Pêche aux anguilles sur le lac Begnas - Népal Sherpa Sig
Pêche aux anguilles sur le lac Begnas - Népal Sherpa Sig
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<strong>Pêche</strong> au <strong>Népal</strong> - Septembre 2009<br />
Préambu<strong>le</strong><br />
Nous avions promis, nous avons tenu;<br />
et tel Tartarin de Tarascon, nous étions là, non<br />
pas pour chasser <strong>le</strong> lion mais la grosse bête,<br />
de cel<strong>le</strong> qui nage. Nos cannes en bandoulière,<br />
la casquette vissée <strong>sur</strong> <strong>le</strong> front dans un quasi<br />
garde à vous devant celui qui nous avait<br />
amenés là, nous descendions quotidiennement<br />
<strong>sur</strong> <strong>le</strong>s rives du <strong>lac</strong> <strong>Begnas</strong> pour rejoindre<br />
notre embarcation. Nous restâmes environ une<br />
semaine au bord de ce <strong>lac</strong> dans l’espoir<br />
toujours renouvelé de pêcher un Mahseer,<br />
cyprinidae mythique et omnivore. Il n’en fut<br />
rien, mais involontairement nos rencontres<br />
illustrèrent <strong>le</strong>s nombreuses façons de pêcher<br />
l’anguil<strong>le</strong>. À la demande de <strong>Sig</strong>, <strong>le</strong>s voilà<br />
décrites sans que je ne puisse m’empêcher d’y<br />
apporter notre regard particulier.<br />
Le <strong>lac</strong> de <strong>Begnas</strong><br />
Cette histoire avait débuté 2 ans<br />
auparavant, lorsque suite à une visite à<br />
Kathmandou, mi sérieux, mi blagueurs, nous<br />
avions fait la promesse à <strong>Sig</strong> de revenir pour<br />
lui donner toutes <strong>le</strong>s raisons de se livrer à un<br />
de ses passe-temps favoris : la pêche. Cela<br />
nous permettait aussi de passer quelques<br />
jours avec la meute comme il l’appel<strong>le</strong>,<br />
composée des 5 enfants é<strong>le</strong>vés par <strong>Sig</strong> et<br />
Danzee, <strong>le</strong> 6 ième et propre fils Sonam ayant<br />
rejoint la France pour études quelques jours<br />
auparavant Nous avions pris seu<strong>le</strong>ment un<br />
bil<strong>le</strong>t d’avion et <strong>Sig</strong> se chargeait de<br />
l’organisation loca<strong>le</strong>. Sitôt arrivés à l’aéroport<br />
et <strong>le</strong>s formalités d’obtention des visas passées,<br />
nous embarquâmes <strong>sur</strong> la Marutti. Ah la<br />
Marutti (majuscu<strong>le</strong> de majesté), mi voiture, mi<br />
chameau de bât, el<strong>le</strong> mériterait un chapitre<br />
entier. <strong>Sig</strong> avait décidé de nous conduire au<br />
bord du <strong>lac</strong> <strong>Begnas</strong>, <strong>lac</strong> situé <strong>sur</strong> la droite, 10<br />
km avant Pokhara. 200km séparaient notre<br />
point de départ du point d’arrivée, soit moins<br />
de deux heures <strong>sur</strong> nos autoroutes, quasiment<br />
sept heures au <strong>Népal</strong>. Cela n’est pas <strong>le</strong> PIB,<br />
mais donne à sa me<strong>sur</strong>e l’écart entre <strong>le</strong>s deux<br />
mondes. Après moult trous, bosses, cahots,<br />
nuages quasi opaques de gaz d’échappement,<br />
nous avons accosté au pied de la digue du <strong>lac</strong><br />
où, malgré <strong>le</strong>s services rendus, fut<br />
abandonnée la pauvre Marutti pour <strong>le</strong>s 8 jours<br />
suivants. Notre fine équipe, 2 femmes, 3<br />
hommes gravit pénib<strong>le</strong>ment <strong>le</strong>s marches du<br />
promontoire rocheux, Danzee retrouvant ses<br />
