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LE CHAPITEAU<br />
IMAGINAIRE<br />
Concours littéraire 2010<br />
Soirée de remise des prix<br />
Approchez, Mesdames et<br />
Messieurs ! Approchez et entrez<br />
dans le cercle magique du cirque !<br />
Glissez-vous dans la peau d’un<br />
artiste (jongleur, dresseur<br />
d’animaux, acrobate, équilibriste,<br />
clown, trapéziste, écuyère, etc.)<br />
et devenez, le temps du concours,<br />
celle qui vous fascine ou celui qui<br />
vous fait rêver.<br />
Bibliothèque de <strong>Carouge</strong><br />
En partenariat avec<br />
Le grain des mots<br />
Association pour la promotion de l'écrit<br />
1 1
Illustration : www.artistiquement-da.skyrock.com<br />
2 2<br />
LE CHAPITEAU<br />
IMAGINAIRE<br />
Concours littéraire 2010<br />
Soirée de remise des prix<br />
Par :<br />
La Compagnie Les Kaliamuses<br />
Mise en lecture :<br />
Nathalie Dubey<br />
Lecture :<br />
Nathalie Kuttel<br />
Anouk Scipioni-Mettaz<br />
Emmanuel Pouilly<br />
Sebastien Ribaux<br />
Paysage sonore :<br />
Lisa Bertholdi<br />
Les lauréats du concours n’étant connus que lors<br />
de la soirée de remise des prix, les comédiens se<br />
trouvent dans l’obligation de travailler les textes<br />
primés selon leur propre sensibilité : ce qu’ils<br />
proposent est donc une interprétation possible<br />
de l’intention des auteur-e-s.
Avant-propos<br />
Par Naël Lafer, présidente du jury<br />
Nombreux sont les écrivains à s’être<br />
intéressés aux gens du cirque : Honoré de<br />
Balzac, à une écuyère, Charles Ferdinand Ramuz<br />
ou Gustave Flaubert, à une funambule, Henry<br />
Miller, à un clown, Vicki Baum ou John Irving,<br />
aux nains…<br />
Alors, après un printemps carougeois<br />
consacré au cirque, quoi de plus naturel pour<br />
la 13 ème édition du concours littéraire de la<br />
Bibliothèque de <strong>Carouge</strong>, que de choisir ce<br />
thème ? Et l’appel a été entendu puisque cent<br />
dix participants, âgés de 10 à 81 ans, ont répondu<br />
à l’invitation ! Et le jury a donc découvert autant<br />
de textes riches en rebondissements, paillettes<br />
et chutes sans filet ! Circassiens d’un jour, les<br />
auteurs ont fait la part belle au rêve et aux<br />
émotions, en nous offrant des personnages<br />
tous plus attachants les uns que les autres :<br />
enfants de la balle, animaux parfois surprenants,<br />
travailleurs de l’ombre, un fil et même des<br />
chapeaux... A chacun son cirque !<br />
La présente publication réunit les neuf textes<br />
primés. Les choisir n’a pas été simple : il a bien<br />
3 3<br />
sûr été tenu compte de la qualité littéraire ainsi<br />
que de l’originalité de tous les textes reçus.<br />
Mais, en fonction de leurs sensibilités, les jurés<br />
ont également défendu leurs coups de cœur !<br />
Bonne lecture à toutes et à tous…
Les lauréats<br />
Catégorie A<br />
(de 10 à 14 ans, né-e entre 1996 et 2000)<br />
Premier prix : Christine Rochat<br />
Un tour peut en cacher un autre<br />
Deuxième prix : Garance Sallin<br />
Entre deux mondes<br />
Troisième prix : Loïc Parel<br />
Un sacré numéro<br />
Catégorie B<br />
(de 15 à 20 ans, né-e entre 1990 et 1995)<br />
Premier prix : Fanny Lalot<br />
De l’autre côté du rideau<br />
Deuxième prix : Caroline Lambert<br />
Sous le masque<br />
Troisième prix : Morgane Jaquier<br />
Le rêve de Maël<br />
Catégorie C<br />
(21 ans et plus, né-e entre 1989 ou avant)<br />
Premier prix : Anne Giddey<br />
Danseuse de corde<br />
Deuxième prix : Sophie Sallin<br />
Zora ou les lames de l’oubli<br />
Troisième prix : Fabienne Cattin<br />
Le fil<br />
4 4<br />
Le jury<br />
Naël Lafer, présidente<br />
Sylvia Ricci Lempen, écrivaine<br />
Marius Daniel Popescu, écrivain<br />
Odette Mudry, journaliste<br />
Emmanuel Gehrig, journaliste<br />
Michel Luisier, enseignant
Christine Rochat<br />
Un tour peut en cacher un autre<br />
Premier prix catégorie A (de 10 à 14 ans)<br />
Le public applaudit ; les éléphants venaient<br />
de terminer leur numéro.<br />
Je piétinai rageusement la paille. J’avais<br />
toujours rêvé d’être la vedette du cirque et me<br />
voilà exclue du spectacle ! Très vite, j’entendis<br />
l’orchestre se remettre à jouer pour le tour<br />
suivant. Guidés par les garçons de piste, mes<br />
camarades sortirent des coulisses au petit trot et<br />
regagnèrent l’enclos, suivis par notre soigneuse.<br />
Cette dernière s’approcha de moi : « Alors ma<br />
jolie, tu ne t’es pas trop ennuyée ? » dit-elle en<br />
s’appuyant contre ma trompe.<br />
Elle me tendit un gros morceau de pain<br />
sec. « Choupette, poursuivit-elle, le magicien<br />
a décidé de présenter un nouveau numéro<br />
incroyable, car les spectateurs sont lassés des<br />
lapins qui apparaissent ou des tours de cartes.<br />
Il lui est venu une idée franchement géniale :<br />
faire disparaître un éléphant. Et ce sera toi ! »<br />
Je n’étais pas sûre d’avoir bien compris et<br />
j’eus beaucoup de peine à dormir cette nuit-là.<br />
Je me voyais déjà dans la lumière au centre de la<br />
piste, j’entendais le roulement du tambour et la<br />
voix du directeur qui annonçait solennellement<br />
mon nom ! Pourvu que ce ne soit pas qu’un<br />
rêve…<br />
Le lendemain matin, heureusement, le<br />
magicien vint me chercher et m’emmena sous<br />
5 5<br />
le chapiteau pour une répétition. Il me plaça au<br />
centre et murmura un sort en me désignant de<br />
sa baguette magique. Soudain, j’eus l’impression<br />
d’être emportée dans un tourbillon. Quelques<br />
instants plus tard je me retrouvai dans un étroit<br />
enclos de planches à l’arrière du cirque. La tête<br />
me tournait. Ma soigneuse, assise sur la barrière,<br />
s’écria : « Oh ! Ça a marché ! » Je compris<br />
rapidement qu’en réalité, je ne devais pas<br />
disparaître, mais seulement me faire expédier<br />
dans le petit enclos. L’illusion était vraiment<br />
extraordinaire !<br />
Le magicien s’entraîna plusieurs jours de<br />
suite et nous fûmes bientôt prêts pour notre<br />
première apparition en public. Lorsque je<br />
franchis le rideau de velours rouge, j’étais<br />
légèrement stressée. Je regardai la baguette<br />
magique pointée sur mon front tandis que les<br />
spectateurs retenaient leur souffle. Une sorte<br />
de secouement m’envahit et j’entendis la foule<br />
applaudir avec enthousiasme. Pourtant, je<br />
n’avais pas disparu, je me trouvais toujours dans<br />
le rond de lumière ! Le magicien salua et recula<br />
vers la sortie. Je ne comprenais pas : le tour avait<br />
raté, mais personne ne semblait s’en apercevoir !<br />
Ne sachant comment réagir, je suivis le magicien.<br />
Dans les coulisses, personne ne s’occupa de moi.<br />
Complètement stupéfaite, je m’approchai de<br />
notre enclos. Près de la porte, le clown ajustait<br />
sa perruque orange, attendant d’entrer en<br />
scène, mais il ne me prêta aucune attention. J’en<br />
profitai pour aller grignoter les feuilles tendres<br />
d’un arbre, non loin de là. Au bout d’une heure,
le spectacle ayant pris fin, je vis les garçons de<br />
piste courir entre les caravanes en criant mon<br />
nom. Je décidai de poursuivre ma promenade et<br />
je ne m’approchai pas.<br />
Dans la soirée, j’entendis enfin la voix<br />
inquiète de ma soigneuse : « Choupette, ma<br />
jolie, où es-tu ? » Je me précipitai vers elle et<br />
posai ma trompe sur son épaule. Elle sursauta,<br />
resta immobile quelques secondes, puis se mit à<br />
tâter mes oreilles, ma trompe et mon ventre en<br />
marmonnant bizarrement.<br />
Que faisait-elle ? Elle appela le directeur :<br />
« Monsieur, j’ai retrouvé la petite éléphante ! »<br />
Que voulait-elle dire ? Je ne m’étais pas enfuie.<br />
Une semaine plus tard, j’étais devenue la star<br />
du cirque. Je marchais en rond dans la sciure,<br />
tandis qu’un acrobate exécutait des sauts et des<br />
pirouettes sur mon dos. Le directeur hurlait :<br />
« Regardez Mesdames, Messieurs ! Cet homme<br />
danse dans le vide ! » Et moi j’étais fière, car le<br />
public applaudissait comme jamais !<br />
6 6<br />
Garance Sallin<br />
Entre deux mondes<br />
Deuxième prix catégorie A (de 10 à 14 ans)<br />
Le spectacle commence.<br />
J’entends résonner les cuivres de l’orchestre.<br />
Jusque-là, je suis serein. Mais c’est de courte<br />
durée. Juste après l’ouverture instrumentale,<br />
je perçois les applaudissements du public.<br />
Je risque un œil vers les gradins… Et ça ne va<br />
plus. Mon cœur s’accélère, une sueur froide me<br />
parcourt l’échine, je peine à respirer. Ces gens…<br />
je ne les connais pas, ils n’ont pas l’air méchant,<br />
et pourtant : ils m’inquiètent, ils m’oppressent.<br />
Ils n’y peuvent rien. Moi non plus.<br />
Cette maudite phobie de la foule. Depuis que<br />
je suis gosse. Ça me tue. Et travailler dans un<br />
cirque n’arrange rien.<br />
Aujourd’hui, c’est la dernière dans cette ville.<br />
Et j’ai peur. Peur de tout… ou de rien. Comme<br />
d’habitude.<br />
Funambule… pour quelqu’un qui a le<br />
vertige… je suis une personne étrange, en fait.<br />
Assez étrange en tout cas pour bosser sous<br />
un chapiteau en ayant le vertige, la peur de la<br />
foule et celle des clowns. Les animaux aussi…<br />
tous ces fauves… ils me font froid dans le dos.<br />
Comment Edouard fait-il pour les dompter ? Les<br />
dominer, les… surmonter ? Edouard, mon ami…<br />
il se montre très compréhensif vis-à-vis de mes<br />
peurs… c’est bien le seul.<br />
Le spectacle défile.
