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Pascal Roméas Introduction aux peuples et aux langues germaniques<br />

Résumé :<br />

Introduction aux peuples et aux langues germaniques<br />

(Histoire, diachronie et situation actuelle)<br />

Pascal Roméas<br />

Nous faisons le point sur l’histoire <strong>de</strong>s peuples germaniques et <strong>de</strong>s langues qu’ils ont parlées <strong>de</strong>puis trois<br />

millénaires. Il s’agit donc d’une introduction générale au thème <strong>de</strong> l’année 2006-07 du CLAIX. Nous suivons<br />

migrations, alliances et revers militaires et politiques, influences linguistiques, voire assimilations ou extinctions<br />

linguistiques, qui ont conduit aux pratiques linguistiques actuelles dans le mon<strong>de</strong> germanique et anglo-saxon<br />

ainsi que dans les contrées où ces langues ne sont plus parlées. L’accent est mis sur les contacts <strong>de</strong>s langues<br />

germaniques avec les autres langues d’Europe au cours <strong>de</strong> l’Histoire. Nous présentons les principales hypothèses<br />

<strong>de</strong> linguistique génétique quant à la diversification du phylum germanique, en suivant les principales évolutions<br />

diachroniques <strong>de</strong>s différents groupes <strong>de</strong> langues germaniques. Nous présentons enfin la diversité actuelle <strong>de</strong>s<br />

communautés <strong>de</strong> langues germaniques, ainsi que les principales caractéristiques unifiant encore ces langues au<br />

plan typologique.<br />

1. Histoire <strong>de</strong>s peuples et linguistique génétique <strong>de</strong>s langues germaniques<br />

1.1. Rappels historiques sur les langues indo-européennes<br />

Connaître l’origine <strong>de</strong>s peuples et <strong>de</strong>s langues germaniques, leur Histoire et les influences auxquelles ils ont été<br />

soumis, c’est d’abord partir d’une préhistoire indo-européenne, même s’il s’avère que <strong>de</strong>s traces, notamment<br />

linguistiques, <strong>de</strong> cultures non indo-européennes existent, marginalement, dans les civilisations germaniques. Les<br />

étu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>rnières décennies, et en particulier le travail <strong>de</strong>s archéologues (Renfrew, 1987), proposent une<br />

préhistoire indo-européenne en plusieurs étapes.<br />

L’hypothèse <strong>de</strong> C. Renfrew sur une origine anatolienne <strong>de</strong>s langues indo-européennes (IE) -- les hypothèses<br />

antérieures proposant plutôt une origine ukrainienne ou « steppique », a reçu la faveur d’une large part <strong>de</strong> la<br />

communauté scientifique. Bien que n’ayant pas été suivi sur tous les points <strong>de</strong> son hypothèse, notamment en ce<br />

qui concerne la datation <strong>de</strong> l’émergence <strong>de</strong>s différents rameaux linguistiques indo-européen en Europe, Renfrew<br />

a néanmoins contribué à remettre en question l’idée d’une avancée conquérante et rapi<strong>de</strong> <strong>de</strong>s peuples indoeuropéens<br />

vers l’ouest <strong>de</strong>puis les steppes orientales <strong>de</strong> l’Ukraine, au profit d’une thèse proposant une avancée<br />

lente et pacifique, où le changement linguistique en Europe accompagne la néolithisation progressive <strong>de</strong>s<br />

populations, qui <strong>de</strong> proche en proche et <strong>de</strong> l’est vers l’ouest auraient adopté un mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> vie agricole et pastoral,<br />

sous l’impulsion initiale <strong>de</strong> paysans anatoliens parlant <strong>de</strong>s langues indo-hittites.<br />

Cette hypothèse recoupe donc le concept <strong>de</strong> phylum indo-hittite, pourtant plus ancien. Le hittite-nésique et<br />

d’autres langues anatoliennes se seraient, les premières, séparées d’un indo-hittite commun vers 6700 avant notre<br />

ère, en Anatolie centrale. Ces langues, qualifiées par certains d’anatoliennes et par d’autres déjà d’indoeuropéennes<br />

(voir à ce sujet et sur l’ensemble <strong>de</strong> ces hypothèses l’article <strong>de</strong> Jacques Freu), se seraient peu<br />

diversifiées jusqu’à une époque estimée par Drews (1997) à environ 4000 ans avant notre ère.<br />

La branche anatolienne du phylum s’est éteinte peu avant notre ère, après une vie <strong>de</strong> plusieurs millénaires. Elle<br />

comprenait notamment : le hittite-nésique, le louvite, le palaïc ou palaïte, le lydien.<br />

Les migrations et la propagation territoriale <strong>de</strong>s langues issues du proto-IE anatolien se seraient faites aux 4 ème –<br />

3 ème – 2 ème millénaires avant notre ère, <strong>de</strong>puis l’Anatolie vers l’Europe en <strong>de</strong>ux temps, après un long séjour<br />

autour <strong>de</strong> la Mer Noire. En parallèle les langues indo-européennes se seraient propagées vers l’In<strong>de</strong> et l’Iran,


Pascal Roméas Introduction aux peuples et aux langues germaniques<br />

selon <strong>de</strong>s modalités temporelles et spatiales qui font encore débat. Les communautés restées en Asie Mineure<br />

auraient pu donner naissance aux branchements arménien et grec, cependant que la branche tokharienne, la plus<br />

orientale, aujourd’hui éteinte, se fixera en Chine occi<strong>de</strong>ntale.<br />

L’hypothèse du long séjour en proximité <strong>de</strong> la Mer Noire rend l’hypothèse partiellement compatible avec celle<br />

<strong>de</strong> l’origine Ukrainienne, cette origine <strong>de</strong>venant dans ce cas une simple étape située aux alentours <strong>de</strong> 5000 avant<br />

notre ère.<br />

Cette vague <strong>de</strong> changements culturels et linguistiques serait parvenue aux côtes atlantiques vers l’an 3000. Il<br />

semblerait que ce soit également à cette époque que l’on puisse commencer à parler légitimement <strong>de</strong> peuples<br />

germaniques ou proto-germaniques, à propos <strong>de</strong> populations s’étant déplacées, par vagues successives, du<br />

continent européen vers le sud <strong>de</strong> l’actuelle Scandinavie.<br />

Une hypothèse localisant l’origine <strong>de</strong>s langues IE dans la Scandinavie actuelle et le nord <strong>de</strong> ce qui <strong>de</strong>viendra<br />

l’aire germanique a maintenant été totalement abandonnée. Cette thèse avait en son époque nourri le mythe aryen<br />

<strong>de</strong> l’idéologie nazie, mais elle a continué à faire l’objet <strong>de</strong> publications, y compris en linguistique, jusqu’à une<br />

époque plus récente dans certains pays dont la France, malgré le rejet général dont elle fut l’objet par la<br />

communauté scientifique.<br />

Les langues IE connaissent ensuite, du 2 ème millénaire avant notre ère jusqu’au XV ème siècle <strong>de</strong> notre ère, une<br />

pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> territorialisation globalement stabilisée (<strong>de</strong> la Scandinavie à l’Assam, et du Portugal à l’Oural), même<br />

si la territorialisation <strong>de</strong>s différentes sous-branches <strong>de</strong> la famille IE est, pour sa part, loin d’être fixée pendant<br />

cette même pério<strong>de</strong>, comme va le montrer, au moins pour les langues germaniques, la présentation suivante.<br />

Le panorama actuel <strong>de</strong>s langues IE dans le mon<strong>de</strong> s’explique par la pério<strong>de</strong> d’expansion et <strong>de</strong> domination<br />

mondiale <strong>de</strong>s Etats <strong>de</strong> langues IE, qui occupe les cinq <strong>de</strong>rniers siècles. Au sein <strong>de</strong> cette domination mondiale, la<br />

part <strong>de</strong> l’anglais est prépondérante. La 1 ère langue dominante sur la planète est donc aujourd’hui une langue<br />

d’origine germanique. Les autres langues germaniques arrivent en revanche loin <strong>de</strong>rrière d’autres langues IE,<br />

dans une configuration où dominent le castillan, le portugais, le russe, le français, le hindi.<br />

1.2. Histoire <strong>de</strong>s peuples germaniques et <strong>de</strong> leurs langues<br />

Concernant l’origine <strong>de</strong>s peuples et <strong>de</strong>s langues germaniques, Hagège (1994) mentionne une origine probable<br />

<strong>de</strong>s ethnies et <strong>de</strong>s langues germaniques à la « fin du 2 ème millénaire avant notre ère (…) dans le Jutland ou le sud<br />

<strong>de</strong> la Suè<strong>de</strong> ».<br />

Selon Boyer (1993, 2002), « on discerne <strong>de</strong>ux vagues successives [<strong>de</strong> peuplement <strong>de</strong> la Scandinavie par <strong>de</strong>s<br />

indo-européens], la première vers 3000 sans doute, la secon<strong>de</strong> vers 1800, non pas comme on le dit trop souvent<br />

sous forme d'invasions, mais bien par le biais <strong>de</strong> colonisations ou d'influences reçues », ce <strong>de</strong>rnier point<br />

reprenant notamment la thèse <strong>de</strong> Colin Renfrew.<br />

Boyer précise que différentes vagues antérieures <strong>de</strong> peuplement avaient eu lieu, <strong>de</strong>puis le sud, repoussant les<br />

Saami, <strong>de</strong> langues ouraliennes, vers l’actuelle Laponie.<br />

L’archéologie fournit <strong>de</strong> nombreuses preuves d’une religion, d’une culture artistique et d’une organisation<br />

sociale fort bien assise, stable et durable pendant tout l’âge <strong>de</strong> bronze (1800-400 AC). Les traces graphiques en<br />

sont essentiellement <strong>de</strong>s pétroglyphes.<br />

Les plus anciens documents écrits mentionnant l’existence <strong>de</strong> ces peuples sont <strong>de</strong>s textes méditerranéens (grecs<br />

et romains) datant du début du 1 er siècle avant notre ère. L’absence <strong>de</strong> témoignage écrit sur ces peuples avant<br />

cette pério<strong>de</strong>, dans <strong>de</strong>s cultures où l’écriture est largement répandue, semble indiquer que les Européens du sud<br />

et ceux du nord s’ignoraient jusqu’à cette date. Des inter-influences linguistiques entre le groupe germanique et<br />

les groupes du sud, postérieures à l’émergence génétique <strong>de</strong> ces groupes mais antérieure à ces premiers textes,<br />

semblent donc à écarter ou à n’envisager qu’avec précautions. En revanche, le contact avec les langues <strong>de</strong>s<br />

groupes balto-slave et celtique est hautement probable. Boyer parle d’influence culturelles et onomastiques<br />

avérées <strong>de</strong> la part <strong>de</strong>s Celtes entre -400 et notre ère.<br />

