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Exposé d'Antoine MONDANEL - Ministère de l'Intérieur

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NOTES SUR L'ATTENTAT DE MARSEILLE<br />

9 octobre 1934<br />

Durant la pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> l'entre-<strong>de</strong>ux-guerres la France a connu trois sommets <strong>de</strong> la Guerre<br />

froi<strong>de</strong>, en 1925, en 1934 et en 1937. J'ai eu à m'occuper <strong>de</strong> ces trois gran<strong>de</strong>s conspirations<br />

internationales dont les <strong>de</strong>ux <strong>de</strong>rnières avaient un caractère très net <strong>de</strong> terrorisme.<br />

1934.<br />

Aujourd'hui je parlerai seulement du <strong>de</strong>uxième <strong>de</strong> ces sommets, celui qui se manifesta en<br />

J'avais alors la responsabilité, avec le gra<strong>de</strong> d'inspecteur général, <strong>de</strong> la direction <strong>de</strong> la Police<br />

judiciaire au <strong>Ministère</strong> <strong>de</strong> <strong>l'Intérieur</strong> à Paris.<br />

En cette qualité, je n'eus pas à intervenir dans la préparation et l'organisation du séjour que<br />

<strong>de</strong>vait faire en France le roi Alexandre <strong>de</strong> Yougoslavie. Cela n'entrait pas dans mes attributions et<br />

incombait au service <strong>de</strong>s voyages officiels dirigés par le contrôleur général SISTERON.<br />

Le 9 octobre 1934, je me trouvais dans mon bureau, à Paris, lorsque vers 17 heures M.<br />

BERTHOIN, directeur général <strong>de</strong> la Sûreté nationale m'appela au téléphone <strong>de</strong> Marseille afin <strong>de</strong><br />

m'informer <strong>de</strong> l'assassinat du roi Alexandre 1er et du prési<strong>de</strong>nt BARTHOU, ministre français <strong>de</strong>s<br />

Affaires étrangères. Il me donna l'ordre formel <strong>de</strong> prendre immédiatement la direction d'une enquête<br />

policière et <strong>de</strong> prescrire toutes les mesures qui s'imposaient en vue d'arrêter tous les complices <strong>de</strong><br />

l'assassin abattu sur la Canebière à Marseille.<br />

Aussitôt après avoir reçu ces instructions je téléphonai au service <strong>de</strong> la Sûreté du chef-lieu <strong>de</strong>s<br />

Bouches-du-Rhône pour obtenir <strong>de</strong>s précisions tant sur l'i<strong>de</strong>ntité du criminel que sur les circonstances<br />

<strong>de</strong> l'attentat. Il me fut répondu que l'assassin était un homme d'une quarantaine d'années, d'assez forte<br />

corpulence et vêtu sans recherche.<br />

Sur son corps on avait relevé un bien curieux tatouage représentant une couronne <strong>de</strong> cinq à<br />

six centimètres <strong>de</strong> diamètre, <strong>de</strong>ux tibias croisés et au <strong>de</strong>ssous une tête <strong>de</strong> mort. Il y avait également <strong>de</strong>s<br />

initiales signifiant : « La liberté ou la mort ». C'était l'emblème <strong>de</strong>s comitadjis macédoniens. J'appris en<br />

outre, au cours <strong>de</strong> cette communication, que l'on avait trouvé dans les vêtements <strong>de</strong> ce criminel un<br />

passeport tchécoslovaque dont on me donna le numéro, la date <strong>de</strong> sa délivrance à Zagreb, le 30 mai<br />

1934, au nom <strong>de</strong> KELEMEN Petrus, né le 20 décembre 1899 à Zagreb. J'obtins aussi <strong>de</strong>s précisions<br />

concernant les visas figurant sur ce document. Quant aux complices on ne disposait à Marseille<br />

d'aucune information à leur sujet.<br />

Muni <strong>de</strong> ces renseignements, je pris sur le champ <strong>de</strong>ux décisions : la première consiste à<br />

expédier <strong>de</strong>ux télégrammes. L'un adressé aux Préfets <strong>de</strong> France, aux commissariats aux ports et<br />

frontières et aux chefs <strong>de</strong>s briga<strong>de</strong>s régionales <strong>de</strong> police judiciaire avec mission d'alerter les briga<strong>de</strong>s <strong>de</strong><br />

gendarmerie <strong>de</strong> leur ressort. L'autre télégramme était <strong>de</strong>stiné à la Commission internationale <strong>de</strong> Police<br />

criminelle – appellation donnée à cette époque au service actuellement connu sous le nom d'Interpol –<br />

dont j'étais le vice-prési<strong>de</strong>nt et à qui je <strong>de</strong>mandais tous renseignements utiles sur la personnalité <strong>de</strong><br />

l'assassin.<br />

En même temps je priai les autorités yougoslaves à Paris <strong>de</strong> vérifier les indications figurant sur<br />

le passeport établi au nom <strong>de</strong> KELEMEN Petrus.


