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Tutorat et pratiques foncières - Ird

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<strong>Tutorat</strong> <strong>et</strong> <strong>pratiques</strong> <strong>foncières</strong> : migrants entre pouvoir de la terre <strong>et</strong><br />

pouvoir des « dieux » à Bougnounou (Province du Ziro – Burkina Faso)<br />

Tutor-migrant relationship and land practices: the migrants caught<br />

b<strong>et</strong>ween the power of the land and the power of the gods in Bougnounou<br />

(Ziro Province, Burkina Faso)<br />

Sita ZOUGOURI<br />

Doctorante, Uppsala University (SUEDE)<br />

Department of Cultural Anthropology and Ethnology<br />

Au Burkina Faso, Etudiante / INSS (Institut des Sciences des Sociétés)<br />

E-mail : sita.zougouri@antro.uu.se sita_zougouri@yahoo.fr<br />

Résumé<br />

C<strong>et</strong> article propose un état des lieux de la réalité des rapports fonciers tuteurs - migrants dans un<br />

contexte d’emprise du pouvoir religieux / coutumier dans les clauses <strong>foncières</strong> entre migrants <strong>et</strong><br />

autochtones <strong>et</strong> entre autochtones eux-mêmes. Nous présentons ici une analyse dans le cas de<br />

Bougnounou, de l’évolution des statuts fonciers des migrants depuis le début de la migration, de<br />

l’actualité de leur quotidien entre le pouvoir de la terre <strong>et</strong> l’exigence des dieux pour leur sécurisation<br />

non seulement foncière mais « existentielle » <strong>et</strong> enfin de l’organisation des rapports tuteurs - migrants<br />

entre hier <strong>et</strong> aujourd’hui.<br />

Mots clés : foncier rural, migration, tutorat, pouvoir, kwere, nuni, gurunsi.<br />

Abstract<br />

This article proposes to show the reality of land relationships b<strong>et</strong>ween tutors - immigrants in a context<br />

of influence of the power of religion and customs in the land clauses b<strong>et</strong>ween immigrants and<br />

indigenous and also b<strong>et</strong>ween indigenous themselves. It will be a question of analysing, in the case of<br />

Bougnounou, the evolution of the land statutes of the immigrants since the beginning of the<br />

immigration, the topicality of their daily life b<strong>et</strong>ween the power of the land and the requirement of<br />

gods for their land security and “existential" life, and finally the organization of tutors - immigrants<br />

relationships since yesterday to today.<br />

Colloque international “Les frontières de la question foncière – At the frontier of land issues”, Montpellier, 2006 1


Introduction<br />

Il ressort de la littérature <strong>et</strong> des différentes problématiques sur la recherche sur le foncier que les<br />

rapports fonciers ne renvoient pas seulement à des catégories juridiques, mais sont aussi à la fois<br />

enchâssés dans du social, du spirituel, de l’économique, <strong>et</strong> du politique. Ainsi l’analyse des réalités<br />

locales en matières de <strong>pratiques</strong> <strong>foncières</strong> nous amène-t-elle à cerner le foncier comme un fait social<br />

total constitué à la fois par la terre <strong>et</strong> les ressources naturelles imbriquées dans des dimensions<br />

religieuses, culturelles <strong>et</strong> affectives (Volker Stamm, 1998). Les rapports fonciers sont accompagnés <strong>et</strong><br />

précédés à la fois par des contrats moraux (basés en général sur l’historique du premier contact), très<br />

souvent religieux <strong>et</strong> plus tard économiques (c<strong>et</strong> aspect rentre toujours en compte) <strong>et</strong> politiques qui<br />

perm<strong>et</strong>tent d’établir le type de rapport qu’un autochtone accepte d’avoir avec tel lignage ou plus<br />

précisément avec telle famille migrante. Nous nous intéressons ici à une approche compréhensive des<br />

rapports tuteurs migrants autour de différentes arènes déjà existantes ou développées suite à<br />

l’évolution de ces rapports fonciers. Il sera alors important d’identifier <strong>et</strong> de comprendre les types <strong>et</strong> la<br />

nature des rapports qui se tissent ou s’affrontent autour de l’accès, de la distribution <strong>et</strong> de<br />

l’appropriation des ressources <strong>foncières</strong>. Aussi il ressort que les types de ressources impliquées dans<br />

ces rapports fonciers reformulent très souvent les rapports établis à la base car c’est la cohabitation qui<br />

affine très souvent les normes <strong>et</strong> règles des rapports fonciers des migrants <strong>et</strong> des tuteurs. Le foncier ne<br />

doit pas être seulement compris comme espace mais plutôt à travers les ressources qu’il renferme <strong>et</strong> à<br />

travers les usages <strong>et</strong> les activités qui ont cours (Lavigne Delville, 1998). L’espace ne vaut que par les<br />

ressources qu’il porte ou est susceptible de porter.<br />

Il s’agira ici d’analyser dans le cas de Bougnounou, l’évolution des statuts fonciers des migrants<br />

depuis le début de la migration à Bougnounou, l’actualité de leur quotidien entre le pouvoir de la terre<br />

(tout ce qui sous tend <strong>et</strong> anime leurs rapports fonciers de tous les jours) <strong>et</strong> l’exigence des dieux pour<br />

leur sécurisation non seulement foncière mais « existentielle » à Bougnounou, <strong>et</strong> l’organisation des<br />

rapports tuteurs migrants entre hier <strong>et</strong> aujourd’hui. Le texte sera précisément structuré autour des<br />

points suivants : a) une présentation <strong>et</strong> analyse du contexte local de la recherche, b) la fondation du<br />

village <strong>et</strong> l’organisation de l’espace foncier, <strong>et</strong> c) les migrants entre terre <strong>et</strong> dieux à travers le tutorat<br />

foncier.<br />

C<strong>et</strong>te recherche a été menée dans le cadre d’une étude anthropologique 1 sur la gestion d’une ressource<br />

mise en commun comme la forêt protégée de Bougnounou constituée en chantier d’aménagement<br />

forestier 2 . Il s’est agi pour le proj<strong>et</strong> PNUD/FAO/BKF/85/011 (qui a créé ce chantier) de rassembler<br />

les brousses de différents lignages <strong>et</strong> de différents villages pour créer des forêts protégées prêtes pour<br />

des chantiers aménagés dans la plupart des départements de la région du centre-ouest. L’absence totale<br />

1<br />

Nous remercions l’Agence Suédoise de Développement International (ASDI) qui finance notre thèse de<br />

Doctorat <strong>et</strong> nos recherches <strong>et</strong>hnographiques.<br />

2<br />

Pour quelques approches anthropologiques en matière de gestion de ressources naturelles voir Chauveau,<br />

2003 ; JACOB J.-P., Ouedréaogo S., Paré L., 2002 ; Lavigne Delville Ph., CHauveau J.-P., 2002<br />

Colloque international “Les frontières de la question foncière – At the frontier of land issues”, Montpellier, 2006 2


de migrants (qui pourtant ont prés d’un demi-siècle d’existence dans le village) dans c<strong>et</strong>te organisation<br />

nous amène à chercher à cerner les stratégies <strong>et</strong> logiques de gestion de toute la ressource foncière dans<br />

ce village. Ainsi, nous avons procédé à une approche compréhensive des rapports tuteurs - migrants<br />

autour des différentes arènes de cohabitation, de confrontation ou de rapprochement. En fonction de<br />

quel type d’activités <strong>et</strong> de ressources, l’exclusion ou l’inclusion des migrants se fait-il savoir ? Les<br />

principaux outils de production de données ont été l’observation <strong>et</strong> les entr<strong>et</strong>iens semi-directifs.<br />