2


Pascal Roméas Introduction aux peuples et aux langues germaniques<br />

Il semble que la première migration germanique ait eu lieu <strong>de</strong>puis ce foyer scandinave en direction du nord <strong>de</strong><br />

l’Allemagne et <strong>de</strong> la Pologne actuelles au cours du 1 er millénaire avant notre ère. Franziska Raynaud (1982)<br />

précise que l’embouchure du Rhin et celle <strong>de</strong> la Vistule sont atteintes vers -750.<br />

Progressivement, la migration se poursuit vers l’intérieur du continent. Dans les <strong>de</strong>rniers siècles avant notre ère,<br />

les hypothèses font état <strong>de</strong> 5 peuples germaniques qui ont commencé à se différencier et à occuper <strong>de</strong>s territoires<br />

éloignés les uns <strong>de</strong>s autres :<br />

- un groupe <strong>de</strong> la mer du nord (lequel développera les futurs parlers bas-allemands)<br />

- un groupe dit « <strong>de</strong> l’Elbe » (lequel migrera ultérieurement vers le sud <strong>de</strong> l’Allemagne, la Suisse,<br />

l’Autriche et l’Italie)<br />

- un groupe peuplant les régions du Rhin et <strong>de</strong> la Weser<br />

- un groupe scandinave (resté dans les territoires d’origine)<br />

- un groupe dit « O<strong>de</strong>r / Vistule » (d’où sortiront les Goths, Burgon<strong>de</strong>s, Vandales, et autres peuples qui<br />

migreront d’abord vers l’est, puis vers le Danube, les Balkans, l’Italie du Nord et l’Espagne, et parleront<br />

<strong>de</strong>s langues aujourd’hui sans <strong>de</strong>scendance).<br />

Ces cinq groupes ethniques développent trois groupes <strong>de</strong> langues germaniques, généralement désignées par les<br />

termes <strong>de</strong> westique, nordique et ostique.<br />

Dès les III e et IV e siècles <strong>de</strong> notre ère, on trouve <strong>de</strong>s documents écrits attestant d’une distinction entre ces<br />

groupes <strong>de</strong> langues germaniques :<br />

• le groupe oriental et du nord, avec<br />

- le gotique, qui malgré sa propagation avec les migrations wisigothes et ostrogothes ne laisse plus <strong>de</strong><br />

traces vivantes aujourd’hui, et semble s’être éteint en Crimée au XVIII e siècle.<br />

- les langues scandinaves (inscriptions runiques en vieil islandais)<br />

• le groupe <strong>de</strong> l’ouest, ou westique, qui évoluera vers le haut allemand et le bas allemand (divergences<br />

attestées à l’écrit à partir <strong>de</strong>s VIII e et IX e siècle).<br />

1.2.1. Le groupe ostique<br />

Le plus ancien texte en langue germanique est la Bible traduite en gotique par l’évêque Wulfila (Ulfila) au IV e<br />

siècle <strong>de</strong> notre ère. A cette époque, les Germains sont donc déjà christianisés, au moins en partie. Une partie<br />

d’entre eux adoptent une doctrine du christianisme appelée arianisme, dans laquelle le messie est un homme,<br />

envoyé par Dieu, et non le fils <strong>de</strong> Dieu, lui-même <strong>de</strong> nature divine.<br />

A l’époque où ce texte voit le jour, les peuples germaniques <strong>de</strong> l’O<strong>de</strong>r-Vistule ont déjà poursuivi leur migration<br />

vers l’Ukraine, la Roumanie et la Bulgarie actuelles. Plus précisément, Ulfila vivait en Mésie, région<br />

correspondant à la Bulgarie littorale.<br />

En même temps que <strong>de</strong> révéler la langue gotique, ce texte fixe l’écriture <strong>de</strong> ces langues. Cette fixation <strong>de</strong><br />

l’écriture germanique est antérieure à celle proposée par Cyrille et Métho<strong>de</strong> au IX e siècle, elle-même à l’origine<br />

<strong>de</strong>s alphabets <strong>de</strong> l’orthodoxie chrétienne.<br />

Le peuplement <strong>de</strong> différentes régions <strong>de</strong> l’Europe par les germains <strong>de</strong> l’est (culture <strong>de</strong>s Goths) suit une lente<br />

progression qui conduira certains d’entre eux au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> la Crimée, cependant que d’autres reviendront vers<br />

l’ouest par le Danube et les Balkans, en plusieurs vagues, qui finiront leur course en Espagne, en Italie et dans le<br />

sud <strong>de</strong> la France.<br />

D’autres peuples du rameau ostique ne s’établiront pas dans l’est européen, mais migreront progressivement vers<br />

le sud <strong>de</strong> l’Allemagne puis la Gaule, notamment les Burgon<strong>de</strong>s.<br />

Goths<br />

3


Pascal Roméas Introduction aux peuples et aux langues germaniques<br />

Leur origine est située soit dans le sud <strong>de</strong> la Scandinavie, soit sur l’île <strong>de</strong> Gotland en Suè<strong>de</strong>, soit encore sur la<br />

frange littorale sud <strong>de</strong> la Baltique. En fait, cela dépend sans doute <strong>de</strong> la pério<strong>de</strong> à laquelle on fait remonter<br />

l’appellation <strong>de</strong> Goths.<br />

On sait que les Goths étaient fixés en Ukraine et dans l’actuel Belarus dès le II e siècle <strong>de</strong> notre ère, et qu’ils<br />

menèrent au III e siècle <strong>de</strong>s expéditions vers le sud jusqu’en Grèce et en Asie Mineure, avec plus ou moins <strong>de</strong><br />

succès.<br />

C’est à cette époque qu’ils sont christianisés (premier peuple barbare, c’est-à-dire non-romain, à être<br />

christianisé).<br />

C’est aussi à cette pério<strong>de</strong> qu’ils se scin<strong>de</strong>nt en <strong>de</strong>ux peuples, <strong>de</strong>ux lignées royales et <strong>de</strong>ux territoires : les<br />

Wisigoths, repoussés sur la rive nord du Danube par les Romains dans un premier temps ; et les Ostrogoths, qui<br />

fondèrent un royaume plus à l’est 1 , sur la rive nord <strong>de</strong> la mer noire.<br />

Wisigoths<br />

Tout au long du IV e siècle et jusqu’à la fin <strong>de</strong> l’Empire Romain, les Wisigoths seront tantôt les ennemis tantôt<br />

les alliés <strong>de</strong>s Romains contre d’autres peuples d’origine germanique, comme les Vandales. D’une manière<br />

générale, la fin <strong>de</strong> l’empire se caractérise par <strong>de</strong>s retournements d’alliances fréquents entre les Romains et les<br />

différents peuples germaniques.<br />

L’expansion <strong>de</strong> la domination wisigothe vers l’ouest se fait surtout à partir <strong>de</strong> l’an 400 : Sac <strong>de</strong> Rome en 410,<br />

entrée en Gaule en 412 (où Vandales et Suèves les ont déjà précédés), entrée en Espagne à partir <strong>de</strong> 416 (i<strong>de</strong>m),<br />

alliance avec Rome contre les Huns en 451 en échange <strong>de</strong> territoires dans l’ouest <strong>de</strong> la Gaule, entrée au Portugal<br />

en 458.<br />

Toutefois, dans les avancées successives, les Wisigoths <strong>de</strong> souche, même s’ils se déplacent souvent par familles<br />

entières, restent une minorité à fonction essentiellement militaire. Pour Martina Pitz (2006), ceci explique sans<br />

doute une assimilation linguistique assez rapi<strong>de</strong>, malgré l’interdiction <strong>de</strong>s mariages mixtes.<br />

L’apogée territoriale <strong>de</strong>s Wisigoths se situe aux alentours <strong>de</strong> l’an 500. Les Wisigoths contrôlent alors l’essentiel<br />

<strong>de</strong> la péninsule ibérique, le littoral méditerranéen <strong>de</strong> la Gaule jusqu’à la Ligurie ainsi qu’un large quart sud-ouest<br />

<strong>de</strong> la Gaule.<br />

Malgré les attaques franques, les Wisigoths conserveront et unifieront la péninsule ibérique jusqu’à l’entrée <strong>de</strong>s<br />

Arabes par le sud au début du VIII e siècle.<br />

Ostrogoths<br />

La place laissée à l’est <strong>de</strong>s Alpes par les Wisigoths est prise par les Ostrogoths, qui eux aussi finiront ainsi par<br />

migrer vers l’ouest.<br />

Etant les plus à l’est, ils furent, avec les Gépi<strong>de</strong>s, les premiers peuples germaniques à entrer sous la domination<br />

<strong>de</strong>s Huns (à partir <strong>de</strong> 370, et jusque vers 460). On observe à cette pério<strong>de</strong> une migration partielle vers les<br />

Balkans, d’autres Ostrogoths <strong>de</strong>meurant en Ukraine.<br />

Après la chute <strong>de</strong> Rome (476), la migration vers l’ouest se poursuit au point que la majorité les Ostrogoths sont<br />

désormais établi dans l’actuelle Hongrie / Croatie puis en Italie du nord. Ils domineront finalement toute l’Italie,<br />

comme l’avaient fait les Wisigoths avant eux.<br />

Pendant une courte pério<strong>de</strong>, Ostrogoths et Wisigoths s’unifient politiquement sous le règne <strong>de</strong> Théodoric le<br />

Grand. Le Royaume couvre alors l’Espagne, une partie <strong>de</strong> la Gaule et l’Italie.<br />

1 Toutefois, certains travaux d’étymologie ne voient pas dans l’opposition <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux appellations une opposition ouest / est, mais une<br />

opposition se référant à une origine ethnique distincte et plus ancienne (il y aurait eu, dès avant la migration vers l’est, <strong>de</strong>ux sortes <strong>de</strong> Goths).<br />