Ma <strong>de</strong>uxième décision eut pour objet d'ordonner une permanence <strong>de</strong> jour et <strong>de</strong> nuit<br />

s'appliquant à la moitié du personnel <strong>de</strong> mon service central, <strong>de</strong> manière à laisser ainsi à ma disposition<br />

une cinquantaine <strong>de</strong> fonctionnaires afin <strong>de</strong> pouvoir, éventuellement, faire d'urgence <strong>de</strong>s recherches <strong>de</strong><br />

toutes sortes.<br />

La première nuit qui suivit le crime, celle du 9 au 10 octobre, que je passai presque<br />

entièrement à mon bureau, ne m'apporta aucun élément nouveau. Par contre, dans le courant <strong>de</strong> la<br />

matinée du 10 octobre je fus avisé par le commissaire divisionnaire BARTHELET, que j'avais détaché<br />

auprès <strong>de</strong> la préfecture <strong>de</strong> police, à Paris, que la nuit précé<strong>de</strong>nte ce service avait été informé par la<br />

Sûreté marseillaise que les vêtements portés par l'assassin avaient la marque du grand magasin « La Belle<br />

Jardinière » à Paris. Des vérifications entreprises incontinent il se dégagea qu'en effet le costume dont il<br />

s'agissait avait bien été acheté dans ce magasin peu avant l'attentat. L'acquéreur y était venu en<br />

compagnie <strong>de</strong> quatre personnes dont trois avaient fait également l'acquisition <strong>de</strong> vêtements neufs livrés<br />

dans un hôtel que l'on me précisa.<br />

Je découvrais ainsi que le soi-disant KELEMEN Petrus avait au moins quatre complices pour<br />

lesquels, toutefois, je n'avais qu'un très vague signalement.<br />

L'après-midi du même jour l'ambassa<strong>de</strong> yougoslave porta à ma connaissance que le passeport<br />

trouvé dans les vêtements du criminel était faux.<br />

Toujours le 10 octobre, dans la soirée, vers 22 heures, le commissaire <strong>de</strong> police <strong>de</strong><br />

Fontainebleau, BADOT, me signala que quelques instants plus tôt un étranger s'étant fait délivrer à la<br />

gare <strong>de</strong> cette ville un billet à <strong>de</strong>stination d'Evian, avait consommé un bock <strong>de</strong> bière au buffet et payé<br />

cette consommation s'élevant alors à 60 centimes en laissant un pourboire anormal <strong>de</strong> 1 franc 75. Puis,<br />

ayant bousculé les gendarmes qui l'interpellaient ce voyageur s'était enfui dans la forêt toute proche.<br />

Séance tenante, je désignai quatre fonctionnaires que je fis partir en voiture aussitôt pour<br />

Fontainebleau en leur prescrivant <strong>de</strong> rechercher très activement et d'interroger ce fort généreux<br />

consommateur sur son emploi du temps dans notre pays. Il s'agissait là, certes, <strong>de</strong> bien faibles indices.<br />

Toutefois, dans les circonstances où je me trouvais placé je <strong>de</strong>vais éluci<strong>de</strong>r tout ce qui me paraissait<br />

anormal.<br />

Un peu plus tard, la même nuit du 10 ou 11 octobre, vers une heure du matin, l'un <strong>de</strong>s quatre<br />

fonctionnaires que j'avais envoyés à Fontainebleau, l'inspecteur DUMONT, m'appela au téléphone<br />

pour me dire que s'il n'avait pas encore découvert la personne recherchée il venait d'apprendre qu'au<br />

cours <strong>de</strong> la soirée du 9 octobre <strong>de</strong>ux autres billets pour Evian avaient été délivrés, à Fontainebleau, à<br />

<strong>de</strong>s voyageurs ne parlant pas français.<br />

Dès que j'eus pris note <strong>de</strong>s renseignements donnés par l'inspecteur DUMONT, j'appelai au<br />

téléphone le commissaire divisionnaire PETIT, chef <strong>de</strong> service au poste frontière d'Annemasse, Haute-<br />

