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Pour la présente édition
© Opéra national de Lyon, 2010

PIOTR ILLITCH TCHAÏKOVSKI
LA DAME DE PIQUE
Livret de Modest Tchaïkovski
d’après la nouvelle éponyme d’Alexandre Pouchkine
Opéra en trois actes
& sept tableaux
1890
OPERA de LYON

LIVRET
7 Fiche technique
11 L’argument
14 Les personnages
CAHIER de LECTURES
CARNET de NOTES
LA DAME DE PIQUE
18 Premier acte
72 Deuxième acte
106 Troisième acte
Alexandre Pouchkine
149 La Dame de pique
Abram Tertz
180 Hasard & destin
Correspondance & écrits de Tchaïkovski
182 Je suis persuadé de son brillant avenir
Jean Cocteau
184 La chance est femme
Piotr Illitch Tchaïkovski
186 Repères biographiques
196 & Notice bibliographique
Alexandre Pouchkine
197 Repères biographiques
199 & Notice bibliographique
La Dame de pique
200 Orientations discographiques

Illustration.
D’après un loubok (imagerie populaire russe) du XVIII e siècle

LIVRET
Le livret de La Dame de pique, d’après la nouvelle de
Pouchkine publiée en 1834, était originellement destiné au
compositeur Klenovski. Celui-ci n’ayant pu mener à bien son
œuvre, l’auteur du livret, Modest Tc h a ï kovski, le propose à
son frère. D’abord réticent, le compositeur accepte le projet
en novembre 1889.
PARTITION
Tc h a ï kovski compose son opéra très rapidement : la version
p i a n o-chant est écrite entre le 30 janvier et le 14 mars 1890
à Florence. Il commence le travail d’orchestration au début du
mois d’avril, à Rome, et le termine en Russie à la fin du mois
de mai.
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PERSONNAGES
HERMANN Ténor
LE COMTE TOMSKI Baryton
LE PRINCE ELETSKI Baryton
TCHEKALINSKI Ténor
SOURINE Basse
TCHAPLITSKI Ténor
NAROUMOV Basse
LE MAÎTRE DE CÉRÉMONIE Ténor
LA COMTESSE Mezzo-soprano
LISA Soprano
PAULINA Contralto
LA GOUVERNANTE Mezzo-soprano
MACHA Soprano
LE PETIT GARÇON OFFICIER Rôle parlé
Personnages de l’intermède
PRILÉPA Soprano
MILOVZOR (PAULINE) Contralto
ZLATOGOR (LE COMTE TOMSKI) Baryton
Bonnes d’enfants, gouvernantes, nourrices, promeneurs,
invités, enfants, joueurs et autres personnages
ORCHESTRE
3 flûtes dont 1 piccolo
2 hautbois dont 1 cor anglais
2 clarinettes
1 clarinette basse
2 bassons
4 cors
2 trompettes
3 trombones

1 tuba
Timbales
Tambour
Grosse caisse
Harpe
Piano
Cordes
DURÉE MOYENNE
3 heures
CRÉATION
19 décembre 1890, au Théâtre Mariinski, Saint-Petersbourg.
Direction. Eduard Napravnik
AvecNikolaï Figner (Hermann), Medea Mei-Figner
(Lisa), Ivan Mielnikov (Tomski), Leonid Yakovlev
(Eletski), Maria Slavina (La Comtesse), Maria Dolina
(Paulina), Maria Pilz (La Gouvernante)
CRÉATION en FRANCE
8 juin 1911, Théâtre Sarah-Bernhardt, Paris.
L’œuvre est donnée en russe par la troupe du Théâtre
impérial de Moscou.
L’ŒUVRE à LYON
2003
Direction. Alan Buribayev
Mise en scène, décors, éclairages.Petrika Ionesco
Costumes.Michel Fresnay
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Avec Vitali Taraschenko (Hermann), Olga Guryakova
(Lisa), Vassili Gerello (Tomski), Vladimir Chernov
(Eletski), Nadine Denize (La Comtesse), Svetlana Lifar
(Paulina), Martine Olmeda (La Gouvernante)
2008
Direction. Kirill Petrenko
Mise en scène. Peter Stein
Décors.Ferdinand Wögerbauer
Costumes. Anna Maria Heinreich
Éclairages. Duane Schuler
Chorégraphie. Michael Ihnow
Avec Viktor Lutsiuk / Kostadin Andreev (Hermann),
Olga Guryakova (Lisa), Nikolai Putilin (Tomski),
Andrey Breus (Eletski), Marianna Tarasova
(La Comtesse), Elena Maximova (Paulina),
Nadine Denize (La Gouvernante)

L’histoire se passe à Saint-Pétersbour g
à la fin du XVIII e siècle.
PREMIER ACTE
Par une belle journée de printemps précoce. À Saint-
Pétersbourg, au Jardin d’été, alors que les enfants s’ébattent,
SOURINE et TCHEKALINSKI évoquent leur ami, le très austère
Hermann qui, depuis quelque temps, passe ses nuits dans une
maison de jeu à observer les joueurs avec fascination mais
sans jamais jouer lui-même. LE COMTE TOMSKI les rejoint,
avec HERMANN, qui confie être amoureux d’une jeune fille inconnue,
inaccessible et noble. Arrive LE PRINCE ELETSKI. Il
annonce son mariage et leur présente sa fiancée LISA, accompagnée
de sa grand-mère, LA COMTESSE. HERMANN reconnaît
en LISA celle qu’il aime. Les deux femmes reconnaissent en
HERMANN ce jeune homme inconnu et inquiétant dont elles
ont souvent remarqué la présence muette devant leur maison.
Resté seul avec ses amis, TOMSKI raconte le destin étrange de
LA COMTESSE : dans sa jeunesse à Paris, passionnée de jeu,
elle reçut le secret d’une combinaison de trois cartes permettant
de toujours gagner.
HERMANN est fasciné par le récit : ce secret pourrait lui
apporter la richesse et l’amour de Lisa.
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Chez la Comtesse où elle demeure, LISA fait de la musique
avec ses amies, mais leurs chansons n’arrivent pas à dissiper
sa mélancolie. Elle s’interroge sur ses sentiments : elle admire
le prince son fiancé, mais c’est HERMANN qu’elle aime,
passionnément. Celui-ci s’introduit par effraction chez elle,
elle lui résiste mais finit par lui avouer son amour.
DEUXIÈME ACTE
Bal masqué dans un palais de la ville. Tous les personnages
s’y retrouvent. HERMANN a reçu un billet de LISA, demandant
à le voir en particulier au cours de la soirée. Après
un spectacle offert aux invités – La Bergère sincère, opéra
dans l’opéra, d’inspiration mozartienne – LI S A r e t r o u v e
HERMANN, lui remet une clé de la demeure de la Comtesse
afin qu’il l’y rejoigne le lendemain soir. HERMANN, obsédé par
le secret des cartes qu’il veut arracher à LA COMTESSE insiste
pour s’y rendre dès après la fête.
Au lieu de rejoindre Lisa dans sa chambre, HERMANN se
cache dans celle de la vieille dame et attend qu’elle soit seule
pour se découvrir. Il lui demande de lui livrer son secret.
Terrorisée, elle garde le silence, il la menace. De peur, elle
s’effondre, morte. Attirée par le bruit, LISA retrouve HERMANN
et comprend que sa passion est celle du jeu. Elle le chasse.
TROISIÈME ACTE
Dans sa chambre en pleine nuit, HERMANN lit une lettre de
LISA. Elle lui pardonne et lui fixe rendez-vous à minuit sur un
quai de la Neva. Il revoit avec terreur les images de l’enterrement
de LA COMTESSE dont le spectre lui apparaît. Le fantôme
lui fait jurer d’épouser LISA avant de lui confier la combinaison
secrète des trois cartes : le trois, le sept, l’as.

Au bord du fleuve, LI S A attend HE R M A N N, pleine d’angoisse.
Il la rejoint, mais avec l’idée fixe d’aller immédiatement
jouer la combinaison. Il la laisse. Abandonnée, LI S A s e
jette dans la Neva.
À la maison de jeu, HERMANN est venu jouer, guetté par LE
PRINCE ELESTKI qui attend sa revanche. HERMANN mise une
somme considérable sur le trois et gagne. Il double sa mise sur
le sept et gagne. Stupeur générale. Mais la troisième carte
n’est pas l’as, c’est la dame de pique. Perdu. Le spectre de LA
COMTESSE apparaît à HERMANN qui se suicide.

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L’intrigue de La Dame de pique est concentrée sur trois
personnages : LA COMTESSE, LISA et HERMANN.
La dame de pique, c’est LA COMTESSE. Elle vit dans le
passé : sa jeunesse à Paris au temps de Louis XV l’a marquée
à tout jamais. Grande aristocrate, de culture occidentale, elle
est réfractaire à un monde devenu trop moderne pour elle, et
à tout ce qui apparaît comme russe : dans la nouvelle de Pouchkine,
elle s’étonne qu’il puisse exister des romans russes ;
dans le premier acte de l’opéra, elle fait intervenir LA GOU-
VERNANTE pour faire cesser ce qui à ses yeux est un scandale
et une faute de goût : LISA et ses compagnes chantent et dansent
sur des airs russes ! Elle, c’est en français qu’elle aime à
chanter, comme jadis à Chantilly ou à Versailles, devant la
Pompadour et même devant Louis XV. La romance qu’elle
chante de sa voix voilée par les années est une citation du
Richard Cœur de Lion de Grétry. LA COMTESSE apparaît sous
deux natures – sa nature humaine : une très vieille dame autoritaire
et nostalgique ; sa nature surnaturelle : après sa mort,
spectre effrayant, elle enjoint HERMANN d’épouser LISA, lui
confie le secret des trois cartes gagnantes ; puis à la fin, dès
qu’HERMANN a perdu, son spectre réapparaît à ses yeux.
(Dans la nouvelle de Pouchkine, la dame de pique, sur la carte
à jouer, adresse un clin d’œil sarcastique au héros.)

H E R M A N N est un héros déchiré par ses passions : sa
passion amoureuse, d’une part, pour une jeune inconnue dont
il ignore jusqu’au nom et dont il sent d’emblée qu’elle lui sera
fatale ; sa passion pour le jeu d’autre part, et pour les richesses
que les cartes peuvent lui apporter. Il est pauvre mais
évolue dans un milieu aisé ou aristocratique. Marqué par le
destin, il est un personnage très sombre, qui se sent à l’unisson
de l’orage et des nuages noirs s’accumulent sur le Jardin
d’été au premier acte : en ce sens, c’est un héros romantique.
L’histoire du secret des cartes que détient L A CO M T E S S E,
racontée par TO M S K I, fait de lui un autre homme. À partir de
ce moment, la tension entre ses deux passions – l’amour et le
jeu – devient extrême. C’est celle du jeu qui gagnera : elle
conduira à la mort.
L I S A est un personnage marqué principalement par la
force de son désir et de son amour, qui s’expriment envers et
contre tout. En ce sens, elle est sans doute au même degré de
passion que HE R M A N N, et aux limites de la folie. Son parcours
dans l’œuvre est simple et presque linéaire. Ses fiançailles
avec L E P R I N C E EL E T S K I la rendent mélancolique, HE R-
M A N N la trouble, mais quand il fait irruption chez elle par
effraction elle ne lui résiste pas longtemps. Alors, c’est ellemême
qui redoublera d’audace, fixant à HE R M A N N un rendezvous
nocturne, dans sa propre chambre. Avec la mort de L A
CO M T E S S E, elle comprend qu’HE R M A N N est plus attiré par le
jeu que par elle. Mais elle lui pardonne encore, jusqu’à ce
que leur rencontre au bord de la Néva ne lui donne d’autre
issue que le suicide. Comme HE R M A N N, elle ne se donne
d’autre issue que la mort.
D’autres personnages, moins importants pour l’action proprement
dite, gravitent autour de ce trio central : maître de
cérémonie, domestique, joueurs, amis d’HERMANN ou amies
de LISA, etc.
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Parmi eux :
LE PRINCE ELETSKI, fiancé de LISA, ressemble au
prince Grémine d’Eugène Onéguine : ferme, noble, bienveillant,
élégant, il est le personnage de clarté qui fait mieux ressortir
les ombres profondes d’HERMANN, mais aussi de LISA.
Pouchkine, dans sa nouvelle, cite à peine son nom, et n’en fait
pas le fiancé de l’héroïne.
LE COMTE TOMSKI, qui change involontairement le
destin d’HERMANN, de LISA et de LA COMTESSE en racontant
que celle-ci possède un secret de cartes gagnantes.
Et puis, à part, les trois personnages de l’intermède pastoral
de La Bergère sincère, PRILEPA, qui préfère à toutes les
richesses que lui offre ZLATOGOR (en russe : montagne d’or)
l’amour de son modeste berger MILOVZOR. Ce divertissement
brillant, inspiré par le XVIII e siècle et par Mozart, peut se voir
aussi comme le contre exemple heureux et moral de l’histoire
d’HERMANN et de LISA.

PIOTR ILLITCH
TCHAÏKOVSKI
LA DAME DE PIQUE

18
PERVOYE DEYSTVIYE
KARTINA PERVAYA
N o 1. Chœur des enfants, des nourrices et des autres
DEVOUCHKI
Gori, gori, yasno,
Chotoby ne pogaslo!
Raz, dva, tri!
MATOUCHKI
Zabavlyaitesya, detki milye!
Redko solnychko vas rodimye, techit radostno!
Yesli, milye, vy na voliouchke igry,
Chalosti zatevaete, to po malosti vachim nyaniouchkam
Vy pokoï tagda dostavlyaete.
Greites, begaites, detki milye,
I na solnychke zabavlyaitesya!

PREMIER ACTE
SCÈNE 1
Le Jardin d’été à Saint-Pétersbourg.
Un jour ensoleillé de printemps. Des enfants s’amusent
sous l’œil de leurs nourrices, nurses ou gouvernantes.
N o 1. Chœur des enfants, des nourrices et des autres
LES FILLETTES
Brûle, brûle clair
Ne t’éteins jamais,
Une, deux, trois !
LES NURSES
Amusez-vous, mes petits.
Le soleil ne nous gâte pas souvent !
Quand vous jouez dehors et faites vos malices
Vous laissez un peu de calme à vos nourrices.
Réchauffez-vous, courez mes petits
Amusez-vous au soleil !
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TCHAÏKOVSKI LA DAME DE PIQUE
NYANYI
Slava Bogou, khot nemnojko mojono otdokhnout,
Vozdoukhom dychat vesennym, videt chto niboud!
Ne krichat, bez zamechanii vremya provodit,
Pro vnouchenya, nakazanya, pro ourok zabyt.
MATOUCHKI
Begaites, detki milye,
I na solnychke zabavlyaitesya!
MATOUCHKI
Baiou, baiou, bai! Baiou, baiou, bai!
Spi, rodimy, pochevai,
Yasnykh glaz ne otkryvai!
MATOUCHKI, NYANYI
Vot nachi voïny idout, soldatiki, kak stroïno!
Postoronites! Postoronites!
Mesta! Mesta!
Raz, dva, raz, dva, raz, dva.
MAL’CISKI
Raz, dva, raz, dva,
Levoï, pravoï, levoï, pravoï!
Droujno, bratsy, ne sbivatsya!
ROTNIY
Slouchai! Mouchket pered sebya!
Beri za doulo! Mouchket k noge!
MAL’CISKI
My vse zdes sobralis
Na strakh vragam Rossiiskim.
Zloy nedroug, beregis,
Is pomyslom zlodeiskym.

