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Dix tableaux pour domestiquer un buffle - Numilog

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INTRODUCTION<br />

L’auteur de ce court manuel d’éveil, <strong>Dix</strong> <strong>tableaux</strong> <strong>pour</strong> <strong>domestiquer</strong><br />

le <strong>buffle</strong>, est <strong>un</strong> maître zen chinois, né sous la dynastie<br />

Song, du nom de Kakuan. Il est de même l’auteur des poèmes<br />

et des commentaires qui accompagnent chac<strong>un</strong>e des étapes de<br />

ce trajet qui mène à l’illumination. Les peintures qui sont reproduites<br />

ici sont signées de Sub<strong>un</strong>, <strong>un</strong> moine zen du xv e siècle.<br />

Des siècles plus tard cette œuvre est toujours d’actualité. Elle<br />

nous invite toujours à prendre conscience de qui nous sommes et,<br />

délicatement, grâce à tous les moyens dont le vieux moine disposait<br />

dans sa transmission, ces textes conduisent à la libération de<br />

nos conditionnements et à la réalisation de l’<strong>un</strong>ité ici et maintenant,<br />

dans notre corps, dans notre présent, notre quotidien.<br />

Ces « dix <strong>tableaux</strong> » sont <strong>un</strong>e incroyable méthode de libération<br />

et probablement la première méthode de « développement<br />

personnel multimédia » alliant images et textes. Ce simple fait,<br />

cet incroyable alliage de techniques de comm<strong>un</strong>ication, nous<br />

indique que Kakuan avait, bien avant la psychologie contemporaine,<br />

compris que nos processus mentaux avaient besoin d’être<br />

stimulés par de multiples redondances afin que des différences<br />

de point de vue puisse naître <strong>un</strong>e compréhension plus fine de<br />

l’éveil.


10 DIX TABLEAUX POUR DOMESTIQUER LE BUFFLE<br />

Kakuan nous dévoile ainsi, tel <strong>un</strong> « diaporama » mystique, le<br />

processus qui mène à l’éveil.<br />

Le fait que le « diaporama » s’effectue d’<strong>un</strong>e manière linéaire<br />

<strong>pour</strong>rait nous faire penser que le processus de l’éveil est lui aussi<br />

<strong>un</strong> processus séquencé, temporel.<br />

Ne soyez pas dupe !<br />

La libération n’est pas la méthode et n’est pas graduée même<br />

si le chemin qui y mène peut l’être, même si l’explication intellectuelle<br />

que l’on donne du chemin ne peut que l’être.<br />

L’éveil n’est pas <strong>un</strong>e explication, il est <strong>un</strong> état d’être, <strong>un</strong> état<br />

d’être qui se réalise et se réactualise en chaque « ici et maintenant<br />

», en chaque présent.<br />

Alors, ne confondez pas la l<strong>un</strong>e et le doigt qui la montre… la<br />

méthode et la réalisation…<br />

« Si tu ne trouves pas la vérité à l’endroit où tu es,<br />

où espères-tu la trouver ? »<br />

Dôgen<br />

Afin de montrer les différentes épreuves inhérentes à la<br />

maîtrise de l’esprit, à la connaissance spirituelle, les enseignants<br />

ont toujours pris l’habitude de s’adresser à la population<br />

par image, symbole plus que par <strong>un</strong>e rhétorique<br />

philosophique que seuls les initiés et les lettrés seraient en<br />

mesure de connaître.<br />

Les paraboles de Jésus, les contes soufis, les midrash juifs,<br />

les sutras bouddhistes, les upanishads hindoues sont autant de<br />

moyens habiles que certains maîtres ont utilisés <strong>pour</strong> transmettre<br />

leur vérité et permettre à l’Homme de s’éveiller à Dieu, à<br />

la réalité, à lui-même.<br />

Ces moyens habiles sont des trésors de l’humanité, tous<br />

aussi lumineux que différents, tous pouvant s’adapter et révéler


INTRODUCTION 11<br />

à chaque personne, chaque être, selon les circonstances et les<br />

compréhensions, <strong>un</strong>e partie de la Vérité.<br />

La Chine ne fait pas exception à ces moyens d’éveil habiles.<br />

Les maîtres spirituels ont pris l’habitude, au lieu d’argumenter<br />

d’<strong>un</strong>e manière savante, de montrer la voie à la population en<br />

majorité paysanne, à la fois par leur exemple personnel, mais<br />

aussi par des images ou symboles pratiques facilement accessibles<br />

à tous.<br />

Le traité d’éveil que nous allons aborder participe de ce principe.<br />

En Asie, le <strong>buffle</strong> était et est toujours <strong>un</strong> élément indispensable<br />