C’est bientôt à mon tour. Le directeur,<br />
pour la dernière, m’a demandé l’impossible,<br />
en somme. Il souhaite que j’offre au public un<br />
spectacle mémorable : marcher sur le fil sans<br />
aucun balancier. C’est comme me demander<br />
la lune. Quoique à la hauteur à laquelle je me<br />
trouverai, la lune me paraîtra bien proche.<br />
Je vois Stella, la belle écuyère, revenir en<br />
coulisses, accompagnée de ses chevaux. Entrent<br />
en scène les frères Zampano, l’un jongleur,<br />
l’autre avaleur de sabres. Après eux, il y aura<br />
Lin, la contorsionniste, et enfin… moi. Moi, le<br />
funambule. Moi, le peureux. Moi, le discret de la<br />
troupe.<br />
Le temps passe. Et j’entends Monsieur Loyal<br />
annoncer mon arrivée. Expliquer au public<br />
« l’époustouflant numéro qu’Antoine le<br />
funambule va leur présenter »… Ils risquent<br />
d’être déçus. Très déçus.<br />
Applaudissements. Battements de cœur.<br />
Il cogne contre ma poitrine. Il va s’enfuir. Et je<br />
le suivrai hors du chapiteau. Je déglutis avec<br />
difficulté. J’entre sur scène, par les gradins.<br />
Quand j’étais gosse, je détestais quand les<br />
clowns entraient derrière nous. Ça me faisait<br />
peur. Et maintenant j’avais peur d’entrer<br />
moi-même par là. Une échelle. Je la fixe du<br />
regard. « Oublie le reste. » Si je vois la foule de<br />
spectateurs, c’est fini. Je pose mes mains sur<br />
un barreau de l’échelle. C’est froid… comme la<br />
mort. Comme la chute terrible qui m’attend<br />
si je fais le moindre faux pas. Aucune erreur n’est<br />
plus permise. Le public aussi est froid. Dans son<br />
silence. Un silence pourtant agréable. Qui me fait<br />
7 7<br />
oublier sa présence. Comme voulu. Je continue à<br />
monter. Plus haut… toujours plus loin du sol. Je<br />
ne sais pas quel endroit est le plus confortable.<br />
Le sol est si angoissant… si oppressant… Mais<br />
en haut, tout est si instable. Rien n’est sûr. Nulle<br />
part. Je tremble. Voilà le rebord sur lequel je dois<br />
poser mon pied… juste avant le fil. Le dernier<br />
endroit stable. Sans savoir comment, je parviens<br />
à me hisser dessus. Je regarde sans le vouloir en<br />
bas. Je vacille. Mais j’y vais. Je pose un pied sur<br />
le fil. J’étends mes bras. Le deuxième pied.<br />
Tout change.<br />
Je ne vois plus le public. Il n’existe plus. Ce<br />
n’est pas si haut. La lune est si proche. Me voilà,<br />
suspendu dans cette brume, si belle. Au-dessus<br />
du monde. Au-dessus de mes peurs. Mais ce fil…<br />
il est si long. Rester dessus ne sert à rien. Il faut<br />
avancer. Ne pas les décevoir. Même si descendre<br />
d’ici me replongera dans ce monde hostile,<br />
effrayant. Je dois y aller. Et, une fois de l’autre<br />
côté, dire adieu à « l’entre-deux-mondes ».
Loïc Parel<br />
Un sacré numéro<br />
Troisième prix catégorie A (de 10 à 14 ans)<br />
Il y a quelques années, mon père me<br />
proposa d’aller à un nouveau cirque qui venait<br />
de s’installer à Genève. Moi qui adorais ça lui dis<br />
tout de suite oui. Nous décidâmes d’y aller le<br />
vendredi 14 mars.<br />
Deux semaines plus tard, mon père vint<br />
me chercher à l’école pour aller au cirque.<br />
En arrivant à la caisse, je trouvai que l’homme<br />
qui me tendait mes billets d’entrée avait un très<br />
bon déguisement de chèvre et cela m’amusait.<br />
Mon père et moi prîmes nos billets et nous<br />
marchâmes dans un couloir pour atteindre le<br />
chapiteau. Je sortis mon billet pour que l’homme<br />
à l’entrée me dise ma place et je me dis :<br />
« C’est une manie dans ce cirque ? Avant,<br />
un homme déguisé en chèvre me donne mon<br />
billet et maintenant c’est un homme déguisé<br />
en girafe qui me dit l’emplacement de ma place.<br />
Ces hommes déguisés en animaux ont de très<br />
bons costumes. »<br />
Mon père et moi nous assîmes à nos places<br />
et je vis le chef d’orchestre déguisé en otarie, les<br />
deux saxophonistes en éléphants, la violoniste<br />
en babouin, le batteur en chien et les deux<br />
trompettistes en zèbres. L’orchestre se mit<br />
à jouer et un homme déguisé en lièvre pris la<br />
parole. Celui-ci dit :<br />
« Je vous souhaite la bienvenue dans ce tout<br />
nouveau cirque et j’espère que cela va vous<br />
plaire. Les Chinoises et leurs quilles. »<br />
Je me dis que ce spectacle allait me plaire<br />
car il y a des Chinoises dans tous les cirques.<br />
Elles arrivèrent en rampant sur le sol et elles<br />
mirent chacune une quille sur leur nez. Elles se<br />
mirent à les faire sauter sur leur nez. Cela me<br />
faisait penser à des otaries. Je commençai à me<br />
poser des questions sur ce cirque.<br />
Lorsque le numéro suivant commença, mes<br />
soupçons furent fondés car un cheval arriva<br />
avec un costume et une cravache. Derrière lui<br />
arrivèrent sept hommes qui se mirent à courir<br />
en rond et le cheval était au milieu pendant qu’il<br />
criait sur ces sept hommes qui ressemblaient<br />
plutôt à des chevaux. Je dis à mon père :<br />
« Ce cirque commence à m’inquiéter. »<br />
J’étais content car après il y avait des<br />
magiciens et j’adore ça. Un lapin entra avec une<br />
lapine. Avec eux il y avait un homme qui se tenait<br />
à quatre pattes et entra dans une caisse. Il laissa<br />
juste sortir sa tête et je me dis que ça devait être<br />
le fameux numéro où ils font croire qu’il scie la<br />
tête de l’homme. Le lapin demanda à sa lapine<br />
de lui donner la scie. Il la prit et se mit à lui scier<br />
la tête. Après une minute, la tête tomba à terre<br />
sans vie et mon père qui comprit que l’homme<br />
était mort me mit sa main devant les yeux.<br />
Nous nous levâmes et partîmes mais les portes<br />
étaient fermées. Nous vîmes un tigre et nous lui<br />
dîmes de nous ouvrir les portes. Il nous dit qu’il<br />
fallait attendre la fin du spectacle. Nous nous<br />
rassîmes et attendîmes avec impatience la fin.<br />
Ensuite, des femmes mirent des grillages et un<br />
homme se mit à rugir. Une tortue prit un cerceau<br />
8 8
et l’homme sauta dedans à plusieurs reprises.<br />
La tortue mit sa tête dans la gueule de l’homme<br />
et il la referma. Je trouvai ce spectacle horrible<br />
mais j’eus la bonne surprise de comprendre que<br />
la tortue avait rentré sa tête dans sa carapace<br />
avant que l’homme ne referme sa gueule.<br />
Ce cirque commençait à me taper sur le<br />
système nerveux. Un cochon arriva vers moi et<br />
il me proposa des chips mais j’étais tellement<br />
énervé que je pris la sauce piquante que je lui<br />
versai dessus avec ces chips. Une acrobate qui<br />
ressemblait fortement à une poule se mit à se<br />
balancer sur sa balançoire et à larguer ses œufs<br />
sur le public. Un coq monta sur la balançoire<br />
et je le trouvais laid comme un pou. Lorsque la<br />
balançoire atteignait le haut du chapiteau, le coq<br />
s’envolait. Un kangourou se mit à sauter dans<br />
tous les sens en iodlant et j’adorai ça. Le numéro<br />
se termina et nous partîmes. Nous étions très<br />
contents de nous en aller.<br />
9 9<br />
Fanny Lalot<br />
De l’autre côté du rideau<br />
Premier prix catégorie B (de 15 à 20 ans)<br />
La brise du soir joue avec les rideaux rouges.<br />
Des clameurs filtrent de l’enceinte. Les yeux<br />
clos, au pied du chapiteau, je les laisse venir en<br />
flots. Rires aigus des enfants, cris d’admiration,<br />
applaudissements se mêlent aux sons de la<br />
fanfare. Les cuivres tonnent dans ma tête, les<br />
tambours battent jusque dans ma poitrine.<br />
Je garde les yeux fermés et je me concentre.<br />
Ce sera bientôt mon tour d’entrer sur scène.<br />
Je me représente la piste, j’entends presque<br />
le sable crisser sous mes pas. J’inspire<br />
profondément ; après toutes ces années, malgré<br />
des centaines de répétitions, je ressens toujours<br />
cette nervosité teintée d’excitation. Je sais<br />
qu’elle disparaîtra à l’instant où je pénétrerai<br />
sous le chapiteau. Mais pour l’instant, je patiente<br />
à l’extérieur.<br />
