est apparue au début des<br />

temps historiques, à la fin du VIIe siècle avant J.-C., en Asie mineure, dans le royaume de Lydie qui devint bientôt celui de<br />

Crésus. La richesse des sables aurifères du fleuve Pactole explique sans doute que des pièces d'or furent pour la première<br />

fois frappées par le souverain pour payer ses mercenaires.<br />

Bien sûr, le crédit permit bientôt d'augmenter la flexibilité des échanges. Il engendra une nouvelle forme dématérialisée de<br />

monnaie, mais convertible en or à première demande du porteur. C'est le principe même de convertibilité qui limitait<br />

l'émission monétaire <strong>et</strong> assurait la stabilité de la construction. Ce système gouverna la circulation monétaire de chaque pays<br />

<strong>et</strong> du monde entier jusqu'à la première guerre mondiale où les belligérants furent contraints de l'abandonner. Il avait vécu<br />

plus de 2 500 ans. L'or, c<strong>et</strong>te "relique barbare", disait Keynes, qui l'accusait de favoriser la déflation. Force est de constater<br />

que l'univers monétaire où nous vivons aujourd'hui, complètement dématérialisé, a un siècle d'existence (ce qui est bien<br />

court à l'échelle historique) pendant lequel il a failli exploser deux fois (1929 <strong>et</strong> 2008). Problème de régulation ? Peut-être,<br />

mais surtout défaut de conception.<br />

Telle Aphrodite, la monnaie porte en soi la marque contradictoire de son origine. Sa création est le fait du<br />

système bancaire qui en a le monopole, en contrepartie exacte des crédits consentis à l'économie. Le crédit<br />

bancaire crée la monnaie. Celle-ci, bien public, naît de prises de risques multiples sur des emprunteurs privés. Tout crédit<br />

non remboursé, a fortiori toute défaillance bancaire, m<strong>et</strong>tent en cause la confiance dans la monnaie, instrument<br />

irremplaçable de l'échange. En ce sens, la banque est un service public, qui doit être gérée comme telle. On en est<br />

loin.<br />

Faut-il réguler les agences de notation, les hedge funds (fonds spéculatifs), ceux de private equity (fonds d'investissement) ?<br />

Certes. Faut-il interdire les paradis fiscaux ? Bien entendu. Faut-il intervenir sur la rémunération des traders <strong>et</strong> celle des<br />

présidents de grandes sociétés ? Sans aucun doute. Faut-il imposer la transparence partout où les risques financiers peuvent<br />

s'accumuler ? Oui, une fois de plus. Et exiger de toutes les institutions financières, quel que soit leur métier, le respect de<br />

normes minimales de fonds propres <strong>et</strong> de liquidité. Ce sont là des conditions nécessaires de la stabilité. Elles ne sont pas<br />

suffisantes.<br />

Le système bancaire est le coeur du réacteur. C'est lui qu'il faut protéger. Souvent contre lui-même, parfois contre<br />

les demandes de l'opinion ou du pouvoir politique. La création d'une banque centrale indépendante a été un premier pas.<br />

Mais beaucoup reste à faire. Le système bancaire, dépositaire de la confiance publique, doit être en toutes circonstances<br />

invulnérable. Pour ce faire, pas d'autre solution que de le ramener dans les strictes limites de sa fonction originelle, ce qui<br />

passe par deux règles.<br />

La première rappelle que le métier de la banque n'est pas de prendre des risques, mais au contraire de créer de<br />

la monnaie sans risque. Donc de se borner à anticiper de quelques semaines ou de quelques mois des règlements dont le<br />

caractère est certain, en un mot de financer le fonds de roulement de l'économie <strong>et</strong> rien d'autre. Le risque long, le risque<br />

entrepreneurial, le risque d'investissement ne relèvent pas de la banque mais de l'épargne déjà constituée, c'est-à-dire de<br />

fonds propres. Quant aux risques spéculatifs, découlant d'un pari sur le prix futur d'actifs existants, ils doivent lui être<br />

purement <strong>et</strong> simplement interdits. Le périmètre de la banque de dépôts doit correspondre à son appellation : ce qu'il faut<br />

vraiment réguler demain, mieux qu'aujourd'hui, c'est d'abord le risque bancaire.<br />

À c<strong>et</strong> égard, la seconde règle devrait consister, dès la sortie de crise, à accroître fortement les exigences de fonds<br />

propres des banques <strong>et</strong> cela d'autant plus que leur taille fait peser un risque systémique plus important. Le danger naît de<br />

la convergence de deux facteurs : la concentration des structures, d'une part, l'eff<strong>et</strong> d'end<strong>et</strong>tement, de l'autre, qui rendent<br />

illusoire l'efficacité des amortisseurs de chocs que constituent les fonds propres (<strong>et</strong> incertaine la capacité d'intervention en<br />

dernier ressort des Etats). Sait-on que le passif total des banques françaises, qui ne sont pas les pires <strong>et</strong> de loin, mesuré au<br />

niveau de leur seul bilan représente dix-sept fois leurs fonds propres ? Comment expliquer que la puissance publique,<br />

garante ultime de la monnaie, accepte pour les banques des ratios d'end<strong>et</strong>tement que les banques elles-mêmes<br />

interdisent à toute entreprise industrielle ou commerciale ? Les risques bancaires seraient-ils plus faibles ? Ou<br />

leurs conséquences moins désastreuses ? On sait bien que non.<br />

Il est vrai que quand tout va bien, un tel eff<strong>et</strong> de levier a des eff<strong>et</strong>s enivrants. Les rentabilités obtenues pour le capital (dixsept<br />

fois le taux de marge n<strong>et</strong>te) se situent à des somm<strong>et</strong>s qui simultanément font la fortune des directions générales <strong>et</strong><br />

sont interprétées comme autant de preuves de leur excellence professionnelle. Mais comment faire atterrir l'économie réelle<br />

vers des niveaux de rentabilité de long terme moins excessifs si l'aristocratie qui occupe le coeur du système bancaire est<br />

jaugée sur sa seule capacité à entr<strong>et</strong>enir l'illusion ? Ce n'est pas le capitalisme qu'il faut moraliser mais les conditions<br />

de la création monétaire (États-Unis compris, bien entendu) que l'on doit revoir de fond en comble. »<br />

Jean Peyrelevade est économiste.<br />

24 C’est aux citoyens eux-mêmes, directement, de façonner <strong>et</strong> protéger leur démocratie - <strong>Liens</strong> <strong>et</strong> docs (2009) http://<strong>et</strong>ienne.chouard.free.fr/Europe/<strong>Liens</strong>.php

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