Savoie, qui, vers une heure du matin, dormait d'un sommeil profond. Je le mis au courant <strong>de</strong>s<br />

constatations effectuées à Fontainebleau et je lui donnai l'ordre d'alerter à nouveau immédiatement tous<br />

les postes <strong>de</strong> surveillance <strong>de</strong> son secteur frontalier et <strong>de</strong> me tenir informé, <strong>de</strong> toute urgence, <strong>de</strong> tous<br />

faits nouveaux pouvant être ainsi recueillis.<br />

Étant alors moi-même harassé <strong>de</strong> fatigue, par suite du manque <strong>de</strong> sommeil pendant 48 heures,<br />

j'allai me coucher en <strong>de</strong>mandant à mes collaborateurs <strong>de</strong> permanence <strong>de</strong> m'aviser s'ils recevaient <strong>de</strong>s<br />

communications intéressantes. Mon repos fut <strong>de</strong> courte durée car, vers 5 heures du matin, je fus réveillé<br />

par un appel téléphonique du commissaire divisionnaire MALLET portant à ma connaissance que le<br />

poste d'Annemasse venait <strong>de</strong> lui dire que <strong>de</strong>ux étrangers venant <strong>de</strong> Fontainebleau, porteurs <strong>de</strong><br />

passeports tchécoslovaques et se rendant à Lausanne, se trouvaient provisoirement retenus pour<br />

examen <strong>de</strong> situation, à Thonon-les-Bains, en exécution <strong>de</strong> mes instructions télégraphiques du 9 octobre.


Ma première réaction fut <strong>de</strong> prescrire la vérification <strong>de</strong> la marque cousue sur leurs vêtements.<br />

Et lorsque, peu après, je sus que cette marque était celle du grand magasin parisien « La Belle<br />

Jardinière » je donnai, <strong>de</strong> mon domicile, l'ordre au chef du poste frontière d'Annemasse <strong>de</strong> faire<br />

conduire ces <strong>de</strong>ux voyageurs à son commissariat en vue <strong>de</strong> les soumettre à un interrogatoire approfondi<br />

tant sur leur véritable i<strong>de</strong>ntité que sur leurs allées et venues dans notre pays. En même temps, je mis au<br />

courant <strong>de</strong> cet ensemble <strong>de</strong> faits les autorités yougoslaves, à Paris, en leur <strong>de</strong>mandant d'envoyer un<br />

interprète à Annemasse.<br />

Le même jour, 11 octobre, je fis aussi partir pour cette <strong>de</strong>rnière ville les commissaires <strong>de</strong><br />

police <strong>de</strong> mon service central, BELIN et CHENEVIER, à l'effet <strong>de</strong> participer à l'interrogatoire <strong>de</strong> ces<br />

<strong>de</strong>ux suspects.<br />

Arrivé à ce point <strong>de</strong> mon exposé, il me faut ouvrir une parenthèse et revenir quelques années<br />

en arrière pour rappeler certains actes politiques qui permettront <strong>de</strong> mieux comprendre mes<br />

explications ultérieures.<br />

Il convient, en effet, <strong>de</strong> préciser que dans les semaines qui suivirent la dissolution du<br />

parlement yougoslave le 6 janvier 1929 et l'installation, à Belgra<strong>de</strong>, d'un gouvernement <strong>de</strong> dictature, la<br />

Hongrie donna asile, en lui fournissant toutes sortes <strong>de</strong> facilités, au journaliste croate Gustave<br />

PERCEC, rédacteur en chef du journal séparatiste croate et à quelques autres ru<strong>de</strong>s adversaires <strong>de</strong> la<br />

vieille Serbie.<br />

Ces militants très actifs avaient pour chef Ante PAVELIC qui, à la même époque, quitta<br />

également son pays pour aller s'installer à Vienne, Autriche. Là, vinrent le rejoindre <strong>de</strong> nombreux<br />

membres du groupe séparatiste croate qu'il avait fondé sous le nom <strong>de</strong> l'OUSTACHA, terme signifiant<br />

insurrection.<br />

Afin d'atteindre le but qu'il s'était fixé : l'indépendance <strong>de</strong> la Croatie, PAVELIC sollicita alors<br />

le concours <strong>de</strong> l'O.R.I.M. (groupement révolutionnaire macédonien) que dirigeait Yvan MIHAILOV<br />

habitant en Bulgarie. L'entrevue qu'il eut avec celui-ci, près <strong>de</strong> Sofia, fut très positive. Ante PAVELIC y<br />

obtint la collaboration désirée et reçut, en outre, le pressant conseil d'aller à Rome exposer ses projets<br />

insurrectionnels aux plus hautes autorités italiennes.<br />

C'est dans ces conditions que le chef <strong>de</strong> l'OUSTACHA se rendit dans la capitale italienne où il<br />

obtint un très puissant appui comblant tous ses voeux. En effet, le gouvernement fasciste, qui<br />

poursuivait la désagrégation <strong>de</strong> la nouvelle Yougoslavie issue <strong>de</strong> la première guerre mondiale, ne<br />

pouvait qu'accueillir favorablement les perspectives révolutionnaires lui étant ainsi présentées.<br />

