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<strong>«</strong> <strong>Si</strong> <strong>mon</strong> <strong>Berry</strong> t’était <strong>conté</strong>. <strong>»</strong><br />
De sa chambre, Marie contemple le paysage. Une envie impérieuse de partir à cheval la<br />
propulse dehors malgré cette journée fraîche d’automne.<br />
L'odeur humide du matin embaume et une vapeur fumante s'exhale des nasaux frémissants de<br />
l'animal tandis qu'ils parcourent les vallons rougissants, les bosquets touffus, les clairières<br />
encore vertes.<br />
La curiosité emmène la jeune femme sur le chemin de Gargilesse où le hasard l'avait conduite<br />
l'an passé. La voici de nouveau pleine de vénération devant la petite porte de bois en haut des<br />
sept marches en pierre qui mènent à la maison du célèbre écrivain.<br />
Le son d'un piano s'échappe de manière feutrée des vieilles fenêtres. Mystérieusement, ces<br />
notes envoûtantes semblent ne faire qu'un avec le paysage féerique qu'elle vient de parcourir.<br />
Cette campagne berrichonne si merveilleuse, sauvage, quasi paradisiaque…<br />
<strong>«</strong> Par quelle magie, se demande Marie, un piano devient-il tout à la fois ombre et lumière,<br />
couleurs, forêts, étangs ou ruisseaux ? Comment la musique sait-elle exprimer de manière<br />
aussi fluide et émouvante un tel sentiment de nostalgie face à la Nature ? Une sensation si<br />
diffuse, si impénétrable… <strong>»</strong><br />
Soudain, par les volets ouverts, apparaît la silhouette d’une femme toute de noir vêtue, assise<br />
à contre-jour. C'est elle ! George Sand en personne !<br />
Marie s’approche.<br />
<strong>«</strong> Ecrit-elle ? <strong>»</strong><br />
La femme brune penche la tête, visiblement en proie à une rêverie profonde à l’écoute de la<br />
musique. Elle tient doucement les mains croisées sur sa poitrine dans un geste protecteur,<br />
maternel, pour retenir et bercer sur son cœur les sons mystérieux en train de naître en sa<br />
demeure. Comme si elle voulait arrêter le temps…<br />
S'étirant voluptueusement, l’écrivain se lève enfin et se dirige vers une autre fenêtre où se<br />
dessine le dos voûté d’un homme. Un pianiste devant son instrument. Elle se blottit alors<br />
contre cette fine silhouette et l’embrasse tendrement. Puis elle tourne avec sollicitude son<br />
regard vers le manuscrit sur lequel l’homme écrit d’une main tremblante tout en jouant de<br />
l’autre, sans interrompre son travail pendant cet instant d’abandon.<br />
Sa suave amante le laisse à sa solitude, s’éclipsant de la vue de Marie.<br />
Les yeux levés vers le ciel, Chopin passe fébrilement ses longs doigts délicats dans ses<br />
cheveux blonds. Soudain, il repousse vigoureusement les pages loin de lu et s’abîme un long<br />
moment dans la contemplation de son clavier.<br />
Du piano s'élève alors, dans toute sa perfection, un morceau d'une beauté poignante et<br />
déchirante tel un arc-en-ciel libéré de toute entrave !<br />
Saisie par l'intensité et l'har<strong>mon</strong>ie qui se dégagent de cette musique improvisée, Marie ressent<br />
la douleur du compositeur à l'égard de la partition qu'il vient de jeter rageusement.<br />
Bouleversée, elle réalise tout à coup qu’elle vient d'être le témoin privilégié, bien qu’indiscret,<br />
de l'intimité de l’artiste. Pauvre Chopin ! Fixer son inspiration sur le papier semble pour lui la<br />
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<strong>«</strong> <strong>Si</strong> <strong>mon</strong> <strong>Berry</strong> t’était <strong>conté</strong>. <strong>»</strong><br />
pire des prisons. Quelle épreuve de s’astreindre à une telle discipline quand la créativité vous<br />
saisit le cœur et les doigts comme un feu dévorant qui vous emporte là où il veut !<br />
Madame Sand apparaît de nouveau dans la pièce. Elle tient un plateau qu’elle pose sur un<br />
petit guéridon, lentement pour ne pas déranger son amant.<br />
Revenue à son bureau, l'écrivain prend la plume, tandis que Chopin ramasse les feuillets<br />
épars.<br />
Une dernière fois Marie aperçoit à la fenêtre le profil aigu du compositeur. Celui d’un homme<br />