LES GOUVERNANTES
Grâce à Dieu, on peut enfin se reposer,
Goûter l’air printanier, regarder !
Ne pas crier ou sans cesse réprimander,
Les devoirs, les punitions, on peut les oublier.
LES NURSES
Courez, mes petits,
Amusez-vous au soleil !
PREMIER ACTE SCÈNE 1
LES NOURRICES
Dodo, l’enfant do, dodo, l’enfant do !
Dors, mon chéri, repose-toi,
N’ouvre pas tes beaux yeux !
LES NURSES & LES NOURRICES
Voici nos guerriers, petits soldats, quelle discipline !
Écartez-vous ! Écartez-vous !
Place ! Place !
Une, deux, une, deux, une, deux !
LES GARÇONS
Une, deux, une, deux,
Gauche, droite, gauche, droite !
Ensemble, les amis, en cadence !
LE PETIT OFFICIER
Garde à vous ! Présentez armes !
Armes à la hanche ! Reposez mousquets !
LES GARÇONS
Nous sommes tous là
Tremblez ennemis de la Russie.
Ennemi féroce, prend garde,
Avec tes noirs projets
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Begi il pokoris!
Oura, oura, oura!
Otechestvo spasat
Nam vypalo na doliou,
My stanem voevat
I nedrougov v nevoliou
Bez chyota zabirat!
Oura, oura, oura!
Da zdravstvouet jena,
Premoudraya tsaritsa,
Nam mater vsem ona
sikh stran imperatritsa
I gordost i krasa!
Oura, oura, oura!
ROTNIY
Molodtsy, rebyata!
TCHAÏKOVSKI LA DAME DE PIQUE
MAL’CISKI
Rady staratsya, vache vysokoblagorodie!
ROTNIY
Slouchai! Mouchket pered sebya!
Na pravo! Na karaoul! March!
NYANYI, MATOUCHKI I NYANYI
Nou, molodtsy soldaty nachi!
I vpryam napoustyat strakhy na vraga!
Nou, molodtsy! Kak stroïno!
N o 2. Scène & arioso de Hermann

Fuis, ou soumets-toi !
Hourra, hourra, hourra !
Défendre la patrie,
Tel est notre destin
Nous irons combattre
Et faire des prisonniers
Sans nombre !
Hourra, hourra, hourra !
Vive la grande dame,
La sage tsarine,
Notre mère à tous
L’impératrice de ce pays,
Sa gloire et sa beauté !
Hourra, hourra, hourra !
LE PETIT OFFICIER (parlé)
Bravo les enfants !
PREMIER ACTE SCÈNE 1
LES GARÇONS (parlé)
À vos ordres, votre Noble Grandeur !
LE PETIT OFFICIER
Garde à vous! Présentez armes !
En garde ! En avant ! Marche !
LES NURSES, LES NOURRICES & LES GOUVERNANTES
Comme ils sont beaux, nos soldats !
C’est vrai qu’ils terrifieraient l’ennemi !
Très beau ! Quelle discipline !
Tout le monde se disperse.
Entrent Tchekalinski et Sourine.
N o 2. Scène & arioso de Hermann
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TCHEKALINSKI
Chem konchilas vchera igra?
SOURINE
Konechno, ya prodoulsya strachno!
Mnè ne vezyot.
TCHEKALINSKI
Vy do outra opyat igrali?
SOURINE
Da! Oujasno mnè nadoelo...
Chort vozmi, khot raz by vyigrat!
TCHEKALINSKI
Byl tam Guermann?
SOURINE
Byl i, kak vsegda,
S vosmi i do vosmi outra,
Prikovan k igornomou stolou, sidel i molcha doul vino!
TCHEKALINSKI
I tolko?
TCHAÏKOVSKI LA DAME DE PIQUE
SOURINE
Da na igrou drougihk smotrel.
TCHEKALINSKI
Kakoï on stranny chelovek!
SOURINE
Kak boudto ou nevo na serdtse
Zlodeistv po kraine mere tri!

TCHEKALINSKI
Comment a fini la partie hier ?
SOURINE
Bien sûr, j’ai perdu tout ce que j’ai pu !
Je n’ai pas de chance.
TCHEKALINSKI
Vous avez encore joué jusqu’au matin ?
SOURINE
Oui ! J’en ai assez...
Par le diable, je voudrais gagner une fois au moins !
TCHEKALINSKI
Hermann était là ?
SOURINE
Oui, comme toujours, de huit heures du soir
À huit heures du matin,
Fixé à la table de jeu, buvant du vin sans rien dire !
TCHEKALINSKI
Et alors ?
PREMIER ACTE SCÈNE 1
SOURINE
Il regardait jouer les autres.
TCHEKALINSKI
Quel singulier personnage !
SOURINE
Comme s’il avait au moins
Trois crimes sur la conscience !
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TCHEKALINSKI
Ya slychal, chto on ochen beden.
SOURINE
Da, niébogat.
Vot on, smotri.
Kak dièmon ada mrachen... bliedien...
TOMSKI
Skaji mnè, Guermann, chto s stoboïou?
GUERMANN
Sa mnoïou? Nichevo...
TOMSKI
Ty bolen?
GUERMANN
Niet, ya zdorov.
TCHAÏKOVSKI LA DAME DE PIQUE
TOMSKI
Ty stal drougoï kakoï-to...
Chem-to nedovolen...
Byvalo sderjan, berejliv,
Ty vesel by! Po kraine mièré,
Tièpiér ty mrachen, molchaliv
I ya oucham svoïm ne veriou:
Ty, novoy strastiiou gorya,
Kak govoryat, vplot do outra
Provodich nochi za igroï!
GUERMANN
Da, k tseli tvyordoïou nogoï
Itti kak prejde ne mogou ya,

TCHEKALINSKI
Il paraît qu’il est très pauvre.
Hermann apparaît, en compagnie du comte Tomski.
SOURINE
Oui, il n’est pas riche.
Regarde, le voici.
Comme un démon de l’enfer... blafard...
TOMSKI
Dis-moi, Hermann, qu’est-ce que tu as ?
HERMANN
Moi ? Rien...
TOMSKI
Tu es malade ?
HERMANN
Non, je vais bien.
PREMIER ACTE SCÈNE 1
TOMSKI
Tu as un peu changé...
Tu parais un peu irrité...
Avant, tu étais réservé, mesuré
Mais aussi joyeux ! À présent
Tu es triste, taciturne, et,
Je n’en crois pas mes oreilles :
Tu brûles d’une nouvelle passion,
Tu passes tes nuits au jeu,
Du soir au matin !
HERMANN
Oui, je ne puis plus aller au but
D’un pas ferme comme avant,
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TCHAÏKOVSKI LA DAME DE PIQUE
Ya sam ne znaiou, chto so mnoï,
Ya poteryalsya, ne godouiou
Na slabost, no vladet soboï
Ne v silakh bolche...
Ya vlioublion! Vlioublion!
TOMSKI
Kak! Ty vlioublion? V kovo?
GUERMANN
Ya imeni yeyo ne znaiou
I nie khatchou ouznat,
Zemnym nazvanem ne jelaiou ieio nazvat!
Sravnenya vsyo perebiraya,
Ne znaiou s kem sravnit...
Lioubov moïou blajensrtvo raya
Khotiel by vek khranit!
No mysl revnivaya, chto yeiou drougomou obladat
Kogda ya sled nogi ne smeiou yei tselovat,
Mienya tomit i strast zemnouiou
Naprasno ya khochou ounyat,
I vsyo khochou tagda obnyat,
I vsyo khochou moïou svyatouiou tagda obnyat,
I vsyo khochou moïou svyatouiou tagda obnyat!
Ya imeni yeyo ne znaiou i ne khochou ouznat!
TOMSKI
A yesli tak, skorei za delo!
Ouznaem kto ona, a tam i predlojene delai smelo,
I delo po roukam...
GUERMANN
O niet, ouvy!
Ona znatna i mnè prinadlejat ne moje!
Vor chto mienya tomit i glojet!

PREMIER ACTE SCÈNE 1
Je ne sais pas ce qui m’arrive,
Je crois que je suis perdu,
Je maudis ma faiblesse
Je ne suis plus mon maître...
J’aime ! J’aime !
TOMSKI
Comment ? Tu aimes ? Qui ?
HERMANN
Je ne sais pas son nom
Et je ne veux pas le savoir,
Pour ne pas lui donner de nom terrestre !
Toute comparaison est vaine,
Je ne sais à quoi la comparer...
Mon amour, cette joie du paradis
Je voudrais le garder toujours !
Mais la pensée jalouse qu’un autre la fera sienne,
Alors que je n’ose pas baiser l’empreinte de ses pas,
Me tourmente, et je me maudis
Et je tente en vain de calmer cet amour,
Et toujours je veux l’étreindre,
Et toujours je veux étreindre ma sainte,
Et toujours je veux étreindre ma sainte !
Je ne sais pas son nom et ne veux pas le savoir !
TOMSKI
Si c’est comme ça, vite à l’action !
Il faut découvrir son nom, avec audace fais ta demande,
Et l’affaire est faite...
HERMANN
Oh non, hélas !
Elle est de famille noble et ne peut être à moi !
Cela me tourmente et me torture !
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TCHAÏKOVSKI LA DAME DE PIQUE
TOMSKI
Naidyom drougoïou... Ne odna na svete...
GUERMANN
Ty mienya ne znaïèch!
Niet, mnè yeyo ne razlioubit!
Akh, Tomski! Ty ne ponimaech!
Ya tolko mog spokoïno jist,
Poka vo mnè dremali strasti,
Tagda ya mog vladet souboï;
Teper, kogda doucha vo vlasti
Odnoï mechty, prochchai, pokoï, prochchai, pokoï.
Otravelen, slovno opynayon,
Ya bolen, bolen, ya vlioublyon!
TOMSKI
Ty I eto, Guermann? Priznaious
Ya nikomou by ne poveril,
Chto ty sposoben tak lioubit!
N o 3. Chœur des promeneurs & scène
NAROD
Nakonetsto Bog poslal nam solniechny diènok!
Chto za vozdoukh, chto za nebo!
Tochno maï ou nas!
Akh, kakaya prelest, pravo, ves by den goulyat!
Dnya takovo ne dojdatsya, dnya takovo ne dojdatsya,
Dolgo nam opyat!
Dnya takovo ne dojdatsya, dolgo nam
Dolgo nam opyat!
STARIY
Mnogo let ne vidim my takikh denkov,

PREMIER ACTE SCÈNE 1
TOMSKI
On en trouvera une autre... Elle n’est pas unique...
HERMANN
Tu ne me connais pas
Non, je ne cesserai jamais de l’aimer !
Ah, Tomski ! Tu ne comprends pas !
Je pouvais vivre sereinement
Quand mes passions étaient endormies,
Je me maîtrisais alors ;
À présent que mon âme est sous l’emprise
D’un rêve unique, adieu la paix, adieu la paix.
Je suis ivre, comme empoisonné,
Je suis malade, malade, j’aime !
TOMSKI
Toi, Hermann ? J’avoue
Que je n’aurais jamais cru
Que tu pouvais aimer ainsi !
Des groupes de promeneurs envahissent la scène.
N o 3. Chœur des promeneurs & scène
LES PROMENEURS
Enfin Dieu nous envoie un jour de soleil !
Quel bon air, quel ciel !
C’est vraiment mai chez nous !
Ah, quel délice de se promener toute la journée !
Il va falloir attendre longtemps pour
Retrouver une telle journée !
Il va falloir attendre longtemps pour
Retrouver une telle journée !
LES VIEILLARDS
Cela fait des années que nous n’avons eu un tel temps,
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TCHAÏKOVSKI LA DAME DE PIQUE
A byvalo tchasto my vidali ikh.
Vdni Elizavety, tchoudnaya pora,
Lioutch chè byli leto,
Osen, i vesna, vesna!
Okh! Ouj mnogo let prochlo kak
Ne bylo takikh denkov...
A byvalo a preied tchasto, tchasto my vidali ikh.
Vdni Elizavety, chto za tchoudnaya pora!
Ahk! V starinou jilosya lioutch chè veseleï.
Takikh vesennikh, yasnikh dnei davno ouj ne byvalo!
NAROD
Prièjdiè loutch che jili,
I takie dni kajsy god byvali
Ranneiou vesno, da, kajdy god byvali!
A teper im vedkast
Solnychko s outra,
Kouje stalo, pravo, oumirat pora!
Prièjdiè pravo bylo loutch byl veselie jit,
Nam i solnychko na nebe ne bylo v dilovinkou.
Prièjdiè pravo bylo loutch che byl...
DEVOUCHKI
Chto za radots, chto za chatye!
Kak otradno, kak otradno jit!
Kak priyatno v Letny Sad khodit!
Posmotrie, posmotrie skol moloykh Iioudei,
I voenykh i grajdanskikh brodit mnogo vdol allei!
Posmotrite, posmotrite, kak tout mnogo brodit vsyakikh,
I voennykh i grajdanskikh,
Kak izyachchny, kak prekrasny,
Kak krasivy, posmotrite, posmotrite!
MAL’CISKI
Solntse, nebo vozdoukh,

PREMIER ACTE SCÈNE 1
Jadis, il y en avait souvent.
Au temps d’Elisabeth, époque merveilleuse,
L’été, l’automne, le printemps
Étaient bien plus beaux !
Oh ! Il y a bien longtemps
Que nous n’avons eu si belle journée...
La vie alors était plus belle, plus gaie.
Au temps d’Elisabeth, quelle époque merveilleuse !
Ah ! La vie alors était plus belle, plus gaie.
Un si beau jour de printemps, cela faisait longtemps !
LES VIEILLES DAMES
C’était mieux avant, des jours comme ça,
Il y en avait tous les ans,
Tous les ans, au début du printemps !
Maintenant, ils se réjouissent
De voir le soleil le matin,
La vie est bien pire, il est temps de mourir !
C’est vrai, c’était mieux avant,
Le soleil brillait, la vie était gaie.
C’est vrai, c’était mieux avant...
LES JEUNES FILLES
Quel délice, quel bonheur !
Que c’est bon, que c’est bon de vivre !
De se promener au Jardin d’été
Regardez, regardez tous les jeunes gens
Militaires et civils se promener dans les allées !
Regardez, regardez comme ils sont nombreux,
Militaires et civils,
Si élégants, si distingués,
Si attirants, regardez, regardez !
LES GARÇONS
Le soleil, le ciel, l’air, le chant du rossignol,
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Solovya napev, I roumaniets yarki
Ne lanitakh dev.
To vesna darouïet, s neiou i lioubov
Sladostno volniet molodouiou krov!...
NAROD
Nakonetsto Bog poslal nam solnechny denok!
Chto za vozdoukh, chto za nebo!
Totch na maï ou nass!
Akh, kakaya prelest, pravo, ves by den goulyat!
Dnya takovo ne dojdatsa
Dnya takovo ne dojdatsa dolgo nam opouyat!...
TOMSKI
A ty ouveren, chto ona tiébia ne zamechaïet?
Deriou pari, chto vlioublena
I po tebe skouchaïet...
GUERMANN
Kogda otradnovo somnènya lichilsya ya,
To razve vynesla b moutchenya doucha maya?
Ty vidich, ya jivou, stradaiou, no v strachny mig,
Kogda ouznaiou,
Chto mnè ne soujdeno yei ovladet,
Tagda ostanetsya odno...
TOMSKI
Chto?
GUERMANN
Oumeret!
TCHEKALINSKI
Tebya pozdravit mojna?
TCHAÏKOVSKI LA DAME DE PIQUE

Et le rouge aux joues des jeunes filles.
Ce sont les présents du printemps,
Et avec lui, le délicieux amour
Qui trouble notre jeune sang...
LES PROMENEURS
Enfin, Dieu nous envoie une journée de soleil !
Quel air, quel ciel !
On se croirait en mai !
Ah, quel miracle, on se baladerait tout le jour !
Il faudra attendre
Attendre longtemps avant qu’il ne revienne !...
TOMSKI
Tu es sûr qu’elle ne t’a pas remarqué,
Moi je parie qu’elle t’aime
Et qu’elle soupire après toi...
HERMANN
Sans ce doux espoir
Mon âme pourrait-elle supporter cette torture ?
Tu vois, je vis, je souffre, mais au moment terrible
Où je saurai qu’elle ne sera jamais mienne,
Je n’aurai qu’une chose à faire...
TOMSKI
Quoi ?
HERMANN
Mourir !
Entre le prince Eletski.
Sourine et Tchekalinski vont à sa rencontre.
TCHEKALINSKI
Puis-je te féliciter ?
PREMIER ACTE SCÈNE 1
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SOURINE
Ty, govoryat, genikh?
ELETSKI
Da, gospoda, genyousya;
Svietlyï angouel soglasye dal svoyou soudbou
A moyeyou naveki satchetat!
TCHEKALINSKI
Chtoj, v dobry chas!
SOURINE
Ot vsieï douchi ya rad.
Boud chiastliv, kniaz!
TOMSKI
Ieletski, pozdravlayou!
TCHAÏKOVSKI LA DAME DE PIQUE
ELETSKI
Blagodaryou, drouzia!
Schastlivy
Dien, tiébia, tiébia blagoslovlyayou!
Kak vsyo soedinilos,
Chtob vmeste likovat so mnoyou,
Povsyoudou otrazilos blajenstvo jizni nezemnoï...
Vsyo oulybaetsya, vsyo blechchet.
Kak i na serdtse ou mienya
Vsyo jizneradostno trepechchet,
K blajenstvou raiskomou manya!
Kakoï chastlivy den, tiébia blagoslolyayou ya!
GUERMANN
Nechastny den, tiébia ya proklinayou!
Kak boudto vsyo soedinilos,
Chtoby v borbou vstoupat so mnoyou.