C<strong>et</strong>te étude s’appuie sur les recherches antérieures qui se sont penchées sur l’analyse de la question<br />

foncière en général un peu partout en Afrique (Crousse ; le Bris ; le Roy, 1986). Ces recherches se<br />

sont aussi tout intéressées à l’évolution des systèmes fonciers locaux <strong>et</strong> à leur capacité d’adaptation<br />

face à la crise de la pression foncière, à la complexité des règles socio <strong>foncières</strong>, aux politiques<br />

étatiques campées sur la propriété formelle comme solution nécessaire (Lavigne Delville, 1998 :7-19),<br />

à la question récurrente de la sécurisation foncière pour tous les acteurs.<br />

C<strong>et</strong>te étude continue dans la même lancée <strong>et</strong> se base sur une étude de cas qui contribue à élargir la<br />

réflexion sur les rapports fonciers, spécifiquement entre autochtones <strong>et</strong> allochtones à travers les<br />

<strong>pratiques</strong> du tuteur (responsable de la tête du migrant) <strong>et</strong> du migrant (qui se trouve d’abord un Zaksoba<br />

ou un Santiu). Elle se base sur une approche par les acteurs, par les <strong>pratiques</strong> des acteurs, reliée à la<br />

réflexion sur la sécurisation foncière des migrants sur les terres d’accueil (Mathieu, Lavigne Delville,<br />

Paré, Zongo, Ouedraogo, Baud, Bologo, Koné, Trioll<strong>et</strong>, 2004). Dans ce cas ci, c<strong>et</strong>te sécurisation des<br />

exploitations familiales, nous verrons, se précisera <strong>et</strong> se définira à travers différentes clauses qui<br />

formulent le rapport du migrant à la terre dans sa zone d’accueil.<br />

a) Contexte local<br />

Nous nous intéresserons particulièrement au village de Bougnounou mais nous nous référerons<br />

souvent aux autres villages du département de Bougnounou. Bougnounou est un département de la<br />

province du Ziro au Burkina Faso <strong>et</strong> compte 20 villages nuna 3 en majorité. Certains villages sont<br />

habités exclusivement par des Moose 4 . La plupart des villages nuna sont habités tout aussi par des<br />

migrants moose <strong>et</strong> peuls. La migration dans ce village nuni a plus d’un demi-siècle d’existence. Ils ont<br />

pour origine le centre, le Centre-Ouest <strong>et</strong> le Nord du pays. Bougnounou est un village de 16.800<br />

habitants avec prés de 70% de migrants en majorité moaga.<br />

La configuration sociale, géographique <strong>et</strong> démographique de ce village semble importante pour cerner<br />

la distribution de la terre <strong>et</strong> de la brousse. Ainsi, administrativement, il y a deux secteurs nuni, les<br />

secteurs 1 <strong>et</strong> 2 dans lesquels habitent ceux qu’on appelle les moose de Bougnounou 5 village. Trois<br />

3 Il est dit un nuni des nuna. La langue c’est le nuni<br />

4 Nous adoptons c<strong>et</strong>te écriture : un moaga des moose.<br />

5 Découpage <strong>et</strong> recomposition des secteurs administratifs revus suite à l’avènement proche des élections<br />

communales rurales de Avril 2006. Ils se sont servit du découpage traditionnel du village afin de rapprocher des<br />

lignages les uns au autres. Le secteur 1 a été agrandi pour augmenter le nombre d’habitants de ce secteur <strong>et</strong> donc<br />

le nombre de potentiels électeurs (car il est le plus p<strong>et</strong>it).<br />

Colloque international “Les frontières de la question foncière – At the frontier of land issues”, Montpellier, 2006 3


autres secteurs sont habités par les Moose <strong>et</strong> les Peuls. Le secteur 3 habités par les Moose <strong>et</strong> Peuls, le<br />

secteur 4 habité par les Moose, le secteur 5 habité également par les Moose. Par rapport au découpage<br />

traditionnel, le secteur 1 comprend 3 quartiers de la chefferie, deux diyu (sing. diyè : concession)<br />

autonomes d’un même san (lignage), des zakse (sing. Zaka : concessions) des Moose du village ainsi<br />

qu’un nouveau quartier de Moose. Le secteur 2 comprend tout le reste des quartiers traditionnels nuni<br />

<strong>et</strong> un quartier moaga. Le secteur 3 comprend le quartier Soula, le secteur 4 comprend le quartier Yarsé<br />

<strong>et</strong> Watinoma <strong>et</strong> le secteur 5 enfin le quartier Lao un des plus gros quartiers ayant des infrastructures<br />

propres à lui.<br />

Bougnounou fait partie des zones dites boisées du Centre-Ouest du pays. Il fait partie des 9<br />

départements où ont été aménagées des forêts protégées sous forme de chantiers d’aménagement<br />

forestier à travers le programme « Aménagement des forêts naturelles pour la sauvegarde de<br />

l’environnement <strong>et</strong> la production de bois de feu » proj<strong>et</strong> PNUD/FAO/BKF/85/011. La zone a été<br />

identifiée comme ayant une potentialité considérable en ressources naturelles qui a depuis ces années<br />

attiré sur ses terres des milliers de migrants Moose.<br />

A Bougnounou, le regroupement géographique des migrants, comme toujours, est liée à la zone<br />

d’origine, à l’appartenance religieuse (cela compte pour très peu), ou encore à la connaissance du<br />

même intermédiaire (Zongo, 2004, Zougouri, 2001).<br />

Avoir le statut de migrant golia 6 veut dire en premier qu’on est dépendant d’un autochtone comme<br />

répondant ou comme tuteur / Santiu. Etre migrant rentre dans le cadre de tout un processus migratoire<br />

(Bologo, 2004). D’abord il faut avoir entendu parler de la zone, ensuite connaître quelqu’un qui en dit<br />

du bien au moins sur un plan : disponibilités en terre fertiles, ensuite accepter de venir au nom de la<br />

personne migrante qui a mobilisé votre venue, accepter d’être le migrant du même tuteur autochtone<br />

que son tuteur migrant. Aujourd’hui voilà comment se prépare le processus d’installation des<br />

migrants. Avant cela des migrants se sont vus installés à Bougnounou grâce à une amitié ou à une<br />

alliance, ou à la demande du tuteur autochtone. Le déséquilibre actuel entre population <strong>et</strong> ressources<br />

de nos jours est bien une des raisons pour laquelle la migration spécifiquement interne est perçue au<br />

Burkina <strong>et</strong> plus particulièrement au Centre-Ouest comme un phénomène social à connotation<br />

conflictuelle 7 . De nouvelles installations ne se font plus. Les terres des migrants jadis vastes <strong>et</strong> non<br />

mesurées connaissent des rétrécissements considérables qui amènent des migrants à aller voir d’autres<br />

tuteurs autochtones afin de compléter leur besoin en superficie. Il s’avère important de ne pas s’arrêter<br />

aux seuls tuteurs autochtones. Les tuteurs migrants jouent tout aussi un rôle considérable dans le<br />

processus migratoire entrepris <strong>et</strong> exécuté.<br />

Le tutorat foncier comme le dit Chauveau « correspond à une institution agraire générale aux sociétés<br />

paysannes africaines. Elle s’insère dans le dispositif normatif caractéristique d’une économie morale<br />

6 Gens de brousse.<br />

7 Voir aussi Mathieu, P., Bologo, E., Zongo, M., 2005, Des transactions <strong>foncières</strong> ambiguës : les r<strong>et</strong>raits de terre dans le<br />