réf<strong>le</strong>xes de coolie – porteuse de charges après<br />
avoir négocié pour tout <strong>le</strong> monde 2 chambres<br />
dans un lodge superbement p<strong>lac</strong>é <strong>sur</strong> une<br />
hauteur avec vue imprenab<strong>le</strong> <strong>sur</strong> <strong>le</strong> <strong>lac</strong> pour un<br />
prix défiant toute concurrence : 200 roupies la<br />
chambre par nuit soit environ 60 centimes<br />
d’euros par personne. Ce n’est pas <strong>le</strong> PIB<br />
mais… Vous commencez à connaître la<br />
chanson. Il est vrai que nous avions mis<br />
beaucoup du nôtre puisque roya<strong>le</strong>ment nous<br />
acceptions d’avoir <strong>le</strong>s toi<strong>le</strong>ttes et la douche <strong>sur</strong><br />
<strong>le</strong> palier. Ce doit être l’explication de la<br />
différence de prix avec <strong>le</strong> Négresco. Le <strong>lac</strong> de<br />
<strong>Begnas</strong> est un <strong>lac</strong> d’une bel<strong>le</strong> eau verte dont <strong>le</strong><br />
verrou naturel qui permit sa création a été<br />
rehaussé pour former une digue. En aval de<br />
cette digue : une pisciculture soutenue<br />
fortement par <strong>le</strong>s Japonais et plus loin <strong>le</strong> petit<br />
village. Le <strong>lac</strong> est très découpé avec des<br />
pentes sauvages et boisées plongeant de<br />
manière abrupte dans ses e<strong>aux</strong> chaudes. Il est<br />
soi-disant possib<strong>le</strong> d’en faire <strong>le</strong> tour à pied, ce<br />
que nous n’avons pas fait. Quelques<br />
habitations tapies dans son inextricab<strong>le</strong><br />
végétation <strong>le</strong> cernent de tous bords. Trahies<br />
par <strong>le</strong>ur lumière <strong>le</strong> soir, el<strong>le</strong>s sont éparpillées<br />
1
<strong>sur</strong> <strong>le</strong>s crêtes. Beaucoup plus sauvage que<br />
celui de Pokhara, il est fréquenté quasi<br />
exclusivement par <strong>le</strong>s autochtones.<br />
La pêche au népalais<br />
C’était notre premier jour. Munis de<br />
deux lancers, avec des <strong>le</strong>urres neufs brillants<br />
de mil<strong>le</strong> feux, semblab<strong>le</strong>s à autant de feux<br />
d’artifices, nous ne pouvions imaginer qu’un<br />
pauvre poisson népalais pu résister. C’était <strong>le</strong><br />
monde de la technologie occidenta<strong>le</strong>, de la<br />
révolution industriel<strong>le</strong> contre dame nature, <strong>le</strong>s<br />
premiers ne pouvant que gagner. Ce viatique<br />
en tête, nous décidâmes de faire nos<br />
premières armes <strong>le</strong> long de la berge. El<strong>le</strong>s<br />
furent rapidement couronnées de succès audelà<br />
de nos espérances puisque mon ami et<br />
moi, nous pêchâmes dans une synchronie<br />
quasi parfaite un fi<strong>le</strong>t. Oui un fi<strong>le</strong>t, un grand et<br />
lourd fi<strong>le</strong>t qui, insidieusement, avait été posé<br />
parallè<strong>le</strong>ment à la digue à une dizaine de<br />
mètres de cel<strong>le</strong>-ci. Dame nature n’avait pas<br />
voulu du rendez-vous. Notre rencontre se<br />
transformait en rencontre technologie<br />
occidenta<strong>le</strong> contre technologie népalaise, avec<br />
pour une fois et cela n’est pas si fréquent,<br />
une victoire népalaise. Première <strong>le</strong>çon<br />
d’humilité. La deuxième intervint quand un<br />
baigneur très gentiment se proposa d’al<strong>le</strong>r<br />
