quelques remarques à propos d'amers de saint john perse
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Pierre Géraud<br />
Viens donc ; je vais parler ; et toi, écoute mes paroles et retiens-les... »<br />
(Parméni<strong>de</strong>, début du poème Sur la nature)<br />
Perse lui-même, d'ailleurs, mentionne explicitement ce patronage : « La<br />
philosophie même du ''poète'' me semble pouvoir se ramener, essentiellement,<br />
au vieux ''rhéisme'' élémentaire <strong>de</strong> la pensée antique – comme celle,<br />
en Occi<strong>de</strong>nt, <strong>de</strong> nos présocratiques » (Lettre <strong>à</strong> Roger Caillois, 1953, p.<br />
563.)<br />
Si l'enracinement présocratique <strong>de</strong> la poésie <strong>de</strong> Perse est indéniable, une<br />
différence toutefois, et d'importance, subsiste entre elle et la métaphysique<br />
grecque. Celle-ci, lour<strong>de</strong> machine <strong>de</strong> guerre, se <strong>propos</strong>e d'arraisonner l'être<br />
grâce <strong>à</strong> son filet <strong>de</strong> concepts aux mailles serrées. Appareil efficace, rigi<strong>de</strong>,<br />
qui s'assure <strong>de</strong> l'être dans sa totalité et le tient <strong>à</strong> merci <strong>de</strong>vant le miroir <strong>de</strong> la<br />
raison spéculative.<br />
Mais, et l<strong>à</strong> se trouve la rançon <strong>de</strong> la précision métaphysique, cet appareil<br />
perd la fraîcheur du contact naïf avec l'être que donne l'intuition. La<br />
philosophie ne peint qu'<strong>à</strong> grands traits, et dans le flou. Au terme d'une patiente<br />
et longue traque, c'est uniquement l'être dans sa généralité, dans son<br />
abstraction, dans sa sécheresse qui se révèle. Mais sa richesse, mais sa<br />
plénitu<strong>de</strong>, mais son infinie diversité ? Ne sont-elles pas irréductibles <strong>à</strong> la<br />
gran<strong>de</strong> catégorisation conceptuelle ? C'est en tout cas ce que pense Yves<br />
Bonnefoy :<br />
« Y a-t-il un concept d'un pas venant dans la nuit, d'un cri, <strong>de</strong> l'éboulement<br />
d'une pierre dans les broussailles ? De l'impression que fait une maison vi<strong>de</strong><br />
? Mais non, rien n'a été gardé <strong>de</strong> réel que ce qui convient <strong>à</strong> notre repos »<br />
(Les Tombeaux <strong>de</strong> Ravenne, p. 23.)<br />
Dans cette perspective, la philosophie n'est que perte, illusion vi<strong>de</strong> ou<br />
rêve d'une raison enténébrée par le sommeil dogmatique.<br />
Que cette thèse témoigne d'une image lacunaire, voire inconsistante <strong>de</strong><br />
la philosophie, cela reste évi<strong>de</strong>nt. Posons comme jalon que, si la poésie est,<br />
sans conteste, le sœur aînée <strong>de</strong> la métaphysique, elle est irrémédiablement<br />
la ca<strong>de</strong>tte <strong>de</strong> la philosophie.<br />
Il n'en reste pas moins que la poésie se veut autre chemin, autre saisie,<br />
non <strong>de</strong> puissance, mais <strong>de</strong> recueillement ; non pas au terme d'une longue<br />
patience méthodologique, mais dans la grâce inespérée d'un éclair fugitif.<br />
Au « piège <strong>à</strong> être » patiemment tissé par la métaphysique, la poésie oppose<br />
la muance <strong>de</strong>s images, leur transparence souple, l'inapaisable polysémie <strong>de</strong><br />
leurs évocations.