Sud-Ouest du Burkina Faso IIED Drylands Programme<br />

Colloque international “Les frontières de la question foncière – At the frontier of land issues”, Montpellier, 2006 4


dans laquelle il existe un consensus sur le fait que tout le déroulement des processus économiques ne<br />

doit pas m<strong>et</strong>tre en cause l’accès de tout individu, même étranger à la communauté, aux moyens de<br />

subsistance pour lui <strong>et</strong> sa famille – à charge pour l’étranger de respecter un « devoir de<br />

reconnaissance » à l’égard de son tuteur <strong>et</strong> de la communauté d’accueil, dans la perspective de son<br />

intégration plus ou moins explicitement recherché <strong>et</strong> plus ou moins complète dans la communauté<br />

hôte » (Chauveau, 2004 : 3). L’institution du tutorat est de toute façon nécessaire au processus<br />

d’installation qui mobilise non seulement la ressource terre mais aussi les croyances religieuses<br />

coutumières pour lesquelles il est nécessaire d’avoir un tuteur sur lequel compter. Autant il est<br />

important d’avoir un tuteur autochtone autant il est important qu’il soit un tuteur crédible tant par sa<br />

place dans le village, que par son propre statut de « propriétaire » foncière. Nous avons catégorisé<br />

deux types de lignages en fonction de la statut foncier vis á vis de la terre de Bougnounou : les<br />

lignages « forts » <strong>et</strong> les lignages « faibles ». Il apparaît que la force <strong>et</strong> la faiblesse d’un lignage sont<br />

liées à leur dépendance ou non à la terre sur laquelle ils sont installés. C'est-à-dire au type de droit<br />

d’usage <strong>et</strong> de gestion de la terre (brousse ou terre d’habitation) dont il jouit (Zougouri, 2005). Les<br />

lignages dits « faibles » s’occupent de deux brousses Brego <strong>et</strong> Zoulouakabié qui « par coïncidence »<br />

ont été les brousses choisies pour l’aménagement de la forêt protégée du chantier. Ces lignages ne<br />

peuvent pas être des tuteurs autonomes de migrant pour procéder á une installation. Il faut qu’ils se<br />

réfèrent au chef de village ou au propriétaire de la terre qui les concerne. Ils peuvent néanmoins<br />

donner des terres de cultures. Ces lignages sont des tiokolia (gens du village) différents des tiokotia<br />

(propriétaires du village). Parmi les tiokolia il y a néanmoins un lignage fort grâce à son statut de<br />

propriétaire de ses terres <strong>et</strong> de ses brousses.<br />

b) Fondation du village / organisation de l’espace foncier<br />

L’historique de la fondation du village nous semble important dans l’appropriation de l’espace<br />

traditionnel, dans la compréhension de la structuration foncière du village, dans la spécification de la<br />

place <strong>et</strong> du statut foncier des différents lignages nuna, <strong>et</strong> aussi dans la compréhension des rapports<br />

socio politico économiques entre autochtones <strong>et</strong> entre autochtones <strong>et</strong> migrants.<br />

Pour arriver à établir un récit historique de ce village, il nous a fallu faire un travail de recoupements<br />

entre les sources d’informations venant des autochtones fondateurs, des autres lignages <strong>et</strong> aussi des<br />

autres chefferies <strong>et</strong> autres Nuna des autres villages. Nous avons suivi une logique d’analyse qui<br />

montre aussi les versions de ceux qui se disent auteurs <strong>et</strong> faiseurs de l’histoire de Bougnounou.<br />

Comme le disent, au premier abord, certains informants « seuls les Tiogotia ont le droit de raconter<br />

l’histoire de Bougnounou, pas les autres ». Il ressort de ce fait que le village de Bougnounou a été créé<br />

sur le site d’un ancien village dont les premiers habitants (Gonsao) ont été chassés par les ancêtres 8<br />

des Benao. Il avait fallu livrer bataille pour s’installer. L’ancêtre qui s’est installé à Bougnounou était<br />

8 Nous ne généralisons pas le nom de Benao aux ancêtres des Benao à cause d’éléments historiques spécifiques.<br />

Colloque international “Les frontières de la question foncière – At the frontier of land issues”, Montpellier, 2006 5


le p<strong>et</strong>it frère <strong>et</strong> avait donc été accompagné par les aînés pour l’aider à s’installer. Selon toutes les<br />

sources, les premiers habitants n’ont pas résistés <strong>et</strong> sont partis.<br />

Après avoir chassé les premiers habitants de Bougnounou, l’ancêtre Benao s’est installé avec sa suite<br />

constituée par ses compagnons de guerres. C<strong>et</strong> ancêtre descend en eff<strong>et</strong> d’une famille de conquérants<br />

venue du pays moaga conquérir toute la partie nord-ouest de Bougnounou. L’ancêtre s’est donc<br />

approprié la terre <strong>et</strong> de tout ce qui vit dans l’espace de ce village <strong>et</strong> s’occupa de l’institution du<br />

pouvoir de roi. Ces ancêtres sont des descendants de princes déchus de chefferies moose. Ils vinrent<br />

avec leur instrument du pouvoir : le Pa-kwere. La chose la plus certaine est que l’institution de la terre<br />

dans le cas de Bougnounou appartient intégralement à la chefferie Benao. Ayant chassé les anciens<br />

habitants de c<strong>et</strong> espace, ils se sont eux-mêmes occupés de tout. La chefferie de terre à Bougnounou n’a<br />

« aucun poids » vis-à-vis du pouvoir établi. Le rôle du chef de terre a plutôt toujours été un rôle de<br />

sacrificateur.<br />

N’étant pas ceux qui ont chassé les génies de la terre (Jacob, 2004 : 28) ou ceux qui sont entrés en<br />

relation divine avec la terre de ce village (Hagberg, 2000 : 64), ils ont plutôt subordonné (en terme de<br />

référence prioritaire) ce pouvoir de la terre au pouvoir politique <strong>et</strong> au pouvoir de leur kwere qui veille<br />

aussi bien sur les hommes que sur la terre : «...le culte du kwéré tend à supplanter celui de la terre qui<br />

n’est plus qu’une divinité presque secondaire par rapport à l’autre » (Duval,1985 : 27). Les nuni de<br />

Bougnounou font une grande différence entre le chef de terre <strong>et</strong> le chef « coutumier » (kwer<strong>et</strong>iu). Le<br />

chef coutumier est contrairement au chef de terre incontournable. Il est le « chef 9 ». Tout est beaucoup<br />

plus concentré sur le kwere 10 Aniaba qui est responsable de tout. Pourtant pour que toute activité<br />

humaine soit possible sur la terre d’un village il faut qu’auparavant que la terre soit débarrassée de ses<br />

génies <strong>et</strong> qu’elle ait été une terre «neutralisée » maniable <strong>et</strong> manipulable par l’homme (Jacob,<br />

2004 :29). Ce travail a été fait par d’autres personnes avant les fondateurs. La « propriété » de l’autel<br />

de la terre fut aux tiokotia lorsqu’ils se sont installés. Cependant selon les fondateurs elle a été<br />

transférée à une autre personne au temps de la famine <strong>et</strong> de la guerre. C<strong>et</strong>te personne avait été<br />

r<strong>et</strong>rouvée en brousse <strong>et</strong> ramenée au village. Lorsque la famine <strong>et</strong> la désolation s’abattirent sur le<br />

village, les Benao ont « douté » de leur capacité à garder la terre pour eux, de leur capacité à se faire<br />

écouter par les génies de la terre vu que c<strong>et</strong> espace a été un espace conquis : « les gens du pouvoir<br />

coulent leur territorialisation dans les moules façonnés par les gens de la terre » (Izard, 1985 : 351).<br />

Comme le dit un tiokolia mais chef d’un lignage « fort » : « De toute façon ces gens là ne peuvent rien<br />

me faire eux qui continuent d’enterrer leurs morts dans la terre des autres. Moi ici j’ai ma terre, ma<br />

brousse <strong>et</strong> mon marigot ». C’est probablement pour cela que la force religieuse <strong>et</strong> politique du kwere<br />