D’autres artistes s’agitent autour de moi.<br />
Deux clowns dans des habits grotesques<br />
vérifient leur matériel – tarte à la crème, seau<br />
d’eau, quilles à jongler. Depuis combien d’années<br />
présentent-ils leur numéro, toujours exactement<br />
le même ? Y songer me donne la migraine.<br />
Les paupières mi-closes, j’observe en coin la<br />
jeune équilibriste qui répète ses pas à quelques<br />
mètres de moi. Elle est à croquer dans son<br />
costume à paillettes, avec des joues très roses et<br />
de grands yeux marron. Elle voit que je l’observe<br />
et m’adresse un sourire gêné avant de détourner
le regard. Peu de gens me regardent encore<br />
dans les yeux. Marque de déférence imposée<br />
par mon âge ? Gêne due à ma réputation de<br />
bougon irascible ? Sûrement un peu des deux. Je<br />
suis une référence dans ce cirque, je ne compte<br />
pas les tours du globe que j’ai faits dans les<br />
caravanes bariolées, les haltes dans les villes les<br />
plus diverses ; et chaque soir, la même ambiance<br />
bouillonnante. Les cris d’enthousiasme, les<br />
souffles suspendus, les bravos de la foule sont<br />
mon quotidien depuis bien des soirées.<br />
Ma notoriété s’est construite sur mon aura,<br />
sans paillettes ni costume brillant. Juste la<br />
qualité de ma prestation, teintée de grâce, de<br />
puissance, de majesté. Le public sait à quoi s’en<br />
tenir d’ailleurs, il reconnaît mon talent, le saluant<br />
chaque soir d’une nouvelle ovation. Mais voilà<br />
que je m’emballe… Concentrons-nous.<br />
Le duo de clowns vient d’entrer sur scène.<br />
L’équilibriste finit de s’échauffer, elle fait<br />
nerveusement craquer ses articulations. Encore<br />
elle, puis viendra mon tour, mon show, celui<br />
que le cirque entier attend : le remarquable, le<br />
somptueux, l’inoubliable numéro de dressage.<br />
J’inspire à fond. La nuit tombe doucement ;<br />
le long des rues s’illuminent les lampadaires.<br />
La quiétude de cette soirée d’été tranche avec<br />
l’effervescence qui règne sous la tente. Quelques<br />
badauds restés hors de l’enceinte s’approchent<br />
des barrières, dans l’espoir d’admirer quelque<br />
artiste ou quelque animal. Une petite fille me<br />
pointe du doigt. Je détourne le regard et prends<br />
un air absorbé. L’air a fraîchi et j’en profite.<br />
Sous la tente, la chaleur est étouffante et le<br />
sable pique les yeux.<br />
J’imagine mon entrée sur scène. Roulements<br />
de tambours. Le rideau rouge bordé d’or<br />
s’écarte. Il y a d’abord un silence impressionné<br />
– les fauves imposent le respect. Les enfants<br />
ont les yeux ronds et la bouche ouverte. C’est<br />
comme si leur livre d’image prenait vie devant<br />
eux. Et puis je m’élance. Le numéro est rôdé,<br />
chacun connaît son rôle. Le fouet claque pour<br />
le spectacle, mais sans aucune nécessité. Des<br />
rugissements ponctuent le numéro, ça fait<br />
partie du jeu ! Il faut bien que l’exercice ait l’air<br />
périlleux, il faut bien que la foule vibre. Des<br />
fauves trop calmes, et c’est tout le numéro qui<br />
perd son piment. Alors j’en rajoute et le fouet<br />
claque plus fort, les rugissements redoublent.<br />
Des frissons parcourent les spectateurs. Je<br />
termine en beauté par l’instant crucial : le saut<br />
dans le cerceau enflammé. C’est un classique,<br />
mais les gens ne demandent que ça. Je lis<br />
l’admiration sur les visages. Un dernier coup<br />
de fouet ; ils se lèvent, ils applaudissent. Les<br />
enfants crient de joie. Encore un tour de piste, et<br />
je quitte les feux de la rampe. Rideau ! Je ne vis<br />
que pour ça : ces quelques minutes où le public<br />
admire mon travail et m’acclame. Je suis un<br />
artiste, et comme ceux de mon espèce, ma vraie<br />
place est dans l’arène.<br />
Pour l’instant, le numéro comique est<br />
achevé. Sous les applaudissements et les<br />
rires, les deux larrons quittent la scène et<br />
10 10
eplongent dans le couloir obscur qui les ramène<br />
à l’anonymat. Ma jeune préférée prend, elle,<br />
le chemin des étoiles. La musique change,<br />
l’orchestre entame un air calme. Je sais que sous<br />
le chapiteau, les lumières sont tamisées. Il n’y a<br />
plus qu’une poursuite braquée sur l’équilibriste.<br />
Je me lève et m’étire une dernière fois. Je<br />
vais prendre ma place dans le couloir. Par le<br />
rideau entrebâillé, j’aperçois furtivement des<br />
visages, je vois l’ombre que projette sur le sable<br />
la jeune trapéziste. Je perçois la tension dans le<br />
public ; ils craignent toujours un peu pour elle,<br />
même s’ils savent que sa sécurité est assurée,<br />
même s’ils voient les filets. C’est toute la magie<br />
du cirque ; c’est ce qui fait qu’après toutes ces<br />
années j’éprouve la même excitation en entrant<br />
sur scène. Le public est là pour y croire, il est là<br />
pour rêver. Pour la même raison, quand ce sera<br />
mon tour, ils frémiront. Ils aimeront se faire<br />
peur. Les fauves sont là pour ça.<br />
L’éclairage se fait plus franc. Doucement,<br />
la jeune fille redescend au sol. Les<br />
applaudissements crépitent. Je frissonne et<br />
je souris. Je suis prêt. Les garçons s’activent.<br />
Ils balayent les paillettes mêlées au sable, ils<br />
placent les grilles de protection entre l’arène<br />
et le public. Les tambours grondent. J’avance à<br />
pas comptés et franchis le rideau. Mon pelage<br />
resplendit sous les projecteurs. Je secoue ma<br />
crinière et pousse un rugissement puissant qui<br />
emplit le chapiteau.<br />
Que le spectacle commence !<br />
11 11<br />
Caroline Lambert<br />
Sous le masque<br />
Deuxième prix catégorie B (de 15 à 20 ans)<br />
Sombre lueur, sous la toile où la magie<br />
règne le temps d’une soirée. Sabots frôlant<br />
le sol rouge sanglant pour rejoindre l’espace<br />
verdoyant, sous le ciel ténébreux et parfumé<br />
de ce début d’été. La magie des lumières danse<br />
sous le chapiteau, révélant l’espace d’un temps,<br />
les visages voilés de l’auditoire.<br />
La pression et surtout la passion sont<br />
nourries sous cette scène à la coupole d’étoiles,<br />
chacun ayant un but : celui de faire durer le rêve.<br />
Un enfant rentre, s’avance, le visage dans<br />
l’ombre de la nuit. Une face blanche, une autre<br />
de bois : un masque. Scotchée, l’assemblée est<br />
baignée dans un silence sans failles. Impatiente,<br />
elle attend. Les pieds de l’enfant frôlent le sol,<br />
dégageant un nuage de poussière, illuminé<br />
et satiné par les projecteurs. Son visage est<br />
alors plongé soudainement sous les lampes,<br />
l’effrayant, dévoilant ainsi sa peur aux autres,<br />
mais il ne peut se permettre de briser la magie<br />
de la scène, alors il ferme les yeux, s’immerge<br />
dans un monde, où lui seul existe.<br />
En position, il exécute les mouvements qu’il<br />
a répétés durant des heures. Il s’enroule dans<br />
des lianes de soie suspendues en haut du<br />
chapiteau. Ses yeux bleus se perdent dans<br />
l’immensité du plafond, il sourit et redescend<br />
pour remonter en périlleux se hissant encore<br />
plus haut. Maîtrise et grâce se dégagent de
sa petite personne. Le public suit du regard<br />
ses mouvements sans lâcher une miette du<br />
spectacle qui leur est offert. Les mouvements<br />
s’enchaînent. Une lune dorée descend du haut<br />
de la voûte, une musique berce la composition<br />
artistique que réalise Gabriel, l’enfant de la<br />
troupe, nommé petit ange, par les plus grands<br />
chroniqueurs.<br />
Sans reprendre son souffle, les cheveux<br />
ambrés, recouverts par des gouttes translucides,<br />
il s’élève vers le haut et se laisse pendre sans<br />
sécurité, uniquement par la force des ses<br />
jambes, coupant la respiration de tous, arrachant<br />
des cris d’effrois aux mères.<br />
Son sourire est figé dans l’espace du temps.<br />
Doux instant de liberté. Le rêve transparaît de<br />
tout son être.<br />
Un tonnerre d’applaudissements résonne<br />
dans l’auditoire, mettant ainsi un terme au<br />
spectacle. Les comédiens rentrent à nouveau<br />