fatigué, tourmenté et visiblement malade...<br />
Les personnages deviennent brusquement flous pour disparaître complètement. Marie se frotte<br />
les yeux. Les meubles sont à leur place, mais les pièces vidées de toute présence.<br />
La jeune femme se remet en selle et trotte jusqu’à la sortie du village. Elle attend que la route<br />
soit moins escarpée pour accélérer l’allure. Le vent fouette ses cheveux, s’immisce dans sa<br />
bouche et rosit ses joues.<br />
En quelques minutes, le paysage se fait plus sauvage. La flore est toujours de nature sylvestre<br />
mais le sol a pris un aspect marécageux.<br />
Elle décide de couper à travers bois pour savourer les odeurs de mousse humide et de<br />
champignons nouvellement poussés.<br />
Sur sa gauche, elle voit une maisonnette dans laquelle une vielle femme entre. Marie descend<br />
de son cheval et l’attache à un arbre. Sur la pointe des pieds, pour ne faire craquer aucune<br />
branche, elle avance jusqu’à la fenêtre.<br />
Du revers de la manche, elle nettoie la poussière qui empêche de voir à l’intérieur.<br />
La vielle femme pose son panier d’osier sur une petite table au centre de la pièce. Elle se<br />
dirige vers une fillette allongée sur un matelas, recouverte de vétustes couvertures, et se<br />
penche sur la malade. Elle fait plusieurs signes de croix et doit réciter des prières à en juger la<br />
vitesse folle à laquelle remuent ses lèvres. Après un certain temps, une femme, sans doute la<br />
mère de la petite, discute avec la guérisseuse. Celle-ci sort plusieurs flacons de sa manne et<br />
prépare un remède qu’elle tend à son hôtesse.<br />
Marie récupère sa <strong>mon</strong>ture et part au galop avant que la vieille ne sorte.<br />
Un peu plus loin, elle s’arrête pour admirer le paysage qui s’offre à elle.<br />
Du <strong>Berry</strong> Sud, la voyageuse <strong>mon</strong>te vers sa partie Nord pour atteindre la Brenne, région plus<br />
communément appelée <strong>«</strong> Pays des mille étangs <strong>»</strong>.<br />
Les couleurs passent du vert foncé à l’ocre, identiques à une photo jaunie par les années. Les<br />
joncs qui surplombent les abords de l’eau, et ceux que l’on distingue à l’horizon, forment des<br />
lignes verticales. Ils semblent exécutés par le pinceau d’un peintre, avec là-bas, des ronds<br />
touffus, marrons, par petites touches, en guise de bosquets. Sur l’étang, la faune est composée<br />
essentiellement de poules d’eau au plumage noir. Parfois en contraste, un héron,<br />
reconnaissable entre tous grâce à son long bec et sa patte allongée qui camoufle la seconde<br />
repliée, s’envole.<br />
Aucune âme qui vive dans ce coin de solitude. Profitant du calme ambiant la jeune femme se<br />
repose un moment.<br />
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<strong>«</strong> <strong>Si</strong> <strong>mon</strong> <strong>Berry</strong> t’était <strong>conté</strong>. <strong>»</strong><br />
Ainsi rassérénée, elle prend le chemin du retour car le soleil décline lentement dans le ciel. A<br />
cette saison, la nuit tombe tôt. Il ne faut pas trop s’attarder.<br />
Des voix d’enfants lui parviennent. Des cris, des rires. Elle a l’impression qu’ils l’encerclent,<br />
l’accompagnent. Elle surprend parfois des ombres qui se faufilent furtivement entre les arbres.<br />
Qui courent en tous sens, volant presque, telles des feux follets, farfadets bienfaisants des<br />
forêts. Nullement oppressée par cette apparition surnaturelle, elle se sent au contraire comme<br />
une petite fille dont le <strong>mon</strong>de merveilleux n’est connu que d’elle seule.<br />
***<br />
Marie referme son livre, un sourire rêveur au coin des lèvres, et le pose délicatement sur sa<br />
table de chevet. Elle éteint la lumière et s'allonge confortablement sous ses draps. Le jour qui<br />
perce alors entoure d'un halo lumineux la couverture du livre sur laquelle on peut lire:<br />
" <strong>Si</strong> <strong>mon</strong> <strong>Berry</strong> <strong>t'était</strong> <strong>conté</strong>- George Sand - exemplaire unique".<br />
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