SOURINE
On dit que tu es fiancé ?
ELETSKI
Oui mes seigneurs, je me marie ;
Un ange rayonnant a bien voulu unir
Pour toujours sa vie à la mienne !
TCHEKALINSKI
Eh bien, j’en suis heureux !
SOURINE
Je m’en réjouis de tout cœur.
Sois heureux, prince !
TOMSKI
Eletski, mes félicitations !
PREMIER ACTE SCÈNE 1
ELETSKI
Merci, mes amis!
Heureux
Heureux jour, à toi, à toi merci !
Comme tout s’unit
Pour participer à ma joie,
Partout se reflète la grâce d’une vie céleste...
Tout sourit et tout brille.
Comme tout mon être
Frémit du bonheur de vivre,
Qui me promet le paradis !
Quel jour de joie, je te bénis !
HERMANN
Jour de malheur, je te maudis !
Comme tout s’unit
Pour mon malheur.
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TCHAÏKOVSKI LA DAME DE PIQUE
Povsyoudou radost otrazilas
No ne v douche moyei bolnoï.
Vsyo oulybaetsya, vsyo blechchet.
Kogda na serdtse ou mienya
Dosada adskaya trepechchet,
Odni mouchenia soulya
O, da, odni mouchenya , mouchenya mnè soulya!
TOMSKI
Skaji, na kom ty jenichsya?
GUERMANN
Knyaz, kto tvoya nevesta?
ELETSKI
Vot ona!
GUERMANN
Ona? Ona yevo nevesta!
O Boje! Bojé!
LISA, GRAFIN
Opyat on zdes!
TOMSKI
Tak vot kto bezymennaya krassa vitsa tva!
N o 4. Quintette & scène
LISA
Mnè strachno! On opyat peredo mnoï,
Tainstvenny i mrachny neznakomets!
V yevoo glazakh oukor nemoï smenil ogon

PREMIER ACTE SCÈNE 1
La joie se reflète partout
Sauf dans mon âme malade.
Tout sourit et tout brille.
Alors qu’en mon cœur
Je sens le frisson d’un mal
Qui ne promet que du tourment,
Oh oui, du tourment, qui ne promet que du tourment !
TOMSKI
Dis-nous, qui vas-tu épouser ?
HERMANN
Prince, qui est ta fiancée ?
La Comtesse entre, accompagnée de Lisa.
ELETSKI (désignant Lisa)
La voici !
HERMANN
Elle ? Elle, sa fiancée ?
Ô Dieu ! Dieu !
LISA & LA COMTESSE
Le voici à nouveau !
TOMSKI (à Hermann)
Alors c’est elle, ta beauté inconnue !
N o 4. Quintette & scène
LISA
J’ai peur ! Il est à nouveau devant moi,
Cet étranger sombre et mystérieux !
Dans ses yeux, un muet reproche se mêle
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TCHAÏKOVSKI LA DAME DE PIQUE
Bezoumnnoï, jgouchei strasti...
Kto on? Zachem presledouet mienya?
Mnè strachno, strachno, boudto ya vo vlasti
Yevo ochei zlovechchevo ognya!
Mnè strachno! mnè strachno!strachno mnè!
GRAFIN
Mnè strachno! On opyat peredo mnoï,
Tainstvenny i strachny neznakomets!
On prizrak rokovoï,
Obyaty ves kakoïto dikoï strastiou...
Chto khochet on, presledouya mienya?
Zatchem opyat on predo mnoï?
Mnè strachno, boudto ya vo vlasti
Yevo ochei zlovechchevo ognya!
Mnè strachno! mnè strachno!strachno mnè!
GUERMANN
Mnè strachno! Zdes opyat peredo mnoï,
Kak prizrak rokovoï, yavilas mrachnaya staroukha...
V yeyo glazakh oujasnykh
Ya svoï chitaiou prigovor nemoï!
Chto nado yei? Chto nado yei, chto khochet ot mienya?
Kak boudto ya vo vlasti yeyo ochei
Zlovechchevo ognya! Kto, kto ona?
Mnè strachno! Mnè strachno! Strachno mnè!
TOMSKI
Vot o kom on gavaril!
Kak on smouchchyon nejadannoï vestiou!
V yevo glazakh ya vijou strakh,
Strakh nemoï smenil ogon bezoummoï strasti!
A s neiou s neiou chto? Kak bledna!
Kak bledna! Akh, mene strachno za neyo,
Mnè strachno! Mnè strachno za neyo!

PREMIER ACTE SCÈNE 1
À l’éclat d’une passion dévorante...
Qui est-ce ? Pourquoi me suit-il ?
J’ai peur, comme si j’étais sous le pouvoir
Du feu terrible de ces yeux !
J’ai peur ! J’ai peur ! J’ai peur !
LA COMTESSE
J’ai peur ! Il est à nouveau devant moi,
Cet étranger sombre et mystérieux !
Un fantôme sous l’emprise
D’une terrible passion...
Que cherche-t-il en me suivant ?
Pourquoi est-il à nouveau devant moi ?
J’ai peur comme si j’étais sous le pouvoir
Du feu terrible de ces yeux !
J’ai peur ! J’ai peur ! J’ai peur !
HERMANN
J’ai peur ! Elle est à nouveau devant moi,
Comme un fantôme fatal, cette vieille blafarde...
Dans ses yeux terribles
Je lis, muette, ma propre condamnation !
Que veut-elle ? Que veut-elle, que veut-elle de moi ?
Je suis sous le pouvoir
De l’éclat sinistre de ces yeux ! Qui, qui est-elle ?
J’ai peur ! J’ai peur ! J’ai peur !
TOMSKI
C’est donc elle dont il parlait !
Comme il est frappé par cette nouvelle inattendue !
Je vois dans ses yeux une peur muette
Se mêler à l’éclat d’une passion dévorante !
Mais elle, elle, qu’a-t-elle ! Comme elle est pâle !
Comme elle est pâle ! Ah, j’ai peur pour elle,
J’ai peur ! J’ai peur pour elle !
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TCHAÏKOVSKI LA DAME DE PIQUE
ELETSKI
Mnè strachno!
Bojé moï, kak smouchchena ona!
Otkouda eto strannoe volnenye?
V yeyo douchatam l’è ne,
V yeyo glazakh kakoïto strahk nemoï!
V nikh yasny den zachem to vdroug prichlo smenit nenastye!
Chto s nei? Ne smotrit na mienya!
O, mnè strachno, boudto blizko grozit
Kakoyéto nejdamayé nechastye...
Strachno, strachno mnè!
TOMSKI
Grafinya! Pozvolte vas pozdravit...
GRAFIN
Skajite mnè, kto etot ofitser?
TOMSKI
Kotory? Etot? Guermann, priyatel moï.
GRAFIN
Otkouda vzyalsya on? Kakoï on strasnhy!
ELETSKI
Nebes charouiouchchaya prelest,
Vakrouk. Zefirov Iyogkikh chelest.
Vesyoliye tolpy, drouzei priver,
Soulyat gryadouchchem mnogo let
Nam chastya!
GUERMANN
Radouisya, priyatel!
Zabyl ty, chto za tikhim dnyom groza byvaet,
Chto sozdatel dal chastiou slyozy vyodrou grom!

PREMIER ACTE SCÈNE 1
ELETSKI
J’ai peur !
Mon Dieu, comme elle est troublée !
D’où vient cette étrange émotion ?
Je vois son âme souffrir
Je vois dans ses yeux une peur muette !
Leur lumière est obscurcie par les nuages !
Qu’a-t-elle ? Elle ne me voit plus !
Oh, j’ai peur, comme si je sentais un malheur
S’approcher, imprévu, menaçant...
J’ai peur, j’ai peur...
TOMSKI
Comtesse, permettez-moi de vous féliciter...
LA COMTESSE
Dis-moi, qui est cet officier ?
TOMSKI
Lequel ? Celui-ci ? Hermann, un de mes amis.
LA COMTESSE
D’où vient-il ? Quel air terrible !
ELETSKI (à Lisa)
La beauté magique de ce ciel,
Le printemps, le souffle du zéphyr,
La gaieté de la foule, les vœux des amis,
Tout nous promet un avenir de bonheur !
Il sort, accompagné de Lisa et de la Comtesse.
HERMANN (à part)
Réjouis-toi, ami !
Tu oublies qu’après le beau temps vient l’orage,
Que le créateur a donné les larmes à la joie, le tonnerre à l’azur!
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N o 5. Scène & ballade de Tomski
SOURINE
Kakaya vedma, eta grafinya!
TCHEKALINSKI
Strachilichche!
TOMSKI
Ne darom je yeyo prozvali “Pikovoï damy”!
Ne mogou postignout, otchevo ona ne pontirouyet?
SOURINE
Kak? Staroukhato? A chto ty?
TCHEKALINSKI
Osmidesyatletnyaya karga! Kha, kha, kha!
TOMSKI
Tak vy pro neyo nichevo ne znaïte?
SOURINE
Niet, pravo, nitchevo!
TCHEKALINSKI
Nitchevo!
TCHAÏKOVSKI LA DAME DE PIQUE
TOMSKI
O, tak poslouchaite!
Grafinya mnogo let nazad v parije krasavitsei slyla.
Vsya molodyoj po nei souma skhodila,
Nazyvaya “Veneroïou Moskovskoï”.
Graf Sen Jermèn sredi drougihk,
Tagda yecho krasavets, plenilsya yeiou,
No bezouspechno on vzdykhal po grafinye!

N o 5. Scène & ballade de Tomski
SOURINE
Quelle sorcière, cette comtesse !
TCHEKALINSKI
Un épouvantail !
TOMSKI
Ce n’est pas pour rien qu’on l’appelle “La Dame de pique” !
Je ne comprends pas pourquoi elle ne joue pas ?
SOURINE
Quoi ? La vieille ? Pourquoi ?
TCHEKALINSKI (riant)
Une sorcière octogénaire !
TOMSKI
Vous ne connaissez rien de son histoire ?
SOURINE
Non, ma parole, rien !
TCHEKALINSKI
Rien !
PREMIER ACTE SCÈNE 1
TOMSKI
Oh, alors écoutez !
Il y a bien des années, à Paris, la Comtesse était une beauté.
Tous les jeunes gens en étaient fous
Et l’appelaient la Vénus moscovite.
Le comte Saint-Germain entre autres, encore très bel homme,
Était sous le charme
Mais ses soupirs pour elle étaient vains !
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TCHAÏKOVSKI LA DAME DE PIQUE
Vsye notchi naprolyot igrala krasavitsa, i, ouvy!
Predpochitala faraon Iioubvi.
Odnajdy v Versalye“au jeu de la Reine”
“Vénus Moscovite”proïgralas dotla.
V chisle priglachyonnykh byl
Graf Sen Jermèn;
Sledya za igroï, on slykhal kak ona
Sheptala v razgare azarta:
“O Bojé! Oh, Bojé!
Oh, Bojé, ya vsyo by mogla otygrat,
Kogda by khvatilo postavit opyat
Tri karty, tri karty, tri karty!”
Graf, vybrav oudachno minoutoukogda,
Pokinouv oukradkoï gostei polny zal,
Krasavitsa molcha sidela odna,
Vlioublyonno nad oukhom yeyo procheptal
Slova, slache zvoukov Motsarta:
“Grafinia, grafinia, grafinia,
Tsenoï odnovo rendez-vous
Khotite, pojaloui, ya vam nazovou
Tri karty, tri karty, tri karty?”
Grafinya vspylila: “Kak smeyete vy?”
No graf byl ne trouyé. I kogda rerez den
Krasavitsa snova yavilas, ouvy, bez grocha v karmane
“Au jeu de la Reine”, ona ouje znala tri karty...
Ikh smelo postaviv, odnou za drougoï,
Veznoula svoyo, no kakoïou tsenoï!
O karty, o karty, o karty!
Raz mouïou te karty ona nazvala,
V drougoï raz ikh iouny krasavets ouznal.
No v etou je notch, lich ostalas odna,
K nei prizrak yavilsya i grozno skazal:
“Polouchich smertelny oudar ty
Ot tretyevo, kto, pylko, strastno Iioubia
Pridyot, chtoby siloï ouznat ou tiébia
Tri karty, tri karty, tri karty!”

PREMIER ACTE SCÈNE 1
La belle passait ses nuits au jeu, jusqu’à l’aube.
À l’amour elle préférait le pharaon !
Un jour à Versailles, au Jeu de la Reine,
La Vénus moscovite a tout perdu.
Parmi les invités, il y avait
Le comte Saint-Germain ;
Suivant le jeu, il l’entendit murmurer
Au point crucial du jeu de hasard :
« Ô Dieu ! Ô Dieu !
Ô Dieu, je pourrais tout regagner
Si je pouvais encore miser sur
Trois cartes, trois cartes, trois cartes ! »
Le comte, profitant de l’instant
Où la belle avait quitté la salle pleine de monde,
Et s’était assise seule, silencieuse,
Lui murmura tendrement à l’oreille
Ces mots plus doux que du Mozart :
« Comtesse, comtesse, comtesse,
Contre un seul rendez-vous
Je puis, si vous le désirez, vous indiquer
Ces trois cartes, trois cartes, trois cartes. »
La comtesse s’emporta : « Comment osez-vous ? »
Le comte n’avait pas peur. Et alors que la belle,
Le surlendemain, sans un sou, revint
Au Jeu de la Reine, elle connaissait les trois cartes...
Hardiment, elle les joua l’une après l’autre,
Et regagna tout, mais à quel prix !
Ô cartes, ô cartes, ô cartes !
Un jour, elle révéla à son mari le nom de ces cartes,
Un autre jour, elle le dit à un beau jeune homme.
Mais, la même nuit, dès qu’elle fut seule,
Lui apparut un spectre menaçant qui lui dit :
« Tu recevras un coup mortel
Du troisième, qui, brûlant d’un amour passionné,
T’arrachera de force le secret des
Trois cartes, trois cartes, trois cartes ! »
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TCHAÏKOVSKI LA DAME DE PIQUE
N o 6. Scène finale. L’orage
TCHEKALINSKI
Se non è vero, è ben trovato.
SOURINE
Zabavno! No grafinya spat spokoïno mojet,
Troudnovato Iioubovnika yei pylkovo syskat!
TCHEKALINSKI
Poslouchai, Guermann!
Vot tebye otlichny slouchai,chtob igrat bez deneg!
Podoumai, podoumaika!
TCHEKALINSKI I SOURINE
“Ot tretyevo, kto, pylko, strastno Iioubya,
Pridyot chtoby silaï ouznat at tiébia,
Tri karty, tri karty, tri karty!”
NAROD
Kak bystro groza nastoupila,
Ktob mok, ojidat, strasti kakie!
Oudar za oudarom gromche,
Strachne! Bejimte skorei!
Skorei by k vorotam pospet!
Skorei by domoï! Akh, Boje moï! Beda!
GUERMANN
“Polouchich smertelny oudar ty
Ot treyevo, kto, pylko, strastno Iioubya
Pridyot, chtoby siloï iznat ot tiébia
Tri karty, tri karty, tri karty!”