9 Nous ne pourrons pas entrer dans les détails dans ce travail ci. Mais il est bon de savoir que le pouvoir à<br />

Bougnounou a connu une évolution conceptuelle considérable, une perpétuelle réadaptation de la notion de chef<br />

depuis l’installation des ancêtres jusqu’à nos jours. Cela en fonction des contextes historiques, des intérêts <strong>et</strong> des<br />

choix politico religieux.<br />

10 Kwere nom générique de fétiche (appellation français burkinabé). Il y a en a plusieurs en fonction de leur rôle,<br />

de leur pouvoir, de leur appartenance lignagère <strong>et</strong>c. Aniaba veut dire « ancêtre ». Il est l’ancêtre de tous. C’est le<br />

kwere du village de Bougnounou appartenant aux Benao.<br />

Colloque international “Les frontières de la question foncière – At the frontier of land issues”, Montpellier, 2006 6


Aniaba est autant utilisée pour protéger les tiokotia. C’est aussi à cause de c<strong>et</strong>te non maîtrise de la<br />

terre (propriétaire) qu’ils subordonnent dans leurs discours <strong>et</strong> attitudes la représentation du pouvoir de<br />

la terre. Le couteau sacrificateur a donc été passé à c<strong>et</strong>te personne à qui on donna le nom de Benao. A<br />

ce niveau les fondateurs ajoutent que c’est parce qu’ils ont voulu aider c<strong>et</strong>te personne perdue en<br />

brousse qu’ils l’ont amené au village. Alors pourquoi lui avoir confié la terre s’ils n’étaient pas<br />

certains que ce dernier faisait partie des habitants de Gonsao chassés avant l’installation <strong>et</strong><br />

probablement chef de terre. En eff<strong>et</strong> comme le dit Kibora, chez les kasena, le récit sur l’origine des<br />

chefs de terres parlent en général d’un être sorti de nulle part, rustre <strong>et</strong> barbare <strong>et</strong> aussi tout nu,<br />

sauvage <strong>et</strong> ne sachant pas parler (source Bougnounou). Ces détails, loin de le dégrader, soulignent en<br />

fait qu’il n’est pas originellement de ce monde (Kibora, 2003 : 283). Les discours des tiokotia<br />

traduisent « qu’ils sont venus en aide à c<strong>et</strong>te personne en lui confia la gestion de la terre » ou encore<br />

« c’est à cause de la faim qu’ils ont été obligés d’échanger le couteau contre du maïs 11 ». L’analyse<br />

des discours sur l’origine, l’importance dans la construction historique de la terre, le pouvoir <strong>et</strong><br />

l’autochtonie du chef de terre concourent à montrer qu’il y a eu depuis toujours à Bougnounou une<br />

politique de fragilisation, de subordination du pouvoir du chef de terre dans ses <strong>pratiques</strong> <strong>et</strong> sa<br />

représentation au niveau des instances de croyances du village. Peut être bien que cela est considéré<br />

comme un Tchulu 12 de dire que le chef de terre (comme ils l’ont reconstruit : dépendant du kwere) est<br />

le propriétaire de la terre. Il a été clair pour ce chef de terre que la terre dépendait toujours des Benao<br />

chefs <strong>et</strong> que le rôle de ce maître de terre était d’être celui de sacrificateur. Aujourd’hui c<strong>et</strong>te famille de<br />

chef de terre n’existe plus à Bougnounou. La cour est en ruine, pas une âme n’y vit : « le chef de terre<br />

a été puni parce qu’il a oublié d’où il venait <strong>et</strong> à qui il appartenait » un tiokotia. Aujourd’hui, c’est un<br />

neveu 13 de ce lignage qui fait office de chef de terre 14 .<br />

Tout un processus politique, coutumier <strong>et</strong> économique est conçu pour faire revenir le couteau au frère<br />

Benao qui doit être chef de terre. Il n’y a donc pas de chef de terre depuis une dizaine d’années. Le<br />

kwere Aniaba a permis c<strong>et</strong>te année (2005) que le couteau revienne aux gens de la cour de Moreliasan<br />

(cour d’un des frères Benao). Cela fut annoncé à une cérémonie de ce kwere. Le diyètiu de c<strong>et</strong>te cour<br />

(le futur chef de terre) nous confia qu’il lui restait maintenant à trouver de l’argent.<br />

La maîtrise politique de l’espace villageois <strong>et</strong> des hommes a été pour ces ancêtres une de leur grande<br />

préoccupation. Cela a certainement un lien avec le type de pouvoir qui les a forgés depuis leur histoire<br />

11 L’échange du couteau contre le maïs a été un contrat sociohistorique décisif dans la construction de<br />

l’autochtonie des fondateurs de Bougnounou. (Nous ne nous étalerons pas sur c<strong>et</strong> aspect dans ce travail ci).<br />

12 Interdit, totem, secr<strong>et</strong> de parole, inceste.<br />

13 Le neveu peut toucher au couteau sacrificateur de l’oncle. C’est d’ailleurs très courant à Bougnounou. Très<br />

peu de chef de famille <strong>et</strong> de lignage font eux-mêmes leur sacrifice sur l’autel des ancêtres (Tchira). Ils sont tous<br />

« end<strong>et</strong>tés de funérailles » faute de moyens économiques. Alors c’est le neveu qui passe à chaque fois. Ainsi il y<br />

a des cérémonies auxquelles on ne peut pas participer parce qu’on n’est pas « propre » ; parce qu’on doit se laver<br />

de beaucoup de choses.<br />

14 Il y a actuellement une menace qui plane sur ce dernier. La seule explication que nous avons eu est qu’il<br />

dépasse ses prérogatives par rapport au rôle de « chef de terre » <strong>et</strong> de chef de brousse qu’il joue pour la brousse<br />

de Brego (brousse des lignages « faibles », des lignages de tiokolia). Nous ne pouvons pas mesurer la teneure de<br />

c<strong>et</strong>te menace, le prochain séjour nous le dira. Les deux frères de ce monsieur ont déjà été chassés du village.<br />

Colloque international “Les frontières de la question foncière – At the frontier of land issues”, Montpellier, 2006 7


de conquérant avec en leur possession c<strong>et</strong> instrument du pouvoir le Pa-kwere, le kwere des rois qui est<br />

un kwere de sang dont l’origine remonte au pays dagomba (Gomgnimbou, 2004) 15 . Bien que<br />

l’utilisation de ce kwere fut abandonnée pour des raisons plus politiques au profit du kwere Aniaba<br />

(qui est un kwere de paix par rapport au kwere de sang qui demande <strong>et</strong> réclame trop de choses), il reste<br />

que la gestion du village en passant par les institutions <strong>foncières</strong> religieuses <strong>et</strong> sociales demeure<br />

subordonnée au politique local. Il y a beaucoup plus c<strong>et</strong>te disposition à contrôler d’abord les<br />

hommes <strong>et</strong> ensuite le reste : gouverner les hommes <strong>et</strong> gouverner ensuite la nature pour emprunter ces<br />

termes à J.P Jacob (Jacob, 2004). Il y a cependant une liaison structurelle <strong>et</strong> dynamique qui fait de la<br />

société un tout construit. Car c’est aussi l’institution de la terre <strong>et</strong> de la brousse qui définissent un<br />

ordre social dans sa double dimension de rapports du groupe a lui-même <strong>et</strong> aux autres (Jacob,<br />

2004 :28). Tout ceci afin de situer la force de la chefferie dans la gestion <strong>et</strong> la distribution des<br />

ressources <strong>foncières</strong> plus précisément les brousses <strong>et</strong> les terres de culture.<br />

Le chef de village est celui qui donne la permission au tuteur de faire installer son étranger dans sa<br />

partie de brousse qui lui est attribuée depuis des générations. L’arrivée des différents lignages entre<br />

aussi dans c<strong>et</strong>te constitution de l’histoire foncière. Ainsi avons-nous r<strong>et</strong>enu trois principaux modes<br />

d’entrée des lignages: soit à la recherche de protection, soit par amitié, soit par alliance. Dans les deux<br />

cas il y a des rapports d’alliance qui rapprochent ces lignages au lignage des ancêtres fondateurs.<br />