L'ampleur <strong>de</strong>s moyens qui lui furent accordés permit à Ante PAVELIC <strong>de</strong> fixer sa rési<strong>de</strong>nce à Bologne<br />

et d'organiser trois camps d'oustachis. Deux <strong>de</strong> ces camps se trouvaient situés en Italie à Pontechio près<br />

d'Arezzo et à San<strong>de</strong>metrio.<br />

Quant au troisième camp, le plus important, il fut installé en Hongrie, dans la ferme <strong>de</strong> Janka<br />

Puszta, à proximité <strong>de</strong> la frontière yougoslave. C'est en ce lieu qu'étaient groupés, sélectionnés et<br />

entraînés au tir au revolver et au lancement <strong>de</strong> bombes à main les oustachis désignés pour commettre<br />

<strong>de</strong>s actes terroristes.<br />

Le chef <strong>de</strong> ce camp hongrois était le journaliste croate Gustave PERCEC dont j'ai déjà parlé.<br />

Il habitait, avec sa maîtresse, dans le voisinage, un château confortable appartenant à un comte<br />

hongrois.<br />

Et lorsque les oustachis surent que le roi Alexandre se rendrait en France, on vit arriver à<br />

Janka Puszta un terroriste très expérimenté en matière d'attentat qui déclara se nommer SUCK. Sa<br />

mission consistait à entraîner d'une manière intensive les hommes désignés pour se rendre dans notre<br />

pays et y tuer le roi <strong>de</strong> Yougoslavie. Les exercices <strong>de</strong> tir dans ce camp hongrois avaient lieu sur <strong>de</strong>s


cibles représentant ce monarque.<br />

Tous ces préparatifs étaient accomplis avec la complicité <strong>de</strong>s autorités hongroises et celle <strong>de</strong><br />

<strong>de</strong>ux diplomates italiens, CORTESY et JACOMINI, désignés par le gouvernement fasciste pour<br />

assister les oustachis et faciliter la réalisation <strong>de</strong> leurs projets criminels.<br />

En agissant <strong>de</strong> la sorte le gouvernement hongrois, ainsi que la société secrète <strong>de</strong> ce pays<br />

connue sous l'appellation « Les Hongrois qui se réveillent » voulaient une revanche au traité <strong>de</strong> Trianon.<br />

Leur complicité, en l'occurrence, fut d'ailleurs mise en évi<strong>de</strong>nce avant l'attentat <strong>de</strong> Marseille à la suite <strong>de</strong><br />

la tentative d'assassinat manquée lors du voyage que fit à Zagreb ALEXANDRE 1er. Cette mise en<br />

cause donna lieu à d'âpres débats à la Société <strong>de</strong>s Nations à Genève.<br />

En dépit <strong>de</strong> la publicité donnée à ces collusions, les Hongrois continuèrent à apporter un<br />

soutien efficace aux oustachis en leur fournissant l'asile le plus large et les titres <strong>de</strong> circulation<br />

indispensables. Quant à l'Italie, elle entretenait à ses frais quelques centaines <strong>de</strong> séparatistes croates<br />

vivant sur son sol avec leurs familles.<br />

Ces quelques éléments essentiels étant ainsi rappelés, il me faut revenir en France, au poste<br />

frontière d'Annemasse, Haute-Savoie, où l'on interrogea durant toute la journée du 11 octobre les <strong>de</strong>ux<br />

voyageurs ramenés <strong>de</strong> Thonon-les-Bains. L'un d'eux, peu avant son interrogatoire, avait cherché à<br />

s'enfuir en franchissant l'une <strong>de</strong>s fenêtres du commissariat où il se trouvait et s'était ainsi placé<br />

moralement dans une fort mauvaise situation.<br />

Avec le concours du haut fonctionnaire <strong>de</strong> la police yougoslave, MILICEVIC, grand<br />

spécialiste <strong>de</strong> la surveillance <strong>de</strong>s oustachis, disposant d'un fichier bien à jour et parlant leur langue, les<br />

<strong>de</strong>ux étrangers dont il s'agit furent, peu à peu, amenés à faire <strong>de</strong>s aveux. Ceux-ci, corroborés d'ailleurs<br />

par les déclarations faites ultérieurement par le troisième terroriste recherché alors en forêt <strong>de</strong><br />