PREMIER ACTE SCÈNE 1
N o 6. Scène finale. L’orage
TCHEKALINSKI
Se non è vero, è ben trovato.
SOURINE
Amusant ! Mais la comtesse peut dormir tranquille
Il lui serait difficile de trouver un amant passionné !
TCHEKALINSKI
Écoute, Hermann !
Voici une excellente occasion de jouer sans argent !
Réfléchis-y !
TCHEKALINSKI & SOURINE
« Le troisième, qui, brûlant d’un amour passionné,
T’arrachera de force le secret des
Trois cartes, trois cartes, trois cartes ! »
Le tonnerre gronde.
En hâte, les promeneurs commencent à se disperser .
LES PROMENEURS
Comme l’orage a éclaté brusquement,
Qui l’aurait cru !
Le tonnerre est de plus en plus
Violent ! Courons vite !
Courons vers la sortie !
Courons à la maison ! Ah, mon Dieu ! Malheur !
HERMANN
« Tu recevras un coup mortel
Du troisième, qui, brûlant d’un amour passionné,
T’arrachera de force le secret des
Trois cartes, trois cartes, trois cartes ! »
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TCHAÏKOVSKI LA DAME DE PIQUE
Akh, chto mene v nikh,
Hotya i obladal ya imi!
Pogiblo vsyo teper... Odin ostalsya ya.
Mnè bourya ne strachna!
Vo mnè samom fse strasti prosnoulis s takoï
Oubistvennoïou siloï,
Chto etot grom nichto v srabneni!
Niet, knyaz! Poka ya jiv, te be ya ne otdam yeyo;
Ne znaiou kak, no otinimou!
Gom, molnya, veter! Pri vas torjestvenno
Daiou ya klayatvou: ona moyeiou boudet,
Ona moyeiou boudet, moyei, moyei il oumrou!
KARTINA VTORAYA
N o 7. Duo de Lisa et Pauline
LISA I POLYA
Ouj, ouj vietcher... oblakov pomierknouli kraya,
Posledni loutch zari na bachnyakh oumiraièt;
Poslednyaya v riekie blestyachaya strouya
S potoukhchim niebom ougasaet, ougasaet.
Vsio kak slit sprokahladoïou rastenii aromat,
Kak sladko v tichine
Ou brega stroui pleskanye,
Kak tikho veyanye efira po vodam
I gibkoï ivy trepetanye v tichi nochnoï.
N o 8. Scène, romance de Pauline
& chanson russe avec chœur

PREMIER ACTE SCÈNE 2
Ah, que m’importe,
Même si je le connaissais !
Tout est perdu maintenant... Je suis seul.
L’orage ne me fait pas peur !
En moi aussi, toutes les passions sont déchaînées
Avec une force si meurtrière
Qu’en comparaison, ce tonnerre n’est rien !
Non, prince ! De ma vie je ne te la laisserai ;
Je ne sais pas comment, mais je la prendrai !
Tonnerre, éclair, vent ! Devant vous, solennellement,
Je le jure : elle sera à moi,
Elle sera à moi, à moi, à moi ou je mourrai !
SCÈNE 2
N o 7. Duo de Lisa et Pauline
La chambre de Lisa. Fenêtre de balcon donnant sur le jardin.
Un clavecin. Lisa et Pauline sont entourées
d’un groupe d’amies.
LISA & PAULINE
C’est le soir... Le bord des nuages s’obscurcit,
Le dernier rayon du crépuscule meurt sur les tours ;
Un dernier éclat s’éteint, comme le ciel, sur le fleuve.
Le flot dans le feuillage d’automne s’efface, s’efface.
Le parfum des plantes se mêle à la fraîcheur,
Qu’il est doux, dans le silence
Des rives, le murmure du flot,
Qu’il est serein le souffle du zéphyr,
Le frémissement des saules dans la nuit.
N o 8. Scène, romance de Pauline
& chanson russe avec chœur
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DEVOUCHKI
Obvorojitelno! Obvorojitelno!
Ocharovatelmo! Ocharovatelmo!
Choudesno! Preslestno!
Choudesno! Preslestno!
Akh, choudno khorocho!
Yechcho, mesdames, yechcho, mesdames, yecho!
LISA
Spoï, Polya, nam odna!
POLYA
Odna? No chto je spèt?
TCHAÏKOVSKI LA DAME DE PIQUE
DEVOUCHKI
Pojalouista, chto znaïèch,
Ma chère, goloubka,
Spoï nam chtoniboud!
POLYA
Ya vam spaïou Iioubimyi svoï ramans.
Postoïte... Kak eto?
Da, vspomnila...
Podrougi milie, podrougi milie,
V bezpechnosti igrivoï
Pod plyasovoï napev vy rezvites v lougakh.
I ya, kak vy, jila v Arkadii chastlivoï,
I ya na outre dnieï v sikh rochchakh i polyakh
Minouty radosti vkousila, minouty radosti vkousila.
Lioubov v mechtakh zlatykh
Mnè chastie soulila, no chto j dostalos mnè
V sikh radostnykh mestakh, v sikh radostnykh mestakh,
V sikh radostnykh mestakh?
Mogila, mogila, mogila!

LES AMIES
Charmant ! Charmant !
Délicieux ! Délicieux !
Merveilleux ! Exquis !
Merveilleux ! Exquis !
Ah, c’est vraiment ravissant !
Encore, mesdames, encore, mesdames, encore !
LISA
Pauline chante-nous quelque chose, en soliste !
PAULINE
Seule ? Mais quoi ?
PREMIER ACTE SCÈNE 2
LES AMIES
Je t’en prie, ce que tu sais,
Ma chère, colombe,
Chante-nous quelque chose !
PAULINE
Je vais chanter ma romance préférée.
Attendez... Comment est-ce ?
(Elle prélude au clavecin.)
Oui, je me rappelle...
Mes amies, mes amies,
Insouciantes vous aimez
Chanter et danser dans les prés.
Et moi, comme vous, j’ai vécu dans l’heureuse Arcadie,
Et à l’aube de mes jours, dans ces bois et ces joies, j’ai connu
Des moments de bonheurs, des moments de bonheurs.
L’amour et ses rêves dorés
Me promettaient le bonheur, mais qu’ai-je trouvé
En ces lieux enchanteurs, en ces lieux enchanteurs,
En ces lieux enchanteurs ?
Un tombeau, un tombeau, un tombeau !
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54
Vot vzdoumala ya pesniou sper,
Slezlivouiou takouiou... Noustchevo?
I bez tobo groussna ty chtota, Liza,
V takoïto den, podoumai!
Ved ty pomolvlena, aï, aï, aï!
Nou, chto vy vse nossy povesili!
Vesyolouïou davaïte, da rousskouïou
V chest yenikha s nevestoï!
Nou, ya nachnou, a vy mnè podpevaïte!
DEVOUCHKI
I v pravdou, i pravdou
Davaïte vesyolouïou rousskouïou!
POLYA
Nouka, svetik Machenka,
Ty potech, poplyachi.
POLYA I DEVOUCHKI
Aï, liouli, liouli, liouli,
Ty potech, poplachi.
POLYA
Svoï bely rouchenki
Pod boka podberi!
POLYA I DEVOUCHKI
Aï, liouli, liouli, liouli,
Pod boka podberi!
POLYA
Svoï skory nojenki
Ne jalei, ougodi!
POLYA I DEVOUCHKI
Aï, liouli, liouli, liouli,
Ne jalei, ougodi!
TCHAÏKOVSKI LA DAME DE PIQUE

En voilà une idée de chanter
Une chanson si larmoyante... Alors pourquoi ?
Tu es déjà un peu triste, Lisa
En ce jour de fiançailles !
Que vas-tu penser, aïe, aïe, aïe !
Bon, et vous, pourquoi cet air triste !
Trouvons une chanson gaie, oui, et russe
En l’honneur des fiancés !
Allons, je commence, vous chantez après moi !
LES AMIES
C’est vrai, c’est vrai
Chantons une chanson gaie, une chanson russe !
PAULINE
Allons, mon cœur, petite Macha,
Danse, amuse-toi.
PAULINE & LES AMIES
Aïe, liouli, liouli, liouli,
Danse, amuse-toi.
PAULINE
Tes jolies petites mains blanches,
Pose-les sur tes hanches !
PAULINE & LES AMIES
Aïe, liouli, liouli, liouli,
Pose-les sur tes hanches !
PREMIER ACTE SCÈNE 2
PAULINE
Tes jolies petites jambes,
Ne les ménage pas, amuse-toi !
PAULINE & LES AMIES
Aïe, liouli, liouli, liouli,
Ne les ménage pas, amuse-toi !
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56
POLYA
Koli sprosit mamenka,
“Vesela!” Gavari!
POLYA I DEVOUCHKI
Aï, liouli, liouli, liouli,
“Vesela!” Gavari!
POLYA
Ak otvetou tyatenka,
Mol: “Pila do zari!”
POLYA I DEVOUCHKI
Aï, liouli, liouli, liouli,
Mol: “Pila do zari”
TCHAÏKOVSKI LA DAME DE PIQUE
POLYA
Korit stanet molodets:
“Podi, proch, oukhodi!”
POLYA I DEVOUCHKI
Aï, liouli, liouli, liouli,
“Podi, proch, oukhodi!”
N o 9. Scène & arioso de la Gouvernante
MATOUCHKA
Mesdemoiselles, chto zdes ou vas za choum?
Grafinya serditsya... aï, aï, aï!
Niè stydno I vam plyasat porousski?
Fi, quel genre, mesdames !
Barychnyam vachevo krouga
Nado prilichiya znat!
Doljno vam bylo droug drougou

PAULINE
Si ta maman t’interroge
Réponds-lui que tout va bien !
PAULINE & LES AMIES
Aïe, liouli, liouli, liouli,
Réponds-lui que tout va bien !
PAULINE
Mais si papa t’interroge,
Dis : « J’ai chanté toute la nuit ! »
PAULINE & LES AMIES
Aïe, liouli, liouli, liouli,
Dis : « J’ai chanté toute la nuit ! »
PAULINE
Et si ton ami t’embête :
Dis : « Allez, va-t-en, disparais ! »
PAULINE & LES AMIES
Aïe, liouli, liouli, liouli,
« Allez, va-t-en, disparais ! »
Entre la Gouvernante.
PREMIER ACTE SCÈNE 2
N o 9. Scène & arioso de la Gouvernante
LA GOUVERNANTE
Mesdemoiselles, que signifie ce vacarme ?
La comtesse est en colère... Aïe, aïe, aïe !
Vous n’avez pas honte de danser à la russe ?
Fi, quel genre, mesdames !
Des jeunes femmes de votre rang
Doivent connaître les usages !
Vous devriez, les unes aux autres,
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58
TCHAÏKOVSKI LA DAME DE PIQUE
Pravila svieta vnouchat!
V diévitchikh tolko biesitsya mojno,
Nié zdies, mes mignonnes!
Razvié niélzya vesiélitsya
Niè zabyvaya bon ton ?
Vam nié pristalo biésitsya,
Plyaska ne diélo knyajyon.
Doljno vam bylo boroug drougou
Istinou ty povtoryat, chto barychnyam vachevo krouga
Nado prilichiya znat, pravila sviéta ouvajat!
N o 10. Scène finale
LA GOUVERNANTE
Pora ouj raskhoditsya,
Vas pozvat prochchatsya miénya poslali...
POLYA
Lise, chto ty skouchnaya takaya?
LISA
Ya skouchnaya? Niskalka!
Vzglyani kakaya notch, kak posle bouri strachnoï
Vsyo obnovilos vdroug!
POLYA
Smotri, ya na tiébia pojalouiousya knyaziou,
Skajouiémou, chto v dièn pomolvki ty groustila...
LISA
Niet, radi boga, ne gavari!
POLYA
Tagda izvol seïtchas je oulybnoutsya.
Vot tak! Tièpèr, prachaï!

PREMIER ACTE SCÈNE 2
Vous apprendre l’étiquette !
Les sarabandes n’ont cours que chez les servantes
Pas ici, mes mignonnes !
Ne peut-on pas se distraire
Sans oublier le bon ton ?
Vous devriez vous maîtriser,
La danse paysanne ne va pas aux princesses.
Vous devriez vous redire cette vérité
Que les jeunes filles de votre rang doivent connaître
La bienséance et les règles du savoir-vivre !
N o 10. Scène finale
LA GOUVERNANTE
Il est temps de vous séparer,
On m’a envoyée pour que vous fassiez vos adieux...
PAULINE
Lisa, pourquoi es-tu si triste ?
LISA
Moi triste ? Pas du tout !
Regarde, en cette nuit, après ce terrible orage,
Tout revit, tout est neuf !
PAULINE
Attention, je dirai au prince que je t’ai vue,
Au jour de tes fiançailles, profondément triste...
LISA
Non, au nom du ciel, ne lui dis rien !
PAULINE
Alors, s’il te plaît, tout de suite, fais un sourire.
Voilà, comme ça ! Maintenant, adieu !
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LISA
Ya pravajou tiébia!
Ne nada zarvarit, astav!
MACHA
Ne prostoudilis by, barychnya!
LISA
Niet, Macha, notch tak tepla, tak khorocha!
MACHA
Prikajete pomoch razdièstsya!
LISA
Niet, ya sama. Stoupaï ty spat!
MACHA
Ouj pozdno, barychnya...
LISA
Ostav mienya, stoupaï!
TCHAÏKOVSKI LA DAME DE PIQUE
At kouda èti slyyozy, zachem oné?
Moï devichi gryozy, vy izmenili mnié,
Moï devichi gryozy, vy izmenili mnié!
Vot kak vy opravdalis nayavou!
Ya jizn svoïou vroutchila nyne knyaziou,
Izbrannikou po serdtsou, souchchestvou,
Oumom, krasoïou, znatnostiou, bogatstvom,
Dostoïnomou podrougi, ne takoï, kak ya.
Kto znaten, kto krasiv, kto staten kak on?
Nikto! I chto je? Ya toskoï i strakhom vsya polna,
Drojou i platchou!

PREMIER ACTE SCÈNE 2
LISA
Je te raccompagne !
(Elle sort avec Pauline puis revient.)
(S’adressant à sa femme de chambre :)
Ne ferme pas, laisse ouvert !
MACHA
Ne prenez pas froid, mademoiselle !
LISA
Non, Macha, la nuit est si douce, si belle !
MACHA
Dois-je vous aider à vous défaire ?
LISA
Non, je le ferai seule. Va te coucher !
MACHA
Il est tard, mademoiselle...
LISA
Laisse-moi, va !
(Elle reste seule, perdue dans ses pensées ;
elle pleure silencieusement.)
D’où viennent ces pleurs, pourquoi ?
Rêves de jeune fille, vous m’avez trahie,
Rêves de jeune fille, vous m’avez trahie !
Vous êtes donc ainsi, en réalité !
À présent, j’ai donné ma vie au prince,
Que j’ai élu à cause de son cœur, de son être, de son âme,
De sa beauté, de sa fortune, de son rang,
Qui mériteraient une autre compagne que moi.
Qui est plus noble, plus beau, plus élégant que lui ?
Personne ! Pourquoi ? Je suis emplie de tristesse et de peur,
Je tremble et je pleure.
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At kouda èti slyyozy, zachem oné?
Moï devichi gryozy, vy izmenili mnè,
Moï devichi gryozy, vy izmenili mnè! Vy izmenili mnè!
I tyajelo i strachno! No k chemou obmanyvat sebya?
Ya zdes odna, vokroug vsyo tikho spit...
O slouchai, notch!
Tebe odnoï mogou poverit taïnou
Douchi moyei! Ona mratchna, kak ty,
Ona kak vzor ochei pechalny, pokoï
I chastye ou mienya otnyavchikh...
Tsaritsa notch! Kak ty, krasavitsa, kak angel patchin,
Prekrasen on, v yevo glazakh ogon palachey strasti,
Kak choudny son mienya manit,
I vsya doucha va vlasti yevo! O notch! O notch!
GUERMANN
Ostanovites, oumalyaiou vas!
LISA
Zatchem vy zdes, bezoumny tchelovek?
Chto nado vam?
GUERMANN
Prostisya! Ne oukhodite je! Ostantes!
Ya sam ouidou seytchas i boleye siouda ne vazvrachous...
Odnou minoutou!... Chto vam stoït?
K vam oumiraiouchi vzyvaet.
LISA
Zatchem, zatchem vy zdyes? Ouidite!
GUERMANN
Niet!
TCHAÏKOVSKI LA DAME DE PIQUE

