Coupe de bois et revendications sociales au Mali - Ird

Coupe de bois et revendications sociales au Mali
Woodcutting and social claims in Mali
Denis Gautier (CIRAD), Baptiste Hautdidier (ENGREF), Seydou Keita (CNRST, Mali), Faty Mbodj
(ENS, Université de Paris I)
Auteur correspondant : Denis Gautier (tel : 00 (223) 644 58 56 ; e-mail : denis.gautier@cirad.fr)
Résumé
Au Mali, en milieu rural, plusieurs modes d’accès à la terre et aux ressources qu’elle porte se
superposent. Le système coutumier d’attribution des terres continue de prévaloir au niveau des
villages, particulièrement au niveau des terres arables, même si on arrive à un stade de saturation de
ces espaces. Issues du processus de décentralisation, les communes, qui peuvent regrouper de 10 à 30
villages, tentent de leur côté de devenir un intermédiaire entre l’Etat et les populations locales en
matière de gestion des ressources, même s’il n’y a pas encore eu dévolution de domaine aux
communes. En marge de ces deux processus, des acteurs essentiellement urbains négocient avec les
autorités villageoises de l’espace périurbain l’achat de terres qu’ils font cadastrer.
Enfin, parallèlement au processus de décentralisation, un transfert des responsabilités de gestion des
ressources ligneuses a conduit, à partir de 1998, à des agréments entre les services forestiers et des
associations de villageois pour l’exploitation du bois sur des espaces négociés et parfois aménagés.
Ces agréments sont sujets à discussion. D’une part la négociation pour la mise en place des
associations a été rapide et parfois peu en lien avec les autorités coutumières. D’autre part le contrôle
sur l’activité de coupe a été faible et le demeure.
Ces agréments sont cependant pour les villageois le levier de revendications sociales et territoriales à
trois niveaux : d’une part, ils l’utilisent parfois comme un moyen d’asseoir une légitimité de
« l’autochtonie » face aux migrants (refondation des associations de bûcherons, exclusion des
territoires villageois) ; d’autre part, la coupe de bois peut être un moyen de revendiquer les limites
territoriales du village face aux voisins ; enfin, l’exercice du droit de coupe sur le territoire villageois
est, pour les autorités coutumières, un levier pour revendiquer une meilleure reconnaissance de leurs
prérogatives auprès des pouvoirs centralisés et décentralisés.
Mots-clé: foncier rural, ressources arborées, décentralisation, transfert de responsabilité de gestion,
marché rural de bois, revendications foncières, Mali
Colloque international “Les frontières de la question foncière – At the frontier of land issues”, Montpellier, 2006
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Abstract
In Mali, particularly in the outskirts of Bamako, several modes of access to rural lands -and the natural
resources they bear- have been progressively superimposed. First, the customary land-tenure system
still prevails at the village level, in particular with regard to arable lands, even if saturation may be
observed in some zones. Second, the municipalities (communes), which result from a recent
decentralization process and may be composed of 10-30 villages, have also emerged as an important
actor. They have tried to become a broker between the state and local people in matters of natural
resources management, but they still lack an officially devolved communal property. Third, urban
actors may also negotiate title deeds with customary authorities in outlying villages. Finally,
paralleling the decentralization process, a transfer of responsibilities in woody resource management
has, from 1998 onwards, led to agreements between the forest administration and village associations
of woodcutters, in connection with woodlands that had been the subject of negotiations and sometimes
of a basic forest planning.
Those agreements are open to question, as the negotiation has usually been as quick (and disconnected
from the customary authorities) as the control on the harvesting activities has been weak.
These agreements are nevertheless a way of levering social and territorial claims of villagers, at three
levels: first, they may use it as a way of building the legitimacy of the so-called autochthonous
towards the migrant (turnovers in woodcutters’ associations, exclusion from village territories).
Second, woodcutting may be used to assert inter-village territorial boundaries; finally, the use of a
harvesting right on the village territory may be considered for the customary authorities as a powerful
lever to secure their claims of a better recognition of their prerogatives, towards central and
decentralized powers.
Key Words : Mali, rural land-tenure system, woody resources, decentralization, rural wood market,
tenure claims, community natural resource management
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INTRODUCTION
Au Mali, plusieurs systèmes fonciers 1 se côtoient en milieu rural sans véritable articulation. Si
l’appropriation et l’usage des terres et des ressources qu’ils portent sont très généralement régulés de
facto par les autorités coutumières, la terre non immatriculée appartient à l’Etat. Elle est gérée suivant
un droit dit « positif », dont l'applicabilité et la légitimité faisaient déjà question avant même les
indépendances. Ce jeu d’acteurs à propos de la gestion du foncier s’est toutefois complexifié depuis
plus d’une décennie avec la décentralisation d’une part (Kassibo, 1997 ; Coulibaly et Hilhorst, 2004 ;
Djiré, 2004 ; Ribot, 1999), et avec les évolutions législatives sectorielles d’autre part. Si les
prérogatives des collectivités territoriales en matière de foncier restent floues, dans la mesure où il n’y
a pas eu encore de dévolution de domaines à ces collectivités, en revanche, les réformes sectorielles
ont amené un bouleversement des droits d’accès et d’usage des ressources. C’est le cas notamment de
la réforme forestière, qui d’une certaine manière s’est imposée à la suite du renversement de Moussa
Traoré. En milieu rural , les populations s’étaient en effet principalement rebellées contre le « corps
habillé » qui symbolisait à leurs yeux l'expression la plus palpable du caractère répressif et arbitraire
du régime : les agents des Eaux et Forêts. A partir de 1991, la troisième république du Mali prend acte
de la nécessité de revoir les modalités de contrôle et de gestion des ressources naturelles, avec
l'organisation d'Etats généraux du monde rural. Ces volontés de réformes sont accompagnées par un
contexte international favorable au transfert de responsabilité de gestion aux populations locales
(Agrawal et Gibson, 1999 ; Foley et al. 2002). Ce transfert est véritablement lancé en 1996 avec le
projet Stratégie Energie Domestique. Celui-ci se terminera en 2003, avant d’être repris dans ses
principes généraux par une nouvelle agence de l’énergie aux compétences élargies – l’AMADER 2- en
2005. Avant de nous intéresser plus en détails aux conditions réelles du transfert de responsabilités de
gestion des ressources ligneuses, et plus particulièrement à l’impact qu’il peut avoir en termes de
dynamiques institutionnelles, sociales et politiques, deux points nous semblent importants de relever
pour cadrer notre propos.