Fontainebleau, sont concluants. Ils montrent le soin minutieux avec lequel fut organisé en France<br />

l'attentat du 9 octobre 1934. On peut les résumer <strong>de</strong> la manière suivante :<br />

Vers le milieu du mois <strong>de</strong> septembre 1934, trois oustachis : POSPISIL, RAJIC et MALNY,<br />

quittèrent la ferme <strong>de</strong> Janka Puszta, Hongrie, munis <strong>de</strong> passeports hongrois portant <strong>de</strong> faux états-civils,<br />

et se rendirent à Zurich, Suisse. A la gare <strong>de</strong> cette ville ils retrouvèrent leur entraîneur au tir, le soidisant<br />

SUCK, accompagné d'un homme jeune, <strong>de</strong> gran<strong>de</strong> taille. Celui-ci leur fut présenté, sous le nom<br />

<strong>de</strong> KRAMER, comme le délégué spécial <strong>de</strong> Ante PAVELIC désigné pour les conduire en France.<br />

Sous la direction <strong>de</strong> KRAMER, ces cinq personnes prirent le train pour Lausanne où elles<br />

<strong>de</strong>scendirent à l'hôtel <strong>de</strong>s Palmiers en déclarant être <strong>de</strong> nationalité hongroise.<br />

Dès qu'ils eurent reconnu leurs chambres, ces voyageurs allèrent dans le centre commercial <strong>de</strong><br />

Lausanne pour acheter <strong>de</strong>s vêtements neufs, <strong>de</strong>s chaussures et <strong>de</strong>s chapeaux. Ils firent ainsi en quelque<br />

sorte peau neuve afin <strong>de</strong> faire bonne figure dans la foule.<br />

Au début <strong>de</strong> la matinée du len<strong>de</strong>main 27 septembre, le représentant du chef <strong>de</strong> l'Oustacha<br />

s'absenta en déclarant aller à Culoz. Il en revint le 28 septembre et, dès son retour, il retira à ses<br />

compagnons <strong>de</strong> voyage les passeports hongrois qu'ils détenaient et les leur remplaça par d'autres<br />

passeports tchécoslovaques. Cette nationalité nouvelle avait été choisie en raison <strong>de</strong>s dispositions<br />

contenues dans un accord franco-tchécoslovaque dispensant les porteurs <strong>de</strong> ces titres <strong>de</strong> circulation <strong>de</strong><br />

solliciter un visa consulaire français pour pénétrer sur notre territoire.<br />

L'entrée en France, comme toutes leurs manoeuvres dans notre pays, avait été bien étudiée.<br />

Au lieu <strong>de</strong> prendre un train express direct à <strong>de</strong>stination <strong>de</strong> Paris qui les aurait soumis au contrôle d'une<br />

gare frontière, ces étrangers se mêlèrent à la foule <strong>de</strong>s frontaliers empruntant le bateau traversant le lac<br />

Léman et reliant Lausanne à Evian et à Thonon-les-Bains où le contrôle était superficiel. Trois d'entre


eux <strong>de</strong>scendirent à Evian et les <strong>de</strong>ux autres à Thonon. Ils se retrouvèrent tous, au cours <strong>de</strong> la soirée du<br />

28 septembre, à Thonon, dans le train partant pour notre capitale. Toutefois, en vue <strong>de</strong> se soustraire à<br />

un contrôle éventuel en gare <strong>de</strong> la part <strong>de</strong> la police parisienne ils <strong>de</strong>scendirent à Fontainebleau d'où, en<br />

car, ils gagnèrent Paris. Ils s'y installèrent dans trois hôtels différents et, pour ne pas attirer l'attention,<br />

ils changeaient d'établissements tous les jours.<br />

Durant leur séjour sur les rives <strong>de</strong> la Seine, ils firent au grand magasin La Belle Jardinière<br />

l'achat <strong>de</strong> costumes neufs dont j'ai parlé précé<strong>de</strong>mment et le 5 octobre ils se réunirent dans un café<br />

proche <strong>de</strong> la gare Saint-Lazare. En ce lieu, KRAMER leur présenta une jeune femme très élégante,<br />

ayant une belle chevelure blon<strong>de</strong>, disant se nommer VOUDRACEK Maria et <strong>de</strong>vant se rendre aussi<br />

dans le midi <strong>de</strong> la France. Puis, il leur donna ses instructions.<br />

Les oustachis POSPISIL et RAJIC resteraient à Paris afin d'y tuer le roi ALEXANDRE dans<br />

le cas où cela ne pourrait se faire à Marseille. Quant à SUCK et MALNY ils partiraient avec lui pour les<br />