tous ensemble sur scène et saluent leur public<br />
avant que les lumières ne se fondent dans le<br />
noir.<br />
Minuit, le dernier coup de cloche s’évanouit<br />
dans le village. Installé sur une chaise, Gabriel<br />
laisse sa plume glisser le long de sa feuille. Une<br />
ombre noire, effrayante, se tient derrière son<br />
dos. Son père.<br />
Tremblant le garçon tente de cacher ses<br />
précieuses notes, avant que son père ivrogne ne<br />
s’en accapare.<br />
Dix ans, qu’il boit pour oublier la mort de sa<br />
femme et la naissance de ce rejeton, comme il a<br />
coutume de l’annoncer aux autres. Il n’est pas<br />
son fils, il est son gagne-pain et cela, Gabriel l’a<br />
bien compris.<br />
Lui, travaille sur la piste, nettoie les restes<br />
de crottins, de sable et d’urine. Son fils est sous<br />
les projecteurs, lui à son inverse, n’est jamais<br />
reconnu pour son dur labeur.<br />
Il saisit sa bouteille, avale une lampée<br />
qui lui brûle la gorge, mais c’est son unique<br />
remède pour oublier et avancer. Les genoux qui<br />
claquent, les mains fébriles, Gabriel n’a qu’une<br />
envie : s’enfuir, mais il reste, attend comme à<br />
chaque fois le coup que lui portera son père<br />
pour une raison dont il n’a pas connaissance. Il<br />
sait que lorsque la dernière goutte sera épuisée,<br />
son humeur ne sera plus aussi clémente. Mais<br />
pour continuer d’ignorer la douleur, il espère<br />
que demain sera un jour meilleur.<br />
– Pourquoi tu souris bêtement ? Tu veux<br />
encore que je te frappe !<br />
– « Je rêvais, je ne souriais pas ! » son unique<br />
moyen d’échapper à la réalité. Puisé dans son<br />
imagination pour créer son univers, ne plus voir<br />
l’horreur qui chaque soir le frappe.<br />
L’état misérable de son père lui inspire la<br />
pitié, son pull recouvert de taches de graisse,<br />
son pantalon troué et ses chaussures usées par<br />
le travail. Plus aucune lueur d’espoir ne flotte<br />
dans ses yeux gris. Seul le visage de la tristesse<br />
ne le quitte pas, c’est pour cela qu’il ne peut pas<br />
l’abandonner, il sait qu’au fond, il a besoin de lui,<br />
qu’il l’aime sans doute quelque part, dans une<br />
infime partie de son cœur.<br />
Fatigué, son père finit par abdiquer. Gabriel<br />
s’écroule à terre, l’œil bouffi, le dos en feu, le nez<br />
12 12
sanglant, la bouche entrouverte, laissant couler<br />
un filet d’écume et les yeux humides qui versent<br />
encore une dernière larme sur le sol de bois.<br />
Ce n’est qu’un mauvais moment, se chuchote-t-il<br />
à lui-même, un très mauvais moment.<br />
Difficilement, il se relève, quittant la roulotte<br />
pour se réfugier, là, où personne ne viendra le<br />
chercher, près du ruisseau, là où il peut écrire<br />
en toute sécurité.<br />
La nuit est froide, grelottant, il hésite à<br />
retourner à l’intérieur, un dernier regard en<br />
arrière et il conclut qu’il vaut mieux avancer.<br />
Effrayé, il se tient aux aguets, le moindre<br />
bruit provoque un léger sursaut, une infime<br />
décharge sur son cœur, sa respiration se fige,<br />
ses muscles se tendent, avant de repartir<br />
d’emblée, lorsque le bruit est identifié.<br />
Sur sa feuille, ses premières lettres sont<br />
fébriles, illisibles. Alors il s’efforce de faire au<br />
mieux, car il sait que la première phrase est<br />
déterminante.<br />
Sous un masque on peut cacher les vérités<br />
les plus atroces, mais sous une plume, on dévoile<br />
le fond de son âme. Ainsi, on peut fuir notre<br />
quotidien, laissant les mots s’inscrire et former la<br />
douleur qu’on ne sait exprimer. Par l’imaginaire,<br />
on quitte le monde qui nous fait tant horreur,<br />
pour en créer un meilleur.<br />
L’imaginaire se crée n’importe où, il suffit juste<br />
de le faire exister et d’y croire.<br />
13 13<br />
Morgane Jaquier<br />
Le rêve de Maël<br />
Troisième prix catégorie B (de 15 à 20 ans)<br />
Le rêve de Maël, c’est de travailler dans un<br />
cirque. Dans le chapiteau qui se dresse fièrement<br />
dans le parc juste en face de chez lui.<br />
Maël rêve, lorsqu’il est dans sa chambre.<br />
Il veut devenir illusionniste. Depuis la fenêtre<br />
de sa chambre, il observe, écoute les gens qui<br />
entrent dans le cirque. Mais ce qu’il attend avec<br />
impatience, c’est la sortie de la petite trapéziste.<br />
Un jour que Maël se promenait autour de<br />
chez lui, il l’avait aperçue. Elle avait de longs<br />
cheveux bruns attachés en une tresse qui<br />
tombait magnifiquement le long de sa nuque,<br />
et un regard pétillant, sûr d’elle. Bien sûr,<br />
il n’avait pas osé lui parler. Il préférait nettement<br />
la regarder voltiger sur la piste. Ses mouvements<br />
nets et précis l’hypnotisaient totalement.<br />
Maël ferme les yeux. En l’espace d’un<br />
instant, il se retrouve sous la grosse tente jaune.<br />
Et il participe activement. Vêtu d’un ample habit<br />
vert émeraude brodé de paillettes, il attend<br />
d’entrer sur scène.<br />
D’un seul coup, il se retrouve sous le feu des<br />
projecteurs. Tous les regards sont braqués sur<br />
lui. Le public retient son souffle, avide de chaque<br />
geste, prêt à plonger dans l’univers de cet<br />
illusionniste, si habile de ses mains.<br />
Maël cumule les tours de passe-passe.<br />
Il virevolte, lévite, fait glisser une boule de cristal<br />
le long de ses doigts. Ses gestes sont tellement
apides que le globe semble flotter dans les<br />
airs. Les spectateurs sont médusés, et notre<br />
illusionniste pétille.<br />
La petite trapéziste pointe son regard vers<br />
lui. Il la voit, cachée derrière le rideau, le sourire<br />
aux lèvres. Sa poitrine se gonfle de fierté et<br />
il s’élance près des torches qu’il enflamme<br />
d’un rapide claquement de doigts. D’un signe<br />
de la main, Maël lui demande de venir sur<br />
scène. Étonnée, la jeune fille s’élance, d’abord<br />
timidement, puis dignement.<br />
Notre illusionniste la place au centre du<br />
cercle qu’il a prit soin de tracer sur le sol, puis<br />
il l’entoure de ses bras et jongle avec ses torches<br />
enflammées.<br />
La jeune fille, émerveillée, entreprend un<br />
petit pas de danse. Elle semble animée par<br />
le feu qui l’entoure, protégée par une pluie<br />
d’étincelles.<br />
Elle semble heureuse, tout comme lui. Alors<br />
il décide de lui parler, de lui demander son<br />
prénom. Lorsqu’elle lui répond, celui-ci résonne<br />
dans l’esprit de Maël. Aux douces consonances<br />
mielleuses, il le laisse délicatement fondre sur<br />
sa langue : Maïwenn. Et lorsqu’elle se penche<br />
vers lui, un effluve de cannelle et d’orange s’abat<br />
sur lui.<br />
Tout à coup, le public se lève dans un<br />
brouhaha et fait une ovation à l’illusionniste et<br />
à la petite trapéziste.<br />
Le jeune homme le salue et s’échappe dans<br />
les coulisses, suivi par Maïwenn. Celle-ci lui prend<br />
le bras et commence à lui parler. Mais Maël ne<br />
l’entend déjà plus. L’image se brouille, il ouvre<br />
les yeux et…se retrouve à nouveau face à sa<br />
fenêtre aux bordures blanches.<br />
La rêverie est terminée.<br />
Pourtant, il donnerait n’importe quoi pour sortir<br />
de sa chambre, juste une dernière fois.<br />
Mais Maël est malade, il ne peut pas quitter<br />
l’endroit clos où il se trouve, et aujourd’hui c’est<br />
sa dernière journée.<br />
La fatigue commence déjà à l’emporter.<br />
Il lutte contre le sommeil puis doucement, tout<br />
doucement, ses paupières se ferment, et<br />
il s’évade dans l’univers du chapiteau<br />
imaginaire…<br />
14 14
Anne Giddey<br />
Danseuse de corde<br />
Premier prix catégorie C (21 ans et plus)<br />
Je file dans le noir. J’avance comme un<br />
animal qui s’accroche aux odeurs. Je les connais<br />
toutes, par cœur. Odeur de sciure, mêlée à<br />
la sueur des chevaux. Odeur de graisse.<br />
L’armature métallique crisse un peu sous mon<br />
poids. Je laisse derrière moi le souffle rude des<br />
chevaux. Ils piaffent derrière le rideau rouge,<br />