D’une part, même si des liens ont été prévus entre le processus de décentralisation et les multiples
évolutions législatives sectorielles, la logique politique du maillage du territoire née de la
décentralisation est encore de peu d’influence sur les dynamiques d’exploitation des ressources :
celles-ci renvoient en effet plus particulièrement à des réseaux et à des filières, qui transcendent les
mailles territoriales. Ayant émergé pratiquement au même moment, les processus de décentralisation
(dont le niveau le plus fin est la commune, comprenant 10 à 30 villages) et de transfert de
responsabilité de gestion (dont le niveau est infra-villageois) ont été jusqu’à présent mal articulés
1 Nous considérerons ici le foncier dans son acception la plus large possible, c’est-à-dire comme « l’ensemble des terres et
des ressources naturelles qui y sont directement rattachées (renouvelables et non renouvelables) et des relations entre
individus et groupes pour l’appropriation et l’utilisation de ces ressources » (Beuret, 2003). Cette définition large du foncier
amène à identifier et caractériser les « systèmes fonciers » par « les règles attachées à la terre et ses ressources, ainsi que par
les institutions et les relations qui déterminent l’application de ces règles »
2 Agence malienne pour le développement de l'énergie domestique et de l'électrification rurale
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(Gautier et al., sous presse). Le fait qu’il n’y ait pas encore eu de dévolution de domaine foncier aux
communes est un frein à cette articulation, tout comme les contradictions internes au droit positif que
toutes ces réformes ont générées. Cependant, -et même si des organismes de coopération
internationale (parmi lesquelles la GTZ, la SNV, la Coopération suisse) ont fait un choix politique fort
en apportant un appui en terme de gestion des ressources naturelles aux institutions issues de la
décentralisation - les logiques de transfert de responsabilité de gestion des ressources naturelles et de
décentralisation restent distinctes. Nous développerons dans ce papier les confusions que peuvent
générer le flou qui règne sur les prérogatives des différentes institutions.
Le deuxième point que nous souhaitons relever est relatif aux lieux d’exercice de la coupe de bois que
nous avons pu étudier dans les environs de Bamako. Situés en milieux Bambara (commune de Zan
Coulibaly, à 70km à l’est de Bamako) et Mandingue (communes de Bankoumana et Siby, à 30km au
Sud-Ouest de Bamako), ils se caractérisent d’une part par la présence d’une autorité traditionnelle qui
joint systématiquement ses prérogatives politiques à des fonctions de prêtrise de la terre ; d’autre part
par des taux de boisement relativement élevés (explicables en grande partie par la nature des sols). On
observe dès lors deux cas de figure : les terres arables du village peuvent être totalement mise en
culture, ou bien pas encore. Dans le premier cas, les coupes ont lieu dans des espaces sylvo-pastoraux
en marge d’un finage saturé ; dans le deuxième cas, la coupe de bois peut être conjointe à la mise ou à
la remise en culture de jachères. Dans tous les cas cependant, la grande majorité des coupes de bois
interviennent dans des périphéries villageoises, au statut foncier encore mal défini, mais a priori
ouvert pour les autorités coutumières qui revendiquent quasiment toutes une tradition d’accueil sur
leurs terres. Le transfert de responsabilité de gestion des ressources ligneuses a cependant jeté sur ces
périphéries une lumière un peu crue. Elles deviennent, du fait de ce transfert, un objet de convoitise à
la fois économique –pour la ressource qu’elles portent- et surtout socio-politique – pour la
modification des règles d’accès et d’usage que ce transfert génère (Gautier et al., sous presse). Dans le
développement qui va suivre, il est important de garder en mémoire que les dynamiques foncières dont
nous parlons ont lieu en périphérie des villages et se joue à travers l’exploitation des ressources, ce qui
justifie notre acception large du foncier.
Après avoir présenté le transfert de responsabilité de gestion des ressources ligneuses tel qu’il a eu lieu
au Mali de 1996 à 2002 à travers cette incarnation locale qu'a été la création de marchés ruraux de
bois, nous nous intéresserons à la manière dont ce transfert est instrumentalisé pour des revendications
sociales et territoriales de différents niveaux.
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1. LE MARCHE RURAL DE BOIS : UN INSTITUTION FRAGILE MAIS UN PROCESSUS
DIFFICILEMENT REVERSIBLE
1.1. Définition d’un marché rural
Parallèlement au processus de décentralisation et en lien théorique avec lui, une réforme de la
législation forestière (RDM, 1995 3 ; RDM, 1995 4 ) a été mise en place par l’intermédiaire du projet
Stratégie Energie Domestique (SED), financée en majeure partie par la Banque Mondiale et la
coopération néerlandaise. Elaborée à partir de 1991 (Ribot, 1995), la SED a été mise en oeuvre de
1996 à 2000. Elle a été prolongée pour deux ans, grâce à un fond additionnel.
Au niveau de la demande, elle visait à améliorer l'accès à l'énergie et son utilisation, notamment sous
ses formes modernes (gaz, pétrole, électricité) pour améliorer ainsi les conditions de vie quotidienne
d'une partie de la population. Au niveau de l'offre, elle visait à assurer que les modes
d'approvisionnement en combustibles ligneux (bois et charbon) soient porteurs de développement
économique et ne portent pas préjudice à l'environnement, par une gestion rationnelle des ressources
forestières par les communautés rurales.