Bouches-du-Rhône. On observe qu'en vue d'atteindre le chef-lieu <strong>de</strong> ce département, ils prirent maintes<br />

précautions afin d'échapper au contrôle <strong>de</strong> la population flottante à Marseille. Nous allons les voir, au<br />

cours <strong>de</strong> ce voyage, pratiquer une très habile manoeuvre pour se munir <strong>de</strong>s armes <strong>de</strong>vant servir à<br />

l'accomplissement <strong>de</strong> leur crime.<br />

Ayant quitté Paris dans la soirée du 5 octobre, KRAMER, SUCK et MALNY <strong>de</strong>scendirent le<br />

len<strong>de</strong>main matin non pas à Marseille mais à Avignon. Ils y prirent trois chambres dans <strong>de</strong>ux hôtels<br />

différents. Toute la journée du 6 octobre se passa dans cette ville où ils rencontrèrent à nouveau Maria<br />

VOUDRACEK accompagnée cette fois <strong>de</strong> son mari. Le len<strong>de</strong>main 7 octobre ces cinq personnes,<br />

voyageant séparément en <strong>de</strong>ux groupes, partirent pour Aix-en-Provence. Dès sa <strong>de</strong>scente <strong>de</strong> voiture,<br />

KRAMER héla un taxi dans lequel il prit place avec SUCK et MALNY en donnant l'adresse <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux<br />

hôtels. En cours <strong>de</strong> route, KRAMER fit arrêter le taxi au bord d'un trottoir où attendait Maria<br />

VOUDRACEK ayant à ses côtés quatre valises qu'elle entassa dans l'automobile en s'y installant ellemême.<br />

Quelques instants plus tard lorsque cette femme <strong>de</strong>manda au chauffeur <strong>de</strong> s'arrêter <strong>de</strong>vant un<br />

hôtel <strong>de</strong> grand luxe elle emporta seulement <strong>de</strong>ux valises et laissa les <strong>de</strong>ux autres aux oustachis. Ces<br />

mallettes contenaient précisément les armes nécessaires à ces <strong>de</strong>rniers qui furent, <strong>de</strong> cette manière<br />

discrète, pourvus <strong>de</strong> redoutables moyens <strong>de</strong> tuer.<br />

Pendant la nuit du 7 au 8 octobre, SUCK et MALNY qui n'avaient pris qu'une seule chambre<br />

pour eux <strong>de</strong>ux ouvrirent les <strong>de</strong>ux valises, y prirent revolvers, cartouches et bombes à main. Toutefois,<br />

ne pouvant porter sur eux toutes les armes contenues dans ces mallettes ils dissimulèrent le surplus<br />

dans le sommier <strong>de</strong> leur lit d'hôtel.<br />

Le 8 octobre, au début <strong>de</strong> la matinée, toujours sous la direction <strong>de</strong> KRAMER, les <strong>de</strong>ux<br />

terroristes SUCK et MALNY partirent, en car, pour Marseille. Ils y reconnurent l'itinéraire, publié par<br />

les journaux, que <strong>de</strong>vait suivre le roi ALEXANDRE et, pour perpétrer leur attentat, choisirent un<br />

emplacement près <strong>de</strong> la Bourse sur l'avenue <strong>de</strong> la Canebière.<br />

Séparément, le couple VOUDRACEK s'était aussi, en car, déplacé jusqu'au chef-lieu <strong>de</strong>s<br />

Bouches-du-Rhône en vue d'y acheter différents vêtements féminins pouvant justifier, éventuellement,<br />

leur venue dans cette ville.<br />

Après le déjeuner, ces cinq personnes revinrent à Aix-en-Provence où, seuls, restèrent les <strong>de</strong>ux<br />

terroristes SUCK et MALNY, désignés pour commettre l'assassinat prévu. Les trois autres complices,<br />

ayant rempli les tâches leur incombant, continuèrent leur route vers Avignon et y prirent le train à<br />

<strong>de</strong>stination <strong>de</strong> la Suisse.<br />

Le len<strong>de</strong>main 9 octobre, jour <strong>de</strong> l'arrivée en France du roi <strong>de</strong> Yougoslavie, SUCK et MALNY<br />

après avoir fait la grasse matinée et pris un bon déjeuner retournèrent, en car, à Marseille au début <strong>de</strong><br />

l'après midi. Ils se dissimulèrent dans la foule à l'endroit repéré la veille et attendirent le passage du


cortège royal. On sait, par les nombreux comptes rendus qui en ont été faits dans les journaux et<br />

différents livres, comment furent assassinés le roi ALEXANDRE 1er et notre ministre <strong>de</strong>s Affaires<br />

