Vieillir chez soi, un enjeu de société - Le CLEIRPPA
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américains, le désert, le mon<strong>de</strong>) qu’<strong>un</strong> infime<br />
ou infâme réduit d’<strong>un</strong>e nuit, qui ne laisse pas<br />
cependant d’entrer lui-même dans <strong>un</strong>e série<br />
signifiante.<br />
Il apparaît clairement que le « <strong>chez</strong>-<strong>soi</strong> »/<br />
habitat ne saurait se limiter à <strong>soi</strong>, ni à l’habitat<br />
comme simple occupation d’<strong>un</strong> lieu, d’<strong>un</strong> logement,<br />
location ou même propriété. Il réalise ou<br />
matérialise ou personnalise <strong>un</strong>e forte relation<br />
d’habitat qui implique, qui engage et le Moi (<strong>soi</strong>)<br />
et le Mon<strong>de</strong> (<strong>chez</strong>). C’est <strong>un</strong>e relation originaire<br />
et constante : je suis dans le mon<strong>de</strong>, le mon<strong>de</strong><br />
est mon <strong>chez</strong>-moi (mon<strong>de</strong> matriciel, dont la<br />
perception pourrait être à l’origine <strong>de</strong>s rituels<br />
<strong>de</strong> mise en terre, au tombeau – tomb is womb,<br />
le tombeau est utérus, dit Norman O. Brown) ;<br />
et j’habite mon Moi, le Moi est mon habitat –<br />
même si, comme dit Freud cernant la place <strong>de</strong><br />
l’inconscient, le Moi n’est pas maître dans sa<br />
propre maison. Mais justement, ce n’est pas<br />
seulement, si ça l’est, <strong>un</strong>e question <strong>de</strong> maîtrise<br />
– la relation d’habitat est quelque chose <strong>de</strong> plus<br />
élémentaire, raciné profond (les « racines », dont<br />
on fait grand cas aujourd’hui, ne désignent pas<br />
autre chose que l’intuition dure et noueuse,<br />
habitée <strong>de</strong> nostalgie, d’habitats originaires ou<br />
antérieurs plus ou moins en perdition), elle<br />
concerne la capacité <strong>de</strong> tout sujet à « habiter »<br />
son être propre, à loger, si l’on peut dire, dans<br />
son i<strong>de</strong>ntité – sachant que, comme dit Rimbaud,<br />
« je est <strong>un</strong> autre ». <strong>Le</strong> « <strong>chez</strong>-<strong>soi</strong> » se trouve ainsi<br />
au point critique, au point <strong>de</strong> croisement, <strong>de</strong><br />
fixation, <strong>de</strong> capiton, du rapport critique avec le<br />
Mon<strong>de</strong> (écologie) et du rapport critique avec <strong>soi</strong><br />
(psychanalyse).<br />
Si le « qui suis-je ? », question qui traverse<br />
tout sujet, peut, reprise et rehaussée en relation<br />
d’habitat, être formulée sous la forme d’<strong>un</strong><br />
« <strong>chez</strong> qui suis-je ? », l’« habiter <strong>chez</strong>-<strong>soi</strong> », position<br />
« prosaïque », nécessaire et vitale assurément,<br />
mais réduite, si l’on peut dire, aux acquis,<br />
fonctionne comme <strong>un</strong>e dynamique affective<br />
et « poétique » d’<strong>un</strong>e puissance insoupçonnée,<br />
qui entraîne le sujet <strong>de</strong>puis sa placentation<br />
originelle (on parle parfois, freudiennement,<br />
<strong>de</strong> « régression utérine ») jusqu’à sa possible<br />
dissolution dans l’entier <strong>un</strong>ivers (« sensation<br />
océanique » <strong>de</strong> Romain Rolland, cendres dispersées<br />
au vent), et <strong>de</strong> la conscience p<strong>un</strong>ctiforme<br />
et éphémère du Moi à l’interminable et touffu<br />
enchevêtrement en rhizome d’<strong>un</strong> inconscient<br />
qui serait le dépositaire <strong>de</strong> la totalité <strong>de</strong>s expériences<br />
<strong>de</strong> l’humanité, voire <strong>de</strong> toute l’évolution<br />
du vivant, et peut-être même <strong>de</strong> l’inanimé<br />
(Freud, Ferenczi).<br />
On ne saurait trop mettre l’accent sur la<br />
nécessité vitale et fondatrice d’<strong>un</strong> « habiter<br />
<strong>chez</strong>-<strong>soi</strong> » dont les modalités, aussi conster-<br />
nantes puissent-elles être, et elles ne le sont que<br />
trop souvent (tous les hommes habitent, mais<br />
certains habitent mieux que d’autres, dirait<br />
Orwell), permettraient l’exercice d’<strong>un</strong>e relation<br />
d’habitat en laquelle s’exprimeraient et s’exhausseraient<br />
rapport avec le mon<strong>de</strong> et rapport<br />
avec <strong>soi</strong>. Il s’agit là <strong>de</strong>s fondations <strong>de</strong> toute<br />
construction humaine, qui donnent au « <strong>chez</strong>-<strong>soi</strong><br />
» ainsi appréhendé et vécu toute sa gravité – et<br />
sa poignante affinité avec le sacré.<br />
SOMMAIRE EXTRAIRE CET ARTICLE<br />
REPRÉSENTATIONS DE L’ÂGE<br />
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