Ainsi Wisi- pourrait provenir <strong>de</strong> la racine wise (sage). Quant à Ostr-, cela pourrait faire référence à une ancienne province du sud <strong>de</strong> la Suè<strong>de</strong><br />

ou signifier « glorieux ».<br />

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Pascal Roméas Introduction aux peuples et aux langues germaniques<br />

Le règne <strong>de</strong>s Ostrogoths en Italie se termine par la domination <strong>de</strong> Byzance à partir du milieu du VI e siècle.<br />

Burgon<strong>de</strong>s<br />

Originaires du sud <strong>de</strong> la Scandinavie comme les autres peuples germaniques, et peut-être plus précisément <strong>de</strong><br />

l’île aujourd’hui danoise <strong>de</strong> Bornholm (Burgundarholmr)<br />

Contrairement aux Goths, leurs migrations ne les entraînent pas à l’est, mais vers la Rhénanie et la Bavière. Ils<br />

furent soumis tantôt aux Huns, tantôt aux Romains, tantôt aux Alamans, ce qui les amena à se déplacer vers la<br />

Suisse, le Jura et la Savoie actuelles vers le V e siècle, pendant qu’Ostrogoths et Wisigoths se partagent<br />

l’Espagne, l’Italie, le sud et l’est <strong>de</strong> la Gaule.<br />

Les Burgon<strong>de</strong>s n’ont jamais été très nombreux. Certaines sources parlent <strong>de</strong> 80 000 personnes, essentiellement<br />

concentrées autour <strong>de</strong> Genève et du Jura. Seuls <strong>de</strong>s cantonnements militaires isolés existaient dans les régions<br />

plus excentrées (toute la Bourgogne et la vallée du Rhône).<br />

Il paraît assez certain que leur influence linguistique sur les peuples <strong>de</strong> ces régions a, pour cette raison, été<br />

minime, et qu’en revanche, leur assimilation linguistique à <strong>de</strong>s langues gallo-romaines a été forte et rapi<strong>de</strong>. Ceci<br />

a probablement été favorisé par la légalité <strong>de</strong>s mariages mixtes en zone burgon<strong>de</strong>.<br />

Au VI e siècle, la culture Burgon<strong>de</strong> s’efface <strong>de</strong>vant la culture mixte franque et gallo-romaine, leur religion passe<br />

<strong>de</strong> l’arianisme au catholicisme, et leur royaume disparaît au profit <strong>de</strong> celui <strong>de</strong>s Francs. A ce sta<strong>de</strong>, toute pratique<br />

<strong>de</strong> langue ostique a disparu dans la région.<br />

Vandales<br />

Comme les Burgon<strong>de</strong>s, les Vandales quittent la Scandinavie pour migrer vers le continent. Ils s’établissent un<br />

temps entre l’O<strong>de</strong>r et la Vistule, puis s’enfonce vers le sud et peuplent la Silésie et la Slovaquie actuelles (II e et<br />

III e siècle), à une pério<strong>de</strong> où les Goths sont déjà au bord <strong>de</strong> la mer noire.<br />

Au début du V e siècle, les Vandales traversent la Gaule puis l’Espagne, en les pillant. La reprise en main<br />

entreprise par les Wisigoths les divise et les accule à <strong>de</strong>meurer en Andalousie (à laquelle ils laissent leur nom<br />

« Vandalousie », arabisé ensuite en « Al Andalus »), puis à franchir la Méditerranée pour émigrer en Afrique du<br />

nord. Leurs alliés les Suèves, seront quant à eux repoussés en Galice.<br />

Les Vandales finiront par s’établir en Afrique du nord (Algérie littorale, Tunisie). Selon <strong>de</strong>s sources romaines <strong>de</strong><br />

l’époque, environ 80 000 Vandales passèrent le Détroit <strong>de</strong> Gibraltar. A la fin du V e siècle, ils conquièrent la<br />

Sardaigne et la Corse. Au début du VI e siècle, leur royaume d’Afrique s’effondre face à Byzance.<br />

Langues ostiques<br />

Les langues ostiques (notamment le gotique, qui est la seule que l’on connaisse bien) sont réputées plus proches<br />

<strong>de</strong>s langues scandinaves que <strong>de</strong> la branche westique.<br />

Outre le gotique, on compte quelques autres langues germaniques du groupe ostique : le burgon<strong>de</strong>, le vandale, le<br />

suève notamment.<br />

Le gotique est la langue <strong>de</strong>s Goths (puis <strong>de</strong>s Wisigoths et Ostrogoths) jusqu’aux V e -VI e siècles en Europe du<br />

sud, pério<strong>de</strong> à laquelle elle s’estompe au profit <strong>de</strong>s formes créolisées <strong>de</strong> latin qui prévalent à cette époque. Le<br />

caractère minoritaire et la fonction militaire <strong>de</strong>s Wisigoths parmi les populations romanisées <strong>de</strong> Gaule<br />

expliqueraient que les toponymes soient restés gallo-romains, et que les langues romanes <strong>de</strong> ces régions aient<br />

conservé très peu <strong>de</strong> traces gotiques (Pitz, 2006).<br />

Les Wisigoths d’Espagne aux VII e et VIII e siècles ne parlent donc plus <strong>de</strong>s langues germaniques, mais <strong>de</strong>s<br />

variétés gallo-ibères émergentes.<br />

En Gaule, au VIII e siècle, la Chronique <strong>de</strong> Lorsch, source carolingienne (donc issue <strong>de</strong> la culture Franque) fait<br />

état <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux langues vernaculaires en usage : la rustica romana lingua et la theodisca lingua, par laquelle il faut<br />

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Pascal Roméas Introduction aux peuples et aux langues germaniques<br />

entendre, selon Pitz (2006), une langue véhiculaire inter-germanique, pratiquée autant par les Francs que par les<br />

Burgon<strong>de</strong>s ou les Wisigoths.<br />

Les Vandales et les Suèves n’ont probablement pas non plus conservé la pratique <strong>de</strong> langues germaniques au<strong>de</strong>là<br />

du début du V e siècle.<br />

Le gotique perdurera en revanche beaucoup plus longtemps en Ukraine, et plus précisément en Crimée, où il est<br />

encore attesté à la fin du XVII e siècle, selon Bloomfield.<br />

1.2.2. Le groupe nordique<br />

Peuples scandinaves<br />

Les peuples <strong>de</strong>meurés en Scandinavie sont restés sans gran<strong>de</strong> influence extérieure pendant plusieurs siècles<br />

(comparée aux multiples influences rencontrées par le rameau ostique dans ses migrations).<br />

Toutefois, dans les premiers siècles <strong>de</strong> notre ère, ils subissent l’influence latine.<br />

C’est l’époque à laquelle la Scandinavie commence à se structurer politiquement et ethniquement dans sa forme<br />

quasi-actuelle, avec les Danes, venus du sud <strong>de</strong> la Suè<strong>de</strong>, s'installant au Danemark, les Sviars formant un pouvoir<br />

au centre <strong>de</strong> la Suè<strong>de</strong>, les habitants du sud <strong>de</strong> la Norvège (Nordrvegr, voie du Nord) s'organisant en peuple<br />

indépendant.<br />

Cette civilisation est à cette époque, non guerrière, agricole et commerçante. Les institutions qui s’y développent<br />

sont à la fois claniques et démocratiques (respect <strong>de</strong>s paroles individuelles et prévalence du droit sur la force)<br />

(Boyer, 1993).<br />

Aux VII e et VIII e siècles, les rois Ynglingar <strong>de</strong> Norvège impulsent une expansion progressive vers l’Atlantique<br />

nord : successivement, les Orca<strong>de</strong>s, Shetland, Hébri<strong>de</strong>s, Féroé et enfin l'Islan<strong>de</strong> au IX e siècle, <strong>de</strong>viendront <strong>de</strong>s<br />

possessions norvégiennes. Les Suédois établissent pour leur part <strong>de</strong>s comptoirs sur les rives sud <strong>de</strong> la Baltique.<br />

Les Scandinaves n’ont été définitivement christianisés qu’aux X e et XI e siècles, pério<strong>de</strong> où se consoli<strong>de</strong>nt les<br />

trois royaumes.<br />

La pério<strong>de</strong> Viking (800-1000) est celle d’une expansion scandinave conduisant <strong>de</strong>s groupes <strong>de</strong> conquérants<br />

s’implanter par comptoirs en Méditerranée et jusqu’en mer Noire, au Groenland et jusqu’en Amérique du nord<br />

(Terre-Neuve en 1000). On est cependant très vite amené à ne plus considérer ces populations comme<br />

scandinaves, du fait qu’elles s’assimilent culturellement et linguistiquement aux peuples conquis.<br />

En Normandie, notamment, l’assimilation linguistique se fait en moins <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux siècles. Lorsque Guillaume le<br />

Conquérant conquiert l’Angleterre au XI e siècle, c’est du français normand qu’il exporte vers le vieil anglais,<br />

non du vieux scandinave. A cette époque, l’anglais renouvelle près du tiers <strong>de</strong> son lexique, en empruntant<br />

massivement à la variété franco-norman<strong>de</strong>.<br />

Langues scandina ves<br />

Les langues parlées avant la christianisation semblent avoir été assez largement inter-intelligibles. Les langues<br />

scandinaves jusqu’au VII e siècles sont <strong>de</strong>s variantes du vieux norrois, dont beaucoup <strong>de</strong> caractéristiques<br />

typologiques se sont maintenues dans les langues scandinaves actuelles.<br />

Le vieux norrois s’écrit d’abord en alphabet runique, qui évolue d’un système initial à 24 runes, vers système<br />

<strong>de</strong>nsifié à 16 runes, dont il existe une version danoise et une version suédoise, puis vers un système intégrant la<br />

totalité <strong>de</strong>s lettres <strong>de</strong> l’alphabet latin, à partir <strong>de</strong> la christianisation.<br />

Du VIII e au XV e siècles, enjambant la pério<strong>de</strong> Viking, on distinguera <strong>de</strong>ux dialectes <strong>de</strong> vieux scandinave, qui<br />

évolueront peu : le dialecte dano-suédois, et le dialecte <strong>de</strong> l’ouest parlé <strong>de</strong> la Norvège aux îles <strong>de</strong> l’Atlantique et<br />

jusqu’au Groenland.<br />

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Pascal Roméas Introduction aux peuples et aux langues germaniques<br />

Le norvégien standard sera ensuite fortement influencé par le danois, du fait d’une domination politique <strong>de</strong> plus<br />

