SYLLABUS DE DICTÉES
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DICTÉE 14<br />
Un jour de la fin de la deuxième année, un fantôme remonta du trou, un effrayant visage<br />
de résurrection pileux et squalide. Le fils et la mère, demi-nus sous leurs haillons,<br />
apparurent ensuite. Et tous trois, leurs mains devant les yeux, avec cris inarticulés,<br />
déments, se mettaient à courir vers la maison des d’Huccorgne.<br />
Le vieux gentilhomme, en sabots, bêchait un champ qui, dans la ruine du reste, l’aidait<br />
encore à nourrir les siens. Comme des primates sortis du hallier des temps, ils évoquaient<br />
l’effroi des créations primordiales, hâves, courbés, terribles, battant l’air de leurs bras,<br />
trébuchant sur d’obliques moignons ; parfois ils tombaient, obligés d’appuyer leurs<br />
paumes en terre pour se relever.<br />
D’Huccorgne de loin cria :<br />
- Qu’y a-t-il ? Qu’avez-vous vu ?<br />
Jean-Chrétien demeurait un moment sans parler, puis levant la main, d’une voix qui<br />
parut monter des tumulaires cavernes de Misère :<br />
- Dieu !<br />
Ce cœur simple et religieux qui, pendant un espace de temps suffisant à désespérer les<br />
plus coriaces héros, avait, toujours plus dénué, sans nulle aide que sa foi en les<br />
Miséricordes, affronté, dans les homicides arcanes, les terrifiants matins du monde,<br />
n’émit d’abord que cette vertigineuse parole. Ouvrier sanctifié par une incorruptible foi,<br />
il était descendu aux cryptes de la terre, aux muettes et insondables chapelles du Dieu de<br />
la Genèse comme un prêtre qui, avec des prières propitiatoires, requerrait le miracle de<br />
l’évidence de la grâce divine.<br />
Dieu à la fin s’était révélé ; ils remontaient, secoués d’une épouvante sacrée, tout pâles de<br />
l’avoir vu apparaître ; et ce Jean-Chrétien qui, à travers le suspens des cataclysmes,<br />
n’avait pas connu la peur, à présent tremblait de tous ses membres pour ce visage de<br />
l’Eternel heurté dans la bure.<br />
Il parla.<br />
Une tranchée, tout à coup, en s’approfondissant, leur avait dénoncé une veine immense,<br />
des gisements fabuleux. A tâtons, les cheveux droits, se sentant mourir dans<br />
l’éperdûment de leur joie, ils avaient palpé et griffé de leurs ongles la houille grasse. Ils<br />
pleuraient, ils s’embrassaient, ils n’avaient plus conscience qu’ils vivaient. Ils étaient<br />
tombés ensuite à genoux et avaient prié. La mère, entrée avec les cheveux vivides et noirs<br />
dans la fosse, en ressortait grise, dans le coup de folie de la découverte. Elle les tirait à<br />
poignées et les ouvrait devant elle, sans pouvoir parler, les yeux égarés, restés là-haut aux<br />
parois rigides. La croyance mystique que leur pic, en mettant à jour le charbon, avait fait<br />
surgir un Dieu visible, subsistait chez tous trois et plus tard devint une tradition de<br />
famille.<br />
(Extrait de LEMONNIER Camille, La Fin des Bourgeois, éd. Labor, coll. Espace Nord, Bruxelles,<br />
1986, pp.28-29)<br />
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