D’autres lignages cependant ont été toujours là. Mais pas dans l’espace village de Bougnounou mais<br />

dans une brousse d’un autre village qui entre en contact avec l’espace du village. Le lignage s’est donc<br />

rapproché pour s’asseoir dans l’espace du village (mais toujours sur ses propres terres) <strong>et</strong> a fait<br />

allégeance à la chefferie de Bougnounou 16 . Il y a donc une frontière physique <strong>et</strong> « foncière » entre<br />

l’espace des Ziba <strong>et</strong> le reste de l’espace du village. Cependant il n’existe pas de frontière sociale <strong>et</strong><br />

religieuse à partir du moment où ils ont fait allégeance aux Benao, au kwere. Ils n’existent que par le<br />

kwere. Ils gardent leurs références religieuses <strong>et</strong> « coutumières » mais font soumission à toutes les<br />

entités <strong>et</strong> institutions propres au village. L’espace du village est déjà conquis par les fondateurs. Vivre<br />

en faisant partie de c<strong>et</strong> espace là signifie qu’on est sous la protection de ceux qui en ont la maîtrise<br />

aujourd’hui.<br />

La distribution de la brousse suit alors l’arrivée historique des lignages. Ainsi ce lignage Ziba a son<br />

chef de terre. Nous faisons la différence entre le chef de lignage (santiu) qui sacrifie sur l’autel des<br />

ancêtres (Tchira se dit toujours au pluriel) <strong>et</strong> le chef de terre (Tiatiu). Ainsi les migrants doivent tenir<br />

compte de c<strong>et</strong>te distribution de la brousse pour savoir où se diriger <strong>et</strong> surtout pour savoir qui choisir<br />

comme tuteur.<br />

15<br />

Une bonne partie de la thèse de Gomgnimbou a été consacrée au Pa-kwara (en kasena) en pays gurunsi. Pour<br />

kwara voir aussi Kibora, 2003, Liberski, 1991.<br />

16<br />

En ce moment le village cherchait de nouvelles alliances <strong>et</strong> cherchait à s’agrandir. Ce village n’est pas basé sur<br />

la recherche d’une certaine uniformité <strong>et</strong>hnique ou identitaire. Elle voulait s’agrandir <strong>et</strong> être politiquement forte.<br />

L’analyse lexématique du nom de Bougnounou nous perm<strong>et</strong> d’affirmer que entre autre, ce nom signifierait :<br />

« venez on va se mélanger pour s’asseoir ».<br />

Colloque international “Les frontières de la question foncière – At the frontier of land issues”, Montpellier, 2006 8


Tous les chefs de lignages peuvent être tuteurs de migrants mais seulement pour ceux qui sont<br />

propriétaires de brousse sinon ce sera juste un tuteur intermédiaire ou un tuteur de « contact ». Les<br />

migrants disent qu’ils « appartiennent » soit au chef soit au chef de lignage propriétaire de brousse <strong>et</strong><br />

non aux personnes (autochtones, contacts préliminaires dans leur processus d’installation). Leurs<br />

rapports politiques, économiques <strong>et</strong> religieux sont plutôt gérés avec ces tuteurs « officiels ». La<br />

relation sociale du tutorat semble beaucoup complexe à Bougnounou.<br />

c) Migrants entre terre <strong>et</strong> dieux à travers le tutorat foncier<br />

Les migrants peuls sont des pasteurs éleveurs sédentarisés depuis plus de 30 ans. Les potentialités<br />

naturelles de la région les ont amenés à rester. Certains s’y sont arrêtés dans leur transhumance <strong>et</strong><br />

n’ont plus voulu repartir. D’autres sont venus du Yatenga Nord Burkina Faso, d’autres encore se sont<br />

déplacés à Bougnounou en se trouvant dans les environs dans la province. Leur sédentarisation<br />

(Hagberg, 2000) a été encouragée par la disponibilité de ressources en termes de pâturages pour les<br />

bœufs. C’est le type de ressource qui définit en premier le type de rapport foncier avec son tuteur. Les<br />

Peuls étant installés dans le quartier Soula ont eu pour tuteur le lignage Ziba. Le « chef » peul dit avoir<br />

eu toute l’étendue de terre qu’il lui fallait. Il a eu autant de terres qu’il souhaitait.<br />

Les migrants moose sont arrivés d’horizons divers, certains lors de leurs aventures migratoires se sont<br />

arrêtés à Bougnounou, d’autres sont venus par personnes interposées parce que ces terres ici sont plus<br />

fertiles, d’autres encore sont venus grâce à la route du commerce avec le Ghana <strong>et</strong> se sont établis par<br />

amitié, d’autres encore sont venus <strong>et</strong> sont restés grâce à des alliances matrimoniales. Tout cela pour<br />

dire que la source de la migration, à Bougnounou, est animée par diverses motivations. Les migrants<br />

moose sont tous des agriculteurs, certains font de l’agro-pastoralisme. Ils sont ainsi intéressés<br />

essentiellement par la terre pour des champs de culture. Il faut faire remarquer que l’ouverture de<br />

Bougnounou aux étrangers, aux migrants a toujours été animée par c<strong>et</strong>te politique de s’agrandir par les<br />

hommes. Dans ce sens dans la constitution des sociétés, nous pensons comme I. Kopytoff, que les<br />

acteurs ont toujours mis en priorité l’approche politique par rapport à l’appropriation <strong>et</strong> au contrôle des<br />

ressources naturelles. La ressource rare ici, c’était les hommes, qu’il fallait contrôler c’est à dire attirer<br />

<strong>et</strong> r<strong>et</strong>enir, <strong>et</strong> non pas les richesses naturelles dont ils vont tirer parti (Jacob, 2004 : 25).<br />

Bougnounou, par exemple a connu l’invasion entre autre djermabe (Duval, 1985, Bayili, 1998) <strong>et</strong><br />

aussi beaucoup de guerres avec d’autres villages nuni tel Cassou, Dalo, <strong>et</strong>c. Bougnounou 17 a toujours<br />

eu besoin de se protéger pour faire face à la guerre. Tout semble avoir un lien avec ce contexte<br />

d’insécurité pour les hommes. Le nom des brousses est révélateur de c<strong>et</strong> aspect de choses.<br />

La migration à Bougnounou n’est donc pas récente. Elle se construit autour de vieilles familles moose<br />

qui existent là (en fonction des quartiers) depuis toutes ces années. Les rapports entre migrants <strong>et</strong><br />

17 Seconde interprétation du nom de Bougnounou : venez, on va se préparer « waker » pour s’asseoir. C<strong>et</strong>te<br />

interprétation du nom de Bougnounou n’est pas aussi éloignée de la première qui dit « venez on va se mélanger<br />

pour s’asseoir ». Appeler les gens d’horizons divers est une façon d’appeler des connaissances d’horizons divers.<br />

Le même but c’est de faire face aux ennemis communs. La force <strong>et</strong> la connaissance du grand nombre.<br />

Colloque international “Les frontières de la question foncière – At the frontier of land issues”, Montpellier, 2006 9


autochtones ne sont pas seulement fonciers, ils sont enchâssés dans le social, dans le religieux <strong>et</strong> dans<br />

l’économique. Ces rapports sont « sans repos » <strong>et</strong> sont gérés continuellement : «…en c<strong>et</strong>te période<br />

surtout, ils prennent nos poul<strong>et</strong>s, nos animaux. Ils viennent nous les arracher de force… Ils disent que<br />

c’est pour le bien de tout le village ». Ce qui explique pourquoi dans la relation de tutorat entre<br />

migrants <strong>et</strong> autochtones, nous parlons de migrants entre pouvoir de la terre <strong>et</strong> pouvoir des dieux.<br />

L’étranger est accepté <strong>et</strong> est amené à faire comme les autres parce que la terre sur laquelle il vit, doit<br />