<strong>de</strong> quatre siècles (1380-1814). Seuls l’islandais et le parler <strong>de</strong>s îles Féroé sont aujourd’hui les <strong>de</strong>scendants du<br />

dialecte <strong>de</strong> l’ouest. On signalera tout <strong>de</strong> même la tentative <strong>de</strong> faire renaître au niveau officiel une forme ancienne<br />

<strong>de</strong> norvégien, le landsmål, ensuite dénommé nynorsk, parlé aujourd’hui par environ 17% <strong>de</strong> la population.<br />

Deux autres langues, issues du dialecte dano-suédois, se standardiseront pour donner le danois et le suédois<br />

actuels.<br />

1.2.3. Le groupe westique<br />

Peuples germaniques <strong>de</strong> l’ouest<br />

Sur le plan ethnique, ceci rassemble les trois groupes <strong>de</strong> peuples germaniques installés sur le continent au cours<br />

<strong>de</strong>s cinq <strong>de</strong>rniers siècles avant notre ère (groupe <strong>de</strong> la mer du nord, groupe <strong>de</strong> l’Elbe, groupe Rhin / Weser).<br />

Si le contact avec les Romains a été tardif (début du I e siècle avant notre ère), le contact avec les Celtes a été<br />

immédiat. L’archéologie nous indique toutefois qu’au début du II e siècle avant notre ère les peuples Celtes<br />

avaient déjà été définitivement chassés <strong>de</strong> l’actuelle Allemagne par ces peuples germaniques <strong>de</strong> l’ouest. Contact<br />

immédiat, mais cohabitation abrégée assez rapi<strong>de</strong>ment.<br />

La cohabitation sociale avec les Romains et le contact linguistique qu’elle entraîne bénéficiera en revanche <strong>de</strong> la<br />

durée. Les peuples germaniques <strong>de</strong> l’ouest et les romains échangeront <strong>de</strong> manière étroite et suivie, avec environ<br />

4 siècles d’avance sur les contacts entre Romains et peuples du rameau ostique. Très vite <strong>de</strong>s alliances font entrer<br />

<strong>de</strong>s Germains dans les armées romaines.<br />

Les gran<strong>de</strong>s migrations <strong>de</strong>s III e -V e siècles conduisent les peuples <strong>de</strong> l’ouest vers différentes <strong>de</strong>stinations. Les<br />

Angles, les Saxons et les Jutes passent en Gran<strong>de</strong>-Bretagne. Les Francs passent en Gaule. Les Langobards (ou<br />

Lombards, peuple <strong>de</strong> l’Elbe) passent en Italie du nord. D’autres peuples <strong>de</strong> l’Elbe se fixent dans le sud <strong>de</strong><br />

l’Allemagne et la Suisse actuelles où ils <strong>de</strong>viendront entre autres les Alamans et les Bavarois.<br />

Dans ces <strong>de</strong>rnières régions ainsi qu’en Bourgogne, les Burgon<strong>de</strong>s (rameau ostique) se mêleront vers le V e siècle<br />

aux populations westiques <strong>de</strong>meurées sur place.<br />

Les régions les plus à l’est sont partiellement abandonnées <strong>de</strong>vant <strong>de</strong> nouvelles invasions comme celle <strong>de</strong>s Huns.<br />

Les Frisons et <strong>de</strong>s Saxons se maintiennent en Allemagne du nord et le long <strong>de</strong> la mer du nord.<br />

Du XII e au XIV e siècle se structure la Hanse, vaste organisation commerciale entre <strong>de</strong>s villes <strong>de</strong> la Baltique à la<br />

mer du Nord. La Hanse <strong>de</strong>vient bientôt aussi puissante que les Etats. Elle assure pendant trois siècles la<br />

dominance <strong>de</strong>s parlers bas allemands sur tout le nord <strong>de</strong> l’Europe.<br />

La prédominance irréversible du haut allemand intervient en Allemagne au XVI e siècle sous l’impulsion <strong>de</strong> la<br />

Réforme. Ces <strong>de</strong>ux <strong>de</strong>rniers points sont traités dans la section qui suit.<br />

Langues westiques<br />

Sur le plan linguistique, le groupe westique est celui qui aboutira à toutes les langues germaniques nonscandinaves<br />

d’aujourd’hui.<br />

Il est difficile <strong>de</strong> faire le bilan <strong>de</strong>s influences linguistiques du celtique vers le germanique lors <strong>de</strong>s V e -III e siècles<br />

avant notre ère, quand ces peuples étaient en contact sur le continent. Nous verrons néanmoins quelques traces<br />

lexicales dans notre présentation <strong>de</strong> la diachronie germanique.<br />

A partir <strong>de</strong> notre ère, l’influence du latin et <strong>de</strong> variétés créolisées celto-latines (gallo-romain par exemple) se fait<br />

progressivement, et <strong>de</strong> façon plus massive, mais elle touchera principalement les populations germaniques ayant<br />

migré vers le sud et l’ouest, essentiellement au gré d’expéditions et <strong>de</strong> cantonnements militaires. Ceci aboutira<br />

7


Pascal Roméas Introduction aux peuples et aux langues germaniques<br />

progressivement à une quasi-disparition <strong>de</strong>s variétés germaniques parlées en Gaule, au profit <strong>de</strong> variétés galloromaines<br />

ayant simplement emprunté à ces langues germaniques.<br />

Cette influence romane touchera beaucoup moins les Germains restés sur les territoires <strong>de</strong> l’Allemagne actuelle,<br />

qui développeront les dialectes à l’origine du haut-allemand.<br />

La première mention écrite d’une langue <strong>de</strong> ce groupe apparaît en 788 dans la Chronique <strong>de</strong> Lorsch, sous<br />

l’appellation <strong>de</strong> theodisca lingua. Langue véhiculaire <strong>de</strong>s divers peuples germaniques peuplant la Gaule jusqu’à<br />

la Rhénanie, utilisée, faut-il préciser, par les personnes cultivées, ecclésiastes pour la plupart (Raynaud, 1982).<br />

Ce terme évoluera pour <strong>de</strong>venir diutisc au XI e siècle, puis diutsch au XII e siècle, où il désigne alors une entité<br />

politico-ethnique.<br />

Les principales branches <strong>de</strong>s langues westiques sont :<br />

• l’anglo-saxon, qui se détache après l’installation en Gran<strong>de</strong>-Bretagne (gran<strong>de</strong>s<br />

invasions)<br />

• le rameau frison, qui cessera <strong>de</strong> se diversifier<br />

• le bas allemand, d’où viennent le néerlandais et les parlers du nord <strong>de</strong> l’Allemagne<br />

• le vieil haut allemand, qui se distingue globalement <strong>de</strong>s trois précé<strong>de</strong>nts et regroupe les<br />

parlers du centre et du sud <strong>de</strong> l’Allemagne (alémanique et bavarois), ainsi que les<br />

variétés parlées par les Francs en Rhénanie puis au moment <strong>de</strong> leur entrée en Gaule<br />

(variétés <strong>de</strong> francique).<br />

Raynaud (1982) rappelle que le vieil haut allemand n’a jamais constitué une langue unique, bien que les<br />

philologues du XIX e siècle l’aient considéré comme telle.<br />

En Gaule, les variétés franciques (dont la theodisca lingua) s’estompent dès le IX e siècle <strong>de</strong>vant la prééminence<br />

numérique <strong>de</strong>s variétés <strong>de</strong> gallo-romain, malgré le rôle majeur joué par le francique rhénan sous le règne <strong>de</strong><br />

Charlemagne.<br />

Le langobard faisait aussi partie <strong>de</strong> ce phylum vieil haut allemand, mais a commencé à s’éteindre à partir du<br />

VIII e siècle, c’est-à-dire trois siècles après l’arrivée <strong>de</strong>s populations en Italie du nord.<br />

Au X e siècle, l’espace germanique est clairement distinct <strong>de</strong> l’espace gallo-romain et italique en général. Pour sa<br />

partie européenne, il ne variera plus guère jusqu’à nos jours : Scandinavie, Allemagne, Pays-Bas et Flandres,<br />

Gran<strong>de</strong>-Bretagne, Autriche et Suisse, avec, à l’est, une frontière relativement fluctante.<br />

Dans tous ces cas, le latin <strong>de</strong>meure la langue écrite commune pendant tout le Moyen-Age, même là où les<br />

langues germaniques westiques ont réussi à se maintenir comme langues vernaculaires, et même pendant ce<br />

qu’on appelle la « renaissance carolingienne », pendant laquelle la culture écrite <strong>de</strong>meure latine.<br />

A l’époque <strong>de</strong> la Hanse et <strong>de</strong> la dominance du bas-allemand, du lexique passe du bas-allemand aux langues<br />

scandinaves (exemple sprǻk = « langue » en suédois, alors qu’on trouve mǻl en dano-norvégien)<br />

Pendant la pério<strong>de</strong> hanséatique ont lieu <strong>de</strong>s expéditions militaires violentes (Chevaliers Teutoniques), qui feront<br />

reculer les langues baltes et slaves au profit du bas-allemand.<br />

C’est la Renaissance, la Réforme et la traduction <strong>de</strong> la Bible par Luther en haut-saxon <strong>de</strong> Thuringe (parler hautallemand)<br />

qui vont complètement inverser la dominance : à partir du milieu du XVI e siècle, c’est le haut<br />

allemand qui s’impose durablement, notamment par sa dimension écrite.<br />

Pour ce qui concerne l’anglo-saxon ou vieil anglais, la migration vers la Gran<strong>de</strong>-Bretagne aura comme<br />

conséquence une nouvelle exposition aux langues celtiques, dont l’influence sur le vieil anglais se produit<br />

principalement entre 450 et 600 <strong>de</strong> notre ère. On notera ensuite une pério<strong>de</strong> d’emprunts scandinaves lors <strong>de</strong> la<br />

pério<strong>de</strong> Viking, puis un emprunt rapi<strong>de</strong> et massif au franco-normand au XI e siècle (Rogers & Erwin, 2001).<br />

8


Pascal Roméas Introduction aux peuples et aux langues germaniques<br />

1.3. Linguistique génétique <strong>de</strong>s langues germaniques<br />

Le phylum germanique tel qu’il est proposé par le Summer Institute of Linguistics (SIL) est le suivant. Nous<br />

annotons par endroits en italique dans la partie droite. Cette présentation est accessible en ligne sur<br />

www.ethnologue.com.<br />

Germanique (53 langues)<br />

Est (1 langue)<br />

Gotique (Ukraine, éteinte) + Nombreuses langues éteintes avant le VI e siècle<br />

