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Fabienne Cattin<br />
Le fil<br />
Troisième prix catégorie C (21 ans et plus)<br />
Le chapiteau plonge dans la pénombre.<br />
Je suis tendu, très tendu, normalement tendu.<br />
Entre deux pontons. Offert. Mi-cadeau, mi-défi.<br />
En l’air. Tout du long. En l’atmosphère... La sciure<br />
me nargue, d’en bas. Le ciel m’appartient.<br />
Il me suffit d’être sûr et solide ; d’être droit,<br />
bien là, sans faille ni tremblement, d’un point<br />
à l’autre, à votre hauteur. Juste.<br />
Silencieux, immobile pour l’instant, posé<br />
là, comme parfois ailleurs, porté, haussé ou<br />
embobiné, aussi. Là. Dans le droit, mon droit<br />
unique, mon unique droit. Droit d’être là.<br />
Surplombant. Prépondérant et docile, oscillant<br />
et futile, mouvant et ductile, contraignant et<br />
servile, servant et subtile. Je suis votre fil.<br />
Le filigrane, le filament, le figurant en vos<br />
envies de vertiges fulgurants. Votre mesure<br />
du possible.<br />
Je ne céderai pas. Que vous marchiez,<br />
ralentissiez ou précipitiez, je suis votre foi...<br />
À l’occasion, des oisillons se posent sur moi,<br />
telles des interrogations sur la gravité de votre<br />
vocation. À tire-d’aile. Advienne que pourra,<br />
je resterai le même. Adéquat.<br />
Je marcherai sous vos pas, en ferai des<br />
mouvements suprêmes, où l’on vous prendra<br />
pour un roi, sur ce tangent diadème. Et vos<br />
instants de gloire seront les contre-pieds de<br />
leurs moments d’effroi, en bas. Certes, je plierai,<br />
me courberai à l’envi, mais reprendrai ma place<br />
et mon lieu. Je vous assurerai une verticalité vers<br />
l’infini… sur quelques mètres.<br />
Je retiendrai votre souffle, tel ce spectateur<br />
patenté, mais serai offert en l’occurrence en<br />
pâture à une plèbe volontaire, curieuse et<br />
attentiste.<br />
Vos jambes à mon cou, vous atteindrez à<br />
coup presque sûr le but espéré, non conforme,<br />
presque à bout. Je serai le fil de vos joies, de<br />
vos doutes, de vos risques... Votre limite. Il n’y<br />
aura rien avant ni après moi, que l’arrêt. Mes<br />
ondoiements feront votre pouls. Votre pied<br />
glissera, indécis mais déterminé, sur mon échine.<br />
Je prendrai tout sur moi. Vous... lorsque vous ne<br />
tiendrez qu’à moi. Je percevrai le moindre de vos<br />
tremblements, la moindre de vos assurances en<br />
l’élan. Vous me ferez confiance, incroyablement.<br />
Dans le plus dur, le plus risqué, c’est moi<br />
que vous toucherez, effleurerez... Lequel de<br />
nous deux sera le plus tendu dans cette étrange<br />
étreinte ?<br />
Vous ne prendrez pas de gant, lorsque vous<br />
prendrez tout l’en-dessus de mes oscillations, de<br />
mes creux et monts. Je serai le plancher de votre<br />
ciel, juste au-dessus du sol. Vous compterez sur<br />
moi. Je compterai vos pas.<br />
Votre regard m’ignorera, préférant l’horizon,<br />
l’autre ponton : votre escale – cette inestimable<br />
finalité à vue de nez.<br />
Vos pieds parfaitement alignés ou de<br />
guingois me caresseront, en une danse<br />
incertaine, vacillante mais calculée. Entre<br />
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