décrocher nos lignes. Je vécus alors un grand<br />
et long moment de solitude pendant <strong>le</strong>quel un<br />
grand dadais d’occidental, tout de propre<br />
encore vêtu, tirait <strong>sur</strong> une petite canne à pêche<br />
qui ployait pour maintenir à la <strong>sur</strong>face <strong>le</strong> <strong>le</strong>urre<br />
accroché au fi<strong>le</strong>t et au bout duquel s’ébattait<br />
un népalais. N’aurait été la vue discrète du<br />
fi<strong>le</strong>t, on aurait pu croire que je l’avais pêché. Il<br />
nous libéra. Tout honteux, nous remîmes au<br />
<strong>le</strong>ndemain notre quête piscico<strong>le</strong>.<br />
La pêche au fi<strong>le</strong>t<br />
Nous avions loué un bateau en même<br />
temps que la chambre. Les bate<strong>aux</strong> de<br />
<strong>Begnas</strong>, tous <strong>sur</strong> <strong>le</strong> même modè<strong>le</strong>, sont<br />
parfaitement symétriques avec proues et<br />
poupes effilées semblab<strong>le</strong>s à des navettes de<br />
machine à tisser. Pas de moteur si ce n’est<br />
humain, à savoir un pagayeur assis <strong>sur</strong> la<br />
pointe de son choix et une pagaie maniée<br />
alternativement d’un côté ou de l’autre selon la<br />
direction souhaitée. <strong>Sig</strong> déjà expert nous servit<br />
de maître pour un savoir-faire acquis en<br />
quelques traversées de <strong>lac</strong>. Il était évident<br />
pour nous : ce ne pouvait être qu’un travail<br />
d’homme. Grossière erreur : <strong>sur</strong> <strong>le</strong> <strong>lac</strong> de<br />
<strong>Begnas</strong>, ce sont <strong>le</strong>s femmes qui manient la<br />
pagaie et posent <strong>le</strong>s fi<strong>le</strong>ts, marque<br />
d’émancipation féminine me direz-vous ; pas<br />
du tout car participant <strong>aux</strong> plus rudes tâches y<br />
compris dans <strong>le</strong> bâtiment, la femme népalaise<br />
n’est rien. Ce n’est pas <strong>le</strong> PIB mais… <strong>Sig</strong> doit<br />
raconter El<strong>le</strong>s sont de l’ethnie Majhi, l’ethnie<br />
des pêcheurs et pêcheuses... Pour revenir à<br />
nos bate<strong>aux</strong>, chaque jour dès quinze heures,<br />
un essaim d’embarcations s’éparpillait <strong>sur</strong> <strong>le</strong><br />
<strong>lac</strong>. Chargée ras la gueu<strong>le</strong> de fi<strong>le</strong>ts<br />
soigneusement disposés, chacune rejoignait la<br />
zone de pêche probab<strong>le</strong>ment réfléchie et pas<br />
toujours identique. Quel que soit <strong>le</strong> jour, la plus<br />
forte densité se situait près du débordoir. On<br />
en déduisit que c’était là que devait résider la<br />
plus forte densité de poissons. Peut être à<br />
cause de l’existence d’un courant ou d’une<br />
température de l’eau différente. Quoiqu’il en<br />
soit arrivée au point de départ souhaité, la<br />
pécheresse puisque ce ne sont que des<br />
pécheresses (et dieu sait qu’el<strong>le</strong>s étaient<br />
nombreuses) s ‘accroupissait à l’une des<br />
extrémités du bateau près de sa montagne de<br />
fi<strong>le</strong>ts. Saisissant la pagaie au plus près de la<br />
2
pa<strong>le</strong>tte, el<strong>le</strong> imprimait alors à cel<strong>le</strong>-ci d’un côté<br />
du bateau et sans effort apparent, un geste de<br />
godil<strong>le</strong> qui avait pour conséquence de faire<br />
recu<strong>le</strong>r doucement <strong>le</strong> bateau. De l’autre côté<br />
du bateau et de l’autre main, d’un geste<br />