Nord (11 langues)<br />

Est-scandinave (6)<br />

Danois-Suédois (6)<br />

Danois-Bokmål (1)<br />

Danois-Riksmål (2)<br />

Suédois (3)<br />

Ouest-scandinave (5)<br />

Féroïen ou féringien (Îles Feroe)<br />

Islandais (Islan<strong>de</strong>)<br />

Jamtska (Suè<strong>de</strong>) 30 000 locuteurs, transmission problématique<br />

Norvégien, Nynorsk (Norvège)<br />

Norn (Royaume-Uni) éteinte au XV e siècle<br />

Ouest (41 langues) Nombreuses variétés éteintes à la fin du 1er millénaire <strong>de</strong> notre ère<br />

Anglais (3)<br />

Anglais (Royaume-Uni)<br />

Scots (Royaume-Uni) variété d’anglais parlée en Ecosse<br />

Yinglish (USA) variété d’anglais influencée par le yiddish,<br />

principalement parlée à New-York<br />

Frison (3)<br />

Frison occi<strong>de</strong>ntal (Pays-Bas)<br />

Frison septentrional (Allemagne)<br />

Saterfriesisch (Allemagne)<br />

Haut Allemand (20)<br />

Allemand (18)<br />

Francique variétés éteintes <strong>de</strong> francique<br />

Allemand central (9)<br />

Allemand central <strong>de</strong> l’est (3)<br />

Allemand standard (Allemagne)<br />

Bas Silésien (Pologne)<br />

Haut Saxon (Allemagne)<br />

Allemand central <strong>de</strong> l’ouest (6)<br />

Franconien <strong>de</strong> Moselle (2)<br />

Luxembourgeois (Luxembourg)<br />

Mainfränkisch (Allemagne)<br />

Allemand <strong>de</strong> Pennsylvanie (USA)<br />

Franconien rhénan (2)<br />

Pfaelzisch (Allemagne)<br />

Limburgisch (Pays-Bas)<br />

Franconien ripuaire (1)<br />

Kölsch (Allemagne)<br />

Allemand méridional (Upper German) (8)<br />

Alémanique (4)<br />

Allemand <strong>de</strong> la Colonia Tovar (Venezuela)<br />

Schwyzerdütsch (Suisse)<br />

Souabe ou Schwäbisch (Allemagne)<br />

Walser (Suisse)<br />

Bavarois-Autrichien (4)<br />

Bavarois (Autriche)<br />

Cimbrien (Italie) moins <strong>de</strong> 2000 locuteurs, bilingues<br />

Allemand, Hutterite (Canada)<br />

Mócheno Italie) moins <strong>de</strong> 2000 locuteurs, bilingues<br />

Yiddish (2)<br />

Yiddish oriental (Israel)<br />

Yiddish occi<strong>de</strong>ntal (Allemagne)<br />

Bas Saxon - Bas Franconien (15) On donnerait la dénomination <strong>de</strong> « bas allemand »<br />

à ce branchement dans d’autres classifications<br />

9


Pascal Roméas Introduction aux peuples et aux langues germaniques<br />

Frison oriental (Allemagne)<br />

Bas Franconien (4)<br />

Afrikaans (Afrique du sud)<br />

Néerlandais (Pays-Bas)<br />

Flamand ou Vlaams (Belgique)<br />

Zeeuws (Pays-Bas) Zeeland, 200 000 locuteurs<br />

Bas Saxon (10)<br />

Achterhoeks (Pays-Bas)<br />

Drents (Pays-Bas)<br />

Gronings (Pays-Bas) plus <strong>de</strong> 500 000 locuteurs<br />

Bas saxon ou Nie<strong>de</strong>rsaechsisch (Allemagne) compris par 10 millions <strong>de</strong> locuteurs<br />

Plautdietsch (Canada) Variété américaine d’allemand, 100 000 loc.<br />

Sallands (Pays-Bas)<br />

Stellingwerfs (Pays-Bas)<br />

Twents (Pays-Bas)<br />

Veluws (Pays-Bas)<br />

Westphalien (Allemagne)<br />

C’est dans le groupe westique (ici « ouest ») que la classification proposée par le SIL va rencontrer <strong>de</strong><br />

nombreuses classifications concurrentes. On notera par exemple que d’autres classifications génétiques ne<br />

placent pas l’anglais, le frison et les variétés <strong>de</strong> bas allemand sur un même étage <strong>de</strong> l’arbre. Il est en effet courant<br />

que l’on pose l’existence d’un nœud vieux bas allemand se subdivisant à son tour en bas saxon et bas-francique,<br />

la subdivision en parlers néerlandais, anglais, frison et saxon n’intervenant qu’ensuite (Hagège 1994,<br />

notamment).<br />

On pourra douter par ailleurs d’une présentation qui éclate la dénomination franconien sur trois rameaux<br />

éloignés les uns <strong>de</strong>s autres : francique est ici un rameau spécifique du haut allemand, cependant que les variétés<br />

actuelles <strong>de</strong> franconien, qui <strong>de</strong>vraient en être parentes, sont réparties dans divers groupes <strong>de</strong> l’allemand central<br />

<strong>de</strong> l’est (lui-même branchement du haut allemand), et que l’étiquette « franconien » est également utilisée (bas<br />

franconien) pour désigner <strong>de</strong>s parlers qui sont en fait néerlandais, par conséquent rattachés <strong>de</strong> façon plus<br />

habituelle au bas-allemand.<br />

On pourrait aussi se <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r pour quelle raison une <strong>de</strong>s variétés <strong>de</strong> frison, le frison oriental, se trouve dans un<br />

autre groupe que le groupe frison (il est dans un groupe <strong>de</strong> même niveau <strong>de</strong> branchement : le groupe bas saxon –<br />

bas franconien). De manière générale, on perçoit que les voisinages géographiques, qui ont probablement généré<br />

un certain continuum dans la typologie <strong>de</strong> ces variétés, prennent parfois le pas sur les critères génétiques, ou s’y<br />

mélangent.<br />

Il existe <strong>de</strong>s classifications plus synthétiques : pour Ruhlen (1987), il faudrait se contenter, après avoir divisé le<br />

nœud germanique en Est, Nord et Ouest, <strong>de</strong> lister les parlers ostiques, <strong>de</strong> subdiviser les langues scandinaves en<br />

est et ouest, et surtout, <strong>de</strong> ne pas aller plus loin qu’une subdivision du westique aboutissant à :<br />

Westique<br />

Continental<br />

Est* : allemand, yiddish, luxembourgeois<br />

Ouest : néerlandais, afrikaans<br />

Mer du Nord : frison, anglais<br />

* On suppose que Ruhlen place là tout ce qui <strong>de</strong>scend <strong>de</strong> près ou <strong>de</strong> loin du haut<br />

allemand + les parlers bas-allemands du nord <strong>de</strong> l’Allemagne.<br />

Concernant la place <strong>de</strong> l’anglais, on pourra regretter que les classifications ne lui reconnaissent que rarement une<br />

place à part, alors que l’histoire <strong>de</strong> cette langue au cours du <strong>de</strong>rnier millénaire en a fait une langue germanique<br />

fortement romanisée à bien <strong>de</strong>s égards, ce en quoi le frison n’est nullement concerné. La présentation du SIL est<br />

satisfaisante sur ce point.<br />

Remontant d’un niveau <strong>de</strong> branchement, intéressons-nous maintenant à la place du germanique dans la famille<br />

indo-européenne (IE). Ruhlen (1987) présente un historique <strong>de</strong> la classification génétique <strong>de</strong>s langues IE, où l’on<br />

voit que la place du germanique a légèrement fluctué en 200 ans.<br />

10


Pascal Roméas Introduction aux peuples et aux langues germaniques<br />

Le germanique figure déjà clairement comme branchement <strong>de</strong> niveau « sous-famille » dès la classification à<br />

laquelle participèrent Rask et Bopp en 1820 :<br />

IE<br />

1 grec<br />

2 italique<br />

3 celtique<br />

4 germanique on note l’absence <strong>de</strong> l’albanais et <strong>de</strong> l’arménien<br />

5 slave<br />

6 balte<br />

7 iranien<br />

8 indo-aryen<br />

Toutefois, une classification <strong>de</strong> Schleicher (1861) fait entrer le germanique dans un branchement intermédiaire<br />

avec les langues slaves :<br />

IE<br />

1 slavo-germanique<br />

1.1. germanique<br />

1.2. balto-slave<br />

2 indo-celtique<br />

2.1 indo-iranien<br />

1.2.1. balte<br />

1.2.2. slave<br />

2.1.1. iranien (incluant l’ arménien)<br />

2.1.2. indien<br />

2.2. greco-celtique<br />

2.2.1. greco-albanais<br />

2.2.1.1. grec<br />

2.2.1.2. albanais<br />

2.2.2. italo-celtique<br />

2.2.2.1. italique<br />

2.2.2.2. celtique<br />

La théorie d’une division en langues centum et satem a conduit aux alentours <strong>de</strong> 1900 à séparer le germanique du<br />

balto-salve et à regrouper les langues ainsi :<br />

IE<br />

1 EST (satem)<br />

1.1. indo-iranien<br />

1.2. arménien<br />

1.3. albanais<br />

1.4. balto-slave<br />

2 OUEST (centum)<br />

2.1 germanique<br />

2.2. italo-celtique<br />

2.3. grec<br />

La notion <strong>de</strong> phylum indo-hittite apparue vers 1900-1905 (Edgar Sturtevant, linguiste américain) replace au<br />

second plan les différentes manières <strong>de</strong> grouper en <strong>de</strong>ssous du nœud IE. On retrouve donc <strong>de</strong>s listes <strong>de</strong> sousfamille<br />