Pratiquement, la SED s’est appuyée sur un triptyque constitué de : (1) schémas directeurs
d’approvisionnement en bois pour les principales villes du pays ; (2) la création de marchés ruraux de
bois dans des villages choisis en fonction des priorités du schéma directeur ; et (3) l’instauration d’un
dispositif de taxation différentielle (plus durablement la ressource forestière est gérée, moins son
exploitation est taxée).
Les schémas directeurs, établis au niveau régional des bassins d’approvisionnement en bois des
grandes villes du Mali, permettent d'évaluer à la fois les conditions de ressources et d'exploitation et de
déterminer des modalités différenciées d'intervention.
Au niveau le plus fin de la gestion, le marché rural est une pièce essentielle du dispositif SED
(Nouvellet, 2002). A la fois lieu de vente de bois et de charbon et structure commerciale autogérée
(RDM, 1995 ibid.), le marché rural a pour objectifs théoriques de : (1) contribuer à l’amélioration des
conditions de vie des populations ; (2) assurer une gestion rationnelle et durable des ressources
forestières ; (3) contribuer à une réorganisation du système de commercialisation et de distribution du
bois et du charbon.
Il est constitué des éléments suivants :
3
RDM, 1995. "Loi n° 95-003 portant organisation de l'exploitation du transport et du commerce du bois". Présidence de la
République du Mali, Bamako
4
RDM, 1995. "Loi n° 95-004 fixant les conditions de gestion des ressources forestières". Présidence de la République du
Mali, Bamako
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- une « Structure Rurale de Gestion de Bois » qui est une organisation de producteurs ruraux de
bois agréée par les autorités en vue d’approvisionner un marché rural ; la SRGB a la charge de
gérer le marché rural et d’exploiter durablement un massif forestier sur lequel elle détient
l’exclusivité des droits d’exploitation ;
- un massif forestier géré sur la base d’un contrat de gestion et qui doit assurer
l’approvisionnement du marché rural ; lorsque ce contrat de gestion est assorti d’un plan
d’aménagement forestier on parlera de marché « contrôlé », sinon de marché « orienté » ;
- un quota fixé annuellement par une commission qui donne la quantité de bois ou de charbon
qui peut être extraite chaque année du massif sans lui porter préjudice ;
- les coupons de transport qui sont mis à la disposition de la SRGB après paiement de la taxe
d’exploitation au service de conservation de la nature ;
- une aire de vente.
Une fois le massif forestier choisi, délimité et éventuellement aménagé, en partenariat avec un bureau
d’étude mandaté à cette fin par la SED, la SRGB a la charge d’organiser l’approvisionnement du
marché en bois et en charbon, d’en fixer les prix de vente, et de s’acquitter des taxes correspondant
aux permis de coupe auprès du service forestier déconcentré. Le paiement de ces permis permet à la
SRGB de délivrer à ses membres des coupons de transport qui assurent la possibilité d’un contrôle tout
au long de la filière. Les gestionnaires du marché ont à leur disposition des cahiers à souche dont les
pages, correspondant à des volumes prédéfinis, se détachent en trois volets. Ceux-ci reviennent
respectivement au gestionnaire, à l’acheteur et au poste de contrôle forestier à l’entrée des villes en
charge de contrôler auprès de l’acheteur la légalité du commerce. La SRGB est également en principe
garante de la surveillance du massif forestier, du respect du quota et des règles d’exploitation, de
l’organisation des travaux d’aménagement de la forêt, ainsi que du règlement des travaux qui
surviennent sur le marché. Elle a enfin la responsabilité de la tenue des documents comptables et de la
gestion des recettes.
De leur côté, les services forestiers sont censés percevoir les taxes forestières (vente des permis de
coupe au Marché rural ou à des exploitants, assortis de leurs carnets de souches de coupons de
transport), reverser les taxes perçues au Trésor public, contrôler l’exploitation du bois au niveau du
massif et des axes routiers et suivre la régénération naturelle des massifs.
Enfin, il est dit dans le projet que l’administration déconcentrée ou décentralisée (sans plus de
précision) est chargée de la gestion des taxes revenant aux structures rurales de gestion, de l’adoption
des textes fondateurs de la SRGB et de la notification officielle des actes relatifs à la création du
marché rural. Ces services sont par ailleurs tenus d’apporter à la SRGB un suivi et un appui technique
à l’exploitation, au transport et à la commercialisation du bois, une participation à la réévaluation du
quota et à la délimitation officielle de la forêt villageoise.
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Le processus de transfert des responsabilités de gestion des ressources forestières aux populations
locales, via la SED, a été mis en œuvre rapidement, en comparaison de celui de la décentralisation.
Près de 250 marchés ruraux ont ainsi été créés en cinq ans dans cinq régions administratives. Et si le
projet SED a été pris fin en 2002, son action est prolongée par l’AMADER qui semble en reprendre
les grands principes. Au-delà du nombre de marchés créés qui est considéré comme un indicateur de
succès par le projet, il convient de se demander cependant comment a été mis en place ce transfert de
responsabilité sur le terrain.
1.2. Inscription du marché dans le paysage institutionnel local
Une fois les Schémas Directeurs d’Aménagement établis et les sites des Marchés Ruraux pré-ciblés, la
mise en place de ces marchés a été lancée selon le processus suivant :
1. Une campagne nationale d’information expliquant la stratégie énergie domestique et son ancrage
institutionnel, ses objectifs, ses avantages et les textes de loi qui la sous-tendent.
2. Une phase préparatoire comportant :
- un contact avec la population des villages candidats ;
- la sélection des lieux d’implantation sur la base de diagnostics villageois : chaînes locales de
production/commercialisation primaire du bois de feu (avec identification des bûcherons
actuels et potentiels) ; évaluation socio-économique des activités agricoles et pastorales ;
analyse des maîtrises foncières qui déterminent les conditions exactes de création des marchés
(limites du massif, échelle de l’aménagement forestier, points sur lesquels un consensus est à
rechercher entre les différents usagers de la forêt) ;
- La délimitation de la forêt villageoise et la détermination du quota annuel de production ;
- Démarches administratives démontrant la l’implication du village.
