LES CAPRICES D'UN FLEUVE - Bibliothèque du film
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Les Caprices d’un fleuve<br />
Un <strong>film</strong> de Bernard GIRAUDEAU<br />
LYCÉENS AU CINÉMA
■ ■ ■ ■ ■ ■ ■<br />
Sommaire<br />
2<br />
3<br />
4<br />
6<br />
7<br />
8<br />
9<br />
10<br />
14<br />
16<br />
17<br />
18<br />
20<br />
21<br />
22<br />
GÉNÉRIQUE / SYNOPSIS<br />
ÉDITORIAL<br />
LE RÉALISATEUR<br />
LA LIGNE DE VIE DU FILM<br />
PERSONNAGES ET ACTEURS PRINCIPAUX<br />
DÉCOUPAGE SÉQUENTIEL<br />
ANALYSE DU RÉCIT<br />
ANALYSE D’UNE SÉQUENCE<br />
ORIENTATIONS<br />
CLÉS POUR DES MOMENTS CLÉS<br />
EXPLORATIONS<br />
LE LANGAGE DU FILM<br />
L’AFFICHE / LA CRITIQUE<br />
BIBLIOGRAPHIE<br />
AUTOUR DU FILM<br />
LYCÉENS AU CINÉMA
2<br />
■ GÉNÉRIQUE<br />
France, 1996<br />
Réalisation Bernard Giraudeau<br />
Scénario et dialogues Bernard Giraudeau, librement inspiré <strong>du</strong> Journal <strong>du</strong> Chevalier de Boufflers<br />
et des travaux de Jean-Louis Leconte, Jean-Louis Bertucelli et Chantal Villepontoux-Chastel<br />
Directeur de la photographie Jean-Marie Dreujou Cadreurs Jean-Paul Meurisse, Pascal<br />
Genesseaux Son Dominique Levert, Eric Tisserand Décors Yan Arlaud, Bertrand L’Herminier<br />
Costumes Sylvie de Segonzac, Oumou Sy Montage Annick Baly Musique René-Marc Bini<br />
Interprétation<br />
Jean-François de La Plaine Bernard Giraudeau Le Commandant de Blanet Richard Bohringer<br />
Pierre Combaud Thierry Frémont Monsieur Denis Roland Blanche L’Abbé Fleuriau Raoul<br />
Billerey Amélie Aïssatou Sow Anne Brisseau France Zobda<br />
Louise de Saint-Agnan Anna Galiena Avec la voix de Denis Laustriat<br />
Pro<strong>du</strong>ction Jean-François Lepetit<br />
Pro<strong>du</strong>ction exécutive Flach Film Directeur de pro<strong>du</strong>ction Philippe Schwartz<br />
Responsable de la pro<strong>du</strong>ction au Sénégal Moussa Touré, les Films <strong>du</strong> Crocodile<br />
Copro<strong>du</strong>ction Le Studio Canal+, Flach Film, Les Films de la Saga, France 2 cinéma, Jürgen<br />
Haase Provobis GMBH, Cecchi Gori Group Tiger Cinematografica SRL<br />
Film 35mm<br />
Format 1/ 85<br />
Durée 1h51<br />
Distribution Pyramide<br />
Date de sortie à Paris 3 avril 1996<br />
Les dossiers pédagogiques et les fiches-élèves de l'opération lycéens au cinéma ont été<br />
édités par la <strong>Bibliothèque</strong> <strong>du</strong> <strong>film</strong> (BIFI) avec le soutien <strong>du</strong> Ministère de la culture et de<br />
la communication (Centre national de la cinématographie).<br />
Rédacteur en chef : Frédéric Strauss.<br />
■ SYNOPSIS<br />
En 1787, à la suite d’un <strong>du</strong>el, Jean-François de La Plaine, noble et ami <strong>du</strong> roi, est exilé sur la côte<br />
africaine dans un comptoir négrier, à Gorée. Nouveau gouverneur de ce comptoir de sable, Jean-<br />
François de La Plaine amène avec lui le souvenir de Louise, la femme aimée avec laquelle il maintiendra<br />
une longue correspondance. En Afrique, il rencontre un monde nouveau, celui des négriers<br />
impliqués dans le trafic de la traite, mais aussi le Commandant de Blanet et Pierre Combaud, l’aide<br />
de camp, qui l’aident à porter un regard généreux sur l’univers qui l’entoure.<br />
Cet exil en Afrique engage Jean-François de La Plaine dans un nouveau destin. Il s’ouvre à l’amour<br />
grâce à Amélie, esclave donnée par un roi maure. Cette relation se noue en marge de l’Histoire : les<br />
lettres de Louise portent les bruits de la Révolution française. L’ancien monde s’effrondre et le nouveau<br />
monde n’a pas encore coupé avec les règles serviles. Jean-François de La Plaine s’aventure en<br />
terrain inconnu, guidé par le regard d’Anne Brisseau, la femme métis qui saura prédire son destin,<br />
et accompagné par la voix nostalgique de Louise, qui, dans la tourmente de l’Histoire, vit la fin de<br />
son amour avec lui. Le couple formé par Amélie et Jean-François aura une vie éphémère, mais il<br />
annonce un temps différent dont leur fils sera le messager.<br />
Dossier Les Caprices d’un fleuve © BIFI<br />
Auteur : Marie-Christine Peyrière<br />
Maquette : Public Image Factory Iconographie : photogrammes Pyramide Distribution,<br />
réalisés par Sylvie Pliskin, sauf p.3, 4, 9, 18 et portrait de Bernard Giraudeau (couverture)<br />
© Flach Films. Remerciements : Jean-François Lepetit<br />
<strong>Bibliothèque</strong> <strong>du</strong> <strong>film</strong> (BIFI)<br />
100, rue <strong>du</strong> Faubourg Saint-Antoine - 75012 PARIS<br />
Tél : 01 53 02 22 30 - Fax : 01 53 02 22 39<br />
Site Internet : www.bifi.fr
■ ÉDITORIAL<br />
Le double pari d’un cinéaste reconstituant<br />
l’Afrique de la traite négrière<br />
Amélie (Aïssatou Sow) incarnation <strong>du</strong> désir, de la différence, de l’Afrique.<br />
Les Caprices d’un fleuve est le quatrième <strong>film</strong> de Bernard Giraudeau, et le deuxième qu’il a<br />
réalisé pour le cinéma après le succès de L’Autre. C’est un <strong>film</strong> d’auteur, dans tous les sens<br />
<strong>du</strong> terme car Bernard Giraudeau l’a écrit, dirigé, interprété et copro<strong>du</strong>it. Mais c’est aussi un<br />
<strong>film</strong> qui entend maintenir ou raviver un lien avec le cinéma populaire, à travers la reconstitution<br />
d’un comptoir négrier de l’Afrique <strong>du</strong> dix-huitième siècle, un parfum d’aventure et<br />
d’exotisme, de beaux paysages et une histoire d’amour sur fond de Révolution française et<br />
de traite négrière.<br />
C’est dans ce double pari que tient Les Caprices d’un fleuve, et le cinéma de Giraudeau.<br />
Homme qui a le goût <strong>du</strong> risque, il explore ici la thèmatique africaine <strong>du</strong> maître et de son<br />
esclave <strong>du</strong> point de vue <strong>du</strong> négrier (on a très peu d’exemples de cela dans le cinéma français),<br />
observant des liens puissants à travers des personnages en rupture, blessés, exilés,<br />
oubliés de l’Histoire, qui réintro<strong>du</strong>isent la problématique de l’Autre, fil rouge de l’œuvre <strong>du</strong><br />
cinéaste Giraudeau. La déchirure reliant chaque personnage, le <strong>film</strong> est aussi une confrontation<br />
de l’homme à son désir d’échange, dans le contexte d’une histoire vécue dans le libertinage,<br />
la transgression, et l’expérience de la modernité. La mise en scène ramène le spectateur<br />
au thème de la différence, à l’ambiguïté <strong>du</strong> désir de conquête et des aventures exotiques.<br />
Les Caprices d’un fleuve est un <strong>film</strong> en « Cinémascope » resséré sur un personnage qui<br />
s’initie aux valeurs universelles d’un monde ouvert sur l’avenir. Les Caprices d’un fleuve<br />
déconstruit un genre populaire pour en redessiner les formes.<br />
Marie-Christine Peyrière<br />
3
4<br />
Enfant des marais et <strong>du</strong> grand<br />
large, Bernard Giraudeau<br />
est né le 18 juin 1947 dans le<br />
port de la Rochelle, en Charentes.<br />
Cet ancrage maritime est le<br />
premier fil rouge par lequel<br />
on suit le parcours de cet<br />
acteur devenu réalisateur,<br />
homme aux multiples<br />
facettes, sportif baroudeur et<br />
auteur réfléchi, omniprésent<br />
sur les écrans français<br />
depuis vingt-cinq ans.<br />
■ LE RÉALISATEUR<br />
D’une rive à l’autre<br />
<strong>du</strong> cinéma<br />
> Le goût de l’ailleurs<br />
S’il y a une scène fondatrice qui règle, semble-t-il, la relation que Bernard<br />
Giraudeau entretient avec les voyages et le goût de l’ailleurs, elle est à rechercher<br />
<strong>du</strong> côté de son engagement précoce de marin, à quinze ans et demi, un<br />
brevet technique de chaudronnier-turbineur en poche. La famille joue son rôle<br />
dans cette inclination : un père militaire aux origines paysannes, qui fait<br />
l’Indochine et la guerre d’Algérie, et une mère issue d’une lignée de marins bretons.<br />
« Des gens habitués au risque et au voyage », dit Giraudeau 1 . Son adolescence<br />
turbulente se déroule de port en port, à Madagascar, en Nouvelle Calédonie,<br />
en Amérique <strong>du</strong> Sud. Il en garde, comme un tatouage, un désintérêt pour la<br />
ville, le besoin physique d’un cadre large, l’appel vers des nouveaux horizons,<br />
mû par une détermination, des explosions de rage et la nécessité de grandes<br />
rétrospections : « Quand je pars, je me rassemble, je me reconstruis ». A vingt ans,<br />
Giraudeau a fait deux fois le tour <strong>du</strong> monde à bord de La Jeanne d’Arc et<br />
découvre l’Afrique. Cette énergie bourlingueuse impulsera trente ans plus tard<br />
l’aventure des Caprices d’un fleuve.<br />
De ce parcours nomade à la Rimbaud, Giraudeau tire aussi un second enseignement<br />
: une relation « décalée » à l’histoire. Il a vingt et un ans en 1968 mais<br />
passe à côté de l’événement : « Je devais être très réac », juge-t-il aujourd’hui.<br />
Comme Jean-François de La Plaine, Bernard Giraudeau effectue sa révolution<br />
intérieure après-coup, en découvrant le théâtre à la Comédie de la Rochelle et<br />
la danseuse Colette Milner qui lui fait travailler la danse et le chant. Cette rencontre<br />
déterminante lui ouvre le chemin d’une formation, d’une carrière et<br />
deviendra une affaire de famille : son frère est danseur professionnel.<br />
Giraudeau monte à Paris, joue des petits rôles avec Jacques Fabbri et entre au<br />
Conservatoire où il obtient un premier prix en deuxième année. Il aurait pu<br />
choisir d’entrer à la Comédie Française mais ne se sentait pas prêt à assumer un<br />
travail de troupe dans cette maison prestigieuse. Le comédien ne jouera pas les<br />
rôles <strong>du</strong> grand répertoire. Il a pour compagnons Daniel Mesguich et Jérôme<br />
Deschamps mais – est-ce le décalage ? – il ne manifeste pas un tempérament de<br />
défricheur : « Je ne me sentais pas en avance ».<br />
1. Les propos de Bernard Giraudeau sont extraits <strong>du</strong> dossier de presse des Caprices d’un fleuve.<br />
> L’homme aux multiples visages<br />
La carrière <strong>du</strong> comédien, qui couvre trente <strong>film</strong>s en vingt-cinq ans, prend son<br />
essor à partir de 1973. Dans le sillage de Gérard Philippe, Alain Delon ou Jean-<br />
Paul Belmondo, Bernard Giraudeau impose sa figure virile de sé<strong>du</strong>cteur au<br />
regard bleu américain dans le paysage populaire <strong>du</strong> cinéma français.<br />
Empruntant différentes trajectoires, l’acteur traverse le cinéma commercial, le<br />
théâtre, la comédie (il appar-<br />
tient à la nouvelle génération<br />
des acteurs des années 70, rassemblée<br />
autour <strong>du</strong> Splendid)<br />
ou le polar.<br />
Il fait ses débuts comme fils de<br />
Jean Gabin, aux côtés d’Alain<br />
Delon et <strong>du</strong> jeune Gérard<br />
Depardieu, dans Deux hommes<br />
dans la ville (1973) de José<br />
Giovanni, et joue dans le ciné-<br />
Les Caprices d’un fleuve<br />
est à la croisée des chemins,<br />
dans l’articulation<br />
<strong>du</strong> parcours d’acteur et <strong>du</strong><br />
parcours de réalisateur<br />
de Bernard Giraudeau.<br />
ma d’auteur des gammes aussi diverses que celles de Yannick Bellon (Jamais plus<br />
toujours), Ettore Scola (Passion d’amour où il campe un jeune officier), Daniel<br />
Schmidt (Hécate et ses chiens). Giraudeau développe avec souplesse le sens <strong>du</strong><br />
jeu, la fantaisie, la sé<strong>du</strong>ction. Son registre préféré est la comédie et il conquiert<br />
le box-office avec Michel Blanc et Anémone en 1981 dans Viens chez moi, j’habite<br />
chez une copine de Patrice Leconte, le <strong>film</strong> qui bat alors tous les records d’entrées<br />
avec sept millions de spectateurs.<br />