<strong>de</strong> rang égal, comme chez Rask et Bopp. Finalement, cette égalité <strong>de</strong> rang entre les sous-familles <strong>de</strong> l’IE<br />

se maintiendra. Voegelin et Voegelin (1977) proposeront simplement d’intégrer la branche anatolienne (éteinte)<br />

sous le nœud IE, au même rang que toutes les autres sous-familles.<br />

2. Diachronie<br />

11


Pascal Roméas Introduction aux peuples et aux langues germaniques<br />

2.1. Premières évolutions attestées et reconstruites<br />

2.1.1. Lexique<br />

Les langues germaniques constituent la branche réputée la plus divergente <strong>de</strong> la famille indo-européenne. On<br />

estime parfois que 30% du lexique <strong>de</strong>s langues germaniques parlées il y a 2000 ans (donc avant les gran<strong>de</strong>s<br />

migrations trans-européennes) est constitué <strong>de</strong> radicaux non-IE. Les domaines les plus touchés sont ceux du<br />

droit, <strong>de</strong> la guerre, l’élevage et l’agriculture, la navigation. Exemples pris dans la langue alleman<strong>de</strong><br />

contemporaine (Raynaud, 1982) :<br />

Volk (peuple), König (roi), Sühne (expiation), Dieb (voleur), Schiff (bateau), Segel (voile),Schwert (épée),Spieß (javelot)<br />

Ensuite, dès avant notre ère, le lexique germanique emprunte aux langues celtiques. Exemples :<br />

Allemand : Reich (empire, royaume), Geisel (otage), Eisen (fer)<br />

Gaëlic : riocht, giall, iarann<br />

Gallois : - gwystl, haearn<br />

Breton : rouantelezh, gouestl, houarn<br />

Le lexique emprunte ensuite assez massivement au latin, à partir du I e siècle avant notre ère. Au cours <strong>de</strong><br />

l’Antiquité tardive ou du haut Moyen-Âge, il semble que 500 à 600 mots aient été empruntés au latin et à ses<br />

variétés tardives, principalement<br />

« dans les domaines <strong>de</strong> l’organisation administrative, du commerce et <strong>de</strong>s communications, (…) <strong>de</strong> la viticulture, (…) <strong>de</strong><br />

l’habitation, <strong>de</strong> l’art culinaire, (…) » (Raynaud, 1982).<br />

Comme nous l’avons vu plus haut à propos <strong>de</strong> l’histoire du rameau westique, l’anglais connaîtra une nouvelle<br />

pério<strong>de</strong> d’emprunt celtique autour <strong>de</strong> 450-600, puis une pério<strong>de</strong> d’emprunt scandinave, enfin une pério<strong>de</strong><br />

française. La langue anglaise perdra un grand nombre <strong>de</strong> caractéristiques typologiques permettant <strong>de</strong> la rattacher<br />

aux langues germaniques, dans le même temps où elle se « romanisera » <strong>de</strong> manière marquée.<br />

2.1.2. Phonologie<br />

A une pério<strong>de</strong> qu’on estime comprise entre -500 et -200, mais qui pourrait être plus ancienne, les langues<br />

germaniques subissent ce qu’il est convenu d’appeler la première gran<strong>de</strong> mutation phonétique, qui les éloignera<br />

phonologiquement <strong>de</strong>s autres branches IE. Cette mutation touche la place <strong>de</strong> l’accent d’une part, les séries <strong>de</strong><br />

consonnes obstruantes d’autre part.<br />

La place <strong>de</strong> l’accent :<br />

L’accent, supposé libre dans la plupart <strong>de</strong>s autres langues IE, <strong>de</strong>vient un accent lexical à position initiale fixe. Il<br />

est qualifié d’accent dynamique ou d’intensité par opposition à un accent qui aurait été mélodique en proto-IE.<br />

Toutefois, on sait aujourd’hui que les qualificatifs « dynamique » ou « d’intensité » ont souvent été attribués à<br />

tort dans le cas <strong>de</strong> langues où un tel accent était réputé exister : pratiquement tous les accents se réalisent par <strong>de</strong>s<br />

contrastes au niveau tonal et par l’allongement <strong>de</strong>s syllabes, dans l’immense majorité <strong>de</strong>s langues décrites au<br />

plan phonétique, l’intensité n’intervenant que comme paramètre secondaire. La transmission fiable <strong>de</strong> l’intensité<br />

d’un son par la voie aérienne est difficile, à moins d’avoir affaire à une source <strong>de</strong> son dont la localisation reste<br />

fixe par rapport à l’oreille <strong>de</strong> l’auditeur, ce qui est rarement le cas dans une situation <strong>de</strong> communication normale.<br />

Ceci explique probablement que ce paramètre acoustique n’ait guère été retenu par la phonologie <strong>de</strong>s langues.<br />

Le positionnement initial <strong>de</strong> l’accent a, quant à lui, <strong>de</strong>s conséquences sur l’harmonie segmentale observable sur<br />

les syllabes atones et particulièrement sur la syllabe finale <strong>de</strong>s mots. Notamment :<br />

- centralisation ou disparition <strong>de</strong> certains timbres vocaliques<br />

- effacement pur et simple <strong>de</strong> certains noyaux vocaliques et donc <strong>de</strong> syllabes entières comme par exemple<br />

dans : magadi magd, megedi mäg<strong>de</strong>, « servante(s) » (Raynaud, 1982).<br />

- neutralisation <strong>de</strong> certaines oppositions consonantiques (m~n par exemple)<br />

12


Pascal Roméas Introduction aux peuples et aux langues germaniques<br />

La mutation <strong>de</strong>s séries consonantiques du germanique (ang. sound shift, all. germanische Lautverschiebung) est<br />

un processus connu sous l’appellation <strong>de</strong> Lois <strong>de</strong> Grimm (1822).<br />

p t k k w<br />

p h t h k h k wh<br />

f θ X X w<br />

b d g g w p t k k w<br />

b h d h g h g wh (ß ð Ŵ Ŵ w ) b d g g w<br />

Les occlusives sour<strong>de</strong>s (aspirées et non aspirées) donneront <strong>de</strong>s constrictives. Les occlusives sonores nonaspirées<br />

donneront les occlusives sour<strong>de</strong>s. Les occlusives sonores aspirées donneront à terme <strong>de</strong>s occlusives<br />

sonores, après être probablement passées dans un premier temps par un sta<strong>de</strong> où elles étaient <strong>de</strong>s constrictives<br />

sonores 2 .<br />

On <strong>de</strong>vra cependant ajouter à la loi <strong>de</strong> Grimm une loi qui conditionne ces changements à un positionnement par<br />

rapport à l’accent tel que celui-ci était en IE : la loi <strong>de</strong> Verner (1877). Verner montre que la première ligne <strong>de</strong> la<br />

loi <strong>de</strong> Grimm ne fonctionne que si la consonne est initiale <strong>de</strong> mot ou si elle suit immédiatement la syllabe<br />

accentuée du mot IE. Dans le cas contraire, les constrictives résultantes se voisent. C’est une loi qui touche<br />

toutes les constrictives, y compris celles ne résultant pas <strong>de</strong> l’application <strong>de</strong> la loi <strong>de</strong> Grimm, comme le [s] qui<br />

<strong>de</strong>vient [z].<br />

Voici un exemple d’application <strong>de</strong> ces lois, où l’ordre <strong>de</strong>s règles a son importance :<br />

proto-IE « père » * pə ’ter<br />

1- Loi <strong>de</strong> Grimm : * fə ’θer<br />

2- Loi <strong>de</strong> Verner : * fə ’ðer<br />

3- Déplacement <strong>de</strong> l’accent : * ’fə ðer<br />

4- ajustement <strong>de</strong>s timbres : ’fā ðar<br />

gotique ’fā ðar<br />

Par ailleurs, un certain nombre d’ajustements phonologiques interviennent en marge <strong>de</strong> la première mutation <strong>de</strong>s<br />

consonnes du germanique. On mentionnera notamment :<br />

- l’apophonie : phénomène durablement établi dans les langues germaniques jusqu’à nos jours, par lequel<br />

l’alternance morphologique se manifeste par une alternance du timbre <strong>de</strong>s voyelles du radical (bin<strong>de</strong>n ~ band ~<br />

gebun<strong>de</strong>n). Ceci revient à user d’un procédé morphologique <strong>de</strong> type fusionnel, mais sur le radical et non sur les<br />

désinences. Toutefois, cette évolution n’est pas le propre <strong>de</strong>s langues germaniques, puisqu’on le trouvera aussi<br />

en latin (fīdus ~ fœdus ~ fidēs).<br />

- la syllabicité <strong>de</strong> certaines consonnes en proto-IE disparaît en germanique, avec l’épenthèse d’une voyelle<br />

<strong>de</strong>vant ces consonnes, souvent la voyelle [u].<br />

2 Pour une visualisation <strong>de</strong> ce processus en <strong>de</strong>ux étapes dans la 3 ème loi <strong>de</strong> Grimm, on pourra notamment consulter la présentation qu’en font<br />

Rogers & Erwin (2001). Avec <strong>de</strong>ux étapes, le processus s’en trouve simplifié car mieux ordonné dans son déroulement. En effet, le passage<br />

<strong>de</strong> bh,dh,gh à b,d,g contrarie une autre partie – simultanée – du processus <strong>de</strong> mutation qu’est le passage <strong>de</strong> b,d,g à p,t,k. Bernard (1990) fait<br />

également état <strong>de</strong> ces tendances potentiellement contradictoires du processus à l’œuvre.<br />

L’étape constrictive intermédiaire, où bh serait <strong>de</strong>venu d’abord ß avant <strong>de</strong> <strong>de</strong>venir b, trouve par ailleurs un écho dans l’hypothèse <strong>de</strong> Scherer<br />

par laquelle l’évolution <strong>de</strong> l’IE vers le haut allemand se serait effectuée en 3 étapes : t θ δ d (où l’on retrouve successivement les<br />

lois <strong>de</strong> Grimm 1 ère mutation, <strong>de</strong> Verner, puis <strong>de</strong> Grimm 2 ème mutation). Bernard (1990) évoque aussi une étape constrictive intermédiaire dans<br />

le cas <strong>de</strong> la secon<strong>de</strong> mutation germanique, par laquelle θ serait probablement passée par δ avant <strong>de</strong> <strong>de</strong>venir d. Le processus est semble-t-il<br />

assez courant.<br />

On rappellera également que le grec présente généralement <strong>de</strong>s f là où la loi <strong>de</strong> Grimm rend compte du passage <strong>de</strong> bh à b en germanique. Si<br />

l’on fait l’hypothèse d’une étape ß entre bh et b, alors en germanique comme en grec, la logique est celle <strong>de</strong> la conservation du trait fricatif<br />