à la vie quotidienne. Tout comme la vache en Occident il y<br />

a des années, il est utilisé <strong>pour</strong> la traction des charrues dans les<br />

rizières, <strong>pour</strong> son lait, <strong>pour</strong> la bouse (en tant que combustible,<br />

en tant qu’élément de fabrication des briques), comme nourriture<br />

ou encore comme vêtement, grâce à sa peau.<br />

Malgré son apparence, somme toute débonnaire et placide, telle<br />

celle de la vache, le <strong>buffle</strong>, qui est d’<strong>un</strong>e force considérable, est à la<br />

base <strong>un</strong> animal sauvage qui a dû subir <strong>un</strong> dressage important <strong>pour</strong><br />

parvenir à obéir au doigt et à l’œil du paysan sans que sa nature<br />

originelle ne reprenne le dessus et ne détruise à grand coups de<br />

ruades, de coups de tête et divers encornées, tout le patient travail<br />

de construction des hommes. Imaginez les dégâts d’<strong>un</strong> <strong>buffle</strong><br />

enragé, fou, dans <strong>un</strong>e rizière, dans <strong>un</strong> champ ou dans <strong>un</strong> village !<br />

Ainsi, afin d’éviter cette éventualité, en Asie, dans les régions<br />

traditionnellement liées à la culture, <strong>un</strong> des premiers enseignements<br />

(<strong>un</strong> enseignement quasi initiatique) d’<strong>un</strong> père à son fils<br />

est celui de la « gestion » du <strong>buffle</strong>, c’est-à-dire la gestion de<br />

« l’outil » fondamental qui lui permettra de vivre et de faire vivre<br />

sa famille. Pas après pas, étape après étape, il lui apprendra ainsi<br />

comment le nourrir, le laver, le dresser, contrôler sa puissance,<br />

comment le diriger, l’utiliser ou plutôt comment le pratiquer.


12 DIX TABLEAUX POUR DOMESTIQUER LE BUFFLE<br />

Le père, comme son père et le père de son père avaient dû<br />

faire auparavant, transmet ainsi à son enfant, le moyen et la<br />

technique <strong>pour</strong> lui permettre de parvenir à sa pleine et totale<br />

autonomie et « indépendance ».<br />

C’est donc tout naturellement que le dressage de cet animal<br />

a été choisi par les maîtres zen <strong>pour</strong> expliquer la manière dont<br />

nous pouvons redevenir, nous aussi, maîtres de qui nous sommes<br />

et parvenir ainsi à <strong>un</strong>e totale harmonie.<br />

D’<strong>un</strong>e manière simplifiée et occidentalisée, nous <strong>pour</strong>rions<br />

dire que le <strong>buffle</strong> et son équipée nous renvoient à <strong>un</strong>e partie de<br />

notre humanité de base, construite de pulsions, de complexes, de<br />

forces refoulées, de vies anciennes et cachées qui, nous le savons<br />

dès lors qu’elles sont acceptées, posées, transformées, transmutées,<br />

nous emmènent vers <strong>un</strong> indéniable développement spirituel.<br />

Il est donc, <strong>pour</strong> <strong>un</strong>e part, cette partie cachée de notre être,<br />

qui est là, sans que l’on ne le sache et qui <strong>pour</strong>tant « agit » à notre<br />

insu, en nous voilant qui nous sommes, en nous voilant la réalité<br />

ou tout du moins en nous la faisant passer <strong>pour</strong> autre chose<br />

que ce qu’elle est… Il représente aussi notre déraison, notre folie<br />

et notre propension à nous affirmer comme <strong>un</strong>ique, pérenne,<br />

fort, le (ou la) meilleur(e), comme séparé du reste du monde et<br />

régnant sur lui d’<strong>un</strong> orgueil de maître, exigeant, commandant,<br />

trépignant, manipulant afin d’arriver à son entière satisfaction.<br />

Le <strong>buffle</strong> représente cet ego, à la fois constructeur utile de<br />

notre présent, du quotidien mais aussi source originelle de nos<br />

souffrances et divers aveuglements.<br />

Retrouver le <strong>buffle</strong> égaré c’est, comme le souligne le maître<br />

zen Dôgen :<br />

« Se connaître soi-même,<br />

c’est s’oublier.