étrangères, BARTHOU. Je n'y reviendrai pas ici.<br />

Pendant que l'on s'affairait autour <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux hautes personnalités et du corps <strong>de</strong> l'assassin,<br />

son complice, MALNY, qui n'avait pas eu à intervenir, reprit une nouvelle fois, en car, la route d'Aixen-Provence.<br />

Il ne s'y attarda pas et, en taxi, se fit conduire à Avignon d'où, par le train, il monta vers<br />

Paris. De là, une fois encore en taxi, il gagna Fontainebleau. Remarqué dans la gare <strong>de</strong> cette <strong>de</strong>rnière<br />

ville dans les conditions précé<strong>de</strong>mment exposées, il parvint, en se dissimulant dans les plus hautes<br />

branches <strong>de</strong>s grands arbres <strong>de</strong> la forêt, à échapper aux recherches durant <strong>de</strong>ux jours. Finalement, il fut<br />

appréhendé alors qu'il cherchait à s'alimenter à l'orée <strong>de</strong> la forêt.<br />

Longuement interrogé à son tour, avec le concours du haut fonctionnaire yougoslave<br />

SIMONOVITCH il passa également <strong>de</strong>s aveux confirmant, ainsi que je l'ai déjà précisé, ceux <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux<br />

oustachis entendus à Annemasse. Il y ajouta un fait intéressant en révélant que durant leur séjour à<br />

Lausanne, avant <strong>de</strong> pénétrer en France, son groupe avait déposé à la consigne <strong>de</strong> la gare <strong>de</strong> Lausanne<br />

une valise bourrée d'armes diverses que découvrit, sur mes indications, le colonel JAQUILLARD, chef<br />

<strong>de</strong> la police du canton <strong>de</strong> Vaud.<br />

Ainsi, en l'espace <strong>de</strong> quatre jours j'étais parvenu à placer sous les verrous, en France, trois <strong>de</strong>s<br />

complices <strong>de</strong> l'assassin abattu à Marseille.<br />

Il restait à découvrir le couple connu jusque là sous le nom <strong>de</strong> VOUDRACEK ayant introduit<br />

dans notre pays les armes utilisées pour accomplir le crime du 9 octobre 1934. De même, il me fallait<br />

également retrouver l'organisateur du voyage <strong>de</strong> ces terroristes en France ayant dit s'appeler KRAMER,<br />

ainsi que le grand instigateur <strong>de</strong> l'attentat, l'avocat Ante PAVELIC, chef <strong>de</strong> l'OUSTACHA.<br />

Grâce à l'excellent service <strong>de</strong> renseignements <strong>de</strong>s autorités yougoslaves, j'appris d'abord que<br />

l'assassin sur lequel on avait saisi un passeport au nom <strong>de</strong> KELEMEN, n'était autre que le sieur Vlada<br />

KERIN : le propre chauffeur <strong>de</strong> MIHAILOV, chef <strong>de</strong> l'O.R.I.M., qui l'avait placé sous les ordres <strong>de</strong><br />

PAVELIC en raison <strong>de</strong> sa gran<strong>de</strong> expérience <strong>de</strong> ces sortes <strong>de</strong> crimes.<br />

Puis, toujours par la même source je fus avisé que le soi-disant KRAMER précité, s'i<strong>de</strong>ntifiait<br />

en réalité avec Eugène KVATERNIK, né en 1910 à Belgra<strong>de</strong>, déclarant être journaliste, qui était allé en<br />

Italie se réfugier auprès <strong>de</strong> PAVELIC. Ayant connu assez rapi<strong>de</strong>ment l'adresse <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux <strong>de</strong>rniers<br />

chefs oustachis à Turin, je <strong>de</strong>mandai télégraphiquement leur arrestation au sénateur italien Arthuro<br />

BOCHINI, chef <strong>de</strong> la police fasciste et vice-prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> la Commission internationale <strong>de</strong> Police<br />

criminelle.<br />

On imagine aisément en raison <strong>de</strong>s explications que j'ai données précé<strong>de</strong>mment sur le rôle<br />

joué par l'Italie dans cette tragédie, que ma requête plaça ce haut fonctionnaire dans un très grand<br />

embarras, d'autant plus que je savais également que le revolver utilisé par l'assassin avait été acheté dans<br />

une armurerie <strong>de</strong> Venise.<br />

Toutefois, la presse internationale ayant fait une large publicité à cette affaire, la police fasciste,<br />

cherchant à écarter les très lourds soupçons pesant sur l'Italie, se trouva normalement contrainte <strong>de</strong><br />

faire arrêter PAVELIC et KVATERNIK.<br />

Aussitôt que je connus l'incarcération à Turin <strong>de</strong> ces chefs oustachis, j'y envoyai l'inspecteur<br />