circulaire et me<strong>sur</strong>é allant du bateau vers <strong>le</strong><br />
large, pareil au semeur, el<strong>le</strong> déployait son fi<strong>le</strong>t,<br />
engin de prédation sans fail<strong>le</strong>. Ces<br />
innombrab<strong>le</strong>s fi<strong>le</strong>ts, <strong>aux</strong> mail<strong>le</strong>s de toutes<br />
tail<strong>le</strong>s, <strong>aux</strong> longueurs déme<strong>sur</strong>ées, ne<br />
peuvent à terme que conduire à l’épuisement<br />
des ressources recherchées. Ce point est<br />
d’autant plus vrai que la moindre anse était<br />
quasiment tricotée, un fi<strong>le</strong>t à l’envers, un fi<strong>le</strong>t à<br />
l’endroit pour établir un écheveau tel<strong>le</strong>ment<br />
entrecroisé que n’importe quel a<strong>le</strong>vin désireux<br />
de voir <strong>le</strong> monde au delà de l’anse ne pouvait<br />
que se prendre dans <strong>le</strong>s rets. Même au milieu<br />
du <strong>lac</strong>, nous vîmes des fi<strong>le</strong>ts se croiser.<br />
Certains d’entre eux restaient à la <strong>sur</strong>face,<br />
portés par de petits flotteurs sombres qui, la<br />
pénombre arrivant, apparaissaient comme des<br />
pointillés <strong>sur</strong> <strong>le</strong> <strong>lac</strong> par la lune éclairé. D’autres<br />
probab<strong>le</strong>ment <strong>le</strong>stés s’enfonçaient dans l’eau<br />
verte avec comme repères des bouteil<strong>le</strong>s en<br />
plastique à chacune des extrémités et de<br />
temps en temps un bouchon de polystyrène<br />
relié par un cordage au fi<strong>le</strong>t. Le matin, <strong>sur</strong><br />
p<strong>lac</strong>e dès l ‘aurore, vers 5h du matin à<br />
l’époque où nous nous trouvions, <strong>le</strong> petit<br />
manège recommençait mais cette fois-ci pour<br />
re<strong>le</strong>ver <strong>le</strong>s fi<strong>le</strong>ts. Et jour après jour, il en fut<br />
ainsi.<br />
La bouse et <strong>le</strong> mil<strong>le</strong>t<br />
Après notre première déconvenue, la<br />
seconde épreuve fut <strong>le</strong>s appâts. Que fallait-il<br />
utiliser ? Pour notre première rencontre avec <strong>le</strong><br />
<strong>lac</strong>, nous nous étions pourvus de pâte<br />
constituée de farine mélangée à l’eau et de<br />
limnées géantes attrapées <strong>sur</strong> notre chemin.<br />
Les premiers ne se maintenaient que trop peu<br />
de temps dans l’eau, <strong>le</strong>s seconds ne<br />
semblaient pas avoir <strong>le</strong>s faveurs des habitants<br />
du <strong>lac</strong>. Parlons en, pour l’instant nous n’avions<br />
vu que des spécimens achetés par notre<br />
logeuse mais rien qui nous certifia <strong>le</strong>ur<br />
présence dans ce <strong>lac</strong> magnifique de <strong>Begnas</strong>.<br />
C’est ainsi que perdus dans nos réf<strong>le</strong>xions,<br />
deux ado<strong>le</strong>scents <strong>sur</strong>girent des bois avec à la<br />
main, deux morce<strong>aux</strong> de fins bambous<br />
d’environ cinquante centimètres pourvus de 2<br />
anne<strong>aux</strong> dont l’un à l’extrémité. Ils<br />
s’installèrent à la limite des nénuphars qui<br />
occupaient <strong>le</strong> fond de l’anse. Puisant dans un<br />
sac une matière brunâtre, ils en<br />
confectionnaient alors des bou<strong>le</strong>s au sein<br />
duquel était emprisonné <strong>le</strong> <strong>le</strong>urre accroché à<br />
<strong>le</strong>ur hameçon. Danzee apprit ce que contenait<br />