3. La phase de création effective du marché rural : avec officialisation de la création du marché,
délimitation de la zone de collecte du bois, localisation de l’aire de vente, attribution du quota annuel
d’exploitation par la commission de fixation des quotas, délivrance des coupons de transport après le
paiement de la taxe d’exploitation, assistance technique au démarrage du marché rural.
4. La phase de suivi et d’appui au marché rural, avec en principe un suivi administratif, technique et
financier
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Si la phase 1 d’information au niveau national a été réalisée par le Projet Stratégie Energie
Domestique et la phase 4 d’assistance technique devait en principe être assurée par la SED et/ou les
services forestiers déconcentrés, en revanche, les phases 2 et 3 ont été déléguées à des opérateurs
privés. Suite à la campagne de sensibilisation de la SED, ces opérateurs privés ont négocié avec des
villages de la zone qui leur a été désignée la création de marchés ruraux (de 5 à 10 par opérateurs
privés), la mise en place de structures rurales de gestion, ainsi que la délimitation et éventuellement un
plan d’aménagement du massif forestier.
Il est difficile aujourd’hui de faire le bilan du travail de ces opérateurs : les archives sont quasiment
inexistantes sur ce point. Il faut à la fois se baser sur la « mémoire » du personnel de la SED, dont une
partie a été ré-embauchée par l’AMADER, et sur celle des acteurs locaux qui ont été impliqués dans
les dossiers d’agrément des marchés ruraux.
Les opérateurs privés qui ont créé les marchés ruraux n’ont pas été comptables de la réussite de cette
création. Leurs contrats avec la SED ont été relatifs à l’installation des marchés ruraux mais pas au
suivi de leur fonctionnement, ne serait-ce que les premières années. S’appuyant sur des expériences
similaires d’autres pays (Niger notamment), la SED a eu la volonté de créer des marchés par ellemême
tout d’abord, afin d’en roder le principe, puis par le biais d’opérateurs privés. Le mot d’ordre a
alors été plutôt de créer le plus grand nombre de marchés (ce qui était du reste un indicateur de
réussite du projet au regard des bailleurs de fond). Faute d’avoir élaboré des indicateurs socioéconomiques
et environnementaux et des réelles capacités de pilotage, le projet ne s’est ainsi jamais
véritablement donné les moyens d’évaluer la réussite de la greffe « marché rural ».
1.3. Fragilités de l’institution « marché rural de bois »
Pour les acteurs locaux, que reste-t-il de ce processus de création de marchés ruraux, mené par des
opérateurs privés, trop rapidement négocié avec les pouvoirs coutumiers et pour ainsi dire déconnecté
de processus de décentralisation ? Il reste dans le meilleur des cas une structure rurale de gestion avec
un bureau qui a le plus souvent été remanié quand les pouvoirs coutumiers et/ou économiques du
village se sont aperçus des enjeux qu’il y avait derrière cette création ; des souches de coupons
d’exploitation plus ou moins tenues à jour ; parfois une carte des limites de la « forêt » et du plan
d’aménagement tendue par le secrétaire de la SRGB. Le manque d’accompagnement des marchés à
partir du moment où ils ont été créés a en tout cas généré beaucoup de flou pour les bûcherons, pour
les pouvoirs coutumiers et communaux, ainsi que pour les services forestiers.
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Il convient en particulier d’interroger la légitimité organisationnelle 5 actuelle des marchés ruraux. La
structure rurale qui a été mis en place par la SED ou par des opérateurs privés est-elle légitime aux
yeux des villageois et des autres institutions locales pour exploiter les ressources du territoire ?
Le premier élément de réponse est que, même si le diagnostic préalable à la création des marchés ainsi
que la consultation des institutions locales ont été bien réalisés, cette création a davantage recherché
des compétences reconnues en matière d’exploitation du bois qu’une légitimité d’ordre social. En
effet, plutôt que de mettre l’accent sur la représentativité de la structure par rapport au village ou sur la
redistribution de ses revenus, c’est l’aspect filière et technique qui a primé. De leur côté, les autorités
coutumières n’ont pas forcément bien mesuré, lors de ce processus de création, tous les enjeux sociaux
et territoriaux qu’induisaient cette création, y compris dans une perte de légitimité pour elles-mêmes.
Considérant pour les moins visionnaires que le bûcheronnage était une activité peu valorisante
socialement, les institutions locales ont généralement laissé se former un bureau avec des gens des
métiers du bois. Quand il est apparu quelques années après la création du marché que l’exploitation du
bois pouvait rapporter de l’argent et que son exercice était un moyen d’acquérir du pouvoir sur la
société et sur les espaces, les perceptions des autorités locales ont généralement fortement évolué. Ce
changement s’est traduit par des tentatives, parfois fructueuses, le plus souvent chaotiques, de reprise
en main des SRGB. Dans les cas extrêmes que nous avons pu observer, certains bureaux de marchés
qui avaient été fondés autour d’un groupe de bûcherons ont été déposés par les autorités coutumières
qui s’inquiétaient de l’émergence de son pouvoir ; elles ont ensuite recomposé un bureau à leur botte
en réintégrant parfois des membres de l’ancienne équipe.
Le deuxième élément de réflexion sur cette légitimité sociale des marchés ruraux est que rien n’a été
initialement prévu sur le plan de la législation pour que le village exploitant le bois tire un bénéfice de
cette exploitation à l’échelle locale. L’entrée se faisant par la filière et par des individus bûcherons
organisés en association a priori sans lien obligatoire avec les pouvoirs coutumiers, le village peut
s’enrichir globalement par le biais de l’exploitation de ses ressources communes par certains de ses
habitants, sans qu’il y ait de retombées collectives immédiates. Très généralement, après la création du
marché rural, il y a eu des réajustements qui ont contribué à augmenter la légitimité de la SRGB.