impatients. Un courant d’air m’enlace, la piste<br />
s’ouvre sous mes pieds.<br />
Attention Mesdames et Messieurs…<br />
Pas de temps à perdre. La bulle de lumière<br />
va bientôt quitter le sol pour venir me cueillir<br />
là-haut, tout là-haut.<br />
Attention Mesdames et Messieurs, l’artiste<br />
qui va se produire devant vous travaille sans filet.<br />
La bulle de lumière me happe. J’émerge<br />
devant le public, ruisselante de lumière après<br />
une longue traversée dans le noir. Je sens tous<br />
les regards monter vers moi comme une vague.<br />
Je suis belle, c’est là que je suis belle. Quand<br />
je suis tout là-haut sur le fil, entre ciel et abîme.<br />
Un pas en avant, juste un. Funambule,<br />
danseuse de corde, je suis une chercheuse<br />
15 15<br />
d’équilibre. C’est une danse sans fin, car<br />
l’équilibre n’est qu’un instantané, un état<br />
transitoire. Il n’a aucune permanence. Il est là,<br />
mais l’instant d’après… Les gens du dehors<br />
croient qu’il faut trouver l’équilibre. Comme si<br />
on pouvait tendre à l’équilibre, s’y installer et<br />
y rester à jamais. Mais la vie, c’est comme<br />
marcher sur un fil. On avance toujours d’un<br />
déséquilibre à un autre.<br />
Les regards me palpent, me sculptent à<br />
leur bon vouloir. Ils font de moi une fée, une<br />
folle ? Chaque pas est un saut de l’ange, sans<br />
parachute. Je suis comme un cerf-volant, un<br />
jouet d’enfant. Je m’éloigne de la falaise des<br />
fous. L’adrénaline me vide la tête, m’arrête la<br />
pensée le temps de la photo. Là-haut, tout<br />
là-haut, le cœur gonflé comme une voile au vent.<br />
Déjà les chevaux s’emparent de la bulle de<br />
lumière. Je regagne la terre, le souffle court,<br />
le maquillage en poussière. Le cirque est<br />
poussière. Poussière d’étoile dans les yeux d’un<br />
enfant. Poussière de la route, qui s’immisce<br />
partout, qui imprègne tout. Elle nous colle aux<br />
basques, à l’âme. C’est la poussière du grand<br />
large, l’ivresse de la liberté. Mais aussi<br />
la poussière de l’étranger. Celui qui arrive<br />
quelque part sans y être invité. Celui qui vient<br />
de nulle part, l’être bizarre. Toutes les formes<br />
humaines hantent le cirque, se marient dans<br />
le cercle de la piste. Le cirque est à la fois ma<br />
famille et mon pays. Je viens du cirque, je vais
au cirque. C’est un pays itinérant, qui se fout des<br />
frontières.<br />
Il y a aussi une forme particulière de<br />
poussière. Celle qui flotte tout doux quand le<br />
rideau tombe, quand tout se tait. C’est le temps<br />
de l’éclipse. Le clown rêve devant les confettis,<br />
laissés pour morts dans la chaleur du chapiteau.<br />
On rêve tous déjà de la prochaine fois. Du<br />
prochain pas dans le vide. Et reprendre sa place<br />
dans la bulle de lumière, encore et encore.<br />
Je m’endors là-haut, tout là-haut. D’où<br />
je suis, je peux lire dans la sciure. Là, l’empreinte<br />
d’un éléphant. Ici, le piétinement du jongleur.<br />
Une tache de sang ? Non, juste un nez de clown,<br />
perdu au cours d’une facétie. La piste est un<br />
miroir magique. Un grand miroir rond, qui reflète<br />
la légende des saltimbanques. Cirque-magie,<br />
cirque-ménagerie, cirque-musée des curiosités…<br />
Monstres de foire, qui témoignent des cruautés<br />
d’un temps jadis. Exhibitions exotiques,<br />
animales et humaines. Entrez, entrez, Messieurs,<br />
Mesdames ! Venez voir les autruches, ainsi qu’un<br />
véritable Indien d’Amazonie qui n’a pas perdu<br />
une plume ! Bien sûr, il y a l’ombre de la mort.<br />
Tout est bon à prendre pour surprendre,<br />
pour faire peur, vibrer ou rêver. Je vois passer<br />
les hauts-de-forme. De longues robes en<br />
mousseline crépitent devant moi. Approchez,<br />
approchez, Mesdames et Messieurs ! Venez<br />
applaudir les cracheurs de feu, les avaleurs de<br />
sabre ! Dans un coin, un garçon flirte avec un<br />
cobra. L’humain et le serpent se défient dans<br />
une danse, mortellement élégante. Qu’est-ce<br />
qui nous pousse tous à jouer avec notre mort ?<br />
On met nos chances en balance, comme d’autres<br />
jettent leurs jetons au casino. Combien a-t-on<br />
de jetons ? Un nombre déterminé ? Un destin à<br />
tracer ? Est-ce qu’un jour je regarderai tomber<br />
sur la piste le dernier de mes jetons, le tout<br />
dernier ?<br />
La couleur s’immisce peu à peu dans le noir<br />
et blanc. Les rires éclatent sur les pas<br />
des clowns. Les prestidigitateurs brillent de<br />
mille et une surprises. C’est le cirque de<br />
l’enfance, la bouffée juvénile. Et le mime<br />
s’avance. La bulle de lumière se dilate autour de<br />
lui, comme hypnotisée. L’homme sans paroles<br />
s’empare du souffle des spectateurs. Il en fait<br />
ce qu’il veut. À la moindre ombre qui passe<br />
sur son visage, les souffles restent en suspens.<br />
Son visage se retourne comme la surface d’un<br />
océan. Une vague de joie monte dans ses yeux,<br />
les souffles reprennent vie. Les spectateurs<br />
respirent sa présence subtile à pleins poumons.<br />
Le mime est un poème, qui se raconte en silence.<br />
Les sabots des chevaux martèlent<br />
brutalement la piste, le miroir se déforme<br />
comme une tôle ondulée. Sa surface devient<br />
liquide, limpide. Une étoile tombe d’un trapèze.<br />
Une goutte d’eau dans l’univers. Une goutte<br />
d’eau qui tombe dans un frémissement de<br />
cercles concentriques.<br />
Le rêve devient cauchemar. Je suis<br />
poursuivie par la bulle de lumière. Il n’y a pas<br />
d’issue possible, la bulle est à l’affût comme<br />
un fauve prêt à s’élancer sur sa proie. Elle me<br />
rattrape au moindre écart. Dès que la mort me<br />
16 16
frôle, la bulle de lumière bondit sur moi. Elle file<br />
à l’assaut de la gravité, me perds dans ma chute<br />
pour me retrouver au sol. Et livrer mon corps<br />
saccagé aux regards cannibales des spectateurs.<br />
Je suis née pour marcher sur un fil. On<br />
est tous nés pour ça d’ailleurs. On met un<br />
pied devant l’autre, bien plantés dans notre<br />
verticalité, alors qu’on vit sur une sphère. On<br />
doit apprendre au début. On doit tomber, se<br />
relever, passer de l’équilibre au déséquilibre et<br />
ainsi de suite, sans fin. Vite, trop vite, on oublie<br />
la difficulté. On court sur notre planète bleue<br />
avec l’aisance d’un animal bien dressé, qui<br />
avance sur un gros ballon coloré. Chaque pas<br />
est un saut de l’ange, sans parachute. Notre vie<br />
tient à si peu. À peine un fil, tendu tout là-haut,<br />
entre ciel et abîme.<br />
17 17<br />
Sophie Sallin<br />
Zora ou les lames de l’oubli<br />
Deuxième prix catégorie C (21 ans et plus)<br />
Le rouge est mis. Le trait presque parfait.<br />
Pas de bavure. Enfin si, une petite, là, à la<br />
commissure. Mais de loin, ça ne se voit pas.<br />
Et moi, on ne me voit que de loin.<br />
La fille – bouche rouge, corset carmin et<br />
cheveux noirs – qui tourne sur la roue, tête en<br />
l’air, tête en bas, jambes en l’air, jambe à l’est,<br />
jambe à l’ouest, c’est moi. Fille écartelée,<br />
fille étoilée. La fille qui sur la rose des vents<br />
indique toutes les directions. Même celles<br />
qu’on ne vise jamais : N-N-N-O, S-S-E-E, E-N-N-E.<br />
C’est d’ailleurs parce qu’on ne me vise pas que<br />
j’existe encore. Il suffirait qu’une fois, même<br />
pour rire, ou par colère, par faiblesse ou par<br />
désir, on me vise, et bien voilà : plus de Zora.<br />
Être celle qu’on ne vise jamais. Un destin, une<br />
religion, une ascèse, un calvaire… En tout cas<br />
pas un avenir. Un rêve peut-être. Qui tourne au<br />
cauchemar.<br />
Le jour où j’ai posé la pointe usée de<br />
mes talons dans la sciure épaisse de ce cirque<br />
de malheur, j’ai senti dans l’échine la griffe du<br />
danger, j’ai confondu alors « l’aventure, c’est<br />
la vie, t’es née pour ça, ma poulette ! » avec<br />
« pas un pas de plus ou t’es cuite, cocotte ! ».<br />
Tout commence toujours par un malentendu.<br />
J’ai choisi le destin de la poulette, plumes et cou<br />
coupés à l’horizon.