D’où viennent ces larmes, pourquoi ?
Rêves de jeune fille, vous m’avez trahie,
Rêves de jeune fille, vous m’avez trahie ! Trahie !
Je suis oppressée, j’ai peur ! Pour me mentir à moi-même ?
Je suis seule ici, tout dort autour de moi...
Ô écoute, nuit !
À toi seule je puis confier le secret
De mon âme ! Il est aussi obscur que toi,
Que ces yeux tristes qui ont volé
Mon bonheur et mon repos...
Nuit souveraine ! Comme toi, comme un ange déchu,
Il est beau, la flamme brûlante de ses yeux m’attire
Comme un rêve merveilleux,
Et toute mon âme est à lui ! Ô nuit ! Ô nuit !
Hermann apparaît à la fenêtre du balcon.
Effrayée, Lisa recule et a un mouvement de fuite.
HERMANN
Restez, je vous en conjure !
LISA
Que faites-vous là, insensé ?
Que voulez-vous ?
HERMANN
Vous dire adieu ! Ne partez pas ! Restez !
Je vais partir tout de suite et ne reviendrai plus...
Juste une minute !... Que vous en coûte-t-il ?
C’est un mourant qui vous supplie.
LISA
Pourquoi, pourquoi êtes-vous ici ? Partez !
HERMANN
Non !
PREMIER ACTE SCÈNE 2
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64
LISA
Ya zakritchou!
GUERMANN
Krichite! Zovite vsekh!
Ya vsyo ravno oumrou,
Adin il pri drougikh.
No yesli yest, krasavitsa,
V tebye khot iskra sostradnya,
To postoï, ne oukhodi!
LISA
O Boje, Boje!
GUERMANN
Ved eto moï posledny, smertny tchas!
Svoï prigovor ouznal sevodnya ya.
Drougomou ty, jestokaya, svoyo vroutchaech serdtse!
Dai oumeret, tiébia blagoslovlyaya, a ne klyanya!
Mogpou li den prajit,
Kagda tchoujaya ty dlya mienya!
Ya jil toboï; odno lich chouvstvo
I mysl oupornaya odna vladeli mnoï!
Pogouibnou ya, no pérèd tem, kak jil jizniyou prostitsya,
Dai mnè khot mik odin pobyt s toboïou
Vdvoyom sred tchoudnoï tichiny notchnoï,
Krasoï tvoyei dai mnè oupitsya!
Potom poust smert i s nei pokoï!
Stoï tak! O, kak ty khorocha!
LISA
Ouïdite! Ouïdite!
TCHAÏKOVSKI LA DAME DE PIQUE
GUERMANN
Krasavitsa! Bogouinya! Anguel!
Prosti, nebesnayé sozdanyé,

LISA
Je vais crier !
HERMANN
Eh bien criez ! Réveillez tout le monde !
De toute façon, je mourrai
Seul ou devant tous.
Mais, belle, s’il y a en toi
La moindre étincelle de pitié,
Alors reste, ne pars pas !
LISA
Ô Dieu, Dieu !
HERMANN
Voici ma dernière heure, l’heure de ma mort !
J’ai appris le verdict aujourd’hui.
Cruelle, tu as donné ton cœur à un autre !
Laisse-moi mourir en te bénissant, non en te maudissant !
Comment pourrais-je vivre
En te sachant à un autre que moi !
Je ne vivais que pour toi ; un seul sentiment,
Une seule pensée me possédaient !
Je vais mourir, mais avant que je dise adieu à la vie,
Laisse-moi, même un seul instant, rester près de toi,
Nous deux, dans le silence magique de la nuit,
Laisse-moi m’enivrer de ta beauté !
Après, que viennent la mort et la paix !
Reste ainsi ! Oh, que tu es belle !
LISA
Sortez ! Sortez !
HERMANN
Beauté ! Déesse ! Ange !
Pardon, créature céleste,
PREMIER ACTE SCÈNE 2
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Chto ya narouchil tvoï pokoï, prosti, no strastnovo
Ne otvergaï priznanya, ne otvergaï s toskoï!
O, pojaleï, ya, oumiraya, nesou k tebe moïou molbou:
Vzglyani s vysot nebesnykh raya na smertniou borbou
Douchi, isterzannoï moutchenyem,
Lioubvi k tebe! O sjalsya i doukh moï laskoï,
Sajalenyem slezoï troyei sagrei!
Ty plachech! Ty? Chto znachat ety slyozy?
Ne gosnich i jaleyech? Blagodariou tiébia!
Krasavitsa! Boginya! Anguel!
GRAFIN
Liza, otvori!
TCHAÏKOVSKI LA DAME DE PIQUE
LISA
Grafinya! Bojé pravy! Ya pogouibla!
Bégouité! Pozna! Siouda!...
GRAFIN
Chto ty nié spich? Zachem odiéta?
Cho tout za choum?...
LISA
Ya, babouchka, po komnate khodila...
Mnè ne spitsya...
GRAFIN
Zachem balkon otkryt?
Chto eto za fantazii takyé?
Smotri ty! Nié douri!
Seïtchas lagitsya! Slychich?...

D’avoir troublé ton repos, pardon, mais mon aveu ardent
Ne le repousse pas avec irritation !
Ô, aie pitié, en mourant, je t’apporte ma prière :
Du haut du ciel, jette un regard sur la lutte terrible
De mon âme torturée
Par son amour pour toi ! Ô aie pitié et réchauffe mon âme,
Une larme de toi me réchauffera !
(Lisa pleure.) Tu pleures ! Toi ? Que signifient ces larmes ?
Tu ne me repousses pas et tu as pitié ? Merci à toi !
Beauté ! Déesse ! Ange !
On entend un bruit de pas, on frappe à la porte.
LA COMTESSE
Lisa, ouvre !
PREMIER ACTE SCÈNE 2
LISA
La Comtesse ! Dieu juste ! Je suis perdue !
Fuyez ! Trop tard ! Par ici !...
Elle lui indique un panneau de tapisserie.
Puis elle va ouvrir la porte.
LA COMTESSE
Pourquoi ne dors-tu pas ? Encore habillée ?
Pourquoi ce désordre ?...
LISA
Grand-mère, je marchais dans la chambre...
Je n’ai pas sommeil...
LA COMTESSE
Pourquoi le balcon est-il ouvert ?
Pourquoi ces fantaisies ?
Prends garde ! Pas de bêtises ! Au lit tout de suite !
(Frappant le sol avec sa canne)Tu entends ?...
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LISA
Ya, babouchka, seïtchas!
GRAFIN
Nié spitsya!... Slykhano li eta?
Nou vriémiéna! Ne spitsya!... Seïtchas lojis!
LISA
Ya slouchaious! Prostite!
GRAFIN
A ya to slychou choum.
Ty babouchkou trièvojich!
Idyomtié! I glouposteï ne smieï tout zatiévat!
GUERMANN
“Kto strastno lioubia pridyot,
Chtob navierna ouznat ot tiébia
Tri karty, tri karty, tri karty!”
Mogouilnym kholodom poveyalo vokroug!
O strachny prizrak, smert, ya ne khachou tiébia!
O pochchadi mienya! Smert neskolko minout tomou nazad
Kazalas mnè spasénèm, pachti chto chastem!
Teper ne to, ana strachna mnè, ana strachna mnè!
Ty mnè zariou raskryla chastya,
Ya jit khachou i oumeret s toboï!
LISA
Bezoumny chelovek, chto vy khtite ot mienya,
Chto sdelat ya mogou?
GUERMANN
Rechit moïou soudbou!
TCHAÏKOVSKI LA DAME DE PIQUE

LISA
Oui grand-mère, tout de suite !
LA COMTESSE
Je n’ai pas sommeil ! A-t-on jamais vu ça ?
Quelle époque !... Je n’ai pas sommeil !... Au lit tout de suite !
LISA
Je vous obéis ! Pardonnez-moi !
LA COMTESSE
J’entends du bruit.
Tu déranges ta grand-mère !
Allons ! Et ne fais pas de bêtises !
(Elle sort.)
HERMANN
« Qui, brûlant d’un amour passionné,
T’arrachera de force le secret des
Trois cartes, trois cartes, trois cartes ! »
Un frisson de tombeau a glacé l’air !
Ô terrible spectre, mort, je ne veux pas de toi !
(Lisa fait signe à Hermann de repartir par le balcon.)
Ô épargne-moi ! La mort, il y a quelques minutes,
Me semblait le salut, presque le bonheur !
Plus maintenant, elle me fait peur, elle me fait peur !
Tu m’as ouvert l’aube du bonheur,
Je veux vivre et mourir avec toi !
LISA
Homme insensé, que voulez-vous de moi,
Que puis-je faire ?
HERMANN
Décider de mon sort !
PREMIER ACTE SCÈNE 2
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LISA
Sjaltes, vy goubite mienya!
Ouidité, ya prochou vas, ya veliou vam!
GUERMANN
Tak, znachit, smerty prigovor ty proïznosich?
LISA
O Bojé! Ya slabeyou... Oukhodi, prochou!
GUERMANN
Skaji tagda: oumri!
LISA
Bojé pravy!
GUERMANN
Prochaï!
LISA
Niet, Zhivi!
GUERMANN
Krasavitsa! Bogouinya! Anguel!
GUERMANN
Tebya
Lioubliou!
LISA,
Ya tvaya!
TCHAÏKOVSKI LA DAME DE PIQUE

LISA
Pitié, vous m’égarez !
Sortez, je vous le demande, je vous l’ordonne !
HERMANN
Ainsi, tu me condamnes à mort ?
LISA
Ô Dieu ! Je flanche... Pars, je t’en prie !
HERMANN
Alors, dis-le : je mourrai !
LISA
Dieu juste !
HERMANN
Adieu !
LISA
Non, vis !
HERMANN
Beauté ! Déesse ! Ange !
HERMANN
Je t’
Aime !
LISA,
Je suis à toi !
PREMIER ACTE SCÈNE 2
Hermann prend Lisa dans ses bras, elle pose sa tête
sur son épaule.
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VTOROYE DEYSTVIYE
KARTINA PERVAYA
N o 11. Entracte & chœur
PEVCHIJE
Radosno, veselo v den sei vmeste sbiraitesya drougi!
Radosno, veselo v den sei vmeste sbiraitesya drougi!
Broste svoï nedosougi,skachite, plyachite smeleï!
Skachite, plyachite smeleï...
Beite v ladochi roukami, beite v ladochi roukami,
Cholkaïte gromko perstami, cholkaïte gromko perstami!
Chornyi glaza povodite, stanom vy vsye gavarite!
Stanom vy vsye gavarite!
Fertikom rouiki vy v boki, fertikom rouiki vy v boki,
Delaïte lyokïe skoki, delaïte lyokïe skoki!
Chobot o chobot stouchite, chobot o chobot stouchite,
S nastoupiou smeloï svichite!
Khozayin s souprougoï svoei, khozayin s souprougoï svoei,
Privetstvouet dobrykh gostei!
N o 12. Scène & air du prince.

DEUXIÈME ACTE
SCÈNE 1
Bal masqué dans le palais d’un haut personnage
de Saint-Pétersbourg.
N o 11. Entracte & choeur
LE CHŒUR
Ami, en ce jour de joie, unissez-vous avec joie et bonheur !
Ami, en ce jour de joie, unissez-vous avec joie et bonheur !
Oubliez vos soucis, sautez et dansez avec ardeur !
Sautez et dansez avec ardeur...
Frappez dans vos mains, frappez dans vos mains,
Claquez des doigts, claquez des doigts !
Lancez de noires œillades, laissez parler vos corps !
Laissez parler vos corps !
Les mains sur les hanches, les mains sur les hanches,
Sautez avec élégance, sautez avec élégance !
Frappez botte contre botte, frappez botte contre botte !
Et claquez du talon !
Le maître de maison et son épouse,
Souhaitent la bienvenue à leurs invités !
N o 12. Scène & air du prince.
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SLOUGE
Khozyain prosit dorogikh gostei pojalovat
Smotret na blesk ouveselitelnykh ognïei.
TCHEKALINSKI
Nach Guermann snova nos povesil,
Rouchaïous vam chto on vlioublyon;
To mrachen byl, potom stal vesyel.
SOURINE
Niet, gospoda, on ouvletchyon,
Kak doumietié, chem? Chem?
Nadejdoï ouznat tri karty.
TCHEKALINSKI
Vot choudak!
TOMSKI
Nié vièriou, nado byt niéviéjdoï dlya etovo!
On ne dourak!
SOURINE
On sam mniè gavaril.
TOMSKI
Smeyas!
TCHAÏKOVSKI LA DAME DE PIQUE
TCHEKALINSKI
Davaï, poïdyom yevo draznit!
TOMSKI
A vprochem on iz tekh, kto, raz zadoumav,
Doljen vsyo svechit! Bednyaga! Bednyaga!

LE MAJORDOME
Le maître de maison prie ses aimables hôtes
De venir regarder les feux d’artifice.
TCHEKALINSKI
Notre Hermann est encore bizarre,
Je vous garantis qu’il est amoureux ;
Tantôt il est triste, puis il devient gai.
SOURINE
Non, messieurs, il est obsédé,
Et savez-vous par quoi ? Par quoi ?
L’espoir de découvrir les trois cartes.
TCHEKALINSKI
Quel fou !
TOMSKI
Je ne le crois pas, il faudrait être naïf pour cela !
Et il n’est pas sot !
SOURINE
Il me l’a dit lui-même.
TOMSKI
Pour rire !
TCHEKALINSKI (à Sourine)
Viens, allons le taquiner !
DEUXIÈME ACTE SCÈNE 1
TOMSKI
Au fond, il est de ceux qui ne peuvent qu’aller au bout
De leur idée ! Pauvre garçon ! Pauvre garçon !
Ils sortent. La salle se vide, des domestiques la préparent pour
l’intermède de la Bergère sincère. Entrent Eletski et Lisa.
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TCHAÏKOVSKI LA DAME DE PIQUE
ELETSKI
Vy tak piechalny, dorogaya,
Kak boudto gore yest ou vas... Dovertes mnè!
LISA
Niet, posle, knyaz, v drougoï raz... oumolyaiou!
ELETSKI
Postoïte na odno mgounavenye!
Ya doljen, doljen vam skazat!
Ya vas lioubliou, lioubliou bezmerno,
Bez vas ne mysliou dnya projit,
Ya podvik sily bezprimernoï
Gotov seïchas dlya vas sverchit,
No znaite: serdtsa vachevo svobodou
Nitchem ya ne khochou stesnyat,
Gotov skryvatsa vam v ougodou
I pyl revnivykh chouvstv ounyat,
Na vsyo dlya vas gotov ya!
Ne tolko lioubyachim souprougom,
Slougoï poleznym inogda,
Jelal by ya byt vachim drougom
I outechitelem vsegda.
No yasno vijou, chouvstvouiou teper ya,
Kouda sebya v mechtakh zavlyok,
Kak malo v vas ko mnè doverya,
Kak choujd ya vam i kak dalyok!
Akh, ya terzaious etoï daliou,
Sostrajdou vam ya vsei douchoï,
Pechalious vachei ya pechaliou
I plachou vacheiou slezoï.
Akh, ya terzaious etoï daliou,
Sostrajdou vam ya vsei douchoï!
Ya vas lioubliou, lioubliou bezmerno,
Bez vas ne mysliou dnya projit,

DEUXIÈME ACTE SCÈNE 1
ELETSKI
Comme vous êtes triste, ma chérie,
Comme si vous aviez du souci... Confiez-vous à moi !
LISA
Non, plus tard, une autre fois... Je vous en prie !
ELETSKI
Attendez, un instant seulement !
Je dois, je dois vous dire !
Je vous aime, je vous aime éperdument,
Je ne pourrais vivre un seul jour sans vous,
Pour vous, je pourrais accomplir
Sur l’heure l’exploit le plus grand,
Mais sachez-le : la liberté de votre cœur
Je ne veux en rien lui faire violence,
Je suis prêt à m’effacer pour vous
Et à contraindre l’ardeur de ma jalousie
Pour vous, je suis prêt à tout !
Je veux être non seulement un époux aimant,
Parfois un serviteur utile,
Mais aussi un ami, toujours,
Et votre consolateur.
Mais je vois bien à présent, et je sens
Jusqu’où mes rêves m’ont entraîné,
Comme vous me faites peu confiance,
Comme je suis loin de vous !
Ah, je souffre de cette distance,
Toute mon âme souffre avec vous,
Votre tristesse est la mienne,
Je pleure vos larmes.
Ah, je souffre de cette distance,
Toute mon âme souffre avec vous !
Je vous aime, je vous aime éperdument.
Je ne pourrais vivre un seul jour sans vous,
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Ya nodvik sily bezprimernoï
Gotov seïchas dlya vas sverchit,
O, milaya, dovertes mnè!
N o 13. Scène
GUERMANN
“Posle predstavleniya jdite mienya v zale.
Ya doljna vas videt...”
Skoreye by yeyo ouvidet i brosit etou mysl...
Tri karty!... Tri karty znat i ya bogat!...
I vmeste s neï bejat proch ot lioudeï...
Proklyatye! Eta mysl mienya souma svedyot!
SOURINE
Niet i li tot tretyi,
TCHEKALINSKI
Niet i li tot tretyi,
SOURINE
Kto strastno lioubya,
TCHEKALINSKI
Kto strastno lioubya,
TCHAÏKOVSKI LA DAME DE PIQUE
SOURINE I TCHEKALINSKI
Pridyot, chtob ouznat ot nieïo