Celle-ci a été progressivement remaniée pour donner moins de poids aux « allochtones » et ne pas
donner le sentiment que l’argent du village et les produits de sa terre partaient à des « étrangers ». La
SRGB a pu jouer dans certains cas le rôle de caisse de prêt. Enfin, -et c’est devenu une pratique si
courante qu’on pourrait presque croire qu’elle a été institutionnalisée par la législation- la vente de
stère de bois ou de sac de charbon est très généralement l’objet d’une « taxe villageoise »
5 Que l'on définira à la suite de Suchman (1995: 574) comme "une perception ou supposition que les actions d'une entité
donnée sont désirables, convenables ou appropriées, au sein d'un système construit de normes, valeurs, croyances et
définitions"
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apparemment décidée par les autorités coutumières (sur incitation de la SED 6 ) et tolérée par les
services forestiers. Son montant est assez homogène, de 100 FCFA par stère ou par sac. Les raisons
pour lesquelles cette taxe est apparue, se surajoutant aux taxes « officielles », seront discutées ci-après.
Il semble toutefois évident que cette taxe donne davantage de légitimité sociale à la SRGB. L’argent
de la taxe villageoise contribue à payer les gestionnaires de la SRGB, mais aussi dans certains cas le
salaire des maîtres d’école, la construction de l’école, etc… Elle a surtout pour mérite de mettre la
SRGB sous couvert des autorités coutumières et de permettre à ses membres d’être plus légitimes dans
leurs activités et dans leurs rapports à l’espace.
Le dernier élément de réflexion sur la légitimité sociale des SRGB est relatif à la délimitation et au
plan d’aménagement de la « forêt ». Même dans l’hypothèse favorable où ces limites et ce plan ont été
bien négociés avec, dès le départ, une large consultation et implication des institutions locales, quel
poids pensait-on que ces délimitations auraient ? Aucun travail préalable de délimitation foncière des
espaces villageois n’a été fait. A une autre niveau, la délimitation des communes est restée dans un
flou dont on se demande combien de temps il pourra durer puisque les communes ont été créées par
des regroupements de villages -d'ailleurs parfois contestés-, et que cette assise territoriale -pour floue
qu'elle soit- n'est de toute manière pas confortée par une dévolution de domaines ? Dans ces
conditions, quelle contrainte la délimitation des espaces d’exploitation accordés aux SRGB représentet-elle
pour les bûcherons ? Dans le meilleur des cas, il reste de ces négociations de départ un fichier
sur un ordinateur de l’AMADER hérité de la SED et une carte entre les mains des gestionnaires de la
SRGB sur laquelle il leur est de toutes façons difficile de se repérer concrètement. Dans la pratique,
aucune institution locale ne s’appuie sur ces cartes, que ce soit pour revendiquer un droit d’accès à
l’exploitation du bois d’un espace ou au contraire pour l’en défendre. A contrario, on peut également
constater que ces délimitations et plans, s’ils n’ont pas vraiment servi à mieux gérer les ressources
comme c’était prévu, n’ont a priori été que peu instrumentalisés par les institutions locales.
En résumé, dans les trois dimensions dans lesquelles la légitimité des marchés ruraux de bois peut être
considérée : sociale, économique et territoriale, toutes les précautions n’ont pas été prises pour asseoir
cette légitimité et l’articuler aux autres institutions plus anciennes sur lesquelles elle pourrait
s’appuyer. L’insertion institutionnelle de ces marchés a été mise en défaut. Elle a nécessité des
ajustements de la part des acteurs locaux, à la fois par une re-composition du bureau des SRGB et par
une contribution économique directe de l’exploitation du bois à la vie du village (taxe villageoise).
6 Il est à noter que le BIT (Bureau International du Travail), intervenant à Kita depuis les années 80 sur un projet similaire -
qui a souvent été présenté comme un "laboratoire" de la Stratégie Energie Domestique- a institutionnalisé cette taxe sous le
nom de « Fonds de Développement Villageois »
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1.4. Une insertion mal négociée mais difficilement réversible
Dans ce contexte institutionnel flou, où l’installation des marchés ruraux de bois a rajouté à
l’incertitude sur les droits d’accès et d’usage dont chaque acteur peut se prévaloir, des processus sont
lancés sur lesquels il sera cependant difficile de revenir. D’abord et avant tout, le marché rural de bois
est un instrument qui permet aux populations locales de reconquérir leurs territoires, voire de les
construire, de les « marquer » par rapport aux voisins ou aux transhumants, mais aussi par rapport aux
collectivités décentralisées et même à l’Etat. Des conventions locales développées au Mali
représentent un instrument de légitimation des populations locales dans leurs rapports à leurs espaces
de vie et de pratiques, en particulier en contexte pastoral (Hochet, 2005 ; Denis, 2003). Mais comment
mieux marquer son territoire de savane qu’en en coupant des arbres, marques d’appropriation visibles
aux yeux des autres acteurs qui convoiteraient le parcours et l’utilisation de ces espaces ? Certes, tous
les pouvoirs coutumiers auxquelles étaient proposés l’installation d’un marché rural de bois ne l’ont
pas compris, ou ne l’ont pas accepté de suite car le bûcheronnage n’est pas toujours reconnue comme
une activité socialement valorisante. Assez vite cependant, -et même si cela n’est pas revendiqué ou
explicité-, l’activité de bûcheronnage a été perçue par les pouvoirs locaux comme un outil
d’appropriation foncière. La deuxième partie illustrera comment l’opportunité « marché rural » a été
instrumentalisée pour l’appropriation foncière.
Il est cependant important de considérer à quel point le transfert de responsabilité de gestion des
ressources ligneuses a apporté une révolution dans les rapports des populations locales à l’espace. Des
marges territoriales ont été, par le fait d’un agrément entre l’Etat et une association professionnelle du
village, subitement l’objet de convoitises, éventuellement de conflits. Des limites qui pouvaient
jusqu’alors être floues quand elles n’étaient pas à la rencontre de deux finages ont été disputées. Des
groupes sociaux marginalisés, économiquement et socialement, ont ainsi trouvé une rente et un statut
(Hautdidier et Gautier, 2005). A leur suite, des villages entiers ont considéré une alternative à
l’agriculture et à l’élevage, pour les gens sans terre ou en cas de mauvaise année climatique.