<strong>le</strong>ur sac : de la bouse de vache mélangée à du<br />
mil<strong>le</strong>t. Cette cuisine spécia<strong>le</strong> était d’une<br />
efficacité étonnante car sitôt jetée, je voyais<br />
émerger de dessous <strong>le</strong>s nénuphars de<br />
nombreuses ombres ondoyantes qui se<br />
jetaient avec voracité <strong>sur</strong> la bou<strong>le</strong> qui se<br />
désagrégeait. La bou<strong>le</strong> jetée entraînait <strong>le</strong> fil de<br />
pêche qui au travers des anne<strong>aux</strong> pouvait<br />
aisément coulisser <strong>le</strong> long des cannes et<br />
anne<strong>aux</strong> rudimentaires. Quarante centimètres<br />
en amont de <strong>le</strong>ur hameçon, ils avaient attaché<br />
un flotteur fait d’une petite chip de polystyrène.<br />
Ils prirent ainsi un tilapia et, ce que chez moi<br />
nous appelions un cabot ou chevesne.<br />
Lorsque ces poissons furent pris, ils <strong>le</strong>ur<br />
passèrent une liane dans <strong>le</strong>s ouies et <strong>le</strong>s<br />
remirent à l’eau. C’est ainsi qu’à <strong>le</strong>ur pied<br />
comme un chien attaché devant un magasin,<br />
s’ébattait, vivante, <strong>le</strong>ur pêche.<br />
La chambre à air de camion<br />
3
Debout <strong>sur</strong> la berge, fasciné par mes<br />
petits voisins qui, à coup de bouse de vache et<br />
de mil<strong>le</strong>t, garnissaient <strong>le</strong>urs fi<strong>le</strong>ts, je ne l’ai pas<br />
vu arriver. Un bruit <strong>sur</strong> <strong>le</strong> côté me fit tourner la<br />
tête pour tomber <strong>sur</strong> un enfant mouillé, en slip<br />
de bain sombre avec, en travers du corps, une<br />
chambre de pneu de camion gonflée. Il tenait à<br />
la main une brochette d’<strong>anguil<strong>le</strong>s</strong>, de cel<strong>le</strong>s<br />
appelées « Stone eel ». Ces <strong>anguil<strong>le</strong>s</strong> ont un<br />
corps tacheté, une gueu<strong>le</strong> pointue se terminant<br />
par un bec. L’enfant me sourit, passa, et s’en<br />
alla rejoindre <strong>le</strong> fond de l’anse. Puis se mettant<br />
à l’eau, assis dans son radeau improvisé formé<br />
par la bouée, il sortit d’un sac, passé inaperçu,<br />
des morce<strong>aux</strong> de polystyrène qu’il posait<br />
délicatement et régulièrement <strong>sur</strong> l’eau pour<br />
former des S qui balayaient de long en large<br />
l’anse où nous pêchions. Intrigué par son<br />
manège, je l’observais. Ces petits morce<strong>aux</strong><br />
de polystyrène d’un blanc sa<strong>le</strong> à force d’avoir<br />
vécu étaient autant de flotteurs pour un<br />
morceau de fil d’environ vingt à trente<br />
centimètres à l’extrémité duquel se trouvait un<br />
hameçon qu’il pourvoyait consciencieusement<br />
et systématiquement avec ce que j’imaginais<br />
être un appât. Sa nature nous fut révélée<br />
lorsque ma femme eut un échange avec cet<br />
elfe, digne de figurer dans un documentaire de<br />
TV5, section ethnographie ou encore de jouer<br />
<strong>le</strong> rô<strong>le</strong> de Moogly selon Kipling. Une fois ses<br />
lignes posées, il revenait <strong>sur</strong> <strong>le</strong> bord, sortait tel<br />
un magicien une épuisette de son sac fourretout<br />
et se mettait à fourrager dans <strong>le</strong>s plantes<br />
aquatiques qui s’étendaient <strong>le</strong> long des berges.<br />
Comme ma femme intriguait el<strong>le</strong> aussi ne<br />
cessant de prendre des photos, <strong>le</strong> petit homme<br />