être aussi sa préoccupation : «ils doivent contribuer, ils marchent aussi sur c<strong>et</strong>te terre : mais nous ne<br />

les forçons pas nous demandons». Les migrants sont impliqués dans les croyances religieuses des<br />

autochtones plus précisément par rapport à la procession du kwere Aniaba du village. Ils sont<br />

impliqués en termes de participation, de cotisation (apports économiques) <strong>et</strong> de consultation du<br />

kwere Aniaba: «… le kwere (Duval, 1985 :73-75) est là pour tout le monde, même toi-même il sait<br />

que tu es là… ». Et cela presque tous les jours de la semaine sauf les jours de marché.<br />

Dans presque tous les pays africains en zone sahélienne, les migrants sont en premier accueillis par un<br />

tuteur qui est supposé être un propriétaire foncier autochtone capable de fournir à ce migrant une<br />

possibilité de s’installer dans le village <strong>et</strong> de bénéficier du statut juridique foncier auquel il peut avoir<br />

droit. « On ne refuse pas la terre à un étranger » (Bologo, 2004 :3). A Bougnounou, ces migrants<br />

obtiennent d’office un droit d’usage <strong>et</strong> aussi un droit de transmission (non établi dans les « contrats »<br />

mais évident dans les <strong>pratiques</strong> locales) par rapport à l’accès <strong>et</strong> à l’exploitation des terres de cultures.<br />

Ils obtiennent aussi un droit de prélèvement, contrairement aux peuls, sur les fruits <strong>et</strong> produits<br />

forestiers. Ils obtiennent par ailleurs un droit d’affiliation au kwere Aniaba qui implique une obligation<br />

de reconnaissance, d’acceptation de la protection du kwere <strong>et</strong> de sa soumission au kwere 18 (Duval,<br />

1985 : 94-96). L’accès à la terre des nouveaux venus se faisait ainsi à travers une relation sociale<br />

globale continuellement réaffirmée, plutôt que par une transaction spécialisée <strong>et</strong> ponctuelle<br />

(Coulibaly, A. 2003).<br />

Le tutorat s’inscrit dans des principes de l’économie morale, de la socio-économie <strong>et</strong> aussi de<br />

l’intégration qui fait de l’accueil de l’étranger un devoir moral du groupe, un devoir de transfert<br />

temporaire ou définitif de droits d’exploitation <strong>et</strong> un devoir d’acceptation <strong>et</strong> d’intégration (Bologo,<br />

2004 :3). Le tutorat foncier est un fait social total globalisant dont la spécificité se dessine en fonction<br />

des arènes dans lesquelles les acteurs se trouvent. Lorsqu’on se r<strong>et</strong>rouve en face de l’espace<br />

d’investissement comme la construction des maisons en tôle <strong>et</strong> des enterrements 19 , les rapports<br />

fonciers s’engagent dans des situations de négociation perpétuelle. Aussi, assistons nous à une<br />

situation d’exclusion lorsque les rapports fonciers touchent à l’exploitation des produits forestiers à<br />

des fins de commercialisation (comme le proj<strong>et</strong> de vente de bois <strong>et</strong> de semences forestières pour<br />

lequel, Bougnounou possède un chantier d’aménagement forestier). En quinze ans d’exploitation <strong>et</strong> de<br />

18<br />

Voir aussi le cas des yapèrè chez les Miyanka au mali (Colleyn, 1985).<br />

19<br />

Nous adm<strong>et</strong>tons l’enterrement comme un investissement dans le sens où il est une construction identitaire<br />

d’une famille, d’un lignage.<br />

Colloque international “Les frontières de la question foncière – At the frontier of land issues”, Montpellier, 2006 10


commercialisation de bois les migrants résidents moose <strong>et</strong> peuls n’ont jamais été appelés à s’intégrer<br />

dans les groupements de gestion forestière 20 . C’est la ressource en jeu qui définit mieux les rapports<br />

fonciers. Les autochtones disent toujours qu’il n’y a pas d’interdits pour les migrants de faire partie de<br />

l’organisation. Mais les migrants nous disent qu’il n’y a pas eu permission de faire partie de<br />

l’organisation. Le protocole, utilisé d’habitude pour des questions d’intégration, n’a pas été mis en<br />

route. L’entente d’exclusion est plutôt tacite. Les migrants disent « n’avoir pas reçu d’invitations de<br />

leur tuteur <strong>et</strong> même jusqu’aujourd’hui on les tient à l’écart parce que la brousse leur appartient…on a<br />

aussi nos groupements de culture <strong>et</strong> de coton ».<br />

Par ailleurs, nous ajoutons le terme « clauses religieuses », aux termes « clauses sociales » <strong>et</strong> de<br />

« clauses <strong>foncières</strong> » empruntés à Chauveau pour distinguer le contenu de la convention foncière. Les<br />

« clauses <strong>foncières</strong> » sont impératives <strong>et</strong> spécifient les termes de la convention foncière. Les « clauses<br />

sociales » quant à elles sont de type relationnel <strong>et</strong> précisent très peu de lignes de conduite que le<br />

bénéficiaire du prêt de terre doit avoir envers son chef de terre <strong>et</strong> laissent plutôt une grande marge au<br />

respect des valeurs <strong>et</strong> des normes de la bienséance locale (Coulibaly, 2003). Il est admis comme le dit<br />

JP. Jacob que c’est à la condition de lui avoir donné ces moyens de travail lui perm<strong>et</strong>tant de « nourrir<br />

son ventre » que la communauté peut être en droit d’attendre de l’accueilli un certain type de<br />

comportement notamment de résider au village <strong>et</strong> d’adopter des attitudes socialement <strong>et</strong><br />

économiquement acceptables, se faisant conseiller <strong>et</strong> rappeler à l’ordre, le cas échéant, par son tuteur.<br />

(Jacob, 2004 :39)<br />

Les « clauses religieuses » elles sont plus explicites quant à ce que le bénéficiaire doit faire par rapport<br />

au respect de la terre sur laquelle il est installé. Dans le cas de Bougnounou, cela est rappelé à chaque<br />

fois que le besoin se fait sentir d’impliquer les migrants. Il y a même une préparation financière,<br />

concernant chaque concession moose, peul <strong>et</strong> nuni par quartier du village, pour les cérémonies de<br />

remerciement du kwere Aniaba <strong>et</strong> du kwere Bedoumini. Ce second kwere des Benao est la propriété<br />

exclusive des Benao. Il n’appartient pas au village mais est disponible pour tous : c’est celui là plutôt<br />

qui est le kwere de la sorcellerie. Aniaba combat aussi la sorcellerie mais a un domaine d’exercice plus<br />

large. C’est lui qui assure le contrôle social (Duval 1985). Tout ceci afin de montrer l’importance des<br />

clauses religieuses dans les rapports fonciers tuteur - migrant. C’est aussi le lieu de souligner au<br />

migrant les lieux sacrés, les marigots <strong>et</strong> brousses sacrées. S’il y a une chose de certaine dans le<br />

contexte foncier local à Bougnounou, c’est que ces « clauses religieuses » protégent <strong>et</strong> sécurisent<br />

convenablement les « clauses <strong>foncières</strong> » de telle sorte que nous avons l’impression que les<br />

conventions autour de la terre <strong>et</strong> de la brousse ne changent partiellement pas depuis des années : <strong>et</strong><br />

lorsqu’un migrant veut sortir des routes <strong>et</strong> chemins dessinés il est menacé de répudiation immédiate.<br />

Les moose se plaignent beaucoup de c<strong>et</strong>te situation parce que même leur pratique religieuse n’est pas<br />

respectée à Bougnounou, leur dynamisme <strong>et</strong> motivation d’investissement à grande échelle ne sont pas<br />

