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— Je m’en doute.<br />
— Ce que je veux dire, c’est que, même avec un document<br />
officiel avec tous les tampons, vous pouvez tomber sur un type qui<br />
n’appréciera pas de voir un Français se balader avec un gros<br />
flingue dans les rues de son pays. Vous comprenez ?<br />
Le ton de Kimbé s’était imperceptiblement modifié. Une<br />
menace ?<br />
— Ça fait partie du métier. Je suis habitué à ce qu’on me<br />
regarde de travers.<br />
Kimbé éclata de rire.<br />
— Alors vous risquez d’être servi.<br />
Après avoir traversé l’esplanade dégagée autour du pénitencier<br />
situé en plein cœur de Douala, Assamoa se mêla à la foule des<br />
habitants du quartier qui faisaient leur marché. La panique<br />
engendrée par la fusillade n’avait pas duré plus de quelques<br />
minutes. Ces incidents étaient accueillis avec philosophie. Chacun<br />
avait repris ses habitudes. Les étals regorgeaient de fruits, de<br />
légumes et de toutes sortes de poissons. Des essaims de grosses<br />
mouches noires bourdonnaient autour des carcasses d’animaux<br />
suspendues à des crochets. Les commerçants cherchaient à attirer<br />
les badauds par des cris et des plaisanteries, comme sur tous les<br />
marchés du monde. Assamoa contemplait avec incrédulité ce<br />
spectacle paisible. Ainsi, deux univers aussi différents n’étaient<br />
séparés que par quelques centaines de mètres. D’un côté, la<br />
souffrance, les privations, la torture et la mort, de l’autre la joie de<br />
vivre et l’abondance. Cette transition brutale le déstabilisa<br />
pendant quelques instants, et il se demanda s’il n’allait pas se<br />
réveiller sur sa paillasse de la cellule 14.<br />
Mais une forte femme coiffée d’un turban coloré lui tendit une<br />
tranche de mangue sans cesser de vanter sa marchandise. Le fruit<br />
juteux avait le goût incomparable de la liberté. Après avoir mordu<br />
dans sa chair, il sut qu’il ne rêvait pas. Il s’aperçut alors que son<br />
estomac criait famine. À Tcholliré, un petit bol de mais avait<br />
constitué sa ration quotidienne. Parfois s’y ajoutaient un peu<br />
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