s’approcha et tout doucement et gentiment lui<br />
montra <strong>le</strong> fruit de son activité. Accélérant <strong>le</strong><br />
cyc<strong>le</strong> de l’échel<strong>le</strong> alimentaire, il pêchait des<br />
crevettes qui, à <strong>le</strong>ur tour, finiraient <strong>le</strong>ur vie à la<br />
pointe de ces hameçons comme friandises<br />
exposées à l’envie du poisson qui voudrait. Ma<br />
femme me raconta ce que je n’avais pas<br />
observé. Après la pêche <strong>aux</strong> crevettes, Moogly<br />
choisissait soigneusement de petits cailloux<br />
comme plomb pour <strong>le</strong> <strong>le</strong>st de ses lignes. Une<br />
fois de plus, notre technologie était battue à<br />
plate couture. Quoi qu’il en soit, nous avions<br />
résolu l’énigme des appâts, nous progressions<br />
dans nos connaissances halieutiques. La<br />
difficulté tenait au fait de se procurer des<br />
crevettes.<br />
La pêche à l’occidenta<strong>le</strong><br />
N’ayant pas d’elfe sous la main, sans<br />
crevette, nous décidâmes de chercher des<br />
vers de terre. La chasse fut rapidement<br />
fructueuse derrière <strong>le</strong> lodge. Quel<strong>le</strong> différence<br />
existe-t-il entre un vers français et un ver<br />
népalais. Pour la forme, la longueur et la<br />
consistance : aucune, pour la vigueur c’est tout<br />
autre chose. Le ver népalais se compare à un<br />
ressort que vous avez remonté capab<strong>le</strong> de<br />
sauter hors de la boite. Notre première<br />
campagne fut solitaire, nous partîmes avec<br />
JPG <strong>sur</strong> <strong>le</strong> bateau pour s’ancrer en bordure<br />
d’une anse où nous étions seuls au monde,<br />
pratiquement en face de notre lodge. Premier<br />
lancer, première touche, franche, la ligne fut<br />
tirée, une bête se débattait fortement. Il fallu<br />
que JPG l’attira près du bord pour que nous<br />
nous rendîmes compte que c’était une<br />
anguil<strong>le</strong>. Extrêmement vigoureuse, el<strong>le</strong> choisit<br />
ce moment pour se détacher. Lançant juste<br />
derrière, nouvel<strong>le</strong> touche, franche. La canne à<br />
nouveau en U, c’était encore une anguil<strong>le</strong> qui<br />
cette fois fut ramenée à bord. Ce fut ensuite un<br />
petit tilapia. Puis plus rien si ce n’étaient de<br />
nombreuses branches accrochées en l’air,<br />
dans l’eau, pratiquement tout y passa. La<br />
4
seconde campagne fut col<strong>le</strong>ctive et<br />
particulièrement bien préparée avec thermos,<br />
vers à gogo et petits gâte<strong>aux</strong>. Nous partîmes<br />
au <strong>le</strong>ver du jour pour poser notre vaisseau <strong>sur</strong><br />
une prairie, toujours en face du lodge. Après<br />
avoir déposé <strong>le</strong> reste de l’équipage et du<br />
matériel, nous retrouvâmes notre petite anse<br />
qui s’avéra stéri<strong>le</strong> ce jour là. De guerre lasse,<br />
nous rejoignîmes <strong>le</strong> corps de l’expédition.<br />
Celui-ci avait eu plus de chance et quelques<br />
<strong>anguil<strong>le</strong>s</strong> s’étaient faits prendre, toujours au<br />
ver. Nous essayâmes alors toutes <strong>le</strong>s<br />
techniques, lignes avec bouchon, ligne de<br />
fond, bas de ligne plus ou moins important, de<br />
près, de loin, du bateau. Mirac<strong>le</strong> de la<br />
technologie, la seu<strong>le</strong> technique efficace fut<br />
juste de mettre ma femme à l’extrémité d’une<br />