20 Cependant, il est accepté des moose « mercenaires » (appellation locale) qui sont de passage à certaines<br />

saisons de la coupe du bois vert. Ils ne viennent que pour couper du bois vert <strong>et</strong> repartent.<br />

Colloque international “Les frontières de la question foncière – At the frontier of land issues”, Montpellier, 2006 11


encouragés : «… regarde les Mossi de Bakata, ils ont tout. Et ils viennent d’arriver là bas mais on ne<br />

peut pas se comparer. Ils sont plus riches que nous. On dira même que la terre de Bougnounou ne veut<br />

pas qu’on parte en avant », « …on nous dit si tu n’es pas content tu peux partir ».<br />

Par ailleurs, toutes les clauses renforcent la position des tuteurs dans le village lorsque la question du<br />

politique local se pose. Avec l’avènement des élections des conseillers municipaux, les tuteurs<br />

principaux s’affichent en ayant l’appui en nombre de leurs migrants. Ceux qui ont installé le plus de<br />

migrants se voient plus rassurés parce que les rapports fonciers entre eux <strong>et</strong> leurs migrants compteront<br />

pour beaucoup dans leurs positions politiques.<br />

Aussi, la responsabilisation sociale <strong>et</strong> morale du tutorat est-elle très importante dans les rapports<br />

fonciers établis entre un étranger <strong>et</strong> son tuteur. Le tuteur est responsable vis à vis des autres<br />

autochtones des faits <strong>et</strong> gestes, de la moralité <strong>et</strong> de la maniabilité de son étranger par rapport aux<br />

règles <strong>et</strong> normes de la vie de tous les jours au village. Cela nous ramène aussi au contexte du village<br />

de Dana (village de Bougnounou distant de19 km) qui vient d’avoir son premier migrant, il y a<br />

environ 6 ans. Il a fallu que quelqu’un s’engage à être tuteur migrant de ce premier migrant. Dana<br />

contrairement à Bougnounou, est un village beaucoup plus fermé (comme le disent les autochtones de<br />

Bougnounou « c’est un village de sorcier »). L’autochtone nuni qui a accepté c<strong>et</strong>te responsabilité avait<br />

pour but d’ouvrir le village à des infrastructures comme l’école (c’est d’ailleurs la seule infrastructure<br />

pour le moment : 3 ans d’existence) <strong>et</strong> comptait sur le pouvoir économique des migrants moose à<br />

mobiliser les moyens de le réaliser. Ce premier tuteur nuni de Dana décéda selon mes enquêtés de<br />

Dana après les premières récoltes du premier migrant (il y a en tout 5 familles moose dans le village).<br />

Etre un tuteur c’est engager beaucoup plus que sa propre personne, c’est engager des valeurs, c’est<br />

engager le village en lui-même parce qu’on l’ouvre à l’extérieur <strong>et</strong> à autrui. Les moose appellent le<br />

tuteur zaksoba dans le sens de propriétaire de la maison relatif ici au village. Ce zaksoba comme chez<br />

eux signifie le maître <strong>et</strong> responsable moral, physique <strong>et</strong> économique des autres. Comme le disent les<br />

nuni « le santiu ou le diyètiu c’est lui qui se lève lorsque quelque chose arrive à quelqu’un. C’est lui<br />

qui fait tout. ». C’est pour cela qu’en contrepartie de c<strong>et</strong> engagement de tuteur, le migrant se doit de<br />

respecter les différentes clauses libellées ou sous-entendues dans ses rapports fonciers avec son tuteur.<br />

Comme le dit Coulibaly, la jouissance de la ressource foncière impliquée, implique au migrant le<br />

respect de certaines clauses vis-à-vis de celui auprès de qui on a obtenu le droit. (Coulibaly, 2003).<br />

Cependant il apparaît important de distinguer les différents types de tutorat relevés dans ce village.<br />

Nous spécifions en eff<strong>et</strong> deux types de tutorat pas obligatoirement graduel. Le tuteur migrant qui est<br />

un migrant « ancien » est responsable d’un autre migrant. Le tuteur autochtone qui est un autochtone<br />

<strong>et</strong> qui est responsable d’un migrant. Lorsque le migrant arrive dans le village il vient toujours par<br />

l’intermédiaire d’un premier contact très souvent qui est un ancien migrant qui l’a déjà rassuré sur la<br />

disponibilité de la terre <strong>et</strong> aussi sur les modes d’attribution de la terre. Ce tuteur migrant devient le<br />

répondant de ce nouveau venu. C’est lui qui l’accompagne voir les propriétaires fonciers <strong>et</strong> l’aide à<br />

poursuivre le processus d’installation. Ce nouveau migrant devient alors le protégé du tuteur migrant,<br />

Colloque international “Les frontières de la question foncière – At the frontier of land issues”, Montpellier, 2006 12


lui-même migrant d’un tuteur autochtone. Le tuteur migrant accumule de l’importance vis-à-vis de ses<br />

pairs par rapport au nombre de migrants qu’il a aidé à installer. Même s’il n’est pas mosnaba il devient<br />

bien écouté.<br />

Il y a aussi la situation où ce tuteur migrant est beaucoup plus qu’un contact, il constitue le vrai tuteur<br />

du nouveau migrant parce que c’est lui qui l’a accepté <strong>et</strong> installé. Lao est un des gros quartiers moose<br />

de Bougnounou. Le chef de quartier est moaga mais gère toute la terre <strong>et</strong> la brousse de Lao. Ce dernier<br />

dépend certes du chef de village mais la spécificité de c<strong>et</strong>te terre <strong>et</strong> brousse c’est qu’elle appartenait ou<br />

appartient à un segment lignager Benao, la cour de Boliassan, la cour du kwere Aniaba. Ce quartier<br />

était la brousse de c<strong>et</strong>te cour <strong>et</strong> l’ancêtre, chef de lignage à c<strong>et</strong>te période, a « donné » (prêt de terre à<br />

durée indéterminée) à un migrant moaga, un ami à lui, c<strong>et</strong>te brousse où il ne faisait que faire pousser<br />

des calebassiers (Lao). Depuis ce temps ce migrant <strong>et</strong> ensuite ses descendants ont installé des migrants<br />

moose sur les terres de Lao <strong>et</strong> leur ont procuré de la brousse pour leurs champs de culture. Cependant<br />

pour toute nouvelle installation sur la terre de Bougnounou un poul<strong>et</strong> est amené chez le chef pour<br />

l’autel de la terre, le second est tué par le tuteur migrant pour l’autel de la brousse. C<strong>et</strong>te famille<br />

migrante est musulmane mais depuis des générations ils sont obligés d’adopter un comportement<br />

syncrétiste 21 qui prend son sens dans leurs rapports fonciers avec les autochtones du village.<br />

Dans le cas du tuteur autochtone, un étranger qui désire s’installer, se constitue en étranger de<br />

l’autochtone qui devient d’office le « responsable de sa tête ». Ce dernier va informer le chef du<br />

village <strong>et</strong> qui pourra lui donner la permission de laisser son étranger être « gens du village » d’abord <strong>et</strong><br />

ensuite avoir accès à la ressource demandée. Dans ce cas c’est le chef de terre qui procède au sacrifice<br />

d’installation. Cela se fait ainsi dans le cas ou une partie de l’autel de la brousse a été confiée à un chef<br />

de lignage (faible) pour faire office de chef de brousse (cas de la brousse de Zouloukabié <strong>et</strong> de la<br />

brousse Brego « gérées » par deux lignages différents). Dans ce cas ci, ces lignages ne sont pas<br />

propriétaires de terre <strong>et</strong> de brousse, ils dépendent directement du chef de village qui leur donne la<br />

permission d’installer. Le migrant doit alors fournir deux poul<strong>et</strong>s que le tuteur va offrir en premier à la<br />

terre <strong>et</strong> en second à la brousse avant de délimiter le champ de brousse ou de donner la permission au<br />

migrant de le faire soi même (les premiers migrants du village). Même lorsque la terre <strong>et</strong> la brousse lui<br />

appartiennent dans le cas du lignage Ziba, il y a c<strong>et</strong>te information au chef de village par rapport à une<br />

installation dans le village. Le reste du processus ne le concerne plus ni lui, ni son chef de terre. Aucun<br />

poul<strong>et</strong> n’est amené chez le chef. Ce sont des protocoles à respecter autant par les autres autochtones du<br />

village que par le migrant lui-même. Les migrants de Ziba ne dépendent que de Ziba. L’attribution<br />

d’une terre, n’entraîne de la part du migrant aucune obligation de dons quelconques au tuteur dans le<br />

cadre de la transaction. Il est libre d’entr<strong>et</strong>enir ou de ne pas entr<strong>et</strong>enir (dans le sens de lui faire des<br />

cadeaux ou de lui donner du mil) socialement sa relation avec son tuteur. Cependant la réalité montre<br />