C’est le signal de la métamorphose de Giraudeau, de héros romantique en justicier<br />
solitaire, flic cascadeur, tatoué, hirsute en maillot de corps qui, grâce à<br />
Leconte, s’incarne avec succès. Ce second Giraudeau, plus marginal et plus violent,<br />
passe au premier plan lorsqu’il forme avec Gérard Lanvin un des tandems<br />
les plus populaires de cette décennie dans Les Spécialistes (1984) de Leconte,<br />
puis quand il règne sur la Rue Barbare de Gilles Béhat. Parallèlement à sa carrière<br />
commerciale, l’acteur interprète au théâtre des textes contemporains de
Un des plans-portraits des Caprices d’un fleuve.<br />
Giraudoux, Kleist, Anouilh, Arrabal, et fait une tournée en 1988 et<br />
1989 avec Les Liaisons dangereuses dans une mise en scène de Gérard<br />
Vergez. Sa carrière à la télévision s’étend de La Porteuse de pain en<br />
1971 à La Grande Cabriole mise en scène par Nina Companez en<br />
1988. De <strong>film</strong> en <strong>film</strong>, l’homme aux mille visages, dans le registre<br />
comique comme dans les prouesses physiques, impose son magnétisme<br />
par une sorte de détachement affiché et gagne une réputation<br />
de Robert Redford français.<br />
> L’autre parcours<br />
Giraudeau, homme de défi, traquant son point limite, bascule<br />
de l’autre côté <strong>du</strong> miroir en 1989. C’est le tournant de la réalisation,<br />
amorcé en rêve dès 1981 pendant le tournage de Passion d’amour de<br />
Ettore Scola : sur le plateau, où il manifeste beaucoup de curiosité<br />
pour la technique, Giraudeau reçoit les encouragements de son metteur<br />
en scène. Adoubé par le maître de la comédie italienne,<br />
Giraudeau devient cinéaste, autant par nécessité personnelle qu’en<br />
épousant un mouvement de génération. De nombreux acteurs, ceux<br />
<strong>du</strong> Splendid notamment, Josiane Balasko en tête, se sont en effet<br />
lancés à partir de la fin des années 80 dans la pro<strong>du</strong>ction et la réalisation,<br />
de Michel Blanc à Nicole Garcia ou Tonie Marshall, pour ne<br />
pas les citer tous.<br />
C’est en auteur d’une œuvre que cherche à se définir le nouveau<br />
Giraudeau : « Il faut accepter ses ambitions ». En matière de références<br />
et d’influences, le cinéaste cite les <strong>film</strong>s de Kurosawa, Woody Allen,<br />
Cassavettes, Truffaut et Resnais. Il a été marié avec la comédienne<br />
Anny Duperey, qui est la femme splendide <strong>du</strong> Stavisky d’Alain<br />
Resnais. Avec elle, il réalise pour le petit écran son premier <strong>film</strong>,<br />
austère, secret et méditatif, La Face de l’ogre, parcours intérieur de<br />
deux femmes dans un hôtel de montagne. Le cinéaste Giraudeau<br />
s’affirme en 1990 avec L’Autre, son premier long métrage de cinéma,<br />
adaptation d’un roman d’Andrée Chédid. Cette rencontre<br />
emblématique d’hommes blessés, en rupture, prétexte à une<br />
recherche obstinée dans un décor unique et dévasté, pris entre<br />
l’ombre et la lumière, pourrait être le motif dramaturgique de la<br />
mosaïque <strong>film</strong>ique de Giraudeau. Un été glacé, télé<strong>film</strong> réalisé en<br />
1991 dans la région de son enfance, puis le documentaire de création<br />
La Transamazonienne témoignent de la valeur de quête <strong>du</strong><br />
cinéma de Giraudeau.<br />
Dans Les Caprices d’un fleuve, pour la première fois, il cumule toutes<br />
les fonctions, devant et derrière la caméra. Le <strong>film</strong> est à la croisée<br />
des chemins, dans l’articulation de son parcours d’acteur et de réalisateur.<br />
L’acteur y explore sa filiation à partir d’un double modèle : le<br />
Fanfan la Tulipe de Gérard Philippe et le Cartouche de Belmondo.<br />
Le réalisateur traverse le genre commercial <strong>du</strong> <strong>film</strong> d’aventures exotiques<br />
pour dessiner un monde désenchanté, porteur d’une rencontre<br />
douloureuse avec l’Autre. Il y a quelque chose de voilé dans<br />
le regard de Giraudeau, de tourmenté chez le cinéaste et de vital<br />
dans son travail d’acteur. L’œuvre serait comme un ressac de la mer<br />
que le marin Giraudeau ne cesse d’affronter : la mer ne lave-t-elle pas<br />
les taches et les blessures <strong>du</strong> monde ? (Jean Epstein).<br />
Filmographie<br />
Bernard Giraudeau réalisateur<br />
1989 La Face de l’ogre (TV)<br />
1990 L’Autre<br />
1991 Un été glacé (TV)<br />
1992 La Transamazonienne (TV, documentaire)<br />
1996 Les Caprices d’un fleuve<br />
Bernard Giraudeau acteur<br />
1973 Deux hommes dans la ville de José Giovanni<br />
1975 Jamais plus toujours de Yannick Bellon<br />
1975 Le Gitan de José Giovanni<br />
1976 Bilitis de David Hamilton<br />
1976 Le Juge Fayard dit « le Shérif » d’yves Boisset<br />
1977 Moi, Fleur bleue de Eric le Hung<br />
1978 Et la tendresse, bordel ! de Patrick Schulmann<br />
1979 Le Toubib de Pierre Granier-Deferre<br />
1980 Viens chez moi, j’habite chez une copine de Patrice Leconte<br />
1980 La Boum de Claude Pinoteau<br />
1981 Passion d’amour d’Ettore Scola<br />
1981 Le Grand Pardon d’Alexandre Arcady<br />
1981 Croque la vie de Jean-Charles Tacchella<br />
1982 Meurtres à domicile de Marc Lobet<br />
1982 Le Ruffian de José Giovanni<br />
1983 Rue barbare de Gilles Béhat<br />
1983 Papy fait de la résistance de Jean-Marie Poiré<br />
1984 Les Spécialistes de Patrice Leconte<br />
1984 L’Année des mé<strong>du</strong>ses de Christopher Frank<br />
1985 Les Longs Manteaux de Gilles Béhat<br />
1985 Bras de fer de Gérard Vergez<br />
1986 Poussière d’ange d’Edouard Niermans<br />
1987 Vent de panique de Bernard Stora<br />
1987 L’Homme voilé de Maroun Bagdadi<br />
1990 Le Coup suprême de Jean-Pierre Sentier<br />
1990 La Reine blanche de Jean-Loup Hubert<br />
1991 Après l’amour de Diane Kurys<br />
1992 Une nouvelle vie d’Olivier Assayas<br />
1992 Drôles d’oiseaux de Peter Kassovitz<br />
1993 Le Fils préféré de Nicole Garcia<br />
1993 Elles ne pensent qu’à ça de Charlotte Dubreuil<br />
1995 Ridicule de Patrice Leconte<br />
1996 Les Caprices d’un fleuve de Bernard Giraudeau<br />
1996 La Vie silencieuse de Marianna Ucria de Roberto Faenza<br />
1996 Marthe de Jean-Loup Hubert<br />
1997 Marquise de Véra Belmont<br />
1997 TGV de Moussa Touré<br />
5
6<br />
Un <strong>film</strong> historique<br />
en costumes, et en Afrique.<br />
En France, en Mauritanie, puis sur l’île de<br />
Gorée au Sénégal le tournage rassemble<br />
environ soixante-dix personnes pendant<br />
treize semaines.<br />
■ LA LIGNE DE VIE DU FILM<br />
Saga africaine<br />
Après L’Autre, son troisième <strong>film</strong>, primé dans de nombreux festivals, Bernard Giraudeau retrouve<br />
la question de l’altérité dans un projet ambitieux à plus d’un titre, Les Caprices d’un fleuve.<br />
> Le fruit de l’expérience<br />
Les Caprices d’un fleuve est un pari ambitieux de Bernard Giraudeau qui se<br />
distingue ici comme « l’homme-orchestre » : scénariste, dialoguiste, acteur,<br />
metteur en scène, copro<strong>du</strong>cteur. Ce quatrième <strong>film</strong> <strong>du</strong> cinéaste témoigne, par<br />
son ampleur, de l’expérience acquise devant et derrière la caméra.<br />
Pour ce <strong>film</strong> axé sur une reconstitution historique et nécessitant d’importants<br />
moyens financiers, Bernard Giraudeau fait le choix d’une pro<strong>du</strong>ction indépendante.<br />
C’est dans la rencontre avec le pro<strong>du</strong>cteur Jean-François Lepetit (Flach<br />
Films), que Les Caprices d’un fleuve trouve la clé de son origine.<br />
Jean-François Lepetit a rencontré Bernard Giraudeau en juillet 1993. Celui-ci<br />
avait en tête les premières images d’un <strong>film</strong> racontant l’histoire et l’itinéraire<br />
d’un homme <strong>du</strong> dix-huitième siècle, confronté à sa propre révolution en marge<br />
de l’histoire. Lors de ce premier contact, il fut évident pour Jean-François<br />
Lepetit que ce personnage devait être interprété par Bernard Giraudeau.<br />
L’acteur avait mûri cette idée depuis plus de dix ans : « On ne peut pas attaquer<br />
un sujet aussi ambitieux si on n’est pas allé en Afrique depuis longtemps, si on ne vient<br />
pas d’un port négrier… si on ne s’appelle pas Giraudeau et<br />
que l’on a retrouvé dans les archives des parents qui ont<br />
armé des bateaux pour le commerce triangulaire...Quand<br />
on a une sorte de passion pour la sensualité africaine, les<br />
odeurs, la musique, les femmes » 1 .<br />
Giraudeau se documente, s’appuie sur Le Journal <strong>du</strong><br />
Chevalier de Boufflers 2 dont il s’inspire pour son personnage : ce noble a voulu<br />
faire sa gloire et sa richesse en acceptant un poste en Afrique en 1786, à Gorée,<br />
au Sénégal, où il eut une aventure avec la comtesse de Sabran, dont il reste une<br />
abondante correspondance. Le scénario connaît en tout six versions. Il est présenté<br />
à la commission d’Avance sur recette avec succès et permet un repérage<br />
précis et une évaluation rigoureuse <strong>du</strong> projet.<br />
> Une complicité réalisateur-pro<strong>du</strong>cteur<br />
Bernard Giraudeau a sa propre maison de pro<strong>du</strong>ction : les Films de la<br />
Saga. Jean-François Lepetit décide de s’associer avec lui pour instaurer un lien<br />
étroit entre les décisions artistiques et financières. Le montage financier est<br />
lourd : il est évalué officiellement à 51 millions de francs 3 . Les chaînes de télévision<br />
se montrent frileuses. L’accord de Pierre Lescure, <strong>du</strong> Studio Canal+, est<br />
un soutien déterminant. L’investissement en amont sur le scénario permet<br />
d’appréhender la réalité <strong>du</strong> tournage et de rendre le <strong>film</strong> maîtrisable financièrement.<br />
La décision effective de le pro<strong>du</strong>ire est prise en octobre 1994. Cette<br />
stratégie de pro<strong>du</strong>ction souligne le caractère de prototype <strong>du</strong> <strong>film</strong> : l’alliance<br />
avec le groupe Canal+ est articulée avec l’indépendance artistique <strong>du</strong> cinéma<br />
d’auteur, le pro<strong>du</strong>cteur jouant un rôle d’initiateur de projets que le groupe<br />
finance. Pendant le tournage, comme plus tard au montage, Jean-François<br />
Lepetit et Bernard Giraudeau maintiendront une grande complicité dans l’approche<br />
<strong>du</strong> <strong>film</strong>.<br />
En France, en Mauritanie, puis sur l’île de Gorée au Sénégal le tournage des<br />
Caprices d’un fleuve rassemble environ soixante-dix personnes pendant treize<br />
semaines, à partir de janvier 1995. Décors <strong>du</strong> dix-huitième siècle et bateaux<br />
sont fabriqués sur place. Dès cette étape de l’aventure, Bernard Giraudeau<br />
passe commande auprès <strong>du</strong> compositeur René-Marc Bini, dont le travail<br />
s’oriente vers le passage <strong>du</strong> classique au contemporain en prenant appui sur les<br />
œuvres de Jean-Sébastien Bach (La Passion selon Saint Mathieu), de Vivaldi et de<br />
la tradition africaine.<br />
Le montage image <strong>du</strong>re six mois au cours desquels Giraudeau est contraint de<br />
ré<strong>du</strong>ire son projet romanesque d’une <strong>du</strong>rée de quatre heures à deux heures. Il<br />
s’est écoulé deux ans et demi entre l’écriture et le <strong>film</strong> achevé. L’aventure est<br />
épuisante. Elle confirme Giraudeau en tant qu’auteur mais reçoit un soutien<br />
relatif <strong>du</strong> public.<br />
1. Dossier de presse <strong>du</strong> <strong>film</strong>.<br />
2. Source historique qui avait donné lieu dix ans plus tôt à un scénario, Le Marquis, pour lequel Bernard Giraudeau avait été pressenti dans le rôle-titre. Sans être abolitionniste, Boufflers s’était penché sur le problème des Noirs.<br />
3. Le budget annoncé par Bernard Giraudeau est de 38 MF.
■ PERSONNAGES ET ACTEURS PRINCIPAUX<br />
Les caprices <strong>du</strong> destin<br />
Trois hommes et trois femmes emportés dans une histoire soumise aux fluctuations de l’exil,<br />
aux tourments <strong>du</strong> cœur et de l’Histoire.<br />
> JEAN-FRANÇOIS DE LA PLAINE,<br />
LE GOUVERNEUR<br />
Interprété par Bernard Giraudeau, le personnage<br />
de Jean-François occupe la place centrale dans<br />
l’histoire des Caprices d’un fleuve. C’est un homme<br />
exilé, en rupture de ban, chassé une première fois<br />
par la royauté sur les côtes d’Afrique, une deuxième<br />
fois par la République quand il doit repartir<br />
pour la France. Ce « banni des îles », « oublié de<br />
l’histoire », n’est pas un personnage fondateur qui<br />
transgresserait volontairement l’ordre pour en<br />
créer un nouveau. Homme blessé mais curieux, il<br />
vit un parcours physique et idéologique dans un<br />
comptoir négrier, entouré de trafiquants et de<br />
marchands d’esclaves, à travers l’ambiguïté de ses<br />
sentiments pour l’esclave Amélie.<br />
> COMMANDANT DE BLANET<br />
Il aide le gouverneur dans sa quête intérieure. Il est<br />
son allié, son confident et celui qui le protège. De<br />
Blanet est un militaire droit, consciencieux, hostile<br />
au trafic négrier. Il aime l’Afrique et a une descendance<br />
métis qu’il assume. Il facilitera la tâche à<br />
Jean-François dans sa recherche d’Amélie, quand<br />
celle-ci sera capturée par les Maures, tout en lui<br />
montrant les limites de son projet d’émancipation.<br />
Richard Bohringer<br />
Ami de Bernard Giraudeau, cet acteur de théâtre<br />
et de cinéma, également romancier, a joué dans<br />
plus de 54 <strong>film</strong>s dans des registres aussi divers que<br />
Le Cuisinier, le voleur sa femme et son amant de<br />
Peter Greenaway, Le Grand Chemin de Jean-Loup<br />
Hubert, Le Parfum d’Yvonne de Patrice Leconte. Il<br />
a tourné à plusieurs reprises avec des réalisateurs<br />
africains, notamment en 1994 dans Le Cri <strong>du</strong> cœur<br />
d’Idrissa Ouedraogo.<br />
> PIERRE COMBAUD<br />
L’aide de camp <strong>du</strong> gouverneur, un naturaliste.<br />
Avec De Blanet, il fait partie des esprits éclairés<br />
attentifs à la vie, à l’Afrique. C’est un homme<br />
généreux, doux et apaisant. Il est le témoin de<br />
l’évolution de Jean-François et participe à l’é<strong>du</strong>cation<br />
d’Amélie. Après le départ <strong>du</strong> gouverneur, il<br />
subira comme Amélie une fin tragique.<br />
Thierry Frémont<br />
Il mène de front une carrière à la télévision et au<br />
cinéma, s’imposant dans les télé<strong>film</strong>s de Michel<br />
Deville, Caroline Huppert, Josée Dayan, Philippe<br />
Triboit, Chantal Picaut, et dans les <strong>film</strong>s de Jean-<br />
Charles Tachella (Travelling avant), Bertrand Blier<br />
(Merci la vie) ou Bernie Bonvoisin (Les Démons de<br />
Jésus).<br />
> AMÉLIE<br />
L’esclave Amélie connaît un destin singulier.<br />
Intelligente et vive, elle devient l’élue de cœur de<br />
son maître, le gouverneur, d’abord comme sa fille,<br />
puis comme sa femme. Elle mourra en couches.<br />
Cette préférence, qui entraîne pour Amélie un<br />
destin tragique, suscite la rivalité de la métis Anne<br />
Brisseau et l’abandon de la correspondance de<br />
Louise de Saint-Agnan. Amélie est l’objet de la<br />
quête de Jean-François, sacrifié dans la tourmente<br />
de l’Histoire.<br />
Amélie est interprétée par Aïssatou Sow dont c’est<br />
le premier rôle au cinéma.<br />
> ANNE BRISSEAU<br />
Cette femme splendide, intelligente et intéressée,<br />
est métisse. Dite la Signare, elle règne en femme<br />
d’affaires sur le comptoir négrier et entretient une<br />
relation sensuelle avec le gouverneur. Elle cherchera<br />
à s’opposer à Amélie par jalousie mais elle<br />
échouera dans sa tentative. Elle saura comme<br />
Louise de Saint-Agnan prévoir le destin de Jean-<br />
François.<br />
Anne Zobda<br />
Cette actrice antillaise mène une<br />
carrière de cinéma principalement<br />
aux Etats Unis, au Canada et en<br />
Italie. En France, elle trouve peu de<br />
rôles à sa mesure en dehors des thématiques<br />
noires. Parallèlement à<br />
son rôle dans Les Caprices d’un fleuve,<br />
elle était à l’affiche <strong>du</strong> <strong>film</strong><br />
Béhanzin de Guy Deslauriers sur un<br />
scénario de Patrick Chamoiseau.<br />
> LOUISE DE SAINT-AGNAN<br />
Elle est le seul lien charnel de Jean-<br />
François de La Plaine avec la<br />
France. Elle est sa correspondante,<br />
la voix qui le guide et l’obsède.<br />
C’est par elle qu’il apprend la<br />
Révolution, par elle également qu’il<br />
prend la mesure de son détachement<br />
de sa vie ancienne. Elle est la<br />
figure fantomatique contre laquelle<br />
se bat Amélie. Cet amour noble<br />
hante et rythme le <strong>film</strong>, mais finira<br />
dans l’oubli.<br />
Anna Galiena<br />
Cette actrice italienne mène une<br />
double carrière en France et en<br />
Italie. Elle a tourné avec Chabrol,<br />
Patrice Leconte (Le Mari de la coiffeuse),<br />
Raoul Ruiz et, côté italien,<br />
avec Daniele Luchetti dans La scuola,<br />
Francesca Archibugi dans<br />
Il grande cocomero, Maurizio<br />
Zaccararo dans Scacco Pazzo.<br />
7
8<br />
Le générique <strong>du</strong> <strong>film</strong> est<br />
illustré par un leitmotiv<br />
musical impliquant clavecin,<br />
musique d’orchestre et<br />
rythmique africaine. Les noms<br />
et crédits apparaissent, suivis<br />
d’une ouverture au noir<br />
révélant quatre inserts sur<br />
une tapisserie orientaliste <strong>du</strong><br />
dix-huitième siècle. Après un<br />
fon<strong>du</strong> enchaîné sur la scène<br />
d’ouverture, le générique<br />
reprend à la fin <strong>du</strong> <strong>du</strong>el, et la<br />
musique s’enchaîne alors avec<br />
la musique de salon de la<br />
scène suivante.<br />
■ DÉCOUPAGE SÉQUENTIEL<br />
Le récit des Caprices d’un<br />
fleuve progresse au gré des<br />
traversées entre la France et<br />
l’Afrique, puis entre la mission<br />
au Cap Saint-Louis et<br />
l’intérieur des terres africaines.<br />
Il est découpé en six parties, six<br />
thèmes romanesques.<br />
1. La rupture<br />
Un <strong>du</strong>el à l’aube, dans un pré : au cours de cette<br />
scène, Jean-François de la Plaine signe son exil<br />
pour deux ans en Afrique. Le récit est pris en<br />
charge par un narrateur off, le fils de Jean-<br />
François de La Plaine, qui nous raconte son histoire<br />
: la scène d’ouverture <strong>du</strong> <strong>film</strong> est donc en<br />
flash-back. Fin <strong>du</strong> <strong>du</strong>el.<br />
> (2’30”) Au château, c’est une soirée d’adieu donnée<br />
en faveur de Jean-François de La Plaine, qui<br />
a tué par amour pour Louise de Saint-Agnan. Il<br />
emporte avec lui un jeu de l’oie et son clavecin.<br />
Fon<strong>du</strong> enchaîné sur les côtes africaines.<br />
2. L’exil à Cap Saint-Louis<br />
> (8’15”) La traversée est traitée en ellipse avec un<br />
thème musical orchestral. Jean-François de La<br />
Plaine s’installe à Cap Saint-Louis : il prend ses<br />
fonctions, impose son rythme de cour, rencontre<br />
la métisse Anne Brisseau, dite la Signare,<br />
découvre l’hôpital. Il maintient une relation<br />
épistolaire avec Louise, joue de la musique,<br />
et noue rapidement une relation sensuelle avec<br />
Anne Brisseau.<br />
3. Le Fleuve<br />
> (24’14”) A l’aube, sur un brick, Jean-François de<br />
la Plaine lit une lettre de Louise qui note sa transformation<br />
psychologique. Les scènes sur les<br />
galiotes décrivent le trafic d’esclaves, mettent en<br />
place la relation au commandant De Blanet,<br />
l’éloignement sentimental envers Louise. Puis<br />
c’est l’arrivée à Podor, l’expédition vers le camp<br />
de Moktar, la rencontre avec le roi maure. Moktar<br />
remet à Jean-François de La Plaine un cadeau :<br />
une esclave peule, enfant. La voix <strong>du</strong> narrateur<br />
raconte le récit <strong>du</strong> départ <strong>du</strong> camp de Moktar. Le<br />
gouverneur sé<strong>du</strong>it l’enfant sur le bateau avec son<br />
épinette. Après l’attaque négrière des cavaliers,<br />
le commandant De Blanet révèle à Jean-François<br />
sa descendance métisse. Le gouverneur songe à<br />
envoyer sa négrillone à Louise et lui donne un<br />
prénom : Amélie.<br />
4. Amélie ou l’amour filial<br />
> (45’12”) A la mission, Jean-François de La<br />
Plaine parle d’ensorcellement avec l’Abbé<br />
Fleuriau, é<strong>du</strong>que Amélie, découvre la compromission<br />
de l’ordonnateur dans le trafic négrier, discute<br />
avec Pierre Combaud, son aide de camp, des<br />
nouvelles idées philosophiques, apprend de<br />
Louise les troubles politiques en France et raconte<br />
son attachement à l’enfant, évoque les mutineries<br />
avec De Blanet, regarde l’envol d’une montgolfière.<br />
La distance s’accentue avec Louise ainsi<br />
qu’avec la situation de la France. Jean-François de<br />
La Plaine disserte sur le libertinage et le statut de<br />
la femme avec De Blanet, l’abbé et Pierre<br />
Combaud. Il apprend d’Anne Brisseau les codes<br />
de la société esclavagiste. Anne Brisseau s’inquiète<br />
de voir Amélie élue par le gouverneur et lui<br />
demande de la lui vendre.<br />
Jean-François de la Plaine décide d’attribuer une<br />
chambre à Amélie. L’enfant grandit. La voix <strong>du</strong><br />
narrateur souligne son statut privilégié. Le gouverneur<br />
apprend la langue d’Amélie et lui apprend<br />
l’histoire française avec le jeu de l’oie. Il craint<br />
d’être rappelé en France. Par lettre, Louise se<br />
plaint de son abandon, annonce la Révolution. Le<br />
gouverneur n’approuve pas le trafic négrier et<br />
déclare à Pierre qu’Amélie est sa fille. Lors d’un<br />
dîner avec les hommes de la mission, le gouverneur<br />
affiche son amour filial pour Amélie. Anne<br />
Brisseau poursuit sa relation sensuelle avec le<br />
gouverneur sous les yeux d’Amélie.<br />
5. La capture négrière<br />
> (1h 09’) Louise écrit sa solitude. Jean-François<br />
de la Plaine visite un comptoir négrier. A son<br />
retour, il apprend la capture d’Amélie par les<br />
Maures, décide de partir à sa recherche. Il oblige<br />
le commandant De Blanet à lui donner une escorte.<br />
Il part à Podor, traverse rivière, brousse, un village<br />
de croisés, un campement nomade et dans le<br />
désert retrouve et libère Amélie. Puis c’est le<br />
retour à la mission.<br />
6. L’amour incestueux et le deuxième exil<br />
> (1h 24’) Le gouverneur, malade, est soigné par<br />
Amélie. La voix <strong>du</strong> narrateur évoque la fin des<br />
lettres de Louise, l’avènement de la République et<br />
le prochain départ, contraint, <strong>du</strong> gouverneur pour<br />
la France. Celui-ci engage une relation amoureuse<br />
avec Amélie. La mission devient républicaine.<br />
Anne Brisseau est jalouse de la relation avec<br />
Amélie et prédit le départ de Jean-François de La<br />
Plaine. Amélie attend un enfant. Un nouveau gouverneur<br />
est nommé. Jean-François de La Plaine<br />
fait ses adieux à Pierre et au commandant de<br />
Blanet. Par la voix <strong>du</strong> narrateur, on apprend que le<br />
gouverneur reviendra en Afrique, qu’Amélie est<br />
décédée en couches, et qu’il retrouve son fils.
■ ANALYSE DU RÉCIT<br />
La structure<br />
romanesque<br />
des Caprices<br />
d’un fleuve est en perpétuel mouvement entre<br />
un récit direct et indirect, décrivant par le jeu<br />
des lettres et la voix d’un narrateur la<br />
progression émotionnelle de Jean-François de La<br />
Plaine, le personnage vu par les autres.<br />
Le scénario des Caprices d’un fleuve s’appuie sur un récit épistolaire qui distancie<br />
la narration, la complexifie, et brise la transparence de l’action. Le récit<br />
invite à associer son organisation aux déplacements <strong>du</strong> personnage Jean-<br />
François de La Plaine, d’une société à une autre, et dans la manière dont il<br />
tourne autour de son objet de désir et le façonne : Amélie.<br />
> Fil narratif et fils narrateur<br />
Le <strong>film</strong> s’ouvre sur un <strong>du</strong>el raconté par le fils de Jean-François de la<br />
Plaine. Ce récit indirect donne le temps <strong>du</strong> récit, construit au passé en flashback,<br />
et le point de vue <strong>du</strong> <strong>film</strong>. Ce fils narrateur et fil narratif réapparaîtra<br />
dans la troisième partie <strong>du</strong> récit, lors de l’intro<strong>du</strong>ction <strong>du</strong> personnage d’Amélie<br />
(cadeau <strong>du</strong> roi Moktar), lors des scènes finales (sixième partie, disparition<br />
d’Amélie, abandon de Louise et deuxième exil de Jean-François).<br />
Le « personnage » <strong>du</strong> fils de Jean-François de La Plaine permettra de résoudre<br />
le problème de narration posé par la disparition <strong>du</strong> second fil romanesque, qui<br />
structure l’histoire en Afrique : l’échange épistolaire entre Louise et Jean-<br />
François en exil. Les lettres en effet jouent un rôle fondamental. Elles sont le<br />
hors-champ par lequel le personnage prend conscience de sa transformation et<br />
ont un statut équivalent à un monologue. Leur rôle est à la fois informatif,<br />
introspectif et temporel. Leur placement en ouverture ou en fermeture de plusieurs<br />
parties <strong>du</strong> récit en scande les étapes dramatiques (ainsi dans la troisième<br />
Correspondances<br />
partie, qui s’ouvre sur la voix de Louise et se clôt sur la voix de Jean-François).<br />
Les lettres sont le repère de la rupture historique (elles annoncent la<br />
Révolution) et <strong>du</strong> décalage vécu par Jean-François de la Plaine (quatrième partie).<br />
Ces lettres sont aussi une voix qui commente la progression amoureuse de<br />
Jean-François face à Amélie et se fait témoin de sa transgression (quatrième<br />
partie). La disparition de ces repères épistolaires (sixième partie) signe la fin de<br />
l’amour de Louise pour le gouverneur, la révolution intérieure de ce dernier et<br />
l’avènement <strong>du</strong> fils d’Amélie. Le fil narratif de la filiation reprend la place <strong>du</strong><br />
fil narratif amoureux. Ce procédé narratif ouvre et clôt Les Caprices d’un fleuve.<br />
> Film d’aventures, <strong>film</strong> de chambre<br />
Construit au passé par la voix <strong>du</strong> récitant, le <strong>film</strong> multiplie les décrochages<br />
avec le présent romanesque à l’intérieur de chaque partie. Ainsi l’expédition<br />
chez le roi Moktar : la scène débute par un échange direct entre les différents<br />
protagonistes et finit par la voix <strong>du</strong> narrateur qui commente la coutume. Ce<br />
chassé-croisé passé/présent brise la ligne narrative <strong>du</strong> <strong>film</strong> de genre (l’aventure)<br />
et ramène le récit sur le registre introspectif, à travers le personnage de<br />
Jean-François. La progression ne dessine pas de larges horizons extérieurs<br />
mais une ligne de fuite intérieure, resserrant l’action sur l’objet de la quête <strong>du</strong><br />
gouverneur : sa relation à Amélie (quatrième partie).<br />
Les scènes d’action (troisième et cinquième parties) sont enchâssées sur l’ambiguïté<br />
<strong>du</strong> désir éprouvé pour l’esclave (découverte, prise de conscience, perte,<br />
retrouvailles, refus, acceptation, transgression). Les expéditions sont prétexte<br />
à faire évoluer les protagonistes masculins dont les fonctions sociales posent<br />
l’enjeu historique de la situation : la relation au Commandant de Blanet,<br />
l’homme qui fait le choix de l’Afrique et d’une descendance métisse. C’est le<br />
miroir <strong>du</strong> gouverneur (scène sur le brick, troisième partie) dans son évolution<br />
intime. Cette structure relationnelle est complétée par l’aide de camp Pierre<br />
Combaud dans le rôle <strong>du</strong> « gentil » qui encourage d’un soutien fraternel et<br />
intellectuel la prédilection de Jean-François de La Plaine pour Amélie. Ces<br />
amitiés masculines placent en arrière-plan les autres personnages de la colonie<br />
(l’ordonnateur, le marchand d’esclaves), les « méchants » impliqués dans le<br />
trafic négrier. Le récit connaît une progression décisive dans une grande scène<br />
de confrontation sur l’esclavage (fin<br />
de la quatrième partie) où Amélie<br />
sera le centre d’une déclaration<br />
filiale.<br />
Ce n’est donc pas un paradoxe si ce<br />
<strong>film</strong> d’aventures est aussi un <strong>film</strong> de<br />
chambre : le salon et la chambre<br />
constituent le cœur des Caprices<br />
d’un fleuve, donnant un statut de<br />
rituel aux scènes d’amour. Celles-ci<br />
ponctuent la dramaturgie <strong>du</strong> désir<br />
dans le <strong>film</strong> : scène au salon des<br />
adieux avec Louise de Saint-Agnan<br />
dans la première partie ; scène sensuelle<br />
dans la chambre d’Anne<br />
Brisseau qui clôt la seconde partie ;<br />
scène réunissant Anne Brisseau et<br />
Jean-François de La Plaine sous le<br />
regard d’Amélie dans la quatrième<br />
partie ; scène où Jean-François de<br />
La Plaine et Amélie jouent au jeu<br />
de l’oie, et scène de la confrontation<br />
autour de la robe de Louise de<br />
Saint-Agnan dans la sixième partie.<br />
Ce canevas fictionnel très précis,<br />
placé entre une scène de <strong>du</strong>el en<br />
générique et une scène de cimetière<br />
en épilogue, a des accents tragiques.<br />
Le motif <strong>du</strong> désir et de la<br />
filiation, enjeu dramaturgique <strong>du</strong><br />
récit, rejoint ici le chassé-croisé<br />
passé/présent en suggérant un héritage<br />
négatif.<br />
9
10<br />
>1<br />
■ ANALYSE D’UNE SÉQUENCE<br />
Panoramique droite-gauche sur les<br />
pieds nus d’Amélie, marchant sur le<br />
tapis dans le salon. On entend Jean-<br />
François jouer <strong>du</strong> clavecin. L’effet<br />
de surprise vient <strong>du</strong> cadrage qui va<br />
être choisi. Le plan en légère plongée<br />
sur le bas de la robe en taffetas<br />
blanc et sur les pieds noirs annonce<br />
le centre dramaturgique de la<br />
scène. La robe est le signe extérieur<br />
d’une féminité occidentale, les<br />
pieds nus mettent l’accent sur la<br />
couleur de la peau, la transgression<br />
raciale. Le clavecin est l’instrument<br />
<strong>du</strong> désir depuis la scène d’ouverture<br />
<strong>du</strong> <strong>film</strong>, quand Louise de Saint-<br />
Agnan chantait accompagnée par<br />
Jean-François de La Plaine.<br />
Robe blanche, femme noire<br />
Jean-François de La Plaine se remet d’une longue fièvre après avoir sauvé Amélie, capturée dans le désert par les<br />
Maures. Cette esclave peule, donnée en cadeau par le roi Moktar, inspire au gouverneur un amour filial. Amélie<br />
est devenue une belle jeune fille. Elle rentre dans le salon de Jean-François, au clavecin. Le trouble s’installe…<br />
>2<br />
Travelling tournant vers la droite,<br />
montrant en plan large Jean-<br />
François au clavecin. Derrière lui,<br />
les rideaux sont tirés. Fin <strong>du</strong> mouvement<br />
sur Jean-François, le regard<br />
surpris : l’effet de sé<strong>du</strong>ction atten<strong>du</strong><br />
est l’impact de la robe sur le<br />
regard masculin. Nous sommes<br />
identifiés au personnage d’Amélie,<br />
à son attente <strong>du</strong> regard de<br />
« Monsieur le gouverneur », qu’elle<br />
interpelle off.<br />
>3<br />
Contrechamp en position symétrique<br />
sur Amélie en pied, vêtue de<br />
la robe blanche, une perruque sur<br />
la tête et portant de longues<br />
boucles d’oreilles en argent. Elle<br />
est cadrée devant le lit, sur un fond<br />
de draperie. Sa posture est picturale.<br />
Le tableau suggéré par cette mascarade<br />
présente une série de transformations<br />
: d’Amélie en Louise, de<br />
l’esclave en comtesse, de la femme<br />
noire en femme blanche, de la fille<br />
en femme. Nous sommes au cœur<br />
de la problématique exotique. Dans<br />
la vision masculine, l’esclave apparaît<br />
en « belle courtisane », image<br />
insoutenable pour Jean-François de<br />
La Plaine.<br />
>4<br />
Reprise <strong>du</strong> plan 2. Jean-François de<br />
La Plaine regarde sévèrement<br />
Amélie : « Qui t’a donné ça ? ». La<br />
mise en scène féminine et sophistiquée<br />
de la jeune fille soulève bien<br />
une question : Amélie serait-elle<br />
l’otage consentant ou la victime des<br />
manipulations d’un tiers ? A moins<br />
qu’il ne s’agisse d’une provocation<br />
de l’esclave en vue de s’affranchir,<br />
donc d’un acte d’émancipation.<br />
L’interrogation sur le sens de l’acte<br />
accélère le dispositif en champscontrechamps.<br />
La fonction rythmique<br />
<strong>du</strong> jeu de regards va de<br />
pair avec la formation <strong>du</strong> motif<br />
dramatique.<br />
>5<br />
Contrechamp et changement<br />
d’échelle de plan. C’est Anne<br />
Brisseau qui a donné la robe : l’aveu<br />
d’Amélie dévoile l’ensemble <strong>du</strong><br />
réseau relationnel intime <strong>du</strong> gouverneur,<br />
dont Anne Brisseau est<br />
l’initiatrice sur certains codes de la<br />
société esclavagiste et sur la position<br />
d’« élue » d’Amélie auprès de<br />
lui. Anne Brisseau est la figure<br />
métisse <strong>du</strong> désir, sa présence hors<br />
champ est une marque de son pouvoir<br />
et de son savoir sur les interdits.<br />
Cette révélation romanesque<br />
renseigne le spectateur sur la situation<br />
triangulaire et le rôle de l’esclave,<br />
objet des jeux de sé<strong>du</strong>ction.
Construite selon le code classique <strong>du</strong> champ-contrechamp avec crescendo dans l’échelle des plans, cette séquence est une scène de genre<br />
propre au <strong>film</strong> d’aventure exotique, mais aussi un résumé de l’enjeu romanesque des Caprices d’un fleuve : la quête de Jean-François,<br />
le statut de l’Autre, <strong>du</strong> désir et de la loi dans le récit, et la place <strong>du</strong> regard dans la mise en scène de Bernard Giraudeau.<br />
>6<br />
Reprise <strong>du</strong> plan 4. En off, voix<br />
d’Amélie : « C’est une surprise pour te<br />
faire plaisir ». Enervement de Jean-<br />
François de La Plaine devant cet<br />
acte de transgression : « C’est une<br />
mauvaise surprise, tu es ridicule dans<br />
ce costume ». Le gouverneur fait<br />
pression. La tension dramaturgique<br />
s’affine grâce au montage, qui permet<br />
au spectateur d’apprécier et<br />
d’identifier les effets de regard.<br />
L’espace clos de la scène renforce<br />
son caractère transgressif.<br />
>7<br />
Contrechamp en plan américain<br />
serré sur Amélie. Off, voix <strong>du</strong> gouverneur<br />
: « Qui veux-tu imiter ? ».<br />
Amélie, baissant les yeux, avec violence<br />
: « La dame blanche <strong>du</strong> portrait,<br />
Louise, elle a une robe… » Le ton de<br />
la voix, malgré l’apparente soumission,<br />
souligne l’enjeu sexuel de la<br />
confrontation : prendre la place de<br />
l’autre femme. L’échange dialogué<br />
installe de façon plus ouverte un<br />
registre <strong>du</strong> désir qui n’avait pas été<br />
exploré par Jean-François de La<br />
Plaine, puisque dans le regard <strong>du</strong><br />
maître, Amélie, l’esclave, a valeur de<br />
fille.<br />
>8<br />
Plan poitrine serré sur Jean-<br />
François de la Plaine. Off, voix<br />
d’Amélie : «…comme celle-ci ».<br />
« La dame blanche est… blanche. Toi,<br />
tu es africaine, reste-le » : Jean-<br />
François de La Plaine essaie de se<br />
calmer, détourne la tête et pose ses<br />
deux mains sur le clavecin : « Tu es<br />
belle avec tes pagnes ». Le gouverneur<br />
redéfinit les places qui régissent<br />
la hiérarchie dans le libertinage<br />
mais admet par la même occasion<br />
son attrait incestueux pour Amélie.<br />
La mise en scène travaille une rhétorique<br />
<strong>du</strong> dévoilement <strong>du</strong> discours<br />
sé<strong>du</strong>cteur. Le crescendo est manifeste<br />
par le resserrement des plans.<br />
>9<br />
Contrechamp. Amélie retire sa perruque<br />
en fixant Jean-François :<br />
« Pas avec cette robe ? » La scène est<br />
relancée sur le thème <strong>du</strong> défi exotique<br />
et joue d’une alternance entre<br />
soumission et résistance vis-à-vis<br />
<strong>du</strong> désir <strong>du</strong> maître. La place<br />
convoitée par l’esclave brise la<br />
fiction de son statut de « fille » de<br />
Jean-François de La Plaine. Le<br />
geste d’Amélie nous ramène à la<br />
scène d’arrivée <strong>du</strong> gouverneur à<br />
Cap Saint-Louis, quand face au<br />
miroir, il s’est défait des signes de<br />
son appartenance à la Cour. Il<br />
rappelle la condition de rupture<br />
sociale et historique vécue par<br />
Jean-François.<br />
>10<br />
11<br />
Reprise <strong>du</strong> plan 8. Plan poitrine<br />
serré sur Jean-François, qui hésite à<br />
répondre, agite la tête. « Tu es belle<br />
avec cette robe mais tu es ridicule, c’est<br />
tout ! » Il refuse, de façon arbitraire,<br />
de livrer bataille et concède <strong>du</strong> terrain<br />
à Amélie. La deuxième allusion<br />
à sa beauté déplace la confrontation<br />
sur les codes sociaux. Il ruse avec<br />
Amélie sans user de violence directe<br />
mais remet en jeu les positions de<br />
classes.
12<br />
>11<br />
Contrechamp. Reprise <strong>du</strong> plan 9.<br />
Off, voix <strong>du</strong> gouverneur : « Je n’aime<br />
pas cette robe ». « Tu la préfères sur la<br />
Signare ! Ma peau est trop noire pour<br />
porter une robe comme ça ? » Après la<br />
femme blanche, la femme métisse<br />
fait l’objet d’une attaque d’Amélie,<br />
valorisée dans la logique marchande<br />
par sa caste dite de « sang pur » en<br />
comparaison <strong>du</strong> « sang mêlé ».<br />
L’affrontement témoigne de la justesse<br />
de la reconstitution historique<br />
car les positions des métis étaient<br />
très controversées dans la société<br />
esclavagiste et situées souvent <strong>du</strong><br />
côté des négriers. La robe permet<br />
de créer une tension dramatique en<br />
un temps record.<br />
>12<br />
Reprise <strong>du</strong> plan 10. Jean-François<br />
de La Plaine parle plus doucement :<br />
« Enlève-moi ça !… Tout de suite ! »<br />
L’ordre provoque la mise à nu de la<br />
rhétorique <strong>du</strong> maître et de l’esclave :<br />
le maître est aussi un maître de la<br />
jouissance. On se rappelle que,<br />
dans le <strong>film</strong>, la place de la femme<br />
dans les scènes d’amour exprime un<br />
pouvoir partagé : c’est Anne<br />
Brisseau qui donnait des ordres<br />
amoureux et se montrait active et<br />
Louise qui sollicitait le désir de<br />
l’homme, ces deux femmes étant<br />
des « femmes mûres ».<br />
>13<br />
Reprise <strong>du</strong> plan 11. Amélie ne<br />
bouge pas. La tension explose sans<br />
que les personnages quittent leur<br />
place. C’est dans le statu quo que se<br />
joue la résolution de la scène : l’esclave<br />
est un objet au sens légal et<br />
son image est captée par le désir <strong>du</strong><br />
maître. Elle doit son identité et son<br />
existence à cette élection extraordinaire.<br />
La transformation d’Amélie<br />
se situe dans l’acceptation ambiguë<br />
de son statut d’objet.<br />
>14<br />
Reprise <strong>du</strong> plan 12. Jean-François<br />
de La Plaine baisse les yeux. Il a<br />
gagné cette manche. Il résiste à la<br />
substitution et semble valider la<br />
défaite d’Amélie vis-à-vis des deux<br />
autres femmes : Louise et Anne<br />
Brisseau, « l’amour de France » et<br />
« l’amour métis ». Il manifeste<br />
l’éten<strong>du</strong>e de son pouvoir de sé<strong>du</strong>ction,<br />
la crainte, la peur ou l’admiration<br />
qu’il peut susciter.<br />
>15<br />
Plan rapproché d’Amélie, qui pleure,<br />
cadrée centrée devant les draperies.<br />
Hors-champ Jean-François se<br />
remet à jouer <strong>du</strong> clavecin. Amélie<br />
retire son châle en le regardant puis<br />
elle tire sur le lacet <strong>du</strong> corset et<br />
défait sa robe. La loi dramaturgique<br />
<strong>du</strong> <strong>film</strong> se précise. Le code<br />
amoureux obéit à une esthétique<br />
musicale, signal déclencheur <strong>du</strong><br />
désir (cf. plan 1). La défaite<br />
d’Amélie n’est donc qu’apparente.<br />
En utilisant son état de soumission,<br />
elle assure sa victoire de femme et<br />
rappelle la fragilité des interdits.
16<br />
Plan rapproché sur les jambes<br />
d’Amélie : la robe tombe à ses<br />
pieds. Occupant le centre de la<br />
séquence, moteur de la formation<br />
<strong>du</strong> couple, la robe est un véritable<br />
personnage. La chute trouve une<br />
efficacité scénaristique en travaillant<br />
le vu et le caché (cf. le plan<br />
cadré épaules) et la richesse sémantique<br />
<strong>du</strong> geste d’Amélie. L’esclave<br />
« s’offre » au maître (se vend-elle,<br />
se donne-t-elle, sera-t-elle prise ?).<br />
>17<br />
Gros plan de Jean-François de La<br />
Plaine qui relève la tête, troublé.<br />
« Qu’est-ce que tu fais ? » L’acmé de<br />
cette scène et sa résolution sont<br />
dans la mise à distance des rapports<br />
de la société esclavagiste, dont le<br />
spectateur a eu toutes les clés et a<br />
pu mettre à jour tous les écarts.<br />
> 18<br />
Amélie nue, cadré aux épaules, des<br />
larmes coulant sur sa joue, tête<br />
baissée. « Tu m’as dit d’enlever cette<br />
robe. Je ne suis qu’une esclave ». Tête<br />
relevée vers Jean-François de La<br />
Plaine. Amélie gagne sa place de<br />
femme en affirmant son statut d’esclave<br />
et souligne la connivence qui<br />
la lie au gouverneur. En toile de<br />
fond, des draperies dont l’aspect<br />
figé rappelle qu’en dépit <strong>du</strong> discours<br />
philosophique sur l’émancipation<br />
des nègres et de la prise de la<br />
Bastille, le rapport inégalitaire historique<br />
est recon<strong>du</strong>it sur le plan<br />
sentimental.<br />
>19<br />
Reprise <strong>du</strong> plan 17. Jean-François de<br />
La Plaine est troublé, « Amélie… ».<br />
Le « nœud » se dénoue. En nommant<br />
l’objet de son désir, le gouverneur<br />
donne sens à sa quête. Amélie<br />
sera faite femme mais elle signe aussi<br />
son arrêt de mort : ainsi finalement<br />
substituée à Louise de Saint-Agnan,<br />
elle appartient à l’ancien monde qui<br />
s’effondre. Elle est donc en position<br />
sacrifiée.<br />
>20<br />
13<br />
Jean-François rejoint Amélie, retire<br />
ses boucles d’oreilles en la regardant<br />
dans les yeux. Il la prend dans<br />
ses bras. Cette séquence se clôt sur<br />
la figure de départ : un panoramique.<br />
Le chassé-croisé cependant<br />
n’est pas équivalent. Le gouverneur<br />
fait le pas vers l’esclave, ce qui est<br />
un acte de modernité : il est en<br />
accord avec ses idées nouvelles (il<br />
fera l’éloge de la différence) tout en<br />
restant dans une configuration qui<br />
lui laisse ses privilèges. La transgression<br />
est ici suggérée et non<br />
montrée, donnant une impulsion<br />
chorégraphiée à la trajectoire <strong>du</strong><br />
désir, maudite pour Amélie.
14<br />
Un aventurier complexe.<br />
COMMENT<br />
<strong>LES</strong> <strong>CAPRICES</strong> D’UN<br />
<strong>FLEUVE</strong> ILLUSTRE<br />
SA SINGULARITÉ<br />
1 > Un romanesque<br />
plus sombre.<br />
2 > Le personnage d’Amélie<br />
déjoue le dispositif <strong>du</strong><br />
<strong>film</strong> d’aventures.<br />
3 > Jean-François de La Plaine<br />
est un aventurier<br />
en mutation.<br />
4 > Les personnages <strong>du</strong> <strong>film</strong><br />
ont fait le choix de<br />
la différence.<br />
5 > Le récit offre plusieurs<br />
approches, de l’action<br />
à l’introspection.<br />
■ ORIENTATIONS<br />
Sens de la mise en scène, sens <strong>du</strong> <strong>film</strong><br />
Un <strong>film</strong> qui marque<br />
sa différence<br />
Au cœur d’une Afrique d’aventures, Bernard Giraudeau met en scène une histoire faussement<br />
exotique dont il fait un pari contemporain, au regard des idées comme <strong>du</strong> cinéma.<br />
1 > Le faux genre<br />
C’est un jeu de quatre coins que nous suggère l’aventure africaine de<br />
Bernard Giraudeau. Tout, dans Les Caprices d’un fleuve, nous laisse croire que<br />
nous partons pour un de ces voyages exotiques dont le cinéma possède le secret<br />
de fabrication et la légitime tradition. Musique romantique sur la côte africaine,<br />
lumière ocre splendide de Jean-Marie Dreujou, une nouvelle destinée s’annonce<br />
que l’on imagine de cape et d’épée comme le prologue semblait<br />
l’annoncer : scène de <strong>du</strong>el, château, personnages grimaçants d’une fin de siècle<br />
crépusculaire et négrillons serviles qui annoncent les plaisirs charmeurs de<br />
l’Afrique.<br />
Tous les ingrédients exotiques sont présents et pourtant ce scénario potentiel,<br />
pensé pour une reconstitution fidèle d’après les sources documentaires, est très<br />
vite laissé à l’abandon au profit d’un romanesque plus souterrain, plus sombre.<br />
Le moteur <strong>du</strong> <strong>film</strong> est ailleurs, dans la partie de quatre coins. Elle est constituée<br />
par le meneur <strong>du</strong> jeu, Jean-François de La Plaine, et son désir envers trois<br />
femmes : Louise d’abord, la femme pour l’amour de laquelle il a tué, encore<br />
liée à lui par une attache fantomatique. Femme de cœur, femme de l’exil, elle<br />
teinte de nostalgie tout libertinage. La deuxième dame de cœur est Anne<br />
Brisseau, la Signare, femme de pouvoir et de sexe dont le gouverneur a besoin<br />
pour s’ouvrir aux codes nouveaux de la société esclavagiste. Il y a enfin Amélie,<br />
la « femme oblique », l’esclave placée entre les deux autres femmes, qui révèle<br />
l’envers <strong>du</strong> décor et cristallise les attentes <strong>du</strong> héros.<br />
2 > La femme oblique<br />
Cette « oblique » fait dérailler le dispositif de fiction <strong>du</strong> <strong>film</strong> d’aventures.<br />
Le genre est cependant respecté. Le cinéma d’aventure est au service des récits<br />
dominants sur l’ailleurs dans lesquels l’étranger, l’Autre, fait de la figuration.<br />
Chez Giraudeau, la ligne <strong>du</strong> récit ne modifie pas en profondeur l’équilibre des<br />
forces. La voix off prédominante reste celle de l’amour de Jean-François pour<br />
Louise, <strong>du</strong> maître et de la courtisane. Ce récit officiel forme la poutre maîtresse<br />
de l’amour. Il en détermine la qualité légitime et donne la mesure par laquelle<br />
se dessinera une possible transgression – ce qui ne signifie pas que le spectateur<br />
pénètrera dans l’intimité <strong>du</strong> personnage d’Amélie.<br />
L’esclave est silence à l’écoute <strong>du</strong> maître pédagogue, objet de son désir, captive<br />
de sa maison et restera sous sa direction. Le récit, malgré la cassure de la<br />
Révolution, ne lui donnera pas d’autre chance que celle d’exister dans les places<br />
que lui offre le maître. Amélie n’est pas un symbole d’affrontement car la mise<br />
en scène définit un même point de vue, celui des négriers. Il n’y a donc pas de<br />
point de vue équivalent sur Amélie, qui montrerait sa progression sentimentale,<br />
ses désirs, sa volonté ou son refus d’émancipation.<br />
3 > L’aventurier complexe<br />
La pertubation <strong>du</strong> genre se situe dans la construction <strong>du</strong> personnage de<br />
« l’aventurier » Jean-François de La Plaine, défini en « négrier complexe ».<br />
Dans le <strong>film</strong> d’aventures, il y a un tragique potentiel, des héros qui transgressent<br />
ou qui parfois échouent dans leur désir de se refonder. Chez Giraudeau,<br />
le tragique et sa présence mortifère se signalent à travers le sacrifice d’Amélie
et l’atmosphère crépusculaire (cf. la lumière d’aube qui baigne le <strong>film</strong>, à mettre<br />
en relation avec la scène de <strong>du</strong>el en ouverture, et la scène <strong>du</strong> cimetière en clôture).<br />
Le couple lumineux formé par Jean-François de La Plaine et Amélie, en<br />
harmonie sur les plages de Gorée, est un rêve éphémère. Car le <strong>film</strong> ne porte<br />
pas jusqu’au bout son énergie émancipatrice : c’est un chaos qui s’annonce.<br />
Mais c’est ce chaos qui donne au <strong>film</strong> son sens moderne.<br />
Le personnage d’Amélie se substitue pour Jean-François de La Plaine à son<br />
miroir brisé. Il lui sert de formidable révélateur identitaire de sa fracture et de<br />
sa transformation. Cette relation oblique fait bouger le maître et va le fissurer,<br />
tout en lui laissant une chance de survie et la possibilité de se perpétuer. Cette<br />
« femme oblique » ouvre un champ nouveau dans le paysage de Jean-François<br />
car elle l’oblige à se dévoiler. Ce dévoilement, qui passera par la filiation entâchée<br />
d’inceste, débouche sur un illégitime relégitimé. L’aventurier est un<br />
homme défait confronté à une mutation profonde de sa destinée. « L’homme<br />
de qualité » <strong>du</strong> futur devra assumer les valeurs issues de sa relation avec Amélie.<br />
4 > Les relations à l’Autre<br />
Les modifications apportées au genre <strong>du</strong> <strong>film</strong> d’aventures se manifestent<br />
également dans le fait de focaliser le récit sur des personnages de « Blancs africains<br />
» en contact étroit avec l’Autre, esclaves affranchis ou non. Mettre en<br />
gros plan ceux qui ont fait le choix de la différence, et anticiper dans le temps,<br />
en intro<strong>du</strong>isant la voix <strong>du</strong> fils, sur ce que ces relations pourraient pro<strong>du</strong>ire, est<br />
le pari contemporain <strong>du</strong> <strong>film</strong>. C’est pourquoi le jeu de quatre coins au féminin,<br />
qui fait progresser l’action, est complété par les regards essentiels des alter ego<br />
de Jean-François de La Plaine : le commandant De Blanet et Pierre Combaud,<br />
protagonistes masculins de cette aventure. Initialement, dans le scénario, De<br />
Blanet, devait être la voix off <strong>du</strong> récit <strong>du</strong> <strong>film</strong>. Giraudeau avait pensé privilégier<br />
ce personnage, nourri de ses nombreuses recherches archivistiques. Il est celui<br />
qui a la conscience de sa place et ne se fait guère d’illusion sur ses choix. Mais<br />
il les assume dans une certaine honnêteté et l’on voit se profiler derrière ce personnage<br />
franc, qui respecte l’ordre et qui suit les mutations de l’Histoire, qui<br />
en épouse finalement les nouvelles donnes, une version coloniale progressiste<br />
des « Blancs d’Afrique ». Le spectateur peut projeter une figure humanitaire<br />
romanesque et contemporaine au service de l’Autre. Pierre de Combaud est<br />
défini par la posture intellectuelle novatrice que le dix-huitième siècle a promu,<br />
dont la trace essaime dans les figures illustres des savants qui accompagnent les<br />
expéditions des contrées lointaines : ce sont les amoureux des civilisations<br />
étrangères. Ce personnage est le porteur <strong>du</strong> discours nouveau sur l’Autre. Jean-<br />
François de La Plaine l’invite à rédiger « un éloge de la différence ». Il sera<br />
sacrifié (il meurt de maladie) mais, comme Amélie, son sacrifice ouvre la génération,<br />
au sens intellectuel <strong>du</strong> terme. Le thème de l’aventure, <strong>du</strong> voyage est<br />
ainsi recon<strong>du</strong>it, mais pour être transformé.<br />
5 > Un récit éclaté<br />
Les références à l’action <strong>du</strong> <strong>film</strong> d’aventures sont clairement dessinées<br />
dans Les Caprices d’un fleuve. Les scènes d’action sont fidèles à ce que le cinéma<br />
hollywoodien crée en la matière : attaque de chevaux dans le désert et embuscade<br />
sur les mers nous rappellent les épopées héroïques des <strong>film</strong>s de corsaires,<br />
les expéditions des peplums. Mais Giraudeau expédie ces morceaux de bravoure<br />
(la séquence de la libération d’Amélie dans le désert <strong>du</strong>re deux minutes) au<br />
profit d’un récit éclaté, qui, par l’exil, le pouvoir et la filiation dessine, à travers<br />
l’enfant métis, une issue positive.<br />
Ce principe dramaturgique ne ménage pas le spectateur. Nous sommes invités<br />
à l’évasion sans que la mise en scène tranche suffisamment tôt sur l’orientation<br />
qui sera donnée à ce dépaysement. Le décor et l’image flattent notre plaisir de<br />
pur spectateur et de cinéphile. Mais chaque fois que le récit s’engage sur cette<br />
voie, la voix off opère un retour en arrière (le passé <strong>du</strong> personnage de Jean-<br />
François de La Plaine) ou un passage en avant (son parcours recomposé par son<br />
fils) qui viennent brouiller la lecture <strong>du</strong> <strong>film</strong>. Le spectateur est avec Jean-<br />
François mais souhaite découvrir Amélie, il est dans le romanesque et dans la<br />
critique philosophique, il est dans la proximité d’un désir masculin envers des<br />
femmes et <strong>du</strong> côté de l’amitié masculine, il est dans l’action et dans l’introspection,<br />
il est confronté à un héritage négatif (les personnages sont des êtres<br />
blessés, en rupture, et ne connaissent pas tous une fin heureuse) et sommé de<br />
donner un sens moderne et positif à l’aventure pour les siècles à venir.<br />
Cette fiction exotique faussement classique est tiraillée par des forces opposées<br />
et travaille à l’émergence de nouvelles positions dans le cinéma en général, et<br />
pour l’auteur Giraudeau en premier lieu. A travers Les Caprices d’un fleuve,<br />
celui-ci s’est confronté à une grande forme<br />
cinématographique (le <strong>film</strong> d’aventures) et<br />
au discours historique sur l’Autre pour<br />
dessiner des constructions utopiques sur<br />
l’altérité et une relation bousculée au<br />
passé, qui sont les axes majeurs de son<br />
œuvre.<br />
« Blancs d’Afrique », prêts à voir<br />
le monde sous un autre jour,<br />
eux-mêmes déjà différents.<br />
15<br />
Une image de<br />
la fracture identitaire de<br />
Jean-François de La Plaine.
16<br />
Une esthétique à la fois<br />
hollywoodienne<br />
et picturale.<br />
■ CLÉS POUR DES MOMENTS CLÉS<br />
De la scène aux coulisses<br />
En mettant en scène une bataille à<br />
grand spectacle et une bataille de<br />
visages lors d’un dîner, Bernard<br />
Giraudeau trouve deux manières<br />
d’aborder la question de l’esclavagisme et de sa<br />
représentation.<br />
> La libération d’Amélie dans le désert<br />
Le <strong>film</strong> d’aventures s’articule essentiellement autour de scènes d’action<br />
spectaculaires. Dans le cinéma américain, celles-ci étaient tournées par les<br />
secondes équipes, ce qui laissait aux réalisateurs de l’ombre le soin d’exprimer<br />
leur talent pour mettre en scène chevauchées, batailles, cascades, charges de<br />
brigade légère, joutes chevaleresques.<br />
Dans Les Caprices d’un fleuve, la recherche d’Amélie dans le désert, afin de la<br />
délivrer des Maures, est un moment clé d’une scène de genre <strong>du</strong> <strong>film</strong> d’aventure.<br />
Dirigé par Bernard Giraudeau, avec pour conseiller équestre Mario<br />
Luraschi, ce moment de bravoure cinématographique est bâti selon une rythmique<br />
très précise. Le rôle de la musique – le Magnificat de Vivaldi – est essentiel<br />
comme « élévation » de cette scène à vocation mystique.<br />
La construction montre l’assemblage musique/action pour la mise en place<br />
d’une poursuite. Un plan d’ensemble des <strong>du</strong>nes fait apparaître au loin la troupe<br />
des « libérateurs ». Le leitmotiv musical intro<strong>du</strong>it des chants lyriques, en<br />
sourdine, créant un effet émotionnel qui annonce un éclairage dramatique. La<br />
troupe apparaît alors en ligne derrière la <strong>du</strong>ne. Après un fon<strong>du</strong> enchaîné, on<br />
revient sur les « attaquants », Jean-François de La Plaine et Pierre Combaud,<br />
qui gravissent une <strong>du</strong>ne, s’arrêtent et regardent. La colonne d’esclaves apparaît,<br />
<strong>film</strong>ée <strong>du</strong> point de vue subjectif de Jean-François. Puis celui-ci, en plan<br />
poitrine, déterminé, son épée en main, charge au galop dans un mouvement de<br />
ralenti. Plan moyen serré sur les esclaves qui ne voient rien, ni n’entendent<br />
rien. Cette combinaison entre ralenti et plan « sourd » accentue le suspense et<br />
décuple l’émotion. Se succèdent alors des mouvements de ralenti montrant les<br />
trois attaquants : Jean-François qui charge, un « croisé » et le maître des<br />
langues. La bande-son anticipe sur le déclenchement de l’attaque. Le thème<br />
musical s’amplifie, éclate avec le chant lyrique <strong>du</strong> Magnificat mêlé au bruit des<br />
chevaux, aux cris et à la sucession rapides des plans.<br />
On trouve dans l’esthétique de cette scène d’action une allusion aux fantasias<br />
orientalistes représentées par le peintre Delacroix au dix-neuvième siècle. Avec<br />
une musique qui joue des effets d’intermittence, d’interruption, de silence et<br />
d’amplification émotionnelle, cette scène de bravoure témoigne d’une vision<br />
mystique de la libération d’Amélie.<br />
> La déclaration de l’amour filial<br />
Le repas offert par Jean-François de La Plaine, dans la galerie <strong>du</strong> palais,<br />
aux hommes de la société esclavagiste, est une scène qui rassemble l’expression<br />
de tous les justificatifs phi-<br />
losophiques de la position<br />
négrière : une scène importante<br />
qui témoigne de la<br />
justesse de la reconstitution<br />
historique. Sur le plan<br />
cinématographique, cette<br />
Une scène qui témoigne de<br />
la justesse de la reconstitution<br />
historique.<br />
scène est fondée sur la dynamique des regards, qui soulignent les différences de<br />
races et de classes par une opposition entre les gros plans sur les visages des<br />
maîtres et les regards des domestiques qui servent le repas. Le principe de<br />
montage, créant un chevauchement <strong>du</strong> dialogue sur le visage de celui qui<br />
l’écoute, permet de mesurer la violence de ce qui est dit dans un climat feutré.<br />
Ainsi, quand l’ordonnateur s’exclame : « Comment peut-on parler d’amitié<br />
quand il s’agit d’un nègre ? », le spectateur a les yeux rivés sur Siméon posant<br />
un plateau à côté d’un chandelier.<br />
Ce principe de construction permet l’intro<strong>du</strong>ction <strong>du</strong> point de vue silencieux<br />
de l’esclave, notamment d’Amélie qui « de la coulisse » regarde et écoute les<br />
propos violents des esclavagistes et fixe également Jean-François qui ordonne<br />
en maître de cérémonie les différentes étapes <strong>du</strong> repas. Le contrepoint de la<br />
relation empathique qui lie le gouverneur et Amélie installe le crescendo dramaturgique<br />
jusqu’à la déclaration de l’amour filial pour Amélie.
■ EXPLORATIONS<br />
L’univers d’un héros<br />
Film d’aventures, Les Caprices d’un fleuve est aussi un <strong>film</strong>-portrait qui place le personnage<br />
de Jean-François de La Plaine au centre des regards, et au cœur des interrogations.<br />
> L’aventurier<br />
A travers Jean-François de La<br />
Plaine, différentes figures de l’aventurier<br />
se croisent dans Les Caprices d’un<br />
Fleuve, présentant des facettes multiples<br />
: l’amuseur, l’homme de courage,<br />
l’homme libre, l’homme d’honneur,<br />
le sé<strong>du</strong>cteur, le héros d’une<br />
aventure intérieure, identitaire. Ces<br />
différentes caractéristiques <strong>du</strong> personnage<br />
nous sont livrées par son parcours<br />
psychologique et physique, ses<br />
relations avec les femmes, notamment<br />
avec Amélie, et avec son entourage, ou par les scènes d’action. Il faut distinguer les changements<br />
d’archétypes de la figure de l’aventurier pro<strong>du</strong>its par les lieux (de la colonie au<br />
bateau sur le fleuve, <strong>du</strong> salon à la chambre d’Amélie), et par les retours sur soi (la lecture<br />
des lettres de Louise, les conversations de Jean-François de La Plaine avec ses proches, les<br />
regards des domestiques).<br />
Les valeurs <strong>du</strong> héros (la découverte de l’esclavage et son rapport de maître avec son esclave)<br />
sont aussi un des thèmes à explorer en relation avec la figure de l’aventurier : est-il<br />
d’emblée <strong>du</strong> côté <strong>du</strong> démuni, est-il un libérateur, un profiteur ?<br />
> La lettre<br />
On peut distinguer dans le <strong>film</strong> le discours parlé de la lecture, celle des lettres de<br />
Louise ou à Louise. Le rôle de la lettre varie selon qu’elle est lue à haute voix, récitée intérieurement,<br />
qu’on nous la montre en train d’être écrite ou qu’on la découvre déjà terminée,<br />
qu’elle est enten<strong>du</strong>e à travers la voix de son auteur (y compris quand son destinataire<br />
la lit) ou celle de son lecteur. Est-elle associée au journal intime ? A-t-elle vocation d’intro<strong>du</strong>ire<br />
des non-dits ? Comment fait-elle progresser le récit ? On peut en particulier s’interroger<br />
sur une double fonction de la lettre, qui permet à la fois l’anticipation ou le flash-<br />
back. On peut également faire apparaître la<br />
manière dont la lettre est magnifiée par la<br />
musique, et mettre en parallèle cette récitation<br />
intérieure intime et le thème de la chanson <strong>du</strong><br />
<strong>film</strong>, Samayon.<br />
> Le flash-back<br />
Le récit cinématographique ne différencie<br />
pas d’emblée la simultanéité, la réitération et la<br />
remémoration : au milieu d’un retour en arrière,<br />
le spectateur pourrait se croire dans le présent<br />
<strong>du</strong> <strong>film</strong> si des indices ne lui avaient permis de<br />
situer temporellement l’action. Dans Les<br />
Caprices d’un fleuve, c’est à travers le générique<br />
que se met en place le chassé croisé passé/présent<br />
et s’organise le flash-back. Cette mise en<br />
scène <strong>du</strong> temps mérite d’être observée de façon<br />
détaillée pour mettre en évidence l’importance<br />
de ces différents motifs : ouverture au noir sur<br />
les tapisseries, fon<strong>du</strong> enchaîné et intro<strong>du</strong>ction<br />
de la voix off <strong>du</strong> narrateur, glissement <strong>du</strong> leitmotiv<br />
musical et des sons directs qui accompagnent<br />
la scène <strong>du</strong> <strong>du</strong>el sur la séquence suivante,<br />
un panoramique sur un paysage anticipant sur<br />
les adieux de Jean-François de La Plaine, au<br />
château.<br />
> Le portrait<br />
Dans le portrait, l’indivi<strong>du</strong> se détache <strong>du</strong><br />
groupe, en étant représenté seul sur un fond<br />
quelquefois neutre. Le portrait est aussi signifiant<br />
par les accessoires, les costumes, les bijoux,<br />
de l’appartenance à une classe et un ordre social.<br />
Il témoigne autant <strong>du</strong> besoin d’une représentation<br />
sociale que d’une subjectivité. Le portrait<br />
de Louise suit Jean-François de La Plaine dans<br />
le moindre de ses déplacements en Afrique. Il<br />
circule comme la musique <strong>du</strong>rant tout le <strong>film</strong>.<br />
Son rôle romanesque est important. Ce tableau<br />
est une carte <strong>du</strong> tendre qui renseigne sur l’âme,<br />
le temps <strong>du</strong> héros et son histoire psychologique.<br />
Il a donc une fonction de dévoilement. La<br />
séquence où apparaît le tableau est un indice qui<br />
peut être croisé avec le rôle <strong>du</strong> miroir pour Jean-<br />
François de La Plaine. Portrait et autoportrait<br />
installent un dialogue, comme les lettres entre<br />
Louise et le gouverneur. Repérez également à<br />
quel moment Amélie fait l’objet d’une représentation,<br />
s’empare à son tour <strong>du</strong> tableau, ce qui<br />
annonce qu’elle est prête à se substituer à<br />
Louise.<br />
17<br />
Le portrait fétiche de<br />
Louise de Saint-Agnan.
18<br />
■ LE LANGAGE DU FILM<br />
La griffe <strong>du</strong> passé<br />
A travers la fresque historique, le spectacle et les intrigues amoureuses, Les Caprices d’un fleuve s’affronte au cinéma de genre<br />
pour être, avec les atouts d’hier, un <strong>film</strong> d’aujourd’hui.<br />
Le <strong>film</strong> d’aventure<br />
Comme le thème de la frontière dans le western, le thème <strong>du</strong><br />
voyage et de l’aventure exotique est fondateur d’un cinéma de<br />
genre hollywoodien. Suivre son évolution dans le récit de fiction<br />
contemporain nous permet de mesurer l’emploi et le<br />
renouvellement de ses codes.<br />
Selon Patrick Brion, qui a consacré au cinéma d’aventures un<br />
livre de référence 1 , trois grandes périodes structurent l’histoire<br />
<strong>du</strong> <strong>film</strong> d’aventure : les années 30 avec la sortie de la crise économique<br />
américaine, les années 50 avec l’apparition de la télévision<br />
et des nouvelles techniques de projection (le relief et le Cinémascope) et les années 60 avec la pro<strong>du</strong>ction en Europe<br />
de grands peplums bibliques à Cinecittà et des comédies à la française qui font évoluer le concept. On pourrait ajouter la<br />
période des années 1980 avec l’exploration d’univers fantastiques grâce aux nouvelles technologies utilisées au cinéma.<br />
Tout au long de l’histoire <strong>du</strong> cinéma hollywodien, le « rêve américain » est avide de nouveaux décors et d’aventuriers qui<br />
ont le pouvoir de contrôler leur destin. Quatre caractéristiques nourrissent le <strong>film</strong> d’aventures : l’autonomie <strong>du</strong> héros, son<br />
autorité et son pouvoir absolu, la nouveauté et la différence <strong>du</strong> monde où il évolue. Les plus grands réalisateurs des studios<br />
d’Hollywood s’illustrent dans ce genre : Victor Fleming avec L’Ile au trésor (1934) ou Capitaine courageux (1937), John<br />
Ford avec Mogambo (1953), Raoul Walsh avec L’Esclave libre (1957), Jacques Tourneur avec La Flibustière des Antilles (1951).<br />
Les acteurs trouvent dans ce genre matière à des rôles de panache, Errol Flynn, Tyrone Power, Clark Gable, Gary Cooper<br />
ou Georges Sidney sont les héros d’exception d’aventures indivi<strong>du</strong>elles.<br />
En France le thème de l’aventure est synonyme de comédie parce qu’il emprunte ses sources au roman picaresque.<br />
Christian-Jaque avec Fanfan La Tulipe (1951) ou Philippe de Broca avec L’Homme de Rio (1963) débarrassent l’aventure de<br />
toute connotation tragique pour ne garder qu’un archétype d’aventure fantaisiste.<br />
Le thème des Caprices d’un fleuve s’inscrit dans la tradition <strong>du</strong> <strong>film</strong> d’aventures : son héros, Jean-François de La Plaine, quitte<br />
l’Ancien Monde pour aborder une terre inconnue. Il se libère <strong>du</strong> passé et, à travers l’expérience de l’esclavage, découvre<br />
son pouvoir, le lieu de sa transformation et d’une différence qui redéfinit les valeurs <strong>du</strong> Nouveau Monde. Comme ses<br />
illustres prédécesseurs, Les Caprices d’un fleuve est un <strong>film</strong> qui fait la part belle aux acteurs, et notamment à son héros incarné<br />
par Bernard Giraudeau. L’écart avec le genre se révèle par l’emploi <strong>du</strong> code épistolaire et l’exploration de la thématique<br />
de l’exil qui « voilent » l’aventure.<br />
1. Le Cinéma d’aventures, de Patrick Brion, éditions de La Martinière.<br />
La musique au cinéma<br />
La musique n’est pas le simple accompagnement d’un <strong>film</strong>. Elle fait partie, bien<br />
souvent, de sa structure et contribue à lui donner sa forme générale par la place<br />
déterminante de ses interventions. Celles-ci peuvent être ré<strong>du</strong>ites à un accord,<br />
à quelques secondes, à quelques minutes. La musique des Caprices d’un fleuve a<br />
été composée par René Marc-Bini, qui a travaillé dans la direction donnée par<br />
Bernard Giraudeau : une partition qui devait allier la musique classique (Bach<br />
et Vivaldi) et une rythmique africaine contemporaine.<br />
La musique est un matériau privilégié de l’écriture <strong>du</strong> <strong>film</strong> : elle ponctue sans<br />
cesse, détache, souligne. Quand Jean-François de La Plaine tente d’apprivoiser<br />
Amélie, trois notes aiguës jouées au clavecin font apparaître le visage de l’enfant<br />
et scandent sa surprise.<br />
La présence et l’importance de la musique par rapport aux éléments de dialogue,<br />
de bruits, sont mo<strong>du</strong>lables dans Les Caprices d’un fleuve. Le thème musical<br />
lié à une chanson (un élément qui peut prendre tous les aspects, <strong>du</strong> sifflottement<br />
discret dans la bouche d’un personnage, à une reprise pompeuse par<br />
tout l’orchestre) est ici, avec le thème de Samayon, le coeur battant <strong>du</strong> <strong>film</strong> :<br />
c’est un air lointain qui accompagne la scène d’amour entre Anne Brisseau et le<br />
gouverneur. Ce thème est chanté par une voix inconnue lors de l’expédition<br />
chez le roi Moktar. Il devient thème annoté par Pierre Combaud, puis il marquera<br />
le lien affectif entre le gouverneur et Amélie dans la scène de confrontation<br />
sur l’amour filial ; enfin, il sera le chant <strong>du</strong> départ <strong>du</strong> gouverneur.<br />
Ce leitmotiv musical symbolise le mouvement de la répétition qui délimite et<br />
dessine peu à peu un objet, un centre. Il assure à l’ensemble de la musique une<br />
fluidité glissante, celle des rêves. Le leitmotiv installe un vaste réseau d’échos,<br />
d’émois et de résonances dont l’impact est d’autant plus important que la trame<br />
romanesque est dédiée au souvenir, aux échos émotionnels, aux pressentiments<br />
ou à l’indécision. On notera particulièrement, dans Les Caprices d’un fleuve,<br />
le leitmotiv orchestral sur les lettres de Louise qui témoigne des transitions<br />
émotionnelles vécues par le héros.
Le fleuve<br />
Les fleuves sont des stars de cinéma. Le Mississipi, le Gange, La Seine ou le<br />
Nil sont porteurs de mythes à l’image des acteurs d’exception. Les fleuves ont<br />
des caprices, des violences meurtrières, se cabrent devant les obstacles (Le<br />
Fleuve sauvage, 1960, d’Elia Kazan). Les dégels spectaculaires engendrent des<br />
fleuves qui sont autant de percées d’une nouvelle vie (A travers l’orage, 1920, de<br />
David W. Griffith). Remonter les fleuves peut vous entraîner vers des terres<br />
secrètes où se cachent des trésors comme dans Aguirre (1972) de Werner<br />
Herzog ou Mission (1986) de Roland Joffe. Les fleuves sont des passages initiatiques,<br />
comme dans La Nuit <strong>du</strong> chasseur (1955) de Charles Laughton, et<br />
débouchent sur les horreurs <strong>du</strong> monde dans Apocalypse now (1979) de Francis<br />
Ford Coppola. Si la mer est un vaste théâtre qui suscite des aventures<br />
humaines, le fleuve engendre des épopées dérisoires chez Herzog et déclenche<br />
des forces à canaliser, nourricières et destructrices. Jean Renoir a donné ses<br />
lettres de noblesse aux eaux <strong>du</strong> Gange (Le Fleuve, 1951) et c’est le Mississipi qui<br />
détient la palme <strong>du</strong> héros fluvial avec ses bateaux à roues mugissants qui<br />
éveillent les échos de paysages <strong>du</strong> Sud esclavagiste et des colonnes de Noirs<br />
plantant <strong>du</strong> coton.<br />
Dans le <strong>film</strong> de Bernard Giraudeau, le fleuve est associé au parcours initiatique<br />
<strong>du</strong> gouverneur, à son exil, au passage <strong>du</strong> temps historique de la Révolution. Il<br />
est aussi le cadre des scènes d’action concernant le trafic d’esclaves. Le remonter<br />
implique une mission (l’expédition négrière), une révélation (la transfor-<br />
mation d’Amélie), des épreuves (la maladie). Le fleuve a des violences meurtrières<br />
(les attaques surprises des Maures) et ce sont les esclaves affranchis qui<br />
en connaissent les règles de navigation (Hannibal dirige les opérations sur le<br />
brick qui mène au roi Moktar). Le fleuve n’a pas de nom dans le <strong>film</strong>.<br />
La mer, elle, se regarde de la plage de Cap Saint-Louis.<br />
C’est l’horizon par lequel se dessine l’autre monde, le<br />
monde des idées issues des conversations entre l’Abbé<br />
Fleuriau, Pierre Combaud et Le Commandant Blanet,<br />
l’ancien monde qui s’effondre et le nouveau monde que<br />
doit affronter le gouverneur. Vu de la plage, le monde<br />
garde ses rituels de caste. On y rencontre Anne Brisseau<br />
sur une chaise à porteur, Amélie pieds nus protégée par<br />
Siméon et le gouverneur aime y donner des fêtes. Mais la plage est aussi un<br />
espace libre, dans des lumières instables où l’esclave et le maître s’affranchissent<br />
des liens de servitude par des grandes marches au bord de l’eau.<br />
A la fin <strong>du</strong> <strong>film</strong>, le spectateur ne verra pas le gouverneur embarquer sur La<br />
Belle Pauline. On restera avec Amélie <strong>du</strong> côté de la Côte, en Afrique, pour<br />
retrouver quelques temps plus tard le gouverneur et son fils, face à la mer.<br />
Dans le <strong>film</strong> de Bernard<br />
Giraudeau, le fleuve est associé<br />
au parcours initiatique <strong>du</strong><br />
gouverneur, à son exil.<br />
19<br />
Un fleuve sans nom,<br />
horizon symbolique de l’histoire <strong>du</strong> gouverneur.
20<br />
■ L’AFFICHE<br />
Entre le passé et le présent,<br />
le <strong>film</strong> de Giraudeau a trouvé<br />
une place, et il l’affiche.<br />
L’image est un rêve. Jean-François de La Plaine et<br />
Amélie se promènent sur la plage de la mission. Le<br />
gouverneur est en grande discussion avec son esclave.<br />
Ils marchent côte à côte. Elle le regarde, mais<br />
sans entrer dans un dialogue et nous fait face. C’est<br />
elle qui retient notre attention. Son regard à lui est<br />
intérieur. Au loin, la mer dessine un horizon libre et<br />
sans contrainte. L’homme mûr blanc et la jeune fille<br />
noire forment un couple. Seuls les vêtements distinguent<br />
leurs appartenances contradictoires. Habits<br />
d’aristocrate pour lui, châle modeste pour elle.<br />
L’image est double. Elle suggère une lecture<br />
contemporaine <strong>du</strong> couple « métis », mais elle est<br />
aussi chargée <strong>du</strong> poids de l’histoire des relations<br />
ancillaires <strong>du</strong> maître et de son esclave, de la domination<br />
culturelle de l’homme pédagogue, pygmalion qui modèle la jeune fille.<br />
L’homme blanc possède le savoir, la femme noire assimile... La scène est fondatrice.<br />
Dans le <strong>film</strong>, elle est racontée par le fils de ce couple en formation. A<br />
travers l’é<strong>du</strong>cation d’Amélie, Jean-François de La Plaine prend conscience de<br />
l’esclavage et donne sa réponse : l’ouverture d’une relation filiale avec son<br />
esclave, transgression ultime de son parcours qui l’amènera à l’illégitime<br />
(l’amour incestueux et la naissance d’un fils) et au renoncement à son passé de<br />
gentilhomme.<br />
C’est donc une image de transgression qui est proposée au spectateur, une<br />
image qui joue à la fois de la distance et de la proximité avec l’imagerie esclavagiste,<br />
et la revisite. Son rôle est de faire lien avec notre époque.<br />
■ LA CRITIQUE<br />
Entre-deux Les méandres <strong>du</strong> fleuve<br />
Enthousiasme ou ennui, le <strong>film</strong> de Giraudeau navigue<br />
au cœur d’une presse changeante, parfois touché,<br />
jamais coulé.<br />
> <strong>LES</strong> INROCKUPTIB<strong>LES</strong><br />
Giraudeau semble effectivement emprunter les routes balisées <strong>du</strong> beau spectacle en costume mâtiné d’un<br />
humanisme un rien binaire. Mais le <strong>film</strong> s’avère être une fable plutôt sombre et mélancolique, et le<br />
cinéaste parvient la plupart <strong>du</strong> temps à échapper aux pièges « qualité France » qui lui tendaient allègrement<br />
les bras. Grâce en premier lieu à un faux rythme et à une prédilection pour le contemplatif, il<br />
bâtit une fiction à dominante sensuelle et poisseuse où prédominent l’attente et le désarroi intérieur.<br />
Inégal et parfois longuet, certes, mais également curieux et erratique...<br />
Olivier de Bruyn<br />
> POLITIS<br />
Le <strong>film</strong> historique réussit rarement au cinéma français. Trop convenu, trop souvent engoncé dans ses costumes,<br />
trop sage ou trop faux. Les Caprices d’un fleuve échappe à la malédiction peut-être parce qu’il<br />
est libre. Il emprunte au western et à l’estampe coloniale. Il mêle des langages et des époques, ce que j’appelais<br />
en commençant le syndrome de la ligne brisée. On lui reprochera peut-être d’être une grosse pro<strong>du</strong>ction internationale <strong>du</strong> cinéma<br />
à l’ancienne. On aura tort. C’est un <strong>film</strong> d’auteur, parfois déroutant (la ligne brisée encore) toujours d’une grande générosité.<br />
Jean-Pierre Jeancolas, 3 avril 1996<br />
> <strong>LES</strong> ÉCHOS<br />
La gageure était de taille. Celle de parler de l’Afrique d’avant la Révolution, celle de l’esclavage, des négriers, des conflits intertribus,<br />
des missionnaires et des gouverneurs méprisants, sans tomber dans le folklore racoleur ou le lourd <strong>film</strong> à message. Giraudeau a évité<br />
tous les pièges. Les esclaves, on les aperçoit une nuit, enchaînés, les « barbares », potentats <strong>du</strong> désert ou guerriers farouches, reçoivent<br />
sous la tente ou livrent une (belle) bataille. Mais au premier plan, il y a d’abord le soleil, la poussière dorée, le lent cheminement <strong>du</strong><br />
fleuve, et la beauté des femmes.L’envoûtement d’une autre culture. Et l’amour… […] Un beau <strong>film</strong>, que ne gâte pas une volonté affichée,<br />
et judicieuse, de vrai romanesque. Et, à travers l’histoire d’amour, un bel « éloge de la différence ». Les beaux esprits vont peutêtre<br />
faire la fine bouche. Bien sûr, le <strong>film</strong> est un peu nonchalant, comme le courant <strong>du</strong> fleuve aux caprices imprévisibles. Bien sûr, l’histoire<br />
d’amour est au premier degré, un peu trop belle. Mais pourquoi pas ? Elle n’était pas si prévisible en cette époque où les « nègres »<br />
passaient pour des singes.<br />
Annie Coppermann, 3 avril 1996
TÉLÉRAMA<br />
La langue est élégante et souple. De même, les décors, la lumière et les habits ne sont<br />
jamais figés, comme dans bon nombre de <strong>film</strong>s à caractère historique. La poussière, sensible,<br />
les rend vivants. Si Giraudeau est plutôt à l’aise dans l’attente et les temps morts<br />
– là où le personnage s’oublie, se confond avec les paysages –, il l’est beaucoup moins, en<br />
revanche, quand il s’agit de nourrir l’action, la dramaturgie romanesque. Certains<br />
rebondissements (la poursuite pour retrouver Amélie) ou même certains face-à-face<br />
avec l’esclave peule manquent de vigueur, paraissent forcés.<br />
Jacques Morice, 3 avril 1996<br />
> CAHIERS DU CINÉMA<br />
Jean-François, aristocrate, est exilé par le Roi en 1787,<br />
quelque part en Afrique. Personnage d’emblée édifiant, ce<br />
gouverneur éclairé voit tout et comprend tout de l’esclavage<br />
; il aime l’Afrique, continue de jouer de la musique, de<br />
correspondre avec la femme aimée demeurée en France –<br />
ce qui nous vaut une encombrante voix off. Le <strong>film</strong> n’est<br />
malheureusement que la longue et trop lente entreprise de son édification au rang de<br />
personnage « bovarien » : découverte <strong>du</strong> continent noir, de la beauté des femmes, de<br />
leur sexualité sauvage, de la joie d’être le père adoptif puis le futur amant d’une jolie<br />
esclave… A cause de ses idées trop générales, Les Caprices d’un fleuve est en tous<br />
points un <strong>film</strong> correct. Trop correct pour être vif, et trop beau pour être saignant. Il y<br />
manque quelque chose d’essentiel, ce piment de violence – violence physique, violence des<br />
plans – qui conférerait au <strong>film</strong> une nécessité autre qu’esthétique ou bien-pensante.<br />
Dommage, car Giraudeau est un acteur-réalisateur qui joue et <strong>film</strong>e avec franchise.<br />
Doué d’un réel sens plastique, il réussit à faire passer plus d’une fois cette sorte de candeur<br />
qui, si elle s’appuyait sur un vrai souffle, nous ferait toucher à quelque chose d’essentiel<br />
au cinéma : le sens épique de l’Histoire.<br />
Serge Toubiana, Cahiers <strong>du</strong> cinéma n°501, avril 1996<br />
Les Caprices d’un fleuve est<br />
en tous points un <strong>film</strong> correct.<br />
Trop correct pour être vif, et<br />
trop beau pour être saignant.<br />
Bibliographie<br />
L’avant-scène cinéma n°462, mai 1997, Les Caprices d’un fleuve :<br />
découpage intégral par Laurence Rebouillon et dialogues in extenso.<br />
Les Caprices d’un fleuve, un livre, un <strong>film</strong>. Images de Jean-Marie Dreujou,<br />
éditions Mille et une nuits, 1996.<br />
> Sur Bernard Giraudeau<br />
Les acteurs-réalisateurs, 50 ans de cinéma français,<br />
par René Prédal, éditions Nathan, 1996.<br />
21<br />
Vidéo-<strong>film</strong>ographie<br />
Les Caprices d’un fleuve<br />
est édité en vidéo par PFC<br />
(Pathé Fox Le Studio Canal+).