canne. Cela changea du tout au tout. Bien que<br />
ce fut nous qui montions <strong>le</strong>s lignes,<br />
accrochions <strong>le</strong>s vers, lancions ce fut el<strong>le</strong> qui<br />
avait <strong>le</strong>s touches et l’une après l’autre,<br />
plusieurs <strong>anguil<strong>le</strong>s</strong> vinrent compter f<strong>le</strong>urette à<br />
mon épouse qui sans état d’âme et fort<br />
amusée <strong>le</strong>s déposait <strong>sur</strong> <strong>le</strong> gazon. La seu<strong>le</strong><br />
différence peut être était dans <strong>le</strong> bouchon, dont<br />
on m’avait fait cadeau dans une brocante. Là<br />
où <strong>le</strong>s nôtres éclairaient quasiment <strong>le</strong> <strong>lac</strong> de<br />
<strong>le</strong>ur cou<strong>le</strong>ur vermillon, il était seu<strong>le</strong>ment<br />
bicolore : blanc dessous, vert dessus. C’était<br />
l’explication selon ma femme. Je vous laisse<br />
juge sinon une autre explication vous sera<br />
proposée à la fin de ce récit. Pour compléter <strong>le</strong><br />
descriptif, sa ligne était composée de quelques<br />
plombs d’un bas de ligne de 50 à 60<br />
centimètres et toujours d’un ver. Campagne<br />
après campagne, la pêche fut cependant<br />
maigre pour finir par une anguil<strong>le</strong> plus grosse<br />
que nature qui rompit <strong>le</strong> film après avoir mordu<br />
à la canne de qui ? de ma femme !<br />
Je ne peux pas passer à la suite sans dire<br />
quelques mots <strong>sur</strong> la pêche au lancer. Nous<br />
avions des cuillères et des Rapalas qui à<br />
défaut de poissons virent l’eau. Comme je l’ai<br />
précédemment indiqué, confiant dans la<br />
technologie occidenta<strong>le</strong> et dans l’information<br />
en direct du web, nous avions acheté des<br />
rapalas quasiment pour <strong>le</strong> thon tel<strong>le</strong>ment ils<br />
étaient gros. S’ils ne furent guère efficaces à<br />
part quelques fi<strong>le</strong>ts à nouveau et en p<strong>le</strong>ine<br />
eau, ils nous donnèrent au moins l’impression<br />
par <strong>le</strong>ur tail<strong>le</strong> d’avoir attrapé quelque chose<br />
lorsque nous <strong>le</strong>s ramenions. Après quelques<br />
renseignements, la cuillère semb<strong>le</strong> à proscrire<br />
quel<strong>le</strong> que soit la période et pour <strong>le</strong> Rapala,<br />
veuil<strong>le</strong>z me croire soyez modestes, seu<strong>le</strong>ment<br />
des petits de quelques centimètres.<br />
Le coup du parapluie<br />
Devant nos faib<strong>le</strong>s succès, nous<br />
décidâmes d’al<strong>le</strong>r au village. La visite fut brève<br />
car hormis quelques échoppes et une p<strong>lac</strong>e<br />
rugissantes de bus bondés, il n’y a rien de<br />
spécifique à raconter. C’est à notre retour et<br />
sans que cela fut prévu que nous reprîmes<br />
notre série documentaire <strong>sur</strong> <strong>le</strong>s techniques<br />
népalaises de pêche à l’anguil<strong>le</strong>. En effet, <strong>sur</strong><br />
<strong>le</strong> chemin, au bord du ruisseau formé par <strong>le</strong><br />
déversoir du <strong>lac</strong>, nous rencontrâmes deux<br />
femmes qui tenaient un parapluie, rien<br />
d’extraordinaire jusque là sauf que celui-ci était<br />
ouvert et renversé, la pointe vers <strong>le</strong> sol comme<br />
lorsque Mary Poppins dansait. Toujours<br />
curieux, nous nous approchâmes. Ces dames<br />
<strong>aux</strong> formes arrondies, habillées en sari<br />