INTRODUCTION 13<br />

S’oublier soi-même,<br />

c’est s’ouvrir à toutes choses. »<br />

Maître Dôgen Genjô Kôan<br />

Le <strong>buffle</strong> n’a pas à commander et ne doit pas commander le<br />

paysan.<br />

Le paysan n’a pas à être soumis au <strong>buffle</strong> mais doit en être le<br />

maître.<br />

Ce qui, d’<strong>un</strong>e manière simplifiée, signifie que nous n’avons<br />

pas à être soumis à notre ego, le gage d’avoir <strong>un</strong> terrain utilisable,<br />

fertile, d’avoir <strong>un</strong>e vie sereine est à cette condition !<br />

La méthode que nous allons parcourir est <strong>un</strong> des nombreux<br />

outils que notre humanité nous a légués afin de s’éveiller à notre<br />

nature originelle.<br />

Elle nous dévoile les étapes successives et progressives d’<strong>un</strong><br />

« exercice » que celui qui choisit de se libérer franchira à son<br />

rythme.<br />

Comme <strong>pour</strong> notre ego et ses travers, le <strong>buffle</strong> ne <strong>pour</strong>ra être<br />

domestiqué que s’il est vu, que s’il est mis en lumière.<br />

Dès que nous avons pris conscience que ce <strong>buffle</strong> existe et qu’il<br />

détruit, dés<strong>un</strong>it tout sur son passage, deux choix de vie se présentent<br />

alors : nous pouvons jouer la carte de l’aveuglement volontaire<br />

et du statu quo et le laisser commettre tous les dégâts que sa nature<br />

sauvage et impétueuse a envie de commettre, ou nous décidons<br />

d’aller à sa rencontre, de le chercher, de le trouver, de l’affronter<br />

parfois, de l’amadouer, <strong>pour</strong> in fine lui faire comprendre gentiment<br />

mais fermement qu’il n’est plus le maître des lieux.<br />

Alors, comme nous l’assurent Kakuan et tous les maîtres de la<br />

voie du zen, tout s’assagira et nous <strong>pour</strong>rons reprendre le cours<br />

naturel de la vie que l’équipée désordonnée du <strong>buffle</strong> nous avait<br />

fait quitter <strong>pour</strong> <strong>un</strong> temps.


QU’EST-CE QUE LE ZEN ?<br />

UN BÂTON À MERDE !<br />

« Le zen va droit au cœur.<br />

Vois ta véritable nature<br />

et deviens Bouddha. »<br />

Bodhidharma<br />

Le zen est <strong>un</strong>e des formes les plus épurée et radicale de<br />

bouddhisme car loin d’<strong>un</strong>e lourde transmission intellectuelle de<br />

textes ou de diverses pratiques, il postule que c’est <strong>un</strong>iquement<br />

par l’expérience personnelle de la réalité par le zazen, la posture<br />

méditative, que l’éveil peut être réalisé.<br />

Le mot « zen » est la romanisation de la prononciation japonaise<br />

du mot chinois chán qui était à l’origine <strong>un</strong> mélange des<br />

pratiques taoïstes de gestion de l’énergie vitale (taichi chuan, qi<br />

gong, etc.) et du bouddhisme originel indien.<br />

La légende de l’origine de la tradition zen remonterait à <strong>un</strong><br />

sermon du Bouddha Shâkyam<strong>un</strong>i à ses disciples. Afin d’expliquer<br />