22<br />
■ AUTOUR DU FILM<br />
Le discours sur l’esclavage,<br />
les images de la traite<br />
A partir des Caprices d’un fleuve, il nous a semblé intéressant d’aborder la thématique négrière en proposant une série de réflexions critiques<br />
contemporaines d’écrivains ou de cinéastes afro-américains, créoles ou africains qui analysent le thème <strong>du</strong> maître et de l’esclave ou s’interrogent<br />
sur la réappropriation mémorielle <strong>du</strong> fait historique esclavagiste. Sont évoquées également, <strong>du</strong> côté des « négriers », les expositions d’images et<br />
les recherches historiques menées en France et en Europe sur les conséquences de la traite et le silence qui l’a entourée. Cette pro<strong>du</strong>ction<br />
intellectuelle et muséale, récente et visible à l’occasion de la commémoration <strong>du</strong> 150 ème anniversaire de l’abolition de l’esclavage en 1998,<br />
permet de contextualiser le sujet <strong>du</strong> <strong>film</strong> de Bernard Giraudeau et ses enjeux.<br />
Aux Etats-Unis, la critique de l’œuvre de William<br />
Faulkner, dont l’univers romanesque met souvent en<br />
scène les plantations esclavagistes <strong>du</strong> Sud, et les récits<br />
d’émancipation des esclaves ont permis aux écrivains<br />
noirs, afro-américains et créoles, d’interroger la construction<br />
littéraire des personnages <strong>du</strong> maître, de l’esclave et<br />
<strong>du</strong> métis, leur fonction et les valeurs dont ils sont porteurs.<br />
Ces extraits d’un ouvrage de Tony Morrison et d’un<br />
essai d’Edouard Glissant en témoignent.<br />
Le maître et l’esclave<br />
Au XIXème siècle, les récits d’esclaves ont été un grand succès de librairie.<br />
Le discours sur l’esclavage et la liberté sévissait dans la presse, les<br />
campagnes politiques, les projets de partis et des élus. Il aurait fallu être<br />
un véritable isolato pour ne pas connaître le problème le plus explosif<br />
de la nation. Comment pouvait-on parler de profit, d’économie, de travail,<br />
de progrès, de droit de vote, de chrétienté, de frontière, de formation<br />
de nouveaux Etats, d’acquisition de nouveaux territoires, d’é<strong>du</strong>cation,<br />
de transports (marchandises et passagers, de quartiers résiden-<br />
tiels), de l’armée - de presque tout dont se préoccupe un pays - sans<br />
avoir comme référence, au cœur <strong>du</strong> discours, au cœur de sa définition,<br />
la présence des Africains et de leurs descendants ?<br />
Ce n’était pas possible. Et cela n’a pas eu lieu. Ce qui arrivait fréquemment,<br />
c’était l’effort de parler de ces questions avec un vocabulaire<br />
adapté, pour déguiser le sujet. Cela ne réussissait pas toujours, et ce<br />
déguisement, dans l’œuvre de nombreux écrivains n’était pas volontaire.<br />
Mais la conséquence en était un discours de maître qui parlait pour<br />
les Africains et leurs descendants, ou qui parlait d’eux. Le récit <strong>du</strong><br />
législateur ne pouvait pas coexister avec une réponse de la persona<br />
africaniste. Quelque popularité qu’aient eu les récits d’esclaves – qui<br />
ont influencé les abolitionnistes et converti des anti-abolitionnistes –, le<br />
propre récit de l’esclave, tout en libérant le narrateur de bien des<br />
façons, ne détruisait pas le récit <strong>du</strong> maître. Le récit <strong>du</strong> maître pouvait<br />
procéder à d’innombrables adaptations pour se garder intact.<br />
Nous ne devrions pas nous étonner de ce que les Lumières puissent s’accomoder<br />
de l’esclavage; c’est le contraire qui aurait dû nous surprendre.<br />
Le concept de liberté n’est pas apparu dans un vide. Rien n’a si bien<br />
magnifié la liberté – s’il ne l’a pas en fait créée – que l’esclavage.<br />
Tony Morrison, Playing in the dark, Christian Bourgois éditeur,<br />
1993, p.60-72.<br />
Le Métis<br />
Dans Absalon! Absalon ! de William Faulkner, il s’agit bien , à l’instar<br />
des enseignements <strong>du</strong> mythe, d’un inceste possible, d’une perversion<br />
de la filiation. Mais l’élément décisif – fatalitaire – sera impliqué à<br />
une autre série de causalité : c’est l’intrusion <strong>du</strong> sang nègre. Il était<br />
d’abord indécelable chez la première femme haïtienne <strong>du</strong> planteur<br />
Sutpen. Le repérage de cette souche noire (on pense aux frayeurs coutumières<br />
des familles aristocratiques <strong>du</strong> sud des Etats-Unis, qui vivent<br />
souvent dans la hantise de cette sorte de « faute » chez des arrièregrands-parents<br />
peu précautionneux) détermine Sutpen, le fondateur, à<br />
répudier mère et fils et à replanter sa souche dans le Mississipi. Mais<br />
on ne recommence pas la fondation, ni la filiation et Sutpen est rattrapé<br />
par son histoire... L’inceste y déporte la filiation, et inversément;<br />
car le roman suggère qu’on pourrait ici (dans le Sud) admettre –<br />
concevoir – l’inceste, mais non pas l’intrusion <strong>du</strong> sang noir – qui est<br />
pourtant là.<br />
Edouard Glissant, Poétique de la relation, Gallimard,<br />
1990, p.70
Réappropriations<br />
L’île de Gorée, située au Sénégal à quatre kilomètres<br />
de Dakar, comptoir français de premier<br />
ordre au dix-septième siècle, est devenue, avec<br />
son fort et la Maison des Esclaves, le lieu de<br />
mémoire de la déporta-<br />
tion des esclaves. Gorée fut<br />
le lieu de tournage des<br />
Caprices d’un fleuve mais<br />
l’est aussi, paradoxalement,<br />
pour des essais cinématographiques<br />
qui refusent<br />
le principe de la<br />
reconstitution afin de renouveler l’approche<br />
de la mémoire. François Woukoache, réalisateur<br />
<strong>du</strong> moyen métrage Asientos (1995), témoigne.<br />
Gorée est devenu un symbole incontournable. Il faut savoir ce<br />
qu’on fait de ce symbole : l’utiliser en entrant dans le schéma<br />
<strong>du</strong> discours officiel ou considérer autrement La Maison des<br />
Esclaves. Il y a un décalage entre l’immensité de la souffrance<br />
qui est passée par là et la taille, la dimension physique de la<br />
maison. De la traite, on se rend compte qu’on a très peu<br />
d’images d’archives, puisque le cinéma n’existait pas. Il n’y a<br />
pas de photos. Il y a quelques gravures qui ont été faites par des<br />
témoins de troisième zone. Finalement, pour des jeunes<br />
Africains, c’est une histoire très peu transmise. Il nous reste<br />
donc à réinventer une image de l’esclavage, de la traite, qui<br />
nous oblige à passer par<br />
tout un dispositif de fiction.<br />
Il faut fabriquer une<br />
mémoire. Si on parle de<br />
la souffrance, si on veut<br />
être ancré dans l’histoire<br />
contemporaine, on se rend<br />
compte que cette souffrance<br />
n’appartient pas qu’au<br />
peuple africain. C’est le même type de souffrance qu’on retrouve<br />
en Yougoslavie, en Somalie, au Rwanda ou dans les camps<br />
de la Seconde Guerre mondiale.<br />
L’histoire de la traite est très peu<br />
transmise aux jeunes Africains :<br />
il faut réinventer pour eux une image<br />
de l’esclavage en passant par la fiction.<br />
La route de l’esclave, le projet de l’Unesco<br />
Ces propos sont extraits <strong>du</strong> catalogue <strong>du</strong> festival Racines<br />
noires « Regards sur l’esclavage », qui a eu lieu <strong>du</strong> 15 au 31<br />
juillet 1998 à la Vidéothèque de Paris.<br />
En 1994, un premier colloque international intitulé « La route de l’esclave » s’est tenu dans le port de Ouidah,<br />
sur la côte ouest <strong>du</strong> Bénin, se donnant comme programme pour la décennie de retracer le parcours de la traite et<br />
d’étudier ce phénomène occulté. Ce projet de l’Unesco est dans le prolongement <strong>du</strong> « travail de mémoire » mené<br />
depuis dix ans dans les ports négriers (Les Anneaux de la mémoire à Nantes, la création de la Slavery Gallery à<br />
Liverpool), les expositions d’images et les travaux des historiens rochelais sur la traite négrière. La création en 1998<br />
<strong>du</strong> festival de cinéma Racines noires est parrainée par ce label.<br />
Bibliographie<br />
Travaux historiques<br />
De Jean-Michel Deveau :<br />
La Traite rochelaise, éditions Karthala, 1990<br />
La France au temps des négriers, éditions France-empire, 1994.<br />
Le Commerce rochelais face à la Révolution,<br />
éditions Rumeur des Ages, La Rochelle, 1989.<br />
Yves Benot, La Révolution française et les dernières colonies,<br />
éditions La Découverte, 1988.<br />
Les Abolitions de l’esclavage de L.F. Sonthonax à V. Schoelcher, 1793, 1794, 1848,<br />
de Marcel Dorigny éd., Unesco/P.U. de Vincennes, 1997.<br />
Essais<br />
Edouard Glissant, Traité <strong>du</strong> Tout monde, éditions Gallimard, 1998.<br />
Romans<br />
Jean-Guy Soumy, La Belle Rochelaise, éditions Robert Laffont, 1998.<br />
Patrick Chamoiseau,<br />
L’Esclave vieil homme et le molosse, éditions Gallimard, 1997.<br />
Texaco, éditions Gallimard, 1993.<br />
William Faulkner<br />
Le Bruit et la fureur (1929)<br />
Sanctuaire (1931)<br />
Lumière d’août (1932)<br />
Ces romans sont édités en poche, collection Folio.<br />
Absalon ! Absalon !, collection l’Imaginaire, éditions Gallimard.<br />
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