multicolore tenaient à la ceinture un petit<br />
panier de forme particulière. Plus haut que<br />
large, une partie inférieure renflée, un gros col<br />
avec un bouchon de tissu, <strong>le</strong> panier était en<br />
osier et contenait <strong>le</strong> fruit de <strong>le</strong>urs efforts : des<br />
5
<strong>anguil<strong>le</strong>s</strong> évidemment: encore des<br />
pécheresses. Par mimiques interposées, el<strong>le</strong>s<br />
nous expliquèrent alors comment el<strong>le</strong>s<br />
procédaient. Tout d’abord el<strong>le</strong>s agitèrent sous<br />
notre nez ce que nous avions pris pour une<br />
pelote de laine accrochée à un bâton. Il n’en<br />
était rien, c’était une bou<strong>le</strong> énorme de vers de<br />
terre qui avaient été patiemment empalés <strong>sur</strong><br />
un fil de tel<strong>le</strong> sorte qu’ils formaient une<br />
véritab<strong>le</strong> pelote de chair. Notre brave<br />
interlocutrice percevant notre incompréhension<br />
décida de passer à l’action pour illustrer par<br />
ces gestes ce que notre pauvre intelligence de<br />
gens des vil<strong>le</strong>s ne pouvait immédiatement<br />
comprendre. El<strong>le</strong> s’assit au plus près de la<br />
rivière, la main gauche tenant <strong>le</strong> parapluie<br />
ouvert à l’envers et, avec son bras droit,<br />
trempa par sa canne interposée sa pelote dans<br />
l’eau parmi <strong>le</strong>s herbes de la rive. On aurait dit<br />
une reine, Poséidon n’aurait pas fait mieux.<br />
Cela suffit ; nous comprîmes que lorsque<br />
l’anguil<strong>le</strong> mordait, notre pécheresse extrayait<br />
de l’eau la bête tout occupée à son festin et<br />
ramenait <strong>le</strong> tout rapidement au-dessus de son<br />
parapluie. Le temps que l’anguil<strong>le</strong> comprenne<br />
et lâche sa proie, el<strong>le</strong> tombait dans la cuvette<br />
formée par <strong>le</strong> parapluie ouvert, <strong>le</strong> tour était<br />
joué. Cette technique n’est pas sans rappe<strong>le</strong>r<br />
la pêche à la grenouil<strong>le</strong> dans <strong>le</strong> marais<br />
vendéen qui se pratique el<strong>le</strong> aussi sans<br />
hameçon et où <strong>le</strong> malheureux batracien<br />
trompé par un bout de laine rouge juste<br />
attaché à un fil est hissé non pas au-dessus<br />
d’un parapluie inversé mais d’un sac de jute<br />
cerclé. On peut en déduire que <strong>le</strong> temps de<br />
réaction d’une anguil<strong>le</strong> doit être équiva<strong>le</strong>nt à<br />
celui d’un batracien ou que la dextérité de la<br />
femme népalaise équivaut bien à cel<strong>le</strong> du<br />
pêcheur des marais vendéen. Pour ce qui est<br />
des mérites comparés du parapluie ou du sac<br />
de jute, je vous laisse juge.<br />
Conclusion<br />
Ici s’arrête notre série documentaire<br />
<strong>sur</strong> la pêche à l’anguil<strong>le</strong> au <strong>Népal</strong>. Je dois<br />
cependant ajouter que, durant notre campagne<br />
de pêche, comme vous l’aviez compris, c’est<br />
ma femme qui eut <strong>le</strong> plus de succès. Ceci<br />
m’oblige à conclure : que ce soit en Occident<br />
ou au <strong>Népal</strong>, c’est la femme qui a toujours<br />
pêché.<br />
Référence bibliographique<br />
Fish Catching In The Himalaya Waters Of<br />
<strong>Népal</strong> de Tej Kumar Shrestha, DSC<br />
L. C. et A. G.<br />
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