(ou constrictif, ou encore continu) porté par l’aspiration h dans la séquence occlusive+h, avec perte du trait occlusif (ou non-continu) porté<br />

par b dans cette même séquence, avec également conservation du lieu d’articulation en grec (f) comme en germanique (ß), mais perte du trait<br />

sonore dans le cas du grec. L’aboutissement, en fin <strong>de</strong> processus <strong>de</strong> mutation, à b en germanique résulterait <strong>de</strong> l’inversion <strong>de</strong> polarité du trait<br />

[continu], dans un second temps, faisant du ß continu un b non-continu.<br />

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Pascal Roméas Introduction aux peuples et aux langues germaniques<br />

Dans le rameau ostique, le gotique aurait pour sa part donné un prolongement à cette mutation consonantique, en<br />

transformant le [X] résultant <strong>de</strong> la loi <strong>de</strong> Grimm en [h] (Ruhlen 1987). Le gotique aurait ainsi anticipé sur ce qui<br />

sera l’objet, dans les langues westiques, d’une mutation ultérieure vers le haut allemand, comme nous allons le<br />

voir.<br />

2.1.3. Morphologie et syntaxe<br />

Sur le plan morphologique et syntaxique, le germanique semble avoir simplifié un certain nombre <strong>de</strong> structures,<br />

au plus tard au tournant <strong>de</strong> notre ère.<br />

Le nombre <strong>de</strong> cas diminue et tend à se fixer à 4 (il était <strong>de</strong> 8 en proto-IE), avec pour conséquence l’apparition <strong>de</strong><br />

nouvelles prépositions.<br />

Les mo<strong>de</strong>s verbaux passent <strong>de</strong> 4 à 3 (l’optatif assumant aussi les fonctions du subjonctif)<br />

L’opposition <strong>de</strong> nombre passe à singulier / pluriel (au lieu d’une opposition ternaire en proto-IE)<br />

Les formes verbales synthétiques se limitent à une forme <strong>de</strong> présent et une forme <strong>de</strong> passé. Le futur <strong>de</strong>vient<br />

exclusivement une forme analytique (auxiliaire + verbe infinitif). Le passé avec participe apparaît.<br />

La distinction entre verbes forts et verbes faibles, que l’on trouve encore en allemand actuel, apparaît avec<br />

l’émergence <strong>de</strong>s verbes à morphologie faible : ces verbes faibles se construisent sur <strong>de</strong>s racines non-verbales<br />

auxquelles s’adjoint un suffixe invariable en –t ou –d. Les langues germaniques cesseront progressivement <strong>de</strong><br />

produire <strong>de</strong>s verbes forts, tous les nouveaux verbes adoptant le schéma faible.<br />

2.2. Langues scandinaves<br />

Les langues scandinaves ont d’une part toutes les caractéristiques majeures résultant <strong>de</strong>s mutations initiales <strong>de</strong> la<br />

sous-famille germanique présentées plus haut, tout en ayant développé un certain nombre <strong>de</strong> caractéristiques,<br />

notamment phonologiques et prosodiques, qui en font un groupe i<strong>de</strong>ntifiable autrement que par sa géographie.<br />

On citera à ce sujet Boyer (2002) :<br />

« Les Scandinaves sont ces Germains du Nord qui se comprenaient sans effort entre eux. La langue qu'ils parlaient, ou<br />

proto-norois ou urnordisk dans leurs usages, s'est miraculeusement conservée en vieil islandais qui n'a pas évolué<br />

<strong>de</strong>puis un millénaire ! D'autre part, <strong>de</strong> nombreux éléments <strong>de</strong> linguistique montrent que cette langue est tout à fait<br />

germanique : loi <strong>de</strong> Grimm ou passage <strong>de</strong> bh, dh, gh à, respectivement, b, d, g ou <strong>de</strong> p, t, k à f, th, h ; phénomènes <strong>de</strong> la<br />

métaphonie ou Umlaut, <strong>de</strong> l'apophonie ou Ablaut et <strong>de</strong> la fracture ou Brechung, qui ren<strong>de</strong>nt compte <strong>de</strong>s déclinaisons et<br />

<strong>de</strong>s conjugaisons. Ajoutez-y d'originales lois <strong>de</strong> prononciation, ces langues possédant un double accent, l'un <strong>de</strong> force<br />

comme en allemand, l'autre dit musical ou accent second conservé aujourd'hui encore en suédois et norvégien, ou sous<br />

les espèces du stød danois ou du coup <strong>de</strong> glotte islandais. »<br />

Tout d’abord, pour ce qui est <strong>de</strong> la stabilité linguistique dont parle Boyer à propos du vieil islandais, on<br />

constatera que l’alphabet runique à vingt-quatre runes, <strong>de</strong> type phonographique, dans lequel s’écrivait le vieux<br />

norois, témoigne effectivement d’une très gran<strong>de</strong> stabilité du système phonologique <strong>de</strong>puis l’époque <strong>de</strong> la<br />

première mutation consonantique. Mille ans plus tard, les séries <strong>de</strong> consonnes, <strong>de</strong> même que le Umlaut qui<br />

s’était opéré sur les voyelles, sont encore en place :<br />

On constate ci-<strong>de</strong>ssus la présence <strong>de</strong> f - Þ - h (où Þ représente l’inter<strong>de</strong>ntale [θ]), <strong>de</strong> p - t - k, et <strong>de</strong> b - d – g, qui<br />

sont respectivement les trois classes <strong>de</strong> consonnes résultant <strong>de</strong> l’application <strong>de</strong> la loi <strong>de</strong> Grimm (avec une<br />

évolution ultérieure vers [h] dans le premier cas). Par ailleurs, <strong>de</strong>ux runes distinctes révèlent l’opposition<br />

naissante entre [i] et [y] (Umlaut), notés ici i et ï.<br />

Ensuite, la question du double accent a parfois fait dire que le suédois était une langue à tons. C’est inexact si<br />

l’on considère qu’une langue à tons est l’appellation réservée au cas où <strong>de</strong>s tons lexicalement distinctifs<br />

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Pascal Roméas Introduction aux peuples et aux langues germaniques<br />

constituent un paradigme en tous points <strong>de</strong> la séquence <strong>de</strong> syllabes. L’alternance possible entre <strong>de</strong>ux « tons »<br />

dans cette langue ainsi que dans certains dialectes norvégiens n’est possible que sur la syllabe accentuée, ce qui<br />

fait <strong>de</strong> ces manifestations tonales <strong>de</strong>s réalisations d’accents et non <strong>de</strong>s tons au sens strict. Les <strong>de</strong>ux types<br />

d’accents se distinguent l’un <strong>de</strong> l’autre par leur réalisation tonale. De ce point <strong>de</strong> vue, nous préférons dire que les<br />

<strong>de</strong>ux sont « musicaux ».<br />

Boyer établit en revanche avec raison un parallèle entre ce double accent et le stød du danois, ou encore certains<br />

phénomènes relatifs à l’état <strong>de</strong> la glotte observables en islandais (on pense notamment à la pré-aspiration <strong>de</strong><br />

certaines consonnes). Le point commun à toutes ces singularités phonétiques consiste en un geste laryngien <strong>de</strong><br />

fermeture croissante pendant la réalisation <strong>de</strong> la voyelle, geste responsable d’une chute mélodique importante<br />

pour l’un <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux accents du suédois, d’une glottalisation pouvant aller jusqu’à l’occlusion glottale dans le cas<br />

du stød, et d’une pré-aspiration dans le cas <strong>de</strong> l’islandais.<br />

2.3. Langues westiques<br />

Les langues parlées sur le territoire <strong>de</strong> l’actuelle Allemagne, en Gaule, aux Pays-Bas vont subir, progressivement<br />

au cours <strong>de</strong>s premiers siècles <strong>de</strong> notre ère, <strong>de</strong> nouveaux changements phonétiques, en même temps qu’elles<br />

renouvellent une partie <strong>de</strong> leur lexique par l’emprunt aux langues dérivées du latin.<br />

Parmi les changements phonétiques, on voit apparaître une opposition <strong>de</strong> quantité consonantique, qui finira par<br />

donner <strong>de</strong>s affriquées en allemand. Exemple :<br />

gotique satjan & vieil islandais setja ~ anglo-sax. settan ~ vx saxon satjan ~ allemand setzen<br />

Les radicaux finissant en /-s/ voient par ailleurs cette consonne disparaître.<br />

Les langues westiques du continent présentent une certaine unité dont un trait rési<strong>de</strong> dans la présence <strong>de</strong> la<br />

préposition von / van qui est absente en gotique, en anglo-saxon, et dans les langues scandinaves.<br />

Une partie <strong>de</strong> ces langues, celles du rameau vieil haut allemand, connaissent à partir du VI e siècle une secon<strong>de</strong><br />

mutation consonantique. Cette mutation s’étale sur au moins 5 siècles et touche les dialectes <strong>de</strong> manière inégale.<br />

Le schéma en est le suivant :<br />

f θ X b,f d,t h<br />

p t k pf,f ts,s kx,X<br />

b d g p,b t,d k,g<br />

Cette mutation ne touche pas les séries <strong>de</strong> manière aussi systématique que la mutation précé<strong>de</strong>nte. Les virgules<br />

séparant <strong>de</strong>s symboles indiquent ici une alternative. Pour la <strong>de</strong>uxième ligne, l’option dépend <strong>de</strong> la position<br />

initiale ou non <strong>de</strong> la consonne dans le mot. Certaines alternatives dépen<strong>de</strong>nt également <strong>de</strong> la présence éventuelle<br />

<strong>de</strong> consonnes liqui<strong>de</strong>s dans le voisinage immédiat, ou encore du caractère géminé ou non <strong>de</strong> la consonne<br />

concernée. Enfin, la mutation ne s’opère pas si les consonnes en question sont précédées <strong>de</strong> /s/ (exemple : IE<br />

*ster ~ VHA sterno ~ NHA Stern, « étoile »).<br />

Cette secon<strong>de</strong> mutation propre aux langues du continent a <strong>de</strong>s conséquences sur les différences actuelles entre<br />

l’anglais et l’allemand :<br />

anglais : pepper pound sharp ten book white eat ape ship<br />

allemand : Pfeffer Pfund scharf zehn Buch weiss essen Affe Schiff<br />

Les mots gallo-romains empruntés aux langues westiques avant le VII e siècle ne portent donc pas la trace <strong>de</strong><br />

cette mutation phonétique. Exemple : fr. équiper < vx fr. (1160) eschiper < westique skipa.<br />

