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Ion D. Sîrbu, Jurnalul unui jurnalist fără jurnal

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[p.19] J’ai lu – non sans effort et sans difficultés lexicales – l’essai Minima moralia. Il me<br />

semble vraiment immoral d’écrire sur la morale en me servant d’une langue à laquelle n’a accès<br />

qu’un maximum de mille érudits âgés et polyglottes… J’aimerais l’idée « d’une éthique d’un<br />

monde accueillant » si je n’y percevais pas la séduction de la métaphore et le tourbillon de la «<br />

littératurisation » en soi. Si l’on accomplissait mon rêve d’être invité quelque part pour donner une<br />

conférence sur la morale, je lirais, lentement, le Décalogue, La Prêche sur la Montagne,<br />

l’Ecclésiaste…<br />

Je n’ai pas réussi à lire Max Scheler, Nicolas Hartmann non plus (je veux dire leur Ethique),<br />

parce qu’ils philosophaient brillamment, en dépassant mon niveau, sur des vérités qui auraient dû<br />

être dites – surtout dans l’Allemagne d’Hitler – simplement, pour qu’elles puissent être facilement<br />

comprises par les gens simples.<br />

Mais je suis resté pensif en apprenant – selon Antoine le Grand – qu’ « Il faut combattre le<br />

Mal et attendre le Bien !»….. Nous, nous avons dépassé cette phase protobyzantine : nous laissons<br />

le mal proliférer en s’empirant. Ce n’est que s’il crève un jour que nous pourrons penser aussi à ce<br />

que serait le bien, que nous avons déjà oublié pendant notre longue attente.<br />

***<br />

[19] Je lis avec beaucoup de joie (et pour la première fois) le livre de Nicolae Iorga : Le rôle des<br />

Roumains dans l’histoire universelle.<br />

(Je nage dans un fleuve connu et dangereux dont je ne vois pas les bords et toutefois, je n’ai<br />

pas peur de me noyer, je ne crains pas l’obscurité, ni les faux garde-frontières).<br />

Mon Dieu, me dis-je, quel gaspillage de grands hommes dans ce drôle de XX-ème siècle, à<br />

cause de l’antinomie entre « être » et « ne pas être ». Nous avons payé nos dettes de guerre en or,<br />

céréales, pétrole et bois – mais aussi en quelque cent mille caractères, talents, peut-être même en<br />

génies virtuels, que nous avons sacrifiés pour ce ridiculus mus (cette souris ridicule) où nous vivons<br />

le non être. Nous avons des régiments entiers de techniciens, docteurs, pseudo docteurs, ingénieurs,<br />

petits ingénieurs, économistes, « égonomistes », « iconomistes », etc. Mais très peu, de moins en<br />

moins de caractères – c’est-à-dire des personnalités libres, capables de vivre et de mourir pour la<br />

vérité et le bien auxquels ils croient, tant du point de vue moral, que scientifique ou politique.<br />

Dans mon Cluj natal vivaient : Blaga, DDRosca, Liviu Rusu, Ghibu, Sperantia,<br />

N.Margineanu, Bezdechi, Naum, Silviu Dragomir, Lupas, Hatieganu, Borza et beaucoup d’autres.<br />

[20] Tous ces maîtres, nous les approchions avec respect, fierté et admiration. Ils sont tous<br />

mort discrètement, en grand anonymat.<br />

Où est la liste de leurs successeurs ?<br />

***<br />

[20] Depuis tant d’années, lorsque j’en ai assez de vivre sans le moindre espoir d’un<br />

changement, je ne regarde plus vers l’Atlantique, mais vers l’Oural.<br />

J’ai impatiemment suivi le discours de quatre heures du jeune prometteur (of great<br />

expectations) – Gorbatchev. Je sentais que je n’étais pas le seul : des centaines de milliers d’« âmes<br />

mortes » (esclaves, serfs, lumpenprolétaires de la Matière et de l’Esprit) attendaient, du haut de sa<br />

tribune rouge, quelques promesses de réformes de principe, de structure et d’essence. Une nouvelle<br />

définition du rapport entre l’individu et l’Etat, entre le membre du parti et celui qui ne l’est pas, le<br />

droit du citoyen à la parole, à la croyance, à l’opinion, etc. Les gens de lettres, d’arts, de<br />

philosophie, de religion attendaient qu’on leur ouvre une porte ou au moins un portillon vers la<br />

liberté.

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