21 Ils disent qu’ils n’ont pas le choix de continuer à être musulman. Ils sont Guiré à l’origine <strong>et</strong> la plupart des<br />

Moosé venus s’installer sur « leurs terres » sont des Guiré de leur village d’origine <strong>et</strong> là bas ils sont tous<br />

musulmans.<br />

Colloque international “Les frontières de la question foncière – At the frontier of land issues”, Montpellier, 2006 13


que le tuteur, lorsqu’il a des difficultés d’ordre économique, dépend souvent de ses migrants. Les<br />

migrants participent aux cérémonies du lignage que lorsqu’on souhaite qu’ils soient informés. Les<br />

informations <strong>et</strong> nouvelles du village passent par ce tuteur pour atteindre ses migrants. Lorsque la<br />

demande de participation des migrants à une quelconque cérémonie ou activité vient du village, c’est<br />

le tuteur qui informe ses migrants <strong>et</strong> ceux-ci sont tenus d’y participer : « On n’a pas de lien avec le<br />

kwèrè sauf quand c’est Babou qui dit de lui donner quelque chose à Babou lui-même. Nous, on ne<br />

contribue que quand c’est Babou qui nous dit de donner quelque chose pour faire des sacrifices au<br />

kwèrè » (migrant musulman de Yarsé). Un migrant ne peut pas outrepasser son tuteur pour atteindre le<br />

chef de village parce qu’il croit que ce dernier peut beaucoup plus l’aider à résoudre son problème.<br />

Sinon c’est le tuteur qui essuie un échec comme s’il était incapable non seulement de « maîtriser ou de<br />

contrôler » ses hommes mais aussi de bien gérer sa terre.<br />

«… Amidou s’emporta <strong>et</strong> demanda à Séni de ne plus lui parler ainsi sinon il lui jure que d’ici, les<br />

récoltes, Séni ne pourra plus jamais parler à quelqu’un dans ce village. Séni a pris peur <strong>et</strong> a<br />

convoqué Amidou chez le vieux Ziba. Ce dernier leur demanda de revenir le lendemain matin. Le<br />

matin, au lieu de venir chez Ziba, Amidou, alla directement voir le chef du village <strong>et</strong> y convoqua<br />

Séni d’exposer le même problème. Le chef fit son jugement en accusa le propriétaire de ce<br />

quartier (sans citer de nom) de ne pas savoir bien gérer ses terres. Il ajouta d’autres choses. Le<br />

p<strong>et</strong>it frère du vieux Ziba qui était assis à côté, a tout entendu. Ce dernier rapporta tout à son aîné.<br />

Le vieux Ziba s’est donc mis en colère <strong>et</strong> a décidé d’aller à la chefferie se battre. Les gens se sont<br />

mis à plusieurs pour lui demander pardon. Cela n’a pas suffit. Ses oncles d’à côté ont été appelés<br />

<strong>et</strong> ont réussi à le calmer. Le vieux Ziba a fait convoquer les moose en leur disant qu’il ne jugera<br />

plus ce différend <strong>et</strong> qu’il demande à Amidou de quitter son quartier ; Le village il ne peut pas le<br />

chasser de là, mais ici c’est son quartier… » (Enquête septembre 2004)<br />

La difficulté à Bougnounou lorsqu’il y a un différend entre un tuteur <strong>et</strong> son migrant, la sanction ne se<br />

limite pas seulement au r<strong>et</strong>rait de terres, elle va jusqu’à la rupture de tous les liens sociaux fonciers <strong>et</strong><br />

religieux. S’il s’agit d’un tiokolia, le migrant peut encore chercher une autre possibilité d’avoir de la<br />

terre. Lorsqu’il s’agit d’un tiokotiu, la répudiation du migrant est totale. Le village, la terre <strong>et</strong> le kwere<br />

ne veulent plus de lui. Dans ce cas « le kwere ne doit plus te voir» disent les tiokotia. (Phrase utilisée<br />

aussi dans le cas de la répudiation de nuna).<br />

Ce différend entre le tuteur <strong>et</strong> les migrants a été finalement réglé après plusieurs démarches de la part<br />

des Moose. Une amende a été toutefois apposée au migrant qui a enfreint « la juridiction » du tuteur.<br />

Voilà pourquoi les migrants moose dans c<strong>et</strong>te zone de forte migration ont très peu de stratégies pour<br />

contourner les clauses ou encore les obstacles quotidiens. Avec la pression démographique <strong>et</strong> le regard<br />

plus rapproché des autochtones sur la disponibilité des terres, la culture du coton pour les moose<br />

devient difficile disent-ils. C’est pour cela qu’aujourd’hui ils se cherchent des tuteurs fonciers. Dans<br />

ce cas, c’est strictement la question de la terre qui les relie. L’alliance au premier tuteur est prioritaire<br />

mais n’empêche cependant pas au migrant d’agrandir par d’autres moyens ses exploitations.<br />

Colloque international “Les frontières de la question foncière – At the frontier of land issues”, Montpellier, 2006 14


Conclusion.<br />

Dans la logique coutumière l’accès à la terre fait partie intégrante des relations sociales, tout se passe<br />

comme s’il existait un droit naturel à la terre (Bologo, 2004 :3). Accueillir <strong>et</strong> installer des migrants<br />

rentre dans un système de rapports sociaux fondés sur l’alliance. L’institution du tutorat ne prend pas<br />

seulement en compte la terre comme seul élément de la clause foncière. Beaucoup d’autres aspects<br />

rentrent toujours en ligne de compte : la religion basée ici sur une allégeance <strong>et</strong> une affiliation à vie au<br />

kwere. Les migrants de Bougnounou sont dans l’obligation de tenir compte <strong>et</strong> de respecter les<br />

interdits, les devoirs ou les services que le tuteur leur impose. Le migrant n’est pas obligé d’entr<strong>et</strong>enir<br />

ses relations plus précisément de faire des cadeaux à son tuteur. Mais si le tueur demande (dans ce cas,<br />

il se m<strong>et</strong> en position de faiblesse alors qu’il ne devrait pas) le migrant se voit dans l’obligation de<br />

« satisfaire » à la demande.<br />

Par rapport à la migration, les nuni ont aujourd’hui fermé la porte aux nouveaux migrants. Ils n’ont<br />

plus de terres disent-ils. Les migrants qui arrivent ont pour tuteur actuel d’autres migrants qui<br />

acceptent de redistribuer leurs terres (le droit de transmission étant accepté dans les <strong>pratiques</strong>). Cela ne<br />

concerne plus les clauses <strong>foncières</strong> autochtones – migrants ; seules les clauses sociales <strong>et</strong> religieuses<br />

sont valables pour ces nouveaux migrants. En général ces migrants sont issus des arrivées des rapatriés<br />

burkinabés de côte d’Ivoire.<br />

Colloque international “Les frontières de la question foncière – At the frontier of land issues”, Montpellier, 2006 15


Références<br />

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