Certaines hypothèses font partir cette secon<strong>de</strong> mutation d’une interférence qui aurait pu avoir lieu en Italie du<br />

nord au VI e siècle entre plusieurs parlers westiques, plusieurs parlers ostiques (ostrogoths), et <strong>de</strong>s variétés<br />

tardives <strong>de</strong> latin. Cela reste toutefois très spéculatif, d’autant qu’il est probable que les Ostrogoths ne<br />

pratiquaient plus leurs langues d’origine à cette époque.<br />

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Pascal Roméas Introduction aux peuples et aux langues germaniques<br />

La langue d’origine westique qui changera le plus, notamment par son lexique et sa morphologie, est l’anglais.<br />

Parmi ces changements, on notera :<br />

- la disparition <strong>de</strong> l’opposition <strong>de</strong> genre grammatical,<br />

- le pluriel en /z/,<br />

- l’emprunt massif (jusqu’à 30%) <strong>de</strong> lexique provenant du franco-normand du XI e siècle,<br />

- la disparition <strong>de</strong> l’accord <strong>de</strong>s verbes en nombre et, dans une moindre mesure, en personne,<br />

- <strong>de</strong>s évolutions phonétiques spécifiques : conservation <strong>de</strong>s inter<strong>de</strong>ntales, conservation d’un /r/ apical<br />

puis approximant (cas unique parmi les langues germaniques), puis, plus tard, apparition du flap <strong>de</strong>s<br />

coronales dans les variétés américaines ([‘læɾəɻ] pour « latter ») et du coup <strong>de</strong> glotte dans les mêmes<br />

contextes en anglais du sud <strong>de</strong> la Gran<strong>de</strong>-Bretagne ([‘læʔə]), organisation tonale particulière<br />

notamment au plan intonatif (séquences <strong>de</strong> tons successivement abaissés), etc.<br />

2.4. Langues ostiques<br />

La diachronie <strong>de</strong>s langues ostiques est particulièrement difficile à établir, dans la mesure où seul le gotique a<br />

laissé une trace écrite, et où ces langues ont été parlées par <strong>de</strong>s peuples en déplacement quasi-permanent, à une<br />

époque où les influences externes ont dû être très fortes.<br />

3. Les langues germaniques actuelles<br />

L’allemand standard mo<strong>de</strong>rne est issu d’un <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux grands groupes <strong>de</strong> langues germaniques dites « <strong>de</strong><br />

l’ouest » : le haut-allemand. Toutefois, Hoch<strong>de</strong>utsch ou Hochsprache sont <strong>de</strong>s termes qui aujourd’hui désignent<br />

principalement une opposition entre standard et régional, plutôt qu’une lignée génétique.<br />

A l’instar <strong>de</strong> l’Italie ou <strong>de</strong> l’Espagne, l’Allemagne et les pays germanophones possè<strong>de</strong>nt <strong>de</strong>s langues régionales<br />

qui <strong>de</strong>meurent plus vivaces que celles présentes en France. Elles ne constituent cependant pas toujours <strong>de</strong>s<br />

variétés linguistiques clairement distinctes <strong>de</strong> l’allemand standard, sauf dans certaines régions, notamment la<br />

Bavière, l’Autriche, la Frise, le Luxembourg et la Suisse, et dans une moindre mesure (faible nombre <strong>de</strong><br />

locuteurs <strong>de</strong> langue maternelle) en quelques points <strong>de</strong> la Rhénanie et en Saxe / Thuringe. Ailleurs il s’agit plutôt<br />

d’une pratique <strong>de</strong> l’allemand standard plus ou moins teintée <strong>de</strong> substrats régionaux, ce que les Allemands<br />

nomment Umgangsprache. De forts décalages sont observables entre la connaissance passive d’une langue et sa<br />

pratique effective au quotidien. C’est entre autres le cas du bas-saxon, issu du bas-allemand, parlé par très peu <strong>de</strong><br />

natifs mais dont le Summer Institue of Linguistics affirme qu’il serait compris par près <strong>de</strong> 10 millions <strong>de</strong><br />

personnes.<br />

Les seules formes officielles <strong>de</strong> langues issues du bas allemand sont aujourd’hui le néerlandais (dans ses variétés<br />

flaman<strong>de</strong>s et hollandaises) et l’afrikaans. Le frison et le bas-saxon (ou platt<strong>de</strong>utsch) sont d’autres langues issues<br />

du bas-allemand.<br />

L’anglais dérive également du bas-allemand, mais il a intégré <strong>de</strong> très larges influences, notamment du français<br />

(lexique), comme nous l’avons vu précé<strong>de</strong>mment.<br />

Variétés actuelles issues du bas-allemand :<br />

- anglais : plus d’un milliard <strong>de</strong> locuteurs en L1 ou L2, émergence <strong>de</strong> nombreuses variétés que certains<br />

qualifieront <strong>de</strong> « créolisées » au gré <strong>de</strong> contacts linguistiques dans le mon<strong>de</strong> entier.<br />

- néerlandais : variété flaman<strong>de</strong> en Belgique et extrême-nord <strong>de</strong> la France ; variété zélandaise dans le sud<br />

<strong>de</strong>s Pays-Bas ; variété standard.<br />

- bas-saxon : variétés parlées en Basse-Saxe, en Thuringe et en Saxe, compris par près <strong>de</strong> 10 millions <strong>de</strong><br />

locuteurs quasiment tous <strong>de</strong> L1 allemand standard ; variété <strong>de</strong> Groningen, la seule effectivement<br />

pratiquée par plusieurs centaines <strong>de</strong> milliers <strong>de</strong> locuteurs, nord <strong>de</strong>s Pays-Bas.<br />

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Pascal Roméas Introduction aux peuples et aux langues germaniques<br />

- frison : parlé aux Pays-Bas et en Allemagne, côte et îles <strong>de</strong> la Frise, environ 700 000 locuteurs presque<br />

tous au Pays-Bas.<br />

- afrikaans : Afrique du sud, 6 millions <strong>de</strong> locuteurs en L1, 10 millions en L1 ou L2.<br />

Variétés actuelles issues du haut-allemand :<br />

- allemand standard : environ 90 millions <strong>de</strong> locuteurs en Autriche, Allemagne, Suisse, Belgique,<br />

Luxembourg pour l’essentiel.<br />

- alémanique : variété principalement présente en Suisse, où elle est appelée Schwytzertütsch, 4 millions<br />

<strong>de</strong> locuteurs.<br />

- bavarois : variété vivace en Bavière, Autriche ; jusqu’à 7 millions <strong>de</strong> locuteurs en L1, mais tous sont<br />

bilingues bavarois / allemand standard.<br />

- schwäbisch : tous bilingues.<br />

- franconien ou dialectes rhénans : cette appellation concernerait 1 à 2 millions <strong>de</strong> locuteurs en L1, dont<br />

300 000 Luxembourgeois.<br />

- luxembourgeois : variété <strong>de</strong> franconien, parlé par 300 000 locuteurs au Luxembourg.<br />

Variétés scandinaves :<br />

- danois : parlé essentiellement au Danemark, 5 millions <strong>de</strong> locuteurs.<br />

- suédois : environ 9 millions <strong>de</strong> locuteurs, en Suè<strong>de</strong> et en Finlan<strong>de</strong>.<br />

- norvégien : ce terme recouvre <strong>de</strong>ux variétés. Premièrement, la variété bokmål, très proche du danois,<br />

mais codifiée distinctement, parlée par 80% <strong>de</strong>s Norvégiens aujourd’hui, surtout dans les villes.<br />

Environ 4 millions <strong>de</strong> locuteurs. Cette variété s’appelait antérieurement le riksmål, « langue du<br />

royaume », à une époque on avait le souci <strong>de</strong> la distinguer du danois. Bokmål est une appellation<br />

<strong>de</strong>venue légale en 1929. Il existe, <strong>de</strong>uxièmement, une variété construite à partie <strong>de</strong> la langue dialectale<br />

<strong>de</strong>s Provinces et <strong>de</strong> quelques éléments du vieux norrois : le nynorsk, projet initié par Ivar Aassen puis<br />

codifié progressivement entre 1830 et 1929. Cette variété s’appelait antérieurement le landsmål. Dans<br />

les années 1950, jusqu’à 30% <strong>de</strong> la population pratiquait une variété dialectale <strong>de</strong> nynorsk. Ces variétés<br />

sont aujourd’hui parlées en langue maternelle par 17% <strong>de</strong> la population, soit moins <strong>de</strong> 1 million <strong>de</strong><br />

locuteurs, surtout en milieu rural. Beaucoup <strong>de</strong> variation dialectale à l’oral.<br />

- islandais : moins <strong>de</strong> 300 000 locuteurs, Islan<strong>de</strong>.<br />

- féringien ou faroese : 45 000 à 80 000 locuteurs selon les sources, Iles Féroé.<br />

Les communautés <strong>de</strong> langues germaniques vivant en France dans les années 2000 sont les suivantes 3 :<br />

- allemand : 200 000 locuteurs environ (dont 20 000 Autrichiens)<br />

- anglais : plusieurs centaines <strong>de</strong> milliers, dont 200 000 Britanniques et 100 000 Américains, 3000 Australiens et<br />

à peu près autant <strong>de</strong> Canadiens anglophones ; nombreux locuteurs d’anglais L2 en provenance par exemple<br />

d’Afrique ; présence tournante mais permanente <strong>de</strong> dizaines <strong>de</strong> milliers <strong>de</strong> touristes anglophones en séjour plus<br />

ou moins long.<br />

- néerlandais : 60 000 environ + environ 10 000 Flamands <strong>de</strong> Belgique (65 000 Belges au total vivent en France,<br />

mais la majorité d’entre eux est francophone)<br />

- langues scandinaves : entre 18 000 et 25 000 dont 15 000 Suédois.<br />

On doit ajouter aux ressortissants étrangers les locuteurs Français d’alsacien et <strong>de</strong> mosellan, dont le nombre total<br />

est supérieur à 1 million, selon plusieurs sources.<br />

On peut donc estimer à environ 1 600 000 le nombre <strong>de</strong> locuteurs <strong>de</strong> langues germaniques vivant en France en<br />

2006.<br />

3 La plupart <strong>de</strong>s ces données sont <strong>de</strong> source gouvernementale française (2006).<br />

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Pascal Roméas Introduction aux peuples et aux langues germaniques<br />

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