Pour vous, je pourrais accomplir
Sur l’heure l’exploit le plus grand,
Ô, ma chérie, fiez-vous à moi !
Ils sortent.
N o 13. Scène
Hermann entre, une lettre à la main.
HERMANN (parlé)
« Attendez-moi au salon après le spectacle.
Il faut que je vous voie... »
(Chanté) Vite, la voir, et abandonner cette idée...
Trois cartes ! Trois cartes et je suis riche !
Et avec elle, je peux fuir le monde...
Malheur ! Cette idée me rend fou !
Sourine et Tchekalinski, masqués,
se glissent derrière lui et lui murmurent :
SOURINE
N’es-tu pas le troisième,
TCHEKALINSKI
N’es-tu pas le troisième,
DEUXIÈME ACTE SCÈNE 1
SOURINE
Qui brûlant d’un amour passionné,
TCHEKALINSKI
Qui brûlant d’un amour passionné,
SOURINE & TCHEKALINSKI
Lui arrachera de force le secret des
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TCHAÏKOVSKI LA DAME DE PIQUE
Tri karty, tri karty, tri karty?
Tri karty, tri karty, tri karty?
PEVCHIJE
Tri karty, tri karty, tri karty?
GUERMANN
Chto eto? Bred, ili nasmechka? Niet!
Chto yesli? Bezoumets, bezoumets ya!...
SLOUGE
Khozyain prosit dorogikh gostei
Proslouchat pastaral pod titlom
“Iskriennost pastouchki”!
N o 14. Intermède “La Bergère sincère”
A. Chœur des bergers et des bergères
PEVTSI
Pod teniiou goustoïou,
Bliz tikhavo routchïa,
Prichli my dnes tolpoïou
Poradovat sèbya,
Popet, poveselitsa
I khorovodi vest,
Prirodoï nasladitsya,
Venki tsvetochny plest!...
B. Danse des bergers et des bergères. Sarabande
C. Duo de Prilepa et Milovzor

DEUXIÈME ACTE SCÈNE 1
Trois cartes, trois cartes, trois cartes ?
Trois cartes, trois cartes, trois cartes ?
CHŒURS
Trois cartes, trois cartes, trois cartes ?
Ils disparaissent dans la foule des invités.
HERMANN
Qu’est-ce ? Hallucination ou moquerie ? Non !
Et si... ? Fou, je suis fou !...
LE MAJORDOME
Le maître de maison prie ses aimables hôtes
D’écouter une pastorale intitulée
“La Bergère sincère” !
N o 14. Intermède “La Bergère sincère”
A. Chœur des bergers et des bergères
BERGERS & BERGÈRES
Dans l’ombre profonde
Au bord de la belle onde,
Nous sommes venus en nombre
Pour nous amuser,
Pour chanter, nous égayer
Danser des rondes,
Jouir de la nature,
Tresser des fleurs en parure !...
B. Danse des bergers et des bergères. Sarabande
C. Duo de Prilepa et Milovzor
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82
PRILEPA
Moï milenki droujok,
Lioubezny pastouchok,
O kom ya vozdykhaiou
I strast otkryt jelaiou,
Akh, nie prichol plyasat,
Akh, nie prichol plyasat.
MILOVZOR
Ya sdyes, no skouchen, tomien
Smotri kak pokhoudal!
Nie boudou bolche skromien,
Ya dolgo strast skryval,
Nie boudou bolche skromien,
Ya dolgo strast skryval,
Nie boudou bolche skromien,
Ya dolgo strast skryval!
PRILEPA
Moï milenki droujok,
Lioubiezny pastouchok
Kak biez tiébia skouchaiou,
Kak po tiébié stradaiou,
Akh, nié mogou skazat, akh nié mogou skazat,
MILOVZOR
Davno tiébia lioubia,
Soskouchil bes tiébia.
A ty tovo nié znaïèch,
I zdiès siebia skryvaïech
Ot vzora moïevo, ot vzora moeïvo,
Nié znaiou....
PRILEPA
Nié znaiou...
TCHAÏKOVSKI LA DAME DE PIQUE

PRILEPA
Mon ami gentil,
Aimable pastoureau,
De qui je me languis,
Je veux lui dire ma passion,
Ah, il n’est pas venu danser,
Ah, il n’est pas venu danser.
MILOVZOR
Je suis là, mais triste, souffrant,
Vois comme j’ai maigri !
Plus de discrétion,
Trop longtemps j’ai caché ma passion,
Plus de discrétion,
Trop longtemps j’ai caché ma passion,
Plus de discrétion,
Trop longtemps j’ai caché ma passion !
PRILEPA
Mon ami gentil,
Aimable pastoureau
Comme je suis triste sans toi,
Comme tu me manques,
Ah, je ne puis le dire, ah, je ne puis le dire,
MILOVZOR
Je t’aime depuis longtemps,
J’ai souffert loin de toi,
Et toi tu ne le sais pas,
Et tu te caches là,
Loin de moi, loin de moi,
Je ne sais pas....
PRILEPA
Je ne sais pas...
DEUXIÈME ACTE SCÈNE 1
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84
PRILEPA I MILOVZOR
Nié znaiou otchevo!
MILOVZOR
Nié znaiou....
PRILEPA
Nié znaiou...
PRILEPA I MILOVZOR
Nié znaiou otchevo!
TCHAÏKOVSKI LA DAME DE PIQUE
ZLATOGOR
Kak ty mila, preskrasna!
Skaji: iz nas kovo
Mienya, ili yevo,
Naviek lioubit soglasna?
MILOVZOR
Ya s serdtsem soglasilsya,
Ya tou lioubit sklonilsya,
Kovo ono viélit,
K komou ono gorit!
ZLATOGOR
Ya gory
Zolotyè i kamni dorogouié
Imeiou ou siebya!
D. Finale
MILOVZOR
Moyo odno imenye:
Lioubvi niélestny jar, niélestny jar!

PRILEPA & MILOVZOR
Je ne sais pas pourquoi !
MILOVZOR
Je ne sais pas...
PRILEPA
Je ne sais pas...
PRILEPA & MILOVZOR
Je ne sais pas pourquoi !
D. Finale
ZLATOGOR
Que tu es douce, ma belle !
Dis : qui de nous deux
Moi ou lui, pourrais-tu
Aimer, tu veux bien ?
MILOVZOR
J’ai promis à mon cœur
D’aimer celle
Qu’il a désignée
Pour qui brûle son ardeur !
ZLATOGOR
Je possède
Des montagnes d’or,
Des pierres précieuses !
MILOVZOR
Je possède un seul bien :
Mon amour ardent !
DEUXIÈME ACTE SCÈNE 1
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TCHAÏKOVSKI LA DAME DE PIQUE
ZLATOGOR
Oukrasit
Obiechaïou y a imi vsiou tiébia,
MILOVZOR
I viétchnaïe vladiénye primi
Yevo
Ty v dar, yevo ty v dar,
I ptichki i tsvetki, I lenty i venki,
ZLATOGOR
Ya tmoïou obladaiou
I zlata i sriébra, i vsyakavo dobra!
MILOVZOR
Na miesto
Ispiéchrienaï odejdy dragotsennoï
Ya stanou prinosit i ikh tiébié darit!
ZLATOGOR
Ya gory zolotyè
I kamni dorogouié
Imeiou, imeiou ou siebya!
MILOVZOR
Na miesto
Ispiéchrienaï odejdy dragotsennoï
Ya stanou prinosit i ikh tiébié darit!
ZLATOGOR
Ya tmoïou obladaiou
I zlata i sriébra, i vsyakavo, vsyakavo dobra!
PRILEPA
Ni votchin mniè nié nado

ZLATOGOR
Je te promets
De te parer de la tête aux pieds,
MILOVZOR
Prends-le pour toujours comme un don
Que
Je t’offre, que je t’offre
Et oiseaux, bouquets, rubans, couronnes,
ZLATOGOR
Je possède en masse
De l’or et de l’argent et toutes les délices !
MILOVZOR
Je te les porterai
Au lieu de riches vêtements ornés de pierres
Et je te les offrirai !
ZLATOGOR
Je possède
Des montagnes d’or
Et de pierres précieuses !
DEUXIÈME ACTE SCÈNE 1
MILOVZOR
Je te les porterai
Au lieu de riches vêtements ornés de pierres
Et je te les offrirai !
ZLATOGOR
Je te promets
De te parer de la tête aux pieds !
PRILEPA
Je n’ai pas besoin de domaines,
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TCHAÏKOVSKI LA DAME DE PIQUE
Ni riedkastnikh kamneï,
Ya s milym sred polyeï
I v khzinié jit rada, I v khzinié jit rada!
Nou, barin, dobryi pout,
A ty spokoïen boud!
Siouda v vouyedinenyenié
Spiechi v voznagrajdenyé
Takikh priïatnykh slov, takikh priïatnykh slov
Priniest boukiet tsvetov!
PRILEPA I MILAVZOR
Prichol koniets mouchenyam,
Lioubovnym voskhichenyam
Nastoupit skoro tchas,
Lioubov, spryagaï ty nas,
Lioubov, spryagaï
Ty nas!
PEVTSI
Prichol
Koniets mouchenyam,
Nevesta i jenikh dostoïny voskhichenya,
Lioubov, spryagaï ty ikh,
Lioubov, spryagaï ty ikh,
Lioubov, spryagaï ty ikh!
Blistaïet sontse krasno,
Zefiry proneslis,
Ty sionotcheï prekrasnym,
Prilepa, veselis!
Prichyol koniets mouchenyam,
Nevesta i jenikh dostoïny voskhichenya,
Lioubov, spryagaï ty ikh,
Lioubov, spryagaï ty ikh!...
N o 15. Scène finale

DEUXIÈME ACTE SCÈNE 1
Ni de pierres précieuses,
Avec mon ami dans une cabane,
Je serais heureuse de vivre !
Allons, seigneur, bonne route
Et toi, sois apaisé !
Viens dans ma solitude
Redire les mots que tu m’as dits,
Paroles si tendres, paroles si tendres,
Apporte-moi un bouquet de fleurs !
PRILEPA & MILOVZOR
Voici la fin de nos tourments,
Des délices de l’amour
Bientôt l’heure sonnera,
Alors l’amour nous unira
Alors l’amour
Nous unira !
BERGERS & BERGÈRES
Voici
La fin des tourments,
Le fiancé et sa promise sont admirables,
Amour, réunis-les,
Amour, réunis-les !
Le beau soleil brille,
Les zéphyrs soufflent,
Avec ce beau jeune homme,
Prilépa, sois heureuse !
Voici la fin des tourments,
Le fiancé et sa promise sont admirables,
Amour, réunis-les,
Amour, réunis-les !...
N o 15. Scène finale
89

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GUERMANN
“Kto pylko i strastno lioubia!”
Chtoj? Razve ne lioubliou ya? Konechno... Da!
SOURINE
Smotri, lioubovnitsa tvoya!
GUERMANN
Opyat... opyat. Mnè strachno!
Tot je golos... Kto eto? Diemon, ili lioudi?
Zachem oni presledouïout mienya?
Proklyatye! O, kak ya jalok i smechon!
LISA
Poslouchay, Guermann!
TCHAÏKOVSKI LA DAME DE PIQUE
GUERMANN
Ty, nakonetsto!
Kak chasliv ya, chto ty prichla!
Lioubliou tiébia! Lioubliou tiébia!
LISA
Ne mesto zdes...
Ne dlya tovo zvala tiébia ya!
Slouchai... Vot kloutchat potaïennoï dveri v sadou...
Tam lestnitsa...
Po nei vzoïdyoch ty v spalniou babouchki...
GUERMANN
Kak? V spalniou k nei?...
LISA
Yeya ne boudet tam... V spalne,

Après l’intermède, les invités reprennent leur conversation.
Hermann se dirige vers l’avant-scène.
HERMANN
« Celui qui, brûlant d’un amour passionné ! »
Et alors ? Ne suis-je pas amoureux ? Bien sûr... Oui !
SOURINE (masqué)
Regarde, ton aimée !
HERMANN
Encore... encore. J’ai peur !
La même voix... Qui est-ce ? Démon ou homme ?
Pourquoi me harcèlent-ils ?
Malédiction ! Oh, que je suis pitoyable et ridicule !
LISA (s’approchant, masquée)
Écoute, Hermann!
DEUXIÈME ACTE SCÈNE 1
HERMANN
Toi, enfin te voilà !
Quel bonheur que tu sois venue !
Je t’aime ! Je t’aime !
LISA
Ce n’est pas le lieu...
Pas pour ça que je t’ai demandé de venir !
Écoute... Voici la clef d’une porte secrète du jardin...
Il y a un escalier...
Il te mènera à la chambre de grand-mère...
HERMANN
Comment ? À sa chambre ?...
LISA
Elle n’y sera pas... Dans la chambre,
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Bliz portreta yest dver ko mnè...
Ya boudou jdat! Tebe, tebe kochou prinadlejat ya... odnomou!
Nam nado vsyo rechit! Da zavtra, moï miliy, jelanniy!
GUERMANN
Niet, nié zavtra, niet, siévodnya boudou tam!
LISA
No, miliy...
GUERMANN
Ya khochou!
TCHAÏKOVSKI LA DAME DE PIQUE
LISA
Poust tak i boudiet! Ved ya tvoya raba! Prosti...
GUERMANN
Teper nié ya, sama soubda tak khochiet,
I ya boudou znat tri karty!
SLOUGE
Yeyo s velichestvo seïchas pojalovat izvolit...
GOSTI
Tsaritsa! Yeya velichestvo! Sama priboudiet!
Khozyainou kakaya chest,
Kakoïe chastye na nachou matouchkou vzglyanout!
Posol Frantsouzsky boudet s nei!
Oun vychyol nastoyachchy prazdnik!
Prints Proussky! Svetleichy toje boudet!
SLOUGE
Vy “Slavsya sim” seïchas je granyé!

Près de son portrait, une porte mène à ma chambre.
Je t’attendrai ! À toi, à toi j’appartiendrai... À toi seul !
Nous devons tout prévoir ! À demain, mon amour, mon aimé !
HERMANN
Non, pas demain non, j’y serai cette nuit !
LISA
Mais, mon amour...
HERMANN
Je le veux !
DEUXIÈME ACTE SCÈNE 1
LISA
Qu’il en soit ainsi ! Je suis ton esclave ! Pardonne-moi...
(Elle sort.)
HERMANN
À présent, ce n’est plus moi mais le destin qui décide,
Et je connaîtrai les trois cartes !
(Il sort en courant.)
LE MAJORDOME
Sa majesté vient nous honorer de sa visite...
LES INVITÉS
La tsarine ! Sa majesté ! Ici en personne !
Quel honneur pour le maître de maison,
Quel bonheur de voir notre petite mère !
L’ambassadeur de France l’accompagne !
Sa splendeur daigne apparaître !
Le prince de Prusse ! Quelle joie, quelle fête !
LE MAJORDOME
Entonnez tout de suite le “Gloire à toi” !
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TCHAÏKOVSKI LA DAME DE PIQUE
GOSTI
Granyé Slavsya sim!
Idyot, seïchas idyot, idyot, idyot,
Vot tak, praznikt...
Matouchka nacha.
Slavsya sim Iekaterina,
Slavsya nejanaïa k nam mat!...
Vivat! Vivat! Vivat!
KARTINA VTORAYA
N o 16. Scène & chœur
GUERMANN
Vsyo tak, kak mnè ona skazala...
Chto je? Boïous ya, chto li? Niet!
Tak, recheno,ya vyvedaiou tainou ou staroukhi!
A yesli tainy niet?
I eto vsyo poustoï lich bred moyei bolnoï douchi?
A, vot ona, “Veneroïou Moskovskoï”!
Kakoïto tainoï siloï ya sneïou svyazan rokom.
Mnèl ot tiébia, tebe li ot mienya notchoustvouïou,
Chto odnomou iz nas pogibnout ot drougovo!
Glyajou ya na tiébia i nenavijou,
A nasmotretsya vdovol ne mogou!
Bejat khatel by protch, no netou sily...
Pytlivy vzor ne mojet otorvatsa
Ot strachnavo i choudnavo litsa!
Niet, nam ne razoïtis bez vstrechi rokovoï!
Chagoui! Siouda idout... Da! Akh, boud chto boudet!