Avec le léger recul que nous avons, on s’aperçoit que les populations locales ne sont pas véritablement
entrées dans le cadre qui leur était fixé par la loi. Les limites de « forêt » et éventuellement les
parcelles d’aménagement sont rarement respectées, la coupe de bois se fait dans tout le village sous
couvert de l’agrément. Elle peut également se faire dans des villages voisins, le village agréé couvrant
la fraude et devenant ainsi une plate-forme de commercialisation. Il y a ainsi du « blanchiment de sacs
de charbon » qui passe sous le label « marché rural ». L’association villageoise de bûcherons n’a quant
à elle que peu insisté sur le fait que seule l’adhésion à cette association permettait d’obtenir des permis
de coupe. Très vite, cette association s’est ouverte à tous les villageois, malgré des connaissances
techniques du bûcheronnage et du charbonnage très hétérogènes.
Colloque international “Les frontières de la question foncière – At the frontier of land issues”, Montpellier, 2006
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Des voix s’élèvent pour dénoncer ce pervertissement du projet de base, notamment parmi
l’administration forestière mais aussi les élites villageoises. Ainsi, ce serait devenu « l’anarchie ». Les
bûcherons villageois seraient responsables de tout le déboisement. Ce serait un « gâchis », qui prouve
bien, si besoin était, que « la décentralisation, c’est le désordre », notamment du fait qu’elle s’adresse
à des « populations d’analphabètes » 7 . Il y a pourtant une réalité simple : l’offre de bois et de charbon
se cale sur la demande des villes, et pas davantage. Même si cette demande nécessite des coupes de
bois plus importantes que par le passé du fait de l’accroissement de la population et de l’accroissement
de l’utilisation du charbon (Gazull, 2003), quand les marges d’un territoire villageois est parcouru par
des bûcherons, leurs coupes sont similaires à celles d’avant les réformes. Ce sont simplement de
nouveaux espaces et de nouveaux groupes sociaux qui sont activées, avec un contrôle rendu de fait
plus difficile.
Il est aussi symptomatique d’entendre les défenseurs du système passé, même si paradoxalement ils
peuvent probablement gagner plus d’argent par les voies légales et illégales que par le passé. Il y a une
forme de résignation dans ces voix, mélange de nostalgie du temps où les forestiers, corps habillé de
l’Etat, contrôlaient les coupes de bois et veillaient à la pérennité de la ressource, mais aussi
d’amertume d’être un pouvoir local laissé pour compte depuis 1991. Les forestiers semblent percevoir,
quelque soit le niveau de déconcentration (ou de décentralisation), qu’il sera très difficile de revenir
sur le principe des agréments entre populations locales et l’Etat ou, pourquoi pas, les collectivités
territoriales, en matière de coupe de bois.
En ce qui concerne les pouvoirs coutumiers, rares sont ceux qui refusent absolument que les
populations sur lesquelles ils ont autorité se lancent dans un commerce qui hypothéquerait les
conditions de vie des futures générations (Keita, comm.pers ; Hautdidier & Gautier, 2005). Dans la
majorité des cas, les autorités coutumières s’accommodent de cette activité, voire l’organisent ellesmêmes
et l’instrumentalisent. Il leur faut une grande volonté pour lutter contre l’utilisation de terres
marginales, par des groupes sociaux le plus souvent marginaux, activité qui de plus –et c’est important
de le souligner- n’enlève rien aux nantis du village (sinon, elle aurait été probablement interdite ou
davantage réprimée). En revanche, elle est un instrument de pouvoir sur les hommes et sur les espaces.
Pour toutes ces raisons, il est difficile d’imaginer que l’Etat revienne sur l’idée d’un agrément entre lui
et les populations locales pour la coupe de bois.
7 Il y a dans ce jugement, le plus souvent, un double message : à l’adresse des populations locales : « vous êtes des
analphabètes, vous ne pouvez pas vous occuper vous-mêmes de la gestion durable de vos ressources et il faut que les
techniciens reprennent en main cette gestion » ; mais également, à l’adresse des bailleurs pour lesquels la formation est
actuellement une marotte « ces villageois ont besoin d’instruction. Nous sommes prêts, moyennant finance, à assurer leur
formation ». Cette volonté de reprise en main a également été observée par Ribot dans les discours et pratiques d’autres
administrations forestières de la sous-région (Ribot, 2001)
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2. LA COUPE DE BOIS COMME LEVIER DE REVENDICATION DU LOCAL
L’instrumentalisation du transfert de responsabilité de gestion des ressources ligneuses à des fins
d’appropriation et de revendication foncière est un phénomène assez complexe, puisqu’il met en jeu
un certain nombre d’acteurs dont les prérogatives sont mal définies : outre l’association de bûcherons
qui pourrait être considérée comme le bras armé de cette instrumentalisation, rentrent dans le jeu
d’acteurs : l’opinion publique villageoise, peinant à s'exprimer dans un espace public encore peu
constitué, tiraillée entre factions lignagères et groupes stratégiques divers ; les pouvoirs coutumiers qui
sont particulièrement concernés parce que cela touche à des droits d’accès et d’usage dont ils sont les
dépositaires, mais qui n’ont pas de reconnaissance administrative explicite ; les pouvoirs communaux
qui bénéficient financièrement de l’exploitation du bois - même la ristourne qu’elle reçoit est rarement
du montant prévu par la législation (Dicko, 2004)- mais dont le rôle dans la gestion des ressources
naturelles reste à construire dans un paysage législatif confus ; les services forestiers, enfin, censés
accompagner le transfert, mais qui restent dans un rapport tendu avec les populations rurales.
Dans ce contexte d’incertitude sur les droits et les devoirs de chaque acteur, se met progressivement en
place une coopération étroite entre les deux institutions de niveau territorial le plus fin que sont les
associations de bûcherons et les pouvoirs coutumiers. Cette coopération n’était pas acquise, elle a
nécessité des ajustements notamment grâce à l’instauration d’une taxe villageoise se rajoutant aux
taxes légales sur la coupe de bois, taxe qui permet pour l’association de bûcherons de faire acte
d’allégeance auprès des pouvoirs coutumiers et pour ceux-ci de montrer aux villageois, par des
investissements à bénéfice collectif, que la rente forestière du village bénéficie à toute la population.
Un gentleman's agreement s’est ainsi progressivement établi entre les deux institutions, qui voit les
pouvoirs coutumiers couvrir les pratiques économiques des bûcherons, mais utiliser les marchés
ruraux de bois pour asseoir leur pouvoir sur les territoires.
2.1. Outil de revendication territoriale face aux migrants
Des scissions et conflits importants sont apparus dans certains villages, entre un pouvoir coutumier
ayant initialement mal saisi les enjeux du marché et les groupes qui se mettaient à exploiter les
ressources ligneuses du village sans contrepartie pour celui-ci. Ces tensions se sont généralement
exprimées entre les lignages du chef du village et ceux les plus récemment installés sur lesquels il
n’avait pas trop d’autorité. Dans le cas du village de Korokoro (commune de Zan Coulibaly), cela a
conduit à un schisme au sein de la société villageoise qui était bien marqué spatialement (Hautdidier et
al., 2004).
Très vite cependant, considérant à la fois que l’économie du bois générait un flux d’argent important,
que le marché rural représentait une institution concurrente et parfois rebelle, et enfin que cela touchait
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à des questions foncières dont ils se considèrent les dépositaires, les pouvoirs coutumiers ont fait de
l’entrisme dans les associations de bûcherons, et se sont livrés dans certains cas à un « noyautage » en
règle. Des bureaux mis en place par le projet SED ont pu être déposés, afin d’être replacés sous la
tutelle du chef de village par des hommes à lui. Après cette reprise en main, des membres de l’ancien
bureau ont pu être réintégrés quand ils s’avéraient indispensables au fonctionnement du marché rural
(notamment ceux qui étaient alphabétisés).
Dans cette reprise en main intra-villageoise, les pouvoirs coutumiers ont également beaucoup joué sur
la question de la légitimité des « autochtones » par rapport aux « allochtones ». Dans certains villages,
la création de marchés ruraux de bois a engendré la migration de professionnels du bois, généralement
en provenance de la région de Bougouni. D’abord légère, cette migration a pu être plus massive dans
certains villages, notamment à la suite du conflit ivoirien. C’est ce que nous avons pu observer dans le
village de Faraguéro (commune de Siby à l’Ouest de Bamako) (Mbodj, 2005). Ces migrations
professionnelles ont été tolérées tant qu’elles ne faisaient qu’accompagner la société locale dans son
apprentissage des métiers de bûcherons et de charbonniers. Dès l’instant où le nombre de migrants
devient tel que les villageois ont le sentiment que la rente forestière leur échappe et surtout que la
légitimité foncière des pouvoirs coutumiers est menacée dans les marges villageoises, ces pouvoirs
prennent peur et saisissent des prétextes (par exemple la coupe d’un arbre tutélaire) pour expulser les
migrants de leur village.
2.2. Outil de revendication territoriale vis-à-vis des villages voisins
Au niveau inter-villageois, nos enquêtes nous permettent de penser que les bûcherons jouent un rôle
actif dans les revendications foncières sur les marges du territoire villageois. Officiellement, ces
bûcherons recherchent de la ressource ligneuse de qualité, notamment pour faire du charbon. Ils
n’hésitent pas pour ce faire à sortir dans un premier temps des limites de l’espace « forestier » officiel,
puis à sortir des limites même du village (Hautdidier et al., 2004). Ces intrusions en territoires voisins
peuvent être facilitées par plusieurs éléments. D’une part, les bûcherons peuvent bénéficier de la
méconnaissance par les autres villages des règles qui régissent un marché rural et ainsi profiter de leur
naïveté pour extraire des ressources sur lesquelles ils n’ont pas de droits particuliers. Cela ne dure
généralement pas. Les villages voisins réagissent, parfois durement comme on a pu l’observer dans la
commune de Zan Coulibaly (Hautdidier, comm. pers.) ou de Bancoumana (Keita, comm. pers.) avec
un conflit à la clef, auquel peuvent prendre part les autorités communales. Les autorités coutumières
voisines peuvent réagir en interdisant toute coupe sur leur territoire, expliquant que, compte tenu de la
dégradation forestière qu’elles observent dans les villages où un marché rural de bois a été installé,
elles considèrent de leur devoir de préserver leurs ressources pour les générations futures. Les
autorités coutumières peuvent aussi décider d’ouvrir leur village également à l’économie du bois. Et
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dans cette perspective, soit le village devient lui-même le siège d’un marché rural, soit il s’allie à un
marché rural déjà en place. On sort là des principes fondateurs du marché rural, mais le processus de
l’alliance entre des villages de brousse qui se lancent dans le bûcheronnage et un village bord de route
qui a l’agrément en tant que marché rural est de plus en plus répandu, le marché rural servant de
vitrine au regard du droit positif. Ces alliances commerciales peuvent sous-tendre la possibilité pour
les bûcherons du marché rural d’exploiter du bois avec leurs voisins, d’autant plus facilement si ces
voisins sont issus d’un essaimage de leur propre village.
Il apparaît cependant clairement, dans les territoires que nous avons étudiés, que le transfert de
responsabilité de gestion des ressources ligneuses a enclenché des revendications foncières fortes entre
villages voisins, certains villages repoussant les bûcherons du village voisin et les conduisant
éventuellement en justice, d’autres villages marquant les arbres en périphérie de leur territoire pour en
signifier la limite à ne plus dépasser, d’autres villages enfin défrichant leurs marges territoriales, non
pour les cultiver, mais pour en démontrer l’appropriation (Hautdidier, comm. pers.). Derrière ces
marques de revendication foncière, les pouvoirs coutumiers ont joué un rôle très actif, même s’il a
parfois été sous couvert de l’association des bûcherons.
2.3. Levier de revendication vis-à-vis des pouvoirs politiques reconnus par l’état
Dernier point enfin, le marché rural de bois est, pour les pouvoirs coutumiers, un levier de
revendication politique vis-à-vis de l’Etat central, qui ne les reconnaît que comme auxiliaire de
l’administration 8 c’est-à-dire essentiellement pour lever les impôts. Mais il est surtout actuellement un
levier de revendication vis-à-vis des collectivités décentralisées qui tentent de s’imposer dans le
paysage institutionnel, à leur détriment, comme le niveau le plus fin d’administration de la gestion des
ressources naturelles, et ceci même s’il n’y a pas encore eu de dévolution de domaines fonciers et de
véritable déconcentration des services techniques.
Après avoir fait de l’entrisme dans les associations de bûcherons et appuyé l’instauration d’une taxe
villageoise sur le commerce du bois, en sus des taxes forestières réclamées par l’Etat, les pouvoirs
coutumiers passent désormais à la phase de revendications explicites. Vis-à-vis de l’association des
bûcherons qui, dans une majorité de cas, s’est étendue à l’ensemble du village et en particulier aux
familles les plus pauvres, aux femmes et aux cadets, le message du pouvoir coutumier est de plus en
plus clair. Ils considèrent la gestion des ressources naturelles sur leur territoire comme étant de leur
responsabilité, et à ce titre, ils l’organisent. Si on peut nourrir quelque inquiétude sur la volonté et la
8 Un projet de loi visant à instituer un statut juridique de l’entité villageoise et à clarifier les attributions et modes d’élections
des chefs et de leurs conseils a toutefois été déposé récemment : Cf. le Communiqué du conseil des ministres du mercredi 8
décembre 2004 [http://www.sgg.gov.ml/Ccm/ccm8déc04.pdf]
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capacité des pouvoirs coutumiers à imposer aux bûcherons des règles d’exploitation durable, en
revanche, ils veillent généralement à ce que toute la population qu’ils jugent légitime profite de cette
activité, quitte à faire organiser des tours de vente aux transporteurs, comme cela peut s’observer ça et
là. Surtout, ils appuient les bûcherons dans leurs activités afin de marquer les territoires qu’ils
considèrent comme sous leur responsabilité, quitte à aller au conflit avec d’autres pouvoirs, en
particulier communaux.
Les rapports entre ces deux pouvoirs locaux se tendent, notamment pour des raisons politiques. Les
chefs coutumiers de certains villages à qui les futurs maires ont fait des promesses électorales non
tenues à ce jour se sentent laissés-pour-compte du développement local. Leur amertume peut être
d’autant plus grande qu’ils peuvent voir dans leur voisinage d’autres villages qui reçoivent une part de
la manne des crédits de décentralisation, tandis qu’ils ont eux le sentiment de voir leurs moyens se
dégrader. Cette amertume est également renforcée par le fait que l’information parvient désormais au
niveau villageois selon laquelle, les taxes forestières que paient les bûcherons retournent en partie au
chef-lieu de commune, sans redescendre jusqu’à eux. Cette information n’est jamais tout à fait la
même en chaque lieu, les interprétations des textes de loi parvenant jusqu’aux localités rurales où ils
sont censés être compris et appliqués étant pour le moins contrastées. Toutefois, l’idée est très
généralement répandue parmi les villageois que les pouvoirs communaux se font de l’argent sur leur
dos, s’ajoutant ainsi à des forestiers qui faisaient jusqu’à présent partie du paysage et qu’ils avaient
appris à contourner. L’accès à la ressource forestière et donc à la terre qui les porte devient un objet de
contestation d'un pouvoir communal qui peine à se mettre en place et de ré-affirmation du local.
CONCLUSION
Si le transfert de responsabilité de gestion des ressources ligneuses peut être instrumentalisé par les
pouvoirs coutumiers -et dans une moindre mesure par les pouvoirs communaux- pour affirmer leurs
autorités sur les populations et les territoires, il y a cependant quelque risque à cette
instrumentalisation. Il y a tout d’abord un risque évident d’ostracisme et de rejet de l’allochtone de
territoires qui ont toujours été l’objet d’usages multiples par des groupes ethniques variés et d’activités
le plus souvent complémentaires. Cette défense de « l’autochtonie » n’est pas nouvelle puisque
l’administration centrale a généralement privilégié la mise en valeur agricole aux autres activités
comme l’élevage ou les cueillettes, et donc les populations sédentarisées à celles transhumantes. Cette
revendication trouve cependant un écho nouveau avec l’exploitation des ressources forestières
puisqu’elle touche des espaces qui sont en marge du cœur cultivé des villages, ainsi que des ressources
qui n’étaient exploitées que de façon extensive. Ensuite, le risque est grand également que les pouvoirs
coutumiers privilégient l’affirmation de leur pouvoir sur un territoire, quitte à passer celui-ci à la
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hache, plutôt que de raisonner la gestion de la ressource sur des principes durables. L'intérêt implicite
des pouvoirs coutumiers est que leurs « administrés » occupent ostensiblement l’espace villageois
revendiqué. S'ils se soucient certainement de l’avenir même de la ressource, ils ne le font pas
suffisamment pour prendre le contrôle de l’exploitation à leur compte, préférant se mettre en retrait du
face à face entre les bûcherons et les agents forestiers. La ressource ligneuse risque-t-elle d’être
sacrifiée sur l’autel d’une compétition entre institutions pour l’appropriation des espaces extensifs, que
les contradictions actuelles entre les différents droits ont pu provoquer ? Les populations les plus
pauvres et sans terre, qui ont trouvé dans le bûcheronnage une activité leur autorisant un certain
développement, risquent d’en être les premières victimes. Le service forestier voit quant à lui
s’affirmer ce qui n’était il y a dix ans qu’une hypothèse de gestion : donner un plus grand rôle aux
communes dans le contrôle de l’exploitation du bois et l’aménagement forestier, c’est-à-dire à
rapprocher enfin décentralisation et transfert de gestion. Quelle sera dans cette perspective, la réaction
des pouvoirs coutumiers ?
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