ROYERE parlant couramment l'italien. Mon collaborateur y fut reçu avec égards mais il ne fut pas<br />

autorisé à interroger les <strong>de</strong>ux détenus. On le pria d'indiquer par écrit les questions à poser à ces <strong>de</strong>rniers<br />

dont l'interrogatoire serait effectué par la police fasciste qui rapporterait les réponses qui lui seraient<br />

faites. Comme je m'y attendais, cette manière <strong>de</strong> procé<strong>de</strong>r n'apporta aucune lumière. Les <strong>de</strong>ux<br />

instigateurs incarcérés auraient nié toute participation à l'attentat du 9 octobre 1934. Il n'y eut d'ailleurs


pas d'autre résultats avec les nombreuses commissions rogatoires envoyées au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong>s Alpes par le juge<br />

d'instruction chargé d'instruire cette affaire. De surcroît, il me faut rappeler que l'extradition <strong>de</strong> ces<br />

<strong>de</strong>ux coupables fut refusée.<br />

En Hongrie, le commissaire divisionnaire BARTHELET que j'avais chargé d'aller y procé<strong>de</strong>r à<br />

une enquête ne fut pas plus heureux dans ses recherches. On lui refusa l'accès du camp <strong>de</strong> Janka<br />

Puszta, ainsi que l'autorisation <strong>de</strong> procé<strong>de</strong>r à la moindre investigation. Il se trouva même placé<br />

constamment sous la surveillance <strong>de</strong> la police hongroise.<br />

Comme en Italie, le grand tapage fait autour <strong>de</strong> cette tragédie amena les Hongrois à faire<br />

arrêter l'oustachi SERVAZZI, qui avait succédé à PERCEC dans la direction du camp <strong>de</strong> Janka Puszta.<br />

Toutefois, BARTHELET ne put interroger lui-même ce détenu et son interrogatoire par la police<br />

hongroise n'apporta aucun intérêt pour l'instruction. Il est à noter également que l'extradition <strong>de</strong><br />

SERVAZZI nous fut refusée.<br />

Ces entrevues multiples ne permirent pas non plus, dans les semaines qui suivirent l'attentat,<br />

d'i<strong>de</strong>ntifier le couple pourvoyeur d'armes ayant dit s'appeler VOUDRACEK. Ce n'est que beaucoup<br />

plus tard que l'on sut qu'il s'agissait <strong>de</strong> Croates habitant Chicago, Autun et Stana GODINA, s'étant mis<br />

à la disposition <strong>de</strong> Ante PAVELIC pour accomplir divers actes terroristes.<br />

Les débats qui eurent lieu à ce sujet à la Société <strong>de</strong>s Nations, à Genève, mirent nettement en<br />

lumière les responsabilités très graves encourues par la Hongrie et l'Italie. Et l'on a pu dire que le<br />

spectre <strong>de</strong> la guerre plana sur ces discussions.<br />

En l'occurrence la politique hongroise cherchait à modifier les frontières fixées par le traité <strong>de</strong><br />

Trianon. Quant à MUSSOLINI, il ne voulait pas se laisser constituer à l'est <strong>de</strong> son pays une gran<strong>de</strong><br />

Yougoslavie amie <strong>de</strong> la France.<br />

Pour ce qui est du gouvernement français qui tentait à cette époque un rapprochement avec<br />

l'Italie, il exerça une telle pression sur le gouvernement <strong>de</strong> Belgra<strong>de</strong> que la reine Marie retira sa<br />

constitution <strong>de</strong> partie civile <strong>de</strong>vant la cour d'assises d'Aix-en-Provence. Par suite, son avocat, maître<br />

Paul BONCOUR fut privé <strong>de</strong> la possibilité <strong>de</strong> mettre en évi<strong>de</strong>nce le rôle criminel <strong>de</strong>s gouvernements<br />

<strong>de</strong> Rome et <strong>de</strong> Budapest dans cette retentissante affaire.<br />

On peut conclure en déclarant que les préoccupations politiques, qui se mêlèrent au seul souci<br />

<strong>de</strong> faire éclater la vérité, n'ont pas permis au grand public <strong>de</strong> connaître tous les <strong>de</strong>ssous <strong>de</strong> cette<br />

conspiration internationale.

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