quelques remarques à propos d'amers de saint john perse
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Pierre Géraud<br />
Et surtout, le corps <strong>de</strong>s Amants. C'est incontestablement dans l'amour<br />
que Perse décèle le mo<strong>de</strong> d'accès privilégié <strong>à</strong> l'être, l'expérience la plus<br />
paroxystique, le moment du plus grand dépassement <strong>de</strong> soi, le véritable<br />
dévoilement <strong>de</strong> la part divine engagée en l'homme : « Amour et mer <strong>de</strong><br />
même lit, amour et mer au même lit » (p. 326) ; et quand Perse parle<br />
d'amour, il ne vise pas un amour désincarné, un amour <strong>de</strong> pur esprit oublieux<br />
<strong>de</strong> la prison du corps, mais un amour gorgé d'énergie pulsionnelle,<br />
un amour prédateur, impatient et tendu : « Le faucon du désir tire sur ses<br />
liens <strong>de</strong> cuir... » (p. 331).<br />
C'est en fait toute la suite intitulée « Étroits sont les vaisseaux » qui est<br />
imprégnée d'un érotisme lourd, extrême, liant la violence corporelle <strong>à</strong> l'épiphanie<br />
païenne d'un dieu liqui<strong>de</strong> : « Frapperas-tu, hampe divine ? » (p.<br />
337).<br />
Le texte, dans sa totalité, se passe <strong>de</strong> commentaire, tant il est surchargé<br />
<strong>de</strong> connotations érotiques.<br />
En revanche, il convient peut-être <strong>de</strong> noter que ce qui fait le privilège<br />
<strong>de</strong> l'amour sexuel, c'est qu'il est âme et corps mêlés, union retrouvée, totalité<br />
indiscernable <strong>de</strong> l'homme agissant (« Aimer aussi est action », p. 354).<br />
Dans le rapport sexuel, et sans doute. plus intimement, dans l'orgasme<br />
partagé, ce sont d'un même jet l'âme et le corps qui transgressent leurs<br />
limites : « Submersion ! Soumission ! Que le plaisir sacré t'inon<strong>de</strong>, sa <strong>de</strong>meure<br />
! Et la jubilation très forte est dans la chair, et <strong>de</strong> la chair dans l'âme<br />
est l'aiguillon » (p. 334.)<br />
Je n'insisterai pas sur le caractère anti-platonicien <strong>de</strong> ce passage. Je préfère,<br />
plus simplement, souligner ceci : que l'amour, d'abord, est ce qui brise<br />
nos frontières corporelles. Parce qu'il est, bien entendu, par le tendu du<br />
désir, offran<strong>de</strong> <strong>à</strong> l'autre – offran<strong>de</strong> au non-soi, au mon<strong>de</strong>, <strong>à</strong> l'être et <strong>à</strong> la<br />
mort – et aspiration <strong>à</strong> l'autre il est, dans la prise ou la méprise <strong>de</strong> l'autre, ce<br />
qui s'achève en la fusion ou l'abandon <strong>à</strong> l'autre, <strong>à</strong> l'abandon-fusion et abandon<br />
qui ne peuvent être installation éternelle, mais seulement conjonction<br />
précaire, et comme affleurement halluciné <strong>de</strong> l'unité, toujours désirée, et<br />
toujours seulement entrevue, toujours retraite et jamais véritablement conquise<br />
ou acquise : « Qui donc en toi toujours s'aliène et se renie ? – Mais<br />
non, tu as souri, c'est toi » (p. 330.)<br />
Par ailleurs, <strong>de</strong> par sa démesure, l'amour, dans la magie d'un feu qui<br />
brûle aussi loin que nos forces les plus gran<strong>de</strong>s, nous met au-<strong>de</strong>l<strong>à</strong> <strong>de</strong> la<br />
mort. Certes, la mort n'est ni occultée, ni oubliée – elle est, pour un instant,<br />
surmontée, elle ne se fait plus rythmique obsédante <strong>de</strong> nos dire ou <strong>de</strong> nos