Comme je me prenais pour une aventurière,<br />
comme je rentrais dans le costume de feue<br />
mademoiselle Wanda, comme j’avais aussi<br />
un joli profil, on m’a clouée sur la roue, ce fut<br />
ma croix. Helmut – moumoute et vraies<br />
moustaches – m’a tout de suite rassurée,<br />
instruite et appris à oublier ; car oui, amis<br />
lecteurs, le secret est là. OU-BLI-ER : pour éviter<br />
les lames, pour ne pas les aimanter, pour ne pas<br />
paniquer, pour ne pas bouger (essentiel, ça,<br />
disons même, cardinal), pour ne pas parler<br />
(ça agace Helmut), pour ne pas éternuer<br />
(il paraît qu’une fille est morte parce qu’elle<br />
souffrait du rhume des foins – ce n’est pas drôle,<br />
mais c’est cocasse), et, étonnant, pour ne pas<br />
penser. En effet, comme dit Helmut : « si tu<br />
commences à penser, tu réalises que tu risques<br />
la mort à chaque lancer : être la non-cible d’un<br />
lanceur de couteaux parfois contradictoire,<br />
ça fait peur ; du coup », concluait-il, avec son<br />
charmant accent teuton : « tu t’achites, tu sues,<br />
tu clisses et ça tevient tanchereux ». Oublier<br />
pour ne pas penser, ne penser qu’à oublier<br />
pour ne plus penser au maintenant, oublier tout<br />
pour creuser le vide qu’il me fallait devenir pour<br />
survivre face aux lames déterminées que me<br />
lançait un parfait inconnu anarchiquement poilu.<br />
Moi qui croyais que la vie ne tenait qu’à un fil, il<br />
me fallait tricoter celui de l’oubli.<br />
Au début, l’idée m’a plu. Assez douée et<br />
assidue dans cette discipline, j’ai très vite pris<br />
le pli. Sur, ou hors de, ma roue, je passais<br />
mes journées et même mes nuits à oublier.<br />
Au début c’était le foutoir, je n’avais aucune<br />
systématique, j’oubliais le nom des fleurs, les<br />
comptines, mon chocolat préféré, le prénom<br />
de mon père, l’heure du journal télévisé, la<br />
couleur du citron pas mûr, comment s’épiler<br />
sans hurler, le nombre de cuillères de miel que<br />
mettait ma grand-mère dans son lait chaud les<br />
jours de neige, le goût du premier baiser,<br />
la première coupe de cheveux totalement ratée,<br />
la première nuit blanche, le titre du premier<br />
album des Stones, la cicatrice sur le ventre de<br />
ma sœur et les larmes de ma mère. Ensuite, j’ai<br />
mis de l’ordre dans tout ça en classant les oublis<br />
par année, l’exercice était troublant, vertigineux,<br />
terriblement addictif. J’étais dans ma bulle<br />
d’oubli, Helmut était aux anges ; comme il le<br />
répétait avec un plaisir perceptible jusque dans<br />
ses bacchantes : « cette fille est machique, je ne<br />
la fois pas et pourtant on ne foit qu’elle ; che ne<br />
peux pas la viser, je ne peux que l’éviter ! ».<br />
L’oubli n’est pas étanche, il se répand,<br />
imbibe, avale. Tout allait donc pour le mieux<br />
pour l’ego du lanceur, l’intégrité extérieure de<br />
mon corps et l’honneur du cirque Pandore. Mais<br />
tout ce petit manège commença à tourner mal.<br />
Si l’on se souciait volontiers de mon extérieur,<br />
sublimé de maintes pierres précieuses et plumes<br />
rares, personne ne se préoccupait de ce qu’il<br />
pouvait bien se passer à l’intérieur de mon corps<br />
encore intact.<br />
Autour de moi, le vide – celui qui accueillait<br />
poignards, canifs, machettes et même, spécialité<br />
d’Helmut, les fourchettes à choucroute. Au fond<br />
de moi, le vide – celui qui n’accueillait plus rien.<br />
18 18
Ni mon passé – totalement oublié. Ni le sourire<br />
plein de promesses du petit acrobate qui en<br />
pinçait pour moi et mes longues jambes en<br />
filet, ni les éclats de ciel que je voyais hier<br />
encore sur la tunique du funambule, ni le frisson<br />
de peur en regardant tomber-pour-de-faux<br />
le trapéziste hongrois, plus musclé du haut que<br />
du bas. Ni même l’odeur sucrée à la nausée du<br />
caramel des amandes qu’avaleront en riant les<br />
enfants sans lâcher leur ballon.<br />
Sans m’en rendre compte, pour sauver<br />
ma peau, pour servir Helmut, pour la gloire du<br />
cirque Pandore, pour la mémoire de Wanda,<br />
pour le confort des hématophobes, pour ne pas<br />
vivre avec mes peurs, pour ne pas avoir à faire<br />
confiance à Helmut, pour ne pas vivre avec l’idée<br />
que j’étais mortelle, pour ne pas constater que<br />
je n’étais pas devenue ce que je rêvais d’être,<br />
pour ne pas faire pleurer les enfants, pour ne<br />
pas faire venir une ambulance, pour ne pas avoir<br />
peur de mourir stupidement clouée sur une<br />
planche peinte, j’étais devenue l’oubli.<br />
Un oubli fidèle au rendez-vous, un oubli<br />
qui sourit, un oubli qui tourne, tête en l’air,<br />
tête en bas, jambes en l’air, jambe à l’est, jambe<br />
à l’ouest, un oubli qui regardait le danger dans<br />
les yeux car j’en avais oublié le sens. Giratoire<br />
et sans mémoire, je survivais dans cette histoire.<br />
Alors une nuit, après avoir comme chaque<br />
soir effacé le rouge de mes lèvres, décorseté<br />
mon corps de cible, détaché mes cheveux<br />
ébène, j’ai cherché des souvenirs, ouvert des<br />
cahiers, recollé des photos. En vain. Le passé est<br />
19 19<br />
oublié, le présent ne dit plus rien. Peut-être que<br />
mon histoire est au bout du poignard.<br />
Le rouge est mis. Le crime presque parfait.<br />
Pas de bavure. Enfin si, une petite, là, à<br />
l’ouverture. Mais de loin, ça ne se voit pas.<br />
Et eux, ils ne voient que de loin.