DEUXIÈME ACTE SCÈNE 2
LES INVITÉS
Entonnez le “Gloire à toi” !
La voilà, elle arrive, la voilà, la voilà
Elle arrive,
Notre petite mère
Gloire à toi, Catherine,
Gloire à toi, notre tendre mère !...
Vivat ! Vivat ! Vivat !
Les hommes s’inclinent, les dames font la révérence.
Les pages entrent, précédant Catherine de Russie et sa suite.
SCÈNE 2
N o 16. Scène & chœur
La chambre de la Comtesse. C’est la nuit.
Hermann entre par une porte dérobée et examine la pièce.
HERMANN
C’est comme elle me l’a dit...
Alors ? Aurais-je peur ? Non !
C’est décidé, j’arracherai son secret à la vieille !
Et s’il n’y a pas de secret ?
Si c’était le délire de mon âme malade ?
(Il regarde le portrait de la comtesse.)
Ah, la voilà, la Vénus moscovite !
Une force mystérieuse rive son sort au mien.
Moi par toi, ou toi par moi,
Je sens que l’un de nous doit mourir par l’autre !
Je te regarde et je te hais,
Et pourtant je ne me lasse pas de te regarder !
J’aimerais fuir, mais je n’ai pas la force...
Mes yeux ne peuvent quitter ton visage terrible et fascinant !
Non, nous n’échapperons pas au rendez-vous fatal !
Des pas ! On approche... Oui ! Ah, advienne que pourra !
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PEVCHIJE
Blagodetelnitsa nacha, kak izvolili goulyat?
Svet nach, baryniouchka khochet verno pochivat!
Outomilis tchaï? Outomilis tchaï?
Nou i chto je, nou i chto je byl kto loutché tam soboï?
Byli mojet by moloje,
No krasivei ni odnoï!...
LISA
Niet, Macha! Neïdi za mnoï!
MACHA
Chto s vami, barychnya, vy bledny!
LISA
Niet, nichevo...
TCHAÏKOVSKI LA DAME DE PIQUE
MACHA
Akh, Bojé moï! Ne oujeli?
LISA
Da! On pridyot... Molchi! On mojet byt ouj tam i jdyot...
Postieregoui nas, Macha!
Boud mnè drougom!
MACHA
Akh, kak by nié dostalos nam!

Hermann se cache derrière un rideau.
La Comtesse entre avec ses femmes de chambre
et dames de compagnie.
LE CHŒUR
Notre bienfaitrice est-elle heureuse de sa soirée ?
Notre maîtresse veut sans doute se reposer !
Est-elle fatiguée ? Est-elle fatiguée ?
Qui, qui donc était plus élégante qu’elle, là-bas ?
Peut-être y en avait-il de plus jeunes,
Mais pas de plus belles !...
Les femmes emmènent la Comtesse dans un boudoir attenant.
Entrent Lisa et Macha.
LISA
Non, Macha ! Ne m’accompagne pas !
MACHA
Qu’avez-vous, mademoiselle, vous êtes pâle !
LISA
Non, rien...
MACHA
Ah, mon Dieu ! Vraiment rien ?
LISA
Oui ! Il viendra... Silence !
Il est peut-être déjà là et attend...
Reste en sentinelle, Macha ! En amie !
MACHA
Ah, si on nous surprend !
DEUXIÈME ACTE SCÈNE 2
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TCHAÏKOVSKI LA DAME DE PIQUE
LISA
On tak vielel. Moïm souprougom yevo izbrala ya...
I raboï poslouchnoï, viernoï stala tavo,
Kto poslan mnè soudboï!
PEVCHIJE
Blagodetelnitsa nacha svet nach barynouchka
Outomilasya tchaï khotcher verno pochivat!
Blagodestelnitsa, lag v postelkou,
Zavtra boudech snova krache outrenneï zari!...
Odohni! Odohni! Odohni! Odohni! Odo...
GRAFIN
Polno vrat vam!... Nadoyeli!...
Ya oustala... Mochi niet...
Ne khochou ya spat v postieli!
Akh, postyl mnè etot sviet!
Nou, vriemiana!
Poviesielitsa tolkom nie oumieïout.
Chto za maniery! Chto za ton!
I niè glyadiela by. Ni tantsevat ni piet nie znaïout!
Kto tantsorki? Kto payot? Dievchonki!
A, byvalo: kto tantseval, kto pièl?
Le duc d’ Orléans, le duc d’ Ayen, duc de Coigny...
La comtesse d’ Estrades, la Duchesse de Brancas...
Kakiyé imiéna!... I daje, inogda, sama,
Sama Markiza Pompadour!... Pri nikh ya i piévala...
Le duc de Vallièreskhvalil mienya!
Raz, pomniou, v Chantilly, ou Prince de Condé
Karol mienya slykhal!
Ya kak tiepier vsyo vijou...
Je crains de lui parler la nuit,
J’écoute trop tout ce qu’il dit,

DEUXIÈME ACTE SCÈNE 2
LISA
Il l’a voulu ainsi ! Je l’ai choisi pour époux...
Et je suis l’esclave fidèle de celui que le destin m’a envoyé !
Rentrent la Comtesse et sa suite.
LE CHŒUR
Notre bienfaitrice, notre lumière, notre maîtresse
Est fatiguée, elle veut se reposer !
Notre bienfaitrice, allonge-toi.
Demain, tu seras plus belle que l’aurore !...
Repose ! Repose ! Repose ! Repose ! Re...
LA COMTESSE
Assez de flatteries !... Vous m’ennuyez !...
Je suis lasse... Plus de forces...
Je ne veux pas dormir dans le lit !
(On l’installe dans un fauteuil.)
Ah, ce monde m’est détestable !
Quelle époque !
On ne sait même plus s’amuser.
Quelles manières ! Quelle tenue !
Cela me dégoûte. On ne sait plus danser ni chanter !
Qui sont ces danseuses ? Ces chanteuses ? Des gamines !
Autrefois, qui dansait, qui chantait ?
Le duc d’Orléans, le duc d’Ayen, duc de Coigny...
La comtesse d’Estrades, la duchesse de Brancas...
Quels noms ! Et même, parfois, en personne, elle-même,
La marquise de Pompadour !... J’ai chanté devant eux...
Le duc de Vallières m’a complimentée !
Un jour, je me rappelle, à Chantilly chez le prince de Condé,
Le roi m’a entendue !
Je m’en souviens comme d’hier...
« Je crains de lui parler la nuit,
J’écoute trop tout ce qu’il dit,
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TCHAÏKOVSKI LA DAME DE PIQUE
Il me dit : je vous aime,
Et je sens malgré moi,
Je sens mon cœur qui bat, qui bat,
Je ne sais pas pourquoi !
Il me dit : je vous aime,
Et je sens malgré moi,
Je sens mon cœur qui bat, qui bat,
Je ne sais pas pourquoi !
Chevo vy tout stoïtié? Von stoupaïte!
Je crains de lui parler la nuit,
J’écoute trop tout ce qu’il dit...
Il me dit : je vous aime,
Et je sens malgré moi,
Je sens mon cœur qui bat, qui bat...
Je ne sais pas pourquoi...
N o 17. Scène finale
GUERMANN
Ne pougaïtes! Radi Boga ne pougaïtes!
Ya ne stanou vam vredit!
Ya prichyol vas oumolyat o milosti odnoï!
Vy mojete sostavit chastye tseloï jizni!
I ono vam nichevo ne boudet stoït!
Vy znayete tri karty...
Dlya kovo vam berech vachou taïnou?
Yesli kogda nibououd znali vy chouvstvo lioubvi,
Yesli vy pomnite pyl i vostorgi iounoï krovi,
Yesli khot raz oulybnoulis vy

DEUXIÈME ACTE SCÈNE 2
Il me dit : je vous aime,
Et je sens malgré moi,
Je sens mon cœur qui bat, qui bat,
Je ne sais pas pourquoi !
Il me dit : je vous aime,
Et je sens malgré moi,
Je sens mon cœur qui bat, qui bat,
Je ne sais pas pourquoi ! »
Que faites-vous plantées là ? Allez-vous en !
(Tout le monde se retire.)
« Je crains de lui parler la nuit,
J’écoute trop tout ce qu’il dit...
Il me dit : je vous aime,
Et je sens malgré moi,
Je sens mon cœur qui bat, qui bat...
Je ne sais pas pourquoi... »
(Elle s’assoupit.)
N o 17. Scène finale
Hermann sort de sa cachette.
La Comtesse le regarde, terrorisée.
HERMANN
Ne craignez rien ! Au nom du ciel, ne craignez rien !
Je ne vous veux pas de mal !
Je suis venu vous implorer de m’accorder une seule grâce !
Vous pouvez faire le bonheur de toute une vie !
Et il ne vous en coûtera rien !
Vous connaissez les trois cartes...
Pour qui gardez-vous votre secret ?
(Il s’agenouille devant elle.)
Si vous avez connu le sentiment de l’amour,
Si vous vous rappelez les passions
Et les joies de votre jeunesse,
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TCHAÏKOVSKI LA DAME DE PIQUE
Na lasko rebyonka, yesli vachei groudi bilos
Kogda niboud serdtse, to ya oumolyaiou vas,
Chouvstvom souprougi, lioubovnitsy, materi,
Vsem, chto svato vam v jizni,
Skajite, skajite, otkroïte mnè vachou taïnou!
Na chto vam ona? Na chto vam ona?
Mojet byt, ona sopryajena s grekhom oujasnym,
S pagouboï blajenstva, s dyavolskim ousloviem?
Podoumaite, vy stary, jit ne dolgo vam,
I ya vach grekh gotov vzyat na sebya!
Atkroïtes mnè! Skajite!...
Staraya vedma! Tak ya je zastavliou tiébia otvechat.
Polnote rebyachitsa!
Khotite li naznachit mnè tri karty?
Da, ili niet? Ona mertva! Sbylos!...
A tainy ne ouznal ya!
Mertva! A tainy ne ouznal ya...
Mertva! Mertva!
LISA
Chto zdes za choum? Ty, ty zdes?
GUERMANN
Molchi! Molchi!
Ona mertva, a tainy ne ouznal ya!...
LISA
Kto mertva? O chom ty gavarich?
GUERMANN
Sbylos! Ona mertva, a tainy ne ouznal ya!...

DEUXIÈME ACTE SCÈNE 2
Si une seule fois vous avez souri à un enfant
Si un cœur a battu en votre sein, alors je vous supplie,
Par vos sentiments d’épouse, d’amante, de mère,
Par tout ce que votre vie a de sacré,
Dites, dites, révélez-moi votre secret !
À quoi vous sert-il ? À quoi vous sert-il ?
Peut-être est-il lié à un terrible péché,
À la damnation, à un pacte avec le diable ?
Pensez-y, vous êtes vieille, votre vie s’achève,
Je suis prêt à prendre votre péché sur moi !
Faites-moi confiance ! Dites-moi !
(La Comtesse se dresse et le fixe d’un air menaçant.)
Vieille sorcière ! Je te forcerai bien à parler.
(Il sort son pistolet, elle lève la main et retombe, morte.)
Assez joué !
Consentez-vous à me nommer les trois cartes ?
Oui ou non ? Elle est morte ! Fini !...
(Il est pétrifié.)
Et je n’ai pas appris son secret !
Morte ! Et je n’ai pas appris son secret...
Morte ! Morte !
LISA (entrant)
Quel est ce bruit ici ? Toi, toi, ici ?
HERMANN
Chut ! Chut !
Elle est morte et je n’ai pas appris son secret !...
LISA
Qui est morte ? De qui parles-tu ?
HERMANN
Fini ! Elle est morte et je n’ai pas appris son secret !...
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104
LISA
Da! Oumerla! O Bojé!
I eto sdelal ty?
GUERMANN
Ya smerti ne khotel yeya,
Ya tolko znat khotel tri karty!...
LISA
Tak vot zachem ty zdes! Ne dlya menya!
Ty znat khotel tri karty!
Ne ya tebe byla noujna, a karty!
O Bojé, Bojé moï!
I ya yevo lioubila, izza nevo pogouibla!
Choudoviche! Oubiitsa! Izverg!
Protch! Protch! Zlodei! Protch!
GUERMANN
Ona mertva!
LISA
Protch!
TCHAÏKOVSKI LA DAME DE PIQUE

LISA
Oui ! Elle est morte ! Ô Dieu !
Et c’est toi qui as fait ça ?
HERMANN
Je ne voulais pas sa mort,
Je voulais seulement connaître les trois cartes !...
LISA
Alors c’est pour ça que tu es là ! Pas pour moi !
Tu voulais connaître les trois cartes !
Tu voulais les cartes, et pas moi !
Ô Dieu, mon Dieu !
Et je l’ai aimé, pour lui je me perdais !
Criminel ! Assassin ! Monstre !
Va-t-en ! Va-t-en ! Canaille ! Va-t-en !
HERMANN
Elle est morte !
LISA
Va-t-en !
DEUXIÈME ACTE SCÈNE 2
Il s’enfuit, laissant Lisa en larmes.
105

106
TRETYE DEYSTVIYE
KARTINA PERVAYA
N o 18. Entracte & scène
GUERMANN
Ya neveriou chtoby ty khotel smert Grafini... Ya izmouchilas
soznaniem moyei viny pred toboï! Ouspokoï mienya!
Sevodnya jdou tiébia na naberejnoï, kogda nas nikto ne
mojet videt tam.Yesli do polounotchi ty ne pridyoch, ya
doljna boudou dopoustit strachnouiou mysl, kotorouiou
goniou or sebya. Prosti, prosti, noya tak stradaiou!...
B e d n y a j ka! V ka kouiou prorpast ya zavlyok yeyo s soboïou!
Akh, yeslib mnè zabitsa i ousnout!
PEVCHIJE
Gospodou moliousya ya,
Chto by vnyal on pechali moyei,
GUERMANN
Vsyo teje doumy,
Vsyo tod je strachny son i mrachinyè kartiny
Pokhoron vstaïout kak by jivyiè predo mnoïou...