<strong>un</strong> point particulier de son enseignement, il se contenta de<br />

cueillir silencieusement <strong>un</strong>e fleur. Auc<strong>un</strong> de ses disciples n’aurait<br />

alors compris le message qu’il tentait de faire passer, à l’exception<br />

de Mahâkâshyapa qui aurait simplement souri au Bouddha.<br />

Celui-ci lui aurait alors dit devant l’assemblée qu’il lui avait ainsi


16 DIX TABLEAUX POUR DOMESTIQUER LE BUFFLE<br />

transmis son enseignement spirituel le plus précieux et ce d’<strong>un</strong>e<br />

manière non intellectuelle, « I shin den shin » en japonais, d’esprit<br />

à esprit…<br />

C’est probablement de cette belle histoire que Bodhidharma<br />

tire la description du chan :<br />

« Pas d’écrit, <strong>un</strong> enseignement différent (de tous les autres),<br />

qui touche directement l’esprit <strong>pour</strong> révéler la vraie nature de<br />

Bouddha. »<br />

Ce n’est que bien plus tard que le bouddhisme zen fut importé<br />

de Chine au Japon grâce notamment aux moines Eisai (au début<br />

du xii e siècle), fondateur du courant zen « Rinzai » qui associe<br />

l’utilisation du kôan 1 à la méditation, puis moins d’<strong>un</strong> siècle plus<br />

tard au moine Dôgen adepte du zen dit « Sôtô » qui insiste particulièrement<br />

sur la méditation.<br />

– Un moine demanda à Y<strong>un</strong>men : « Qu’est-ce que Bouddha ? »,<br />

« Un bâton à merde ! » répondit Y<strong>un</strong>men.<br />

Loin d’être <strong>un</strong> quelconque blasphème, cette étonnante phrase<br />

nous montre à la fois qu’il ne faut pas s’attacher à <strong>un</strong>e personnification<br />

idéalisée du Bouddha et que ce dernier et son message<br />

ne sont pas à déifier mais à utiliser au quotidien.<br />

Dans le Japon médiéval, <strong>un</strong> bâton à merde était l’ancêtre de<br />

notre papier hygiénique. L’image est aussi lapidaire que parlante.<br />

Le bouddhisme permet de nous « nettoyer » !<br />

1. Koân : Méthode d’éveil du zen Rinzai basé sur des histoires ou<br />

réflexions courtes paraissant souvent paradoxales ou étranges, mais permettant<br />

au mental de se sortir de ses habitudes de fonctionnement. Exemple :<br />

« Vous connaissez tous le bruit de deux mains applaudissant. Quel est le bruit<br />

d’<strong>un</strong>e main ? »


QU’EST-CE QUE LE zEN ? UN BâTON à MERDE ! 17<br />

« Si nous retournons à la racine originelle,<br />

Nous touchons l’essence.<br />

Si nous suivons les reflets,<br />

Nous perdons l’originel »<br />

Maître Keizan a écrit ce verset :<br />

« Ne rien rechercher, ne rien espérer.<br />

Ni Bouddha ni démons ne peuvent surprendre.<br />

N’être jamais dérangé ni effrayé.<br />

Voir la montagne, vivre à la montagne.<br />

Contempler le fil de l’eau, vivre dans l’eau.<br />

Vouloir se coucher et se coucher.<br />

Vouloir se lever et se lever.<br />

Ne désirer ni ne fuir les sons.<br />

N’aimer ni ne haïr les couleurs.<br />

…<br />

Sans peur de l’enfer ni désir du paradis,<br />

embrasser tout le cosmos. »<br />

Dans les quelques phrases précédentes, rien de bien extraordinaire,<br />

juste quelque chose qui semble évident, naturel, quelque<br />

chose à la portée de tous et que nous portons, <strong>pour</strong> la plupart,<br />

en nous.<br />

Ces textes semblent dire : « Si je <strong>pour</strong>suis mes illusions, ma<br />

vanité, mon orgueil, si je juge et sélectionne tout ce qui m’entoure<br />

avec mon regard et mon analyse si subjective et parcellaire,<br />

je m’éloigne de qui je suis <strong>pour</strong> m’accrocher à ce que je crée, ce<br />

que je crois, ce que je veux, ce que je ne veux pas et ce faisant,<br />

je me perds à la périphérie de mon être… et perds l’originel. »<br />

Se nettoyer, se purifier, c’est aller vers l’essentiel en laissant de<br />

côté les paramètres inutiles et inhibiteurs de nos vies.

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