Fabienne Cattin<br />
Le fil<br />
Troisième prix catégorie C (21 ans et plus)<br />
Le chapiteau plonge dans la pénombre.<br />
Je suis tendu, très tendu, normalement tendu.<br />
Entre deux pontons. Offert. Mi-cadeau, mi-défi.<br />
En l’air. Tout du long. En l’atmosphère... La sciure<br />
me nargue, d’en bas. Le ciel m’appartient.<br />
Il me suffit d’être sûr et solide ; d’être droit,<br />
bien là, sans faille ni tremblement, d’un point<br />
à l’autre, à votre hauteur. Juste.<br />
Silencieux, immobile pour l’instant, posé<br />
là, comme parfois ailleurs, porté, haussé ou<br />
embobiné, aussi. Là. Dans le droit, mon droit<br />
unique, mon unique droit. Droit d’être là.<br />
Surplombant. Prépondérant et docile, oscillant<br />
et futile, mouvant et ductile, contraignant et<br />
servile, servant et subtile. Je suis votre fil.<br />
Le filigrane, le filament, le figurant en vos<br />
envies de vertiges fulgurants. Votre mesure<br />
du possible.<br />
Je ne céderai pas. Que vous marchiez,<br />
ralentissiez ou précipitiez, je suis votre foi...<br />
À l’occasion, des oisillons se posent sur moi,<br />
telles des interrogations sur la gravité de votre<br />
vocation. À tire-d’aile. Advienne que pourra,<br />
je resterai le même. Adéquat.<br />
Je marcherai sous vos pas, en ferai des<br />
mouvements suprêmes, où l’on vous prendra<br />
pour un roi, sur ce tangent diadème. Et vos<br />
instants de gloire seront les contre-pieds de<br />
leurs moments d’effroi, en bas. Certes, je plierai,<br />
me courberai à l’envi, mais reprendrai ma place<br />
et mon lieu. Je vous assurerai une verticalité vers<br />
l’infini… sur quelques mètres.<br />
Je retiendrai votre souffle, tel ce spectateur<br />
patenté, mais serai offert en l’occurrence en<br />
pâture à une plèbe volontaire, curieuse et<br />
attentiste.<br />
Vos jambes à mon cou, vous atteindrez à<br />
coup presque sûr le but espéré, non conforme,<br />
presque à bout. Je serai le fil de vos joies, de<br />
vos doutes, de vos risques... Votre limite. Il n’y<br />
aura rien avant ni après moi, que l’arrêt. Mes<br />
ondoiements feront votre pouls. Votre pied<br />
glissera, indécis mais déterminé, sur mon échine.<br />
Je prendrai tout sur moi. Vous... lorsque vous ne<br />
tiendrez qu’à moi. Je percevrai le moindre de vos<br />
tremblements, la moindre de vos assurances en<br />
l’élan. Vous me ferez confiance, incroyablement.<br />
Dans le plus dur, le plus risqué, c’est moi<br />
que vous toucherez, effleurerez... Lequel de<br />
nous deux sera le plus tendu dans cette étrange<br />
étreinte ?<br />
Vous ne prendrez pas de gant, lorsque vous<br />
prendrez tout l’en-dessus de mes oscillations, de<br />
mes creux et monts. Je serai le plancher de votre<br />
ciel, juste au-dessus du sol. Vous compterez sur<br />
moi. Je compterai vos pas.<br />
Votre regard m’ignorera, préférant l’horizon,<br />
l’autre ponton : votre escale – cette inestimable<br />
finalité à vue de nez.<br />
Vos pieds parfaitement alignés ou de<br />
guingois me caresseront, en une danse<br />
incertaine, vacillante mais calculée. Entre<br />
20 20
le valgus, varus ou normalus, vos pieds<br />
hésiteront... Métatarsiens et méditatifs...<br />
Je me ferai piédestal, piédouche, pied-de-biche<br />
ou de loup.<br />
Je ressens vos doutes, votre assurance, ce<br />
jeu défiant la distance et la gravité, l’orgueil et<br />
la nécessité.<br />
Diapason de vos rimes en pieds, couronne<br />
allongée, épurée. Votre fil à la patte.<br />
Philanthrope, philharmonique, filandreux... Vous<br />
êtes ce fildefériste sur ma corde raide.<br />
Centré en l’arène – diagonale ou rayon –,<br />
je m’assouplirai à votre rythme.<br />
Je serai pendu à vos pieds, soumis à vos<br />
plantes, recevant vos talons et orteils en valses<br />
hésitations, jusqu’à destination. Je serrai la terre<br />
instable de vos cieux incertains.<br />
Dans nos communes vibrations, votre poids<br />
se fera plume, et mon envergure votre soutien,<br />
mouvant mais infaillible. Votre seul repère entre<br />
ciel et terre.<br />
Mon ombre se confondra à la vôtre, et<br />
toutes les bouches bées retiendront nos souffles<br />
indistincts. Je vous surprendrai dans vos suspens<br />
et vous me suspendrez à chaque instant. Vous,<br />
sur le dessus de la scène ; moi, en dessous,<br />
à faire de même... à vous escorter, à trembler,<br />
à vibrer de vos déséquilibres... à ne plus savoir<br />
qui de vous ou de moi est en-haut ou en bas.<br />
Éblouis par la lumière, jamais nous ne<br />
toucherons terre, mais toujours seront hésitants,<br />
tels des enfants feignant l’équilibre, sans<br />
faux-semblants. En l’air, parfaitement en phase,<br />
nous voltigerons de bout en bout.<br />
21 21<br />
À bout de bras, dans un corps-à-corps en soi,<br />
justes, à l’endroit, nous ferons un corps, vous et<br />
moi.<br />
Haletante, l’arène anxieuse n’aura d’yeux<br />
que pour nous, mais peur pour vous. Effrayée<br />
de vous voir chuter, lors que je n’y pourrai rien<br />
changer, en ce filet que vous aurez choisi, ce<br />
soir, de ne pas installer…<br />
Il n’y aura rien à dire, que des cris à retenir,<br />
lorsque vous serez à deux doigts de choir dans<br />
l’entonnoir de ce blasphème où vous défiez<br />
des dieux, quand vous osez vous aventurer<br />
en leurs lieux. Pour ce défi ancestral, que vous<br />
prenez plaisir à relever, plus haut que moi.<br />
Vous penchez, je vous suis, et il devient dur<br />
de vous résister. Soudain vous écartez<br />
les bras avec une détermination incroyable.<br />
Je m’affole, me cambre, vais de droite à gauche<br />
et dans l’autre sens, sens dessus dessous.<br />
Prêt à chuter, vous me fixez : votre regard<br />
m’oblige, me contraint, me soumet, me défie,<br />
jusqu’à cet aplomb que vous désirez si fort<br />
que vous le retrouvez. Cet espoir qui m’habite<br />
également m’assujettit, m’enserre, me cerne et<br />
m’obsède.<br />
Je suis ce fil qui vous lie entre la vie et la vie.<br />
Aucun de nous n’est de trop.
LE CHAPITEAU<br />
IMAGINAIRE<br />
Concours littéraire 2010<br />
Elles et ils ont composé le jury<br />
Illustration : www.sciencefictionfantasyhorror.com<br />
22 22
Naël Lafer<br />
Présidente du jury<br />
Naël Lafer a suivi des études de lettres à<br />
l’Université de Genève et d’Aix-en-Provence.<br />
Elle a travaillé dans différents domaines, dont la<br />
traduction, avant de reprendre la direction du<br />
Grain des mots en 2009.<br />
Le grain des mots<br />
est une association passionnée de littérature, qui explore<br />
les nouvelles formes de médiation de l’écrit : ateliers<br />
d’écriture, lecture à voix haute, poésie sonore, rencontres<br />
avec des écrivains, lectures publiques, manifestations<br />
autour de la calligraphie et des métiers du livre<br />
(www.legraindesmots.ch)<br />
23 23
Silvia Ricci Lempen<br />
Écrivaine<br />
Silvia Ricci Lempen est née à Rome et vit<br />
en Suisse depuis de nombreuses années.<br />
Philosophe de formation, elle se consacre<br />
aujourd’hui principalement à l’écriture, après<br />
avoir été journaliste et enseignante universitaire.<br />
24 24
Marius Daniel Popescu<br />
Écrivain<br />
Marius Daniel Popescu écrit en français. Il est<br />
poète et prosateur d’origine roumaine et est<br />
arrivé en Suisse en 1990. Il est aussi chauffeur<br />
de bus ; il a gagné le prix Rilke en 2006 avec<br />
le recueil de poèmes Arrêts déplacés puis,<br />
en 2008, il a été le premier Suisse romand à<br />
recevoir le Prix Robert Walser, pour son roman<br />
La symphonie du loup publié aux prestigieuses<br />
Éditions José Corti, à Paris.<br />
25 25<br />
Photo : Laurent Denimal
Odette Mudry<br />
Journaliste et animatrice d’ateliers d’écriture<br />
Odette Mudry est présidente de l’association<br />
Et si on s’écrivait !, elle aime bien aller<br />
débusquer les mots, ceux qui courent sur le fil<br />
de l’écriture, bondissent, titubent, enchaînent<br />
les saltos et se rattrapent en plein vol. Pour aller<br />
rouler dans les étoiles.<br />
26 26
Emmanuel Gehrig<br />
Journaliste<br />
Emmanuel Gehrig a tout d’abord effectué des<br />
études de lettres à l’Université de Genève, avant<br />
de travailler dans le domaine de l’information<br />
documentaire, par goût pour la littérature. Puis<br />
il a rejoint la rédaction du journal « Le Temps »<br />
comme journaliste. Il travaille actuellement à la<br />
rubrique « Opinion » et rédige régulièrement des<br />
articles dans le « Samedi culturel ».<br />
27 27
Michel Luisier<br />
Enseignant, aujourd’hui à la retraite<br />
Michel Luisier a suivi des études de lettres<br />
à l’Université de Genève. Après quoi il s’est<br />
consacré à l’enseignement du français et de la<br />
philosophie, à la formation de maîtres puis a été<br />
doyen à l’École de culture générale Jean-Piaget.<br />
28 28
Illustration : www.ondablog.fr<br />
29 29<br />
Leur avis<br />
Naël Lafer<br />
Se glisser sous le chapiteau imaginaire et<br />
découvrir avec délice les cent dix numéros<br />
d’artistes captivants ! Un cirque irrésistible !<br />
Sylvia Ricci Lempen<br />
Le cirque, thème piège, hérissé de clichés. Bravo<br />
à celles et ceux qui ont su en tirer la fine aiguille<br />
d’une sensation originale, d’une émotion pas<br />
encore galvaudée.<br />
Marius Daniel Popescu<br />
Des textes inédits qui ont surpris de multiples<br />
facettes du cirque permanent de la vie.<br />
Des textes qui s’intègrent bien dans le cirque<br />
littéraire.<br />
Odette Mudry<br />
On est tous habités par des images de cirque.<br />
D’où parfois le risque de se prendre les pieds<br />
dans des figures clichés : le clown, le funambule,<br />
la trapéziste. …Mais entre jeux de mots et<br />
jeux de jambes, en quête d’une impossible<br />
apesanteur, se glisse toujours l’infinie poésie<br />
du monde de la piste.
Emmanuel Gehrig<br />
Facétieux, drôles ou inquiétants, ces chapiteaux<br />
imaginaires portent haut leurs couleurs, à mille<br />
lieues de l’image un peu démodée qu’on peut<br />
avoir du cirque.<br />
Michel Luisier<br />
La magie du cirque n’opère que par les<br />
travailleurs de l’ombre, les dizaines de petites<br />
mains qui peaufinent les détails du spectacle.<br />
De même, sous « Le Chapiteau imaginaire »,<br />
cirque littéraire monté par la bibliothèque de<br />
<strong>Carouge</strong> en 2010, outre les neuf nominés des<br />
trois podium A, B et C, il reste cent jongleurs<br />
de plume que je félicite au même titre que les<br />
lauréats.<br />
30 30
LE CHAPITEAU<br />
IMAGINAIRE<br />
Concours littéraire 2010<br />
Elles et ils ont animé votre soirée<br />
Illustration : www.laje.wordpress.com<br />
31 31
Nathalie Dubey<br />
Mise en lecture<br />
C’est à l’École supérieure d’art dramatique de<br />
Genève, sous la direction de metteurs en scène<br />
tels que Claude Stratz, Omar Porras, Valentin<br />
Rossier et Alain Tanner, que Nathalie Dubey se<br />
forme au métier de comédienne et obtient son<br />
diplôme en 2003. Dès lors, elle part en tournée<br />
sous la direction de Michel Deutch, avec le<br />
spectacle Germania3 et Hamlet Machine, obtient<br />
une place d’enseignante de diction et théâtre<br />
au post-obligatoire, crée sa propre compagnie,<br />
LightmotivCie, avec Alexandra Thys, et crée un<br />
premier spectacle en 2005, Les enfants sont des<br />
cons mais j’aime bien les tigres, joué au T50, sous<br />
la houlette d’Antoine Jaccoud et Denis Maillefer.<br />
Elle double en français pour le cinéma dans la<br />
comédie À vos marques, prêts, Charlie ! de Mike<br />
Eschmann, participe aux cd musicaux de Gaëtan<br />
Cruchet Capucine et Capucin 2 et 3, collabore<br />
chaque année avec les ateliers musique et chant<br />
du collège des Colombières de Versoix. L’hiver<br />
dernier, elle monte au Caveau Court sucré ou<br />
long sans sucre ? de B. Chappelle, une comédie<br />
qui connaît un grand succès.<br />
32 32
Nathalie Kuttel<br />
Comédienne<br />
Formation professionnelle à l’École du Théâtre<br />
des Teintureries et stages à la Manufacture<br />
de Lausanne. L’envie de perfectionner son<br />
travail corporel lui chatouille les orteils (qu’elle<br />
a d’ailleurs souples et longs). Elle suit alors des<br />
ateliers au Théâtre des Marionnettes de Genève<br />
et à l’École Dimitri (Tessin). À l’École Shanju<br />
(Écublens), elle s’essaye avec vertige et souplesse<br />
à toutes les acrobaties de l’art du cirque. Avec la<br />
compagnie In Grata, dont elle est co-fondatrice,<br />
elle crée trois spectacles, puis est engagée par<br />
Arsenic, une compagnie belge, délirante et<br />
innovante. Pour le Festival Décontr’acte, où elle<br />
remporte un prix, elle crée avec Corinne Diémé,<br />
son fidèle entraîneur, un personnage drôle et<br />
angoissant, perpétuellement sur le fil du rasoir…<br />
Elle retrouve alors son penchant latent pour la<br />
création de personnages étranges, organiques et<br />
viscéraux. En 2009, elle travaille sur une création<br />
burlesque et clownesque, sans parole, avec la<br />
compagnie Les Kaliamuses. Actuellement, elle<br />
répète Toi partout, un spectacle mis en scène par<br />
Denis Maillefer.<br />
33 33
Anouk Scipioni-Mettaz<br />
Comédienne<br />
Diplômée de l’École Supérieure d’Art<br />
Dramatique de Genève en 2004. Après avoir<br />
joué plusieurs fois sous la direction de Michel<br />
Deutsch, elle devient professeur de théâtre au<br />
Centre Artistique du Lac de Genève et y anime<br />
les ateliers enfants jusqu’en 2008. Parallèlement,<br />
elle fonde la compagnie Les fruits sauvages avec<br />
Maulde Coutau, comédienne et Juan-Manuel<br />
Roig, guitariste. Ensemble, ils travaillent le conte<br />
et montent le spectacle Quand les animaux<br />
s’en mêlent, joué dans plusieurs salles de Suisse<br />
Romande ainsi que dans les écoles. Leur dernière<br />
création 7 nouvelles de Tcheckhov a été jouée au<br />
Théâtre Alchimic en 2008. Avec la Compagnie<br />
Les Kaliamuses, elle s’oriente vers un travail plus<br />
corporel, moins axé sur le texte. Elle explore<br />
ainsi le théâtre de mouvement, le mime et la<br />
clownerie. Elle a également participé à plusieurs<br />
lectures publiques et suit régulièrement des<br />
stages de perfectionnement, entre autres à<br />
la Scuola Dimitri au Tessin et au Théâtre des<br />
Marionnettes de Genève.<br />
34 34
Emmanuel Pouilly<br />
Comédien et metteur en scène<br />
Né à Genève, il habite depuis 1988 au Tessin.<br />
Sa formation de base est le théâtre non-verbal<br />
et l’expression corporelle. Il s’est aussi spécialisé<br />
dans l’improvisation et l’enseignement de la<br />
clownerie burlesque en Suisse et à l’étranger.<br />
Son rêve secret aurait été de devenir un<br />
excellent capitaine de vaisseau spatial.<br />
Actuellement plusieurs missions galactiques à<br />
son actif : une mise en scène de deux clownesses<br />
en quête de fou rire, deux créations théâtrales<br />
improbables et l’organisation d’un festival<br />
d’extra-terrestre comique obnubilé par les<br />
arts de la rue. Recherche désespérément son<br />
équilibre atomique.<br />
35 35
Sébastien Ribaux<br />
Comédien<br />
Né à Neuchâtel en 1976. Promotion 2002-05 de<br />
l’École du Théâtre des Teintureries à Lausanne,<br />
école professionnelle d’art dramatique. Il est<br />
un des membres fondateurs de la compagnie<br />
Ammoniac depuis 2005. Il a travaillé de 2005 à<br />
2010 sous la direction de Zina Balmer, Gustavo<br />
Frigerio, Pierre Maillet, Jean-François Auguste,<br />
François Landolt, Pip Simmons, Jerzy Klesyk<br />
et Cédric Dorier. Parallèlement à son travail de<br />
comédien, il s’intéresse à la mise en scène en<br />
présentant un travail autour de Blaise Cendrars<br />
au Théâtre du Chaudron et de La Bastille, à Paris)<br />
; et en faisant l’assistanat de Sophie Rousseau<br />
sur le spectacle Quel chemin reste-t-il que celui<br />
du sang (La Ferme du Buisson, à Paris et La Rose<br />
des vents, à Lille). Il fait un choix de textes et<br />
une mise en espace de la lecture Ophélies avec la<br />
compagnie Ammoniac lors du festival de la Cité,<br />
à Lausanne en 2009.<br />
36 36
Lisa Bertholdi<br />
Accordéoniste<br />
Musicienne d’ambiance, elle avance sur la pointe<br />
des notes de son accordéon et de sa voix vers<br />
des climats touchants, vibrants et féminins.<br />
D’abord chanteuse dans un groupe de rock à<br />
Lyon (Nïmbïn) en 2007, elle se dirige ensuite<br />
vers une approche plus personnelle et sensitive<br />
de la musique. C’est avec le projet « Rue d’Isly »<br />
– des improvisations in situ (chapelle, forêt,<br />
intérieurs) – réalisé avec deux autres musiciens,<br />
dont un ingénieur du son, qu’elle s’aventure<br />
dans des univers d’expression libre.<br />
Elle accompagne une troupe de théâtre avec<br />
l’association Open Trétaux avec son accordéon<br />
et des chansons d’Olivier Francfort qu’elle<br />
mettra en musique, en 2008.<br />
37 37
38 38<br />
CONCOURS<br />
LITTÉRAIRE DU<br />
Printemps carougeois<br />
Soirée de remise des prix<br />
1997 Première rencontre<br />
1998 Le collectionneur<br />
1999 L’album de photographies<br />
2000 Miroir d’elle<br />
2001 Le père<br />
2002 Dernier acte<br />
2003 La lettre d’adieu<br />
2004 Métamorphoses, un conte<br />
2005 À la flamme de la chandelle<br />
2006 Les fruits de la terre<br />
2007 L’air de rien<br />
2008 Tous à l’eau<br />
À contre courant<br />
Eaux troubles<br />
2010 Le chapiteau imaginaire
LE CHAPITEAU<br />
IMAGINAIRE<br />
Concours littéraire 2010<br />
Soirée de remise des prix<br />
Mardi 12 octobre 2010<br />
Espace Grange-Collomb<br />
Chemin de Grange-Collomb 38<br />
à <strong>Carouge</strong><br />
20h<br />
Entrée libre<br />
Bibliothèque de <strong>Carouge</strong><br />
Boulevard des Promenades 2 bis<br />
Tél. 022 307 84 00<br />
Site Internet : www.bibliotheque-carouge.ch<br />
Courriel : bibliotheque@carouge.ch<br />
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