TROISIÈME ACTE
SCÈNE 1
N o 18. Entracte & scène
La chambre d’Hermann. C’est la nuit, il vente.
HERMANN (lisant une lettre)
Je ne crois pas que tu ais voulu la mort de la Comtesse...
Je suis torturée par ma faute envers toi ! Rassure-moi ! Je
t’attendrai cette nuit sur le quai à l’heure où personne ne
pourra nous voir. Si tu n’es pas venu à minuit, il me faudra
admettre une réalité horrible que je repousse. Pardon !
Pardon, je souffre tant !...
(Chanté) La pauvre ! Dans quel abîme l’ai-je entraînée !
Ah, si je pouvais dormir et oublier !
LE CHŒUR (en coulisse)
Je t’implore, Seigneur,
Écoute ma détresse,
HERMANN
Toujours les mêmes pensées, mêmes rêves, mêmes scènes
Devant moi, comme vivants... Des funérailles...
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108
PEVCHIJE
Ibo
Zla ispolnilas doucha maya
GUERMANN
Chto eto? Penye, ili vetra voï?
Né razberou...
Sovsem kak tam da, da,
Poïout! A vot i tserkov, i tolpa,
I svechi, i kadila, i rydanya...
Vot katafalk, vot grob...
I v grobe tom staroukha bez dvijenya,
Bez dykhanya... Kakoïto siloïou vlekom,
Vkhojou ya po stoupenyam chornym!
Strachno, no sily niet nazad vernoustsa!...
PEVCHIJE
I strachous ya plenenya adova.
O vozzri, Bojé, na stradaniya
Ty raba svoyevo!
GUERMANN
Na myortvoïe litso smotriou...
I vdroug, nasmechlivo prichourivchis
Ono mignoula mnè! Protch,
Strachnoïe videnye! Protch!
PEVCHIJE
Dajd jizn yei
Bezkonechnouïou!
TCHAÏKOVSKI LA DAME DE PIQUE
N o 19. Scène

LE CHŒUR
Car
Mon âme a sombré dans le mal
HERMANN
Qu’est-ce ? Des chants ou le vent ?
Je ne sais pas...
Comme si ça venait de là, oui, oui,
On chante ! Et voilà l’église, et la foule,
Les cierges, l’encens, et les pleurs...
Voici le cercueil, voici la tombe...
Et dans la tombe, la vieille ne bouge plus,
Ne respire plus... Poussé par une force mystérieuse,
Je monte les sombres marches !
J’ai peur, je ne peux revenir en arrière !...
LE CHŒUR
Et j’ai peur des tourments de l’enfer.
Ô Seigneur, vois les souffrances
De ton serviteur !
HERMANN
Je regarde le visage de la morte...
Et soudain, avec un éclat ironique
Elle me fait un clin d’œil !
Vision terrifiante ! Va-t-en !
LE CHŒUR
Et donne-lui la vie
Éternelle !
TROISIÈME ACTE SCÈNE 1
N o 19. Scène
Des coups sont frappés à la fenêtre,
qu’une rafale de vent ouvre. On voit une ombre.
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TCHAÏKOVSKI LA DAME DE PIQUE
GUERMANN
Mnè strachno! Strachno!
Tam... tam... chagoui...
Vot otvoraïout dver... niet, niet, ya ne vyderjou!
GRAFIN
Ya prichla k tiébié protiv voli,
No mniè vieliéno ispolnit tvoïou prosbou.
Spassi Lizou, jenis na nieï,
I tri karty, tri karty, tri karty vyigraïout sryadou.
Zapomni! Troïka! Semyorka! Touz!
Troïka, semyorka, touz!
GUERMANN
Troïka... semyorka... touz...
Troïka... semyorka... touz...
KARTINA VTORAYA
N o 20. Scène & arioso de Lisa.
LISA
Ouch polnotch blizitsa,
A Guermann vsyo niet, vsyo niet.
Ya snaïou, on pridyot, rasseyet podozrenye.
On jertva slouchaya I prestouplenya ne mojet,
Ne mojet soverchit!
Akh! Istomilas, istradalas ya!
Akh! Istomilas ya gorem... notchiou li dnyom,

HERMANN
J’ai peur ! Peur !
Là... Là... Des pas...
On ouvre la porte... non, non, je ne peux supporter !
Il court vers la porte.
Le spectre de la Comtesse lui barre le chemin.
LA COMTESSE
Je suis venue à toi contre ma volonté,
Mais on m’a ordonné de répondre à ta demande.
Sauve Lisa, épouse-la,
Et les trois cartes, trois cartes, trois cartes gagneront.
Rappelle-toi ! Le trois ! Le sept ! L’as !
Le trois ! Le sept ! L’as !
(Elle disparaît.)
HERMANN
Le trois... le sept... l’as...
Le trois... le sept... l’as...
TROISIÈME ACTE SCÈNE 2
SCÈNE 2
N o 20. Scène & arioso de Lisa.
Le quai du Canal d’hiver.
LISA
Il est bientôt minuit,
Mais aucun signe d’Hermann, aucun signe.
Je le sais, il viendra, il effacera mes soupçons,
Il est victime du hasard, il ne saurait commettre un crime,
Il ne pourrait pas !
Ah, je suis épuisée de souffrances !
Ah, je suis épuisée de chagrin... nuit et jour,
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112
TCHAÏKOVSKI LA DAME DE PIQUE
Tolko o nyom doumoï sebya isterzala ya...
Gde je ty radost byvalaya?
Akh! Istomilas, oustala ya!
Jizn mnè lich radost soulila,
Toutcha nachla, grom prinesla.
Vsyo, chto ya v mire lioubila,
Chastye, nadejdy razbila!
Akh! Istomilas, oustala ya!
Notchiou li dnyom tolko o nyom,
Akh, doumoï sebya isterzala ya...
Gde je ty radost byvalaya?
Toutcha prichla, i grazou prinesla,
Chastye, nadejdy razbila!
Ya istomilas! Ya istradaïas!
Toska gryzyot mienya i glojet...
N o 21. Scène & duo
A yesli mnè v otver chasy probiout,
Chto on oubyitsa, soblaznitel?
Akh, strachno, strachno mnè!
O, vremya ! Podojdi, on boudet zdes seïchas...
Akh, mily, prikhodi, sjalsya, sjalsya nado mnoï,
Souproug moï, moï povelitel!
Tak eto pravda! So zlodeyem
Svoïou soudbou svyazala ya!
Oubyitse, izvergou, na veki
Prinadlejit doucha maya!...
Yevo prestoupnoïou roukoïou
I jizn i chest maya vzyata,
Ya volei neba rokovoïou
S oubyitsei, s oubytsei, s’oubytsei vmeste proklyata,
S oubyitsei vmeste proklyata,
S oubyitsei vmeste proklyata ya!

TROISIÈME ACTE SCÈNE 2
Je ne pense qu’à lui et je me tourmente...
Où es-tu, ma joie d’autrefois ?
Ah, je suis fatiguée, épuisée !
La vie ne me promettait que du bonheur,
Un nuage noir, un coup de tonnerre,
Ont foudroyé ce que j’aimais,
Le bonheur et l’espérance !
Ah, je suis fatiguée, épuisée !
Nuit et jour, je ne pense qu’à lui
Ah, et je me tourmente...
Où es-tu, ma joie d’autrefois ?
Un nuage noir, un coup de tonnerre,
Ont foudroyé bonheur et espérance !
Ah, je suis fatiguée ! Je suis épuisée !
L’angoisse me ronge...
N o 21. Scène & duo
Et si les coups de minuit me disaient
Que c’est un assassin et un séducteur !
Ah, j’ai peur, peur !
(Une horloge commence à sonner
les douze coups de minuit.)
Ô temps ! Arrête, il va venir tout de suite...
Ah mon aimé, viens, pitié, pitié pour moi,
Mon époux, mon maître !
C’est donc la vérité ! J’ai lié
Mon destin à celui d’un criminel !
Un assassin, un monstre,
C’est à lui qu’appartient mon âme !...
Sa main criminelle
A dérobé ma vie et mon honneur,
Par un fatal arrêt du Ciel,
Avec ce meurtrier, ce meurtrier, je suis maudite,
Maudite avec ce meurtrier,
Je suis maudite avec ce meurtrier !
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114
TCHAÏKOVSKI LA DAME DE PIQUE
Ty zdes, ty zdes, ty ne zlodei! Ty zdes!
Nastal konets mouchenyam
I cnoba stala ya tvoyei!
Protch slyozy, mouki i sommienya!
Ty moï opyat i ya tvoya!
GUERMANN
Da, zdes ya milaya maya!
LISA
O da, minovali stradanya,
Ya snova s toboïou, moï droug!
GUERMANN
Ya snova s toboïou, moï droug!
LISA
Nastalo blajenstvo svidanya!
GUERMANN
Nastalo blajenstvo svidanya!
LISA
Konets nachikh tyagosrnykh mouk!
GUERMANN
Konets nachikh tyagosrnykh mouk!
LISA
O da, minovali stradanya, ya snova s toboïou!
GUERMANN
To byli tyajoliya grozy,
Obman snovidenya poustoï!

(Elle veut partir, mais Hermann surgit.)
Te voilà, te voilà, tu n’es pas un traître ! Te voilà !
Voici la fin de mes tortures
Et je suis à toi, à nouveau !
Fuyez larmes, doutes et souffrances !
Tu es à moi, je suis à toi !
HERMANN
Oui, je suis là, mon aimée !
LISA
Oh oui, mes souffrances sont passées,
Me voici avec toi, mon ami !
HERMANN
Me voici avec toi, mon amie !
LISA
Adieu nos souffrances !
HERMANN
Adieu nos souffrances !
TROISIÈME ACTE SCÈNE 2
LISA
C’est la fin de nos tourments !
HERMANN
C’est la fin de nos tourments !
LISA
Oh oui, mes souffrances sont passées, je suis avec toi !
HERMANN
Nous avons fait un cauchemar,
Ce rêve était une chimère !
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116
TCHAÏKOVSKI LA DAME DE PIQUE
LISA
Obman snovidenya poustoï!
GUERMANN
Zabyty stenanya i slyozy!
LISA
Zabyty stenanya i slyozy!
GUERMANN
Ya snova s
Toboïou!
Da ya snova staboï!
Minovali nachi mouki, stradanya,
Chas svidanya blajennyi nastal,
O moï anguel, ya snova s toboï!
LISA
O moï milyi, jelanny y a snova s toboï,
Minovali nachi paveki, stradanya,
Koncheny mouki,
Moï milyi, jelanny y a snova s toboï,
GUERMANN
No, milaya, nelzya nam medlit,
Chasy begout... Gotoval ty? Bejim!
LISA
Kouda bejat? S toboï khot na kraï sveta!
GUERMANN
Kouda bejat? Kouda?... V igornyi dom!
LISA
O Bojé! Chto s toboïou, Guermann?

TROISIÈME ACTE SCÈNE 2
LISA
Ce rêve était une chimère !
HERMANN
Oublions les sanglots et les pleurs !
LISA
Oublions les sanglots et les pleurs !
HERMANN
À nouveau je suis
Avec toi !
Oui, avec toi à nouveau !
Nos tourments et nos doutes sont passés,
C’est le moment des retrouvailles,
Ô mon ange, je suis à nouveau près de toi !
LISA
Ô mon aimé, je suis avec toi à nouveau,
Nos tourments et nos doutes sont passés,
Me revoilà près de toi,
Mon aimé, je suis à nouveau avec toi.
HERMANN
Mais mon aimée, ne tardons pas,
L’heure passe... Tu es prête ? Allons !
LISA
Aller où ? Avec toi, au bout du monde !
HERMANN
Aller où ? Où ?... À la maison de jeu !
LISA
Ô Dieu ! Qu’est-ce qui t’arrive, Hermann ?
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118
GUERMANN
Tam groudy zolota lejat i mnè,
Mnè odnomou oni prinadlejat!
LISA
O goré! Guermann, chto ty gavarich? Opomnis!
GUERMANN
Akh ya zabyl, ved ty yecho ne znaïèch!
Tri karty, pominich, chto tagda yecho ya vyvedat
Khotel ou staroï vedmy!
LISA
O Bojé! On bezoumen!
TCHAÏKOVSKI LA DAME DE PIQUE
GUERMANN
Oupryamaya! Skazat mnè ne khotela!
Ved nynché ou mienya ona byla
I mnè sama tri karty nazvala.
LISA
Tak, znachit, ty yeyo oubil?
GUERMANN
O niet! Zatchem? Ya tolko podnyal pistolet
I staraya koldounya vdroug oupala!
LISA
Tak eto pravda? Pravda!
Tak eto
Pravda, so zlodeyem
Svoïou soudbou svyazala ya!
Oubiytse, izvergou na vèki
Prinadlejit doucha maya!
Yevo prestoupnoïou roukoïou

HERMANN
Là-bas m’attendent des tas d’or
Qui n’appartiennent qu’à moi !
LISA
Ô malheur ! Hermann, que dis-tu ? Réfléchis !
HERMANN
Ah, j’oubliais que tu ne sais encore rien !
Tu te souviens, l’autre jour, que j’ai voulu que
La vieille sorcière me dévoile les trois cartes !
LISA
Ô Dieu ! Il est fou !
TROISIÈME ACTE SCÈNE 2
HERMANN
L’obstinée ! Elle refusait de me dire !
Aujourd’hui, elle est venue me voir
Et m’a révélé les trois cartes.
LISA
Alors, ça veut dire que tu l’as tuée ?
HERMANN
Oh non ! Pourquoi ? J’ai soulevé mon pistolet
Et la vieille est tombée raide !
(Il rit.)
LISA
Alors c’est la vérité ? La vérité !
Alors c’est
La vérité, j’ai lié mon destin
À celui d’un criminel !
C’est à un assassin, un monstre, que
Mon âme appartient pour toujours !
Sa main criminelle
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120
TCHAÏKOVSKI LA DAME DE PIQUE
I jizn i chest maya vzyata,
Ya volei neba rokovoïou
S oubiytsei, s oubitsey....
GUERMANN
Da! Da!
To pravda, tri karty znaiou ya!
Oubiytse svoyemou tri karty
Tri karty nazvala ona!
Tak bylo soujdeno soudboï,
Ya doljen byl sverchit zlodeistvo,
Tri karty etoïou tsenoï tolko mok ya koupit!
LISA
... S’oubitsey v meste
Proklyata, s’oubitsey meste
S’oubitsey v meste proklyata,
I ya, no niet...
GUERMANN
Da! Ya doljen byl sverchit zlodeistvo,
Chtob etay strachnaïou tsenoï maï tri karty
Ya mok ouznat!
LISA
... ne mojet byt! Opomnis, Guermann!
GUERMANN
Da! Ya tot tretyi, kto, strastno lioubya,
Prichyol, chtoby siloï ouznat ot tiébia
Pro troïkou, semyorkou, touza!
LISA
Ktob ni byl ty, ya vsyotaki tvoya!
Bejim, idyom so mnoï, spasou tiébia!

TROISIÈME ACTE SCÈNE 2
A dérobé ma vie et mon honneur,
Par un fatal arrêt du Ciel, je suis maudite
Avec ce meurtrier, ce meurtrier...
HERMANN
Oui ! Oui !
C’est vrai, je connais les trois cartes !
Elle a révélé les trois cartes,
Les trois cartes à son meurtrier !
Ainsi en avait décidé le destin,
Je devais devenir un meurtrier,
C’était le prix pour connaître les trois cartes !
LISA
... Avec cet assassin je suis
Maudite, avec cet assassin
Avec cet assassin, je suis maudite,
Et moi, mais non...
HERMANN
Oui ! Je devais commettre ce crime
Et arracher le secret des trois cartes
À ce prix terrible !
LISA
... ce n’est pas possible ! Reprends-toi, Hermann !
HERMANN
Oui ! Je suis le troisième, qui, brûlant d’un amour passionné,
Est venu t’arracher de force
Le trois, le sept, l’as !
LISA
Qui que tu sois, je suis à toi !
Partons, viens avec moi, je te sauverai !
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GUERMANN
Da! Ya ouznal, ya ouznal ot tiébia
Pro troïkou, semyorkou touza!
Ostav mienya! Kto ty? Tebya ne znaïou ya!
Protch! Protch!
LISA
Pogib on, pogib! I vmeste s nim i ya!
KARTINA TRETIA
N o 22. Chœur & scène
PEVCHIJE
Boudem pit i veselitsya!
Boudem jizniiou igrat!
Iounosti ne vechno dlitsya,
Starosti ne dolgo jdat!
Poust potonet nacha mladost
V nege, kartakh i vine!
V nikh odnikh na svete radost,
Zhizn promchitsya kak vo sne!...
SOURINE
Dana!
TCHAPLITSKI
Gnou paroli!
TCHAÏKOVSKI LA DAME DE PIQUE

HERMANN
Oui ! J’ai appris, j’ai appris de toi
Le trois, le sept et l’as !
(Il repousse Lisa.)
Laisse-moi ! Qui es-tu ? Je ne te connais pas !
Va-t-en ! Va-t-en !
LISA
Il est perdu, perdu ! Et moi avec lui !
(Elle se jette dans le fleuve.)
SCÈNE 3
N o 22. Chœur & scène
La maison de jeu.
LE CHŒUR
Buvons, faisons la fête !
La vie est un jeu !
La jeunesse ne dure pas,
La vieillesse vite viendra !
Que notre jeunesse sombre
Dans l’amour, les cartes, le vin !
Ce sont les seules joies du monde,
Comme un rêve la vie s’éteint !...
Sourine, Tchaplitski et Naroumov sont assis à une table de jeu.
SOURINE
Donne !
TCHAPLITSKI
Parole !
TROISIÈME ACTE SCÈNE 3
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NAROUMOV
Oubita!
TCHAPLITSKI
Paroli paix!
TCHEKALINSKI
Ougodno stavit?
NAROUMOV
Attendez!
TCHEKALINSKI
Touz!
SOURINE
Ya mirandoliem...
TOMSKI
Ty kak siouda popal?
Ya prejdie nie vidal tiébia ou igrokov.
ELETSKI
Da! Zdies ya v piervy raz.
Ty znaïèch, govoryat:
Niechiastnye v lioubvi v igre chiastlivy...
TOMSKI
Chto khochech skazat?
ELETSKI
Ya bolche nié jenikh.
Ne sprachivaï mènya!
TCHAÏKOVSKI LA DAME DE PIