01.07.2013 Views

Télécharger le PDF - Longueur d'Ondes

Télécharger le PDF - Longueur d'Ondes

Télécharger le PDF - Longueur d'Ondes

SHOW MORE
SHOW LESS

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

38<br />

CA GAve<br />

HUMEUR & VITRIOL<br />

Dites-<strong>le</strong> avec des f<strong>le</strong>urs<br />

Je préfère me pendre plutôt que d’habiter la rue des Mimosas. Ou cel<strong>le</strong> des Myosotis.<br />

Ou de tout autre nom de f<strong>le</strong>ur, plante, espèce végéta<strong>le</strong> ou anima<strong>le</strong>, y compris<br />

celui de l’un des sept nains, Schtroumpfs ou tout autre personnage ou objet<br />

sans intérêt autre que de ne pas faire de vague à la commission municipa<strong>le</strong> de la<br />

voirie urbaine. Non pas que j’ai un sens du ridicu<strong>le</strong> développé au point de refuser de<br />

donner une adresse qui me ferait passer pour une filia<strong>le</strong> d’Interflora ou pour un membre<br />

de la Ligue de Protection des Oiseaux. Il n’y a pas de sots métiers comme disent<br />

ceux qui en ont un qui rapporte. Non pas, non plus, que je répugne à ce fumet si délicieusement<br />

pavillonnaire que sous-entend la sonorité agreste de cette dénomination<br />

vicina<strong>le</strong>, même si la perspective d’habiter une tour d’habitation horizonta<strong>le</strong> rigoureusement<br />

identique à cel<strong>le</strong> des autres condamnés à la “rue des Renoncu<strong>le</strong>s”, eux aussi<br />

identiques, de veil<strong>le</strong>r à la tail<strong>le</strong> mensuel<strong>le</strong> de la haie qui délimite mes 42,5 mètres carrés<br />

de terrain et me permet de ne pas me retrouver directement dans la sal<strong>le</strong> de bain<br />

de mon voisin chaque fois que je sors de chez moi, d’acquérir un chien, une Renault<br />

Espace et une conduite rigoureusement sociab<strong>le</strong> auprès d’un voisinage correspondant<br />

peu ou prou à mon profil socio-culturel, même si donc toutes ces délicieuses perspectives<br />

m’enthousiasment assez modérément et pourraient me conduire, en soi et à<br />

la longue, à l’auto-pendaison évoquée plus haut. Même s’il faudrait pour y parvenir<br />

que j’apprenne à faire des nœuds et que je suis trop âgé pour m’engager chez <strong>le</strong>s<br />

scouts afin d’y suivre ce genre de <strong>le</strong>çon, quand bien même j’éprouve une fascination<br />

sans borne pour ces jeunes gens bien sous tous rapports qui, jusqu’à un âge avancé,<br />

acceptent de se promener partout et par tout temps en culotte courte sans en éprouver<br />

la moindre vergogne. Si je n’étais pas aussi rigidement hétérosexuel au point de me<br />

sentir terrib<strong>le</strong>ment démodé dans <strong>le</strong>s soirées branchées, cela pourrait déc<strong>le</strong>ncher en<br />

moi autre chose qu’un vague enthousiasme devant tant d’ardeurs juvéni<strong>le</strong>s pudiquement<br />

dissimulées sous la toi<strong>le</strong> rigide de ces uniformes seyant qui sentent la sueur et<br />

<strong>le</strong>s hormones bouillonnantes diffici<strong>le</strong>ment canalisées à coups de marches pédagogico-extrêmes<br />

et de veillées de prières. Il y a aussi des scouts fil<strong>le</strong>s, me direz-vous.<br />

Merci de la précision mais là n’est pas <strong>le</strong> sujet. Inuti<strong>le</strong> d’éveil<strong>le</strong>r une turgescence vaguement<br />

pédophi<strong>le</strong> que je peine à dissimu<strong>le</strong>r sous l’apparence glacée d’une dignité<br />

de tous <strong>le</strong>s instants. La bête sommeil<strong>le</strong>, foutons-lui la paix !<br />

Non, ce qui me déso<strong>le</strong> dans <strong>le</strong> fait d’habiter la rue des Mimosas est l’affligeante mièvrerie<br />

de cette dénomination. Soucieux de ménager <strong>le</strong>s chèvres é<strong>le</strong>ctrices et <strong>le</strong>s choux<br />

pétitionnaires récurrents, <strong>le</strong>s municipalités s’abritent derrière ces nounouil<strong>le</strong>ries d’une<br />

neutralité qui feraient passer <strong>le</strong> gris souris pour une cou<strong>le</strong>ur criarde. Il s’est trouvé<br />

récemment de bons citoyens s’offusquant et protestant en chœur pour s’opposer,<br />

dans un trou du sud de la France, au baptême d’un rond-point du nom du Général<br />

Bigeard. Outre <strong>le</strong> fait que <strong>le</strong> rond-point est sans doute ce qu’il convient <strong>le</strong> mieux à la<br />

célébration d’un militaire de droite puisque c’est un endroit où l’on peut avoir l’impression<br />

d’avancer tout en tournant en rond, je ne vois pas en quoi donner un nom à<br />

la con à un endroit où l’on ne fait que passer peut défriser de pauvres péquins qui<br />

auraient sans doute préféré une fadeur toute moderne à cette désignation. Au moins,<br />

l’édi<strong>le</strong> de cette commune a des opinions et quand bien même el<strong>le</strong>s ne sont pas la<br />

tasse de thé des autres, c’est méritoire de ne pas <strong>le</strong>s dissimu<strong>le</strong>r. Et puis personne ne<br />

s’offusque lorsqu’on baptise un lieu du nom de l’entreprise qui s’est acheté <strong>le</strong> droit<br />

d’y apposer sa plaque. Je préfère mil<strong>le</strong> fois voir <strong>le</strong> nom de Bigeard à celui de McDonald’s,<br />

fut-ce sur un rond-point miteux dans une vil<strong>le</strong> où je n’irai jamais parce que<br />

j’aime pas <strong>le</strong> sud et puis c’est tout.<br />

À une époque où avoir des convictions n’était pas une injure au bon sens démocratique,<br />

on f<strong>le</strong>urait bon <strong>le</strong> gros rouge devant la rue Karl Marx, <strong>le</strong> rose vif dans une avenue<br />

Léon Blum, <strong>le</strong> b<strong>le</strong>u-roi soutenu sur un Quai Louis XVIII voire <strong>le</strong> noir devant quelque<br />

venel<strong>le</strong> Maurras. Au moins, on savait à quoi s’en tenir et cela donnait une personnalité,<br />

sinon aux habitants, du moins aux rues et aux vil<strong>le</strong>s qui <strong>le</strong>s accueil<strong>le</strong>nt. C’est justement<br />

ça, la démocratie : que ceux que la perspective d’habiter une rue Gagarine ou<br />

une impasse Maurice Barrès acceptent bon gré mal gré que la cou<strong>le</strong>ur politique des<br />

élus par <strong>le</strong>urs concitoyens et voisins s’affiche sans honte, tout comme ils ne manquent<br />

pas une occasion de montrer la <strong>le</strong>ur (<strong>le</strong>ur cou<strong>le</strong>ur politique, je veux dire ; l’épisode<br />

scouts est clos, il est trop tard pour montrer autre chose). On ne peut pas non plus<br />

appe<strong>le</strong>r toutes <strong>le</strong>s éco<strong>le</strong>s Prévert, toutes <strong>le</strong>s crèches Dolto, et maquil<strong>le</strong>r toutes <strong>le</strong>s<br />

rues en devanture de jardinerie pour baigner dans la niaiserie à perpétuité. Parce<br />

qu’à force, tous ces noms de f<strong>le</strong>urs, ça finit par donner une gerbe.<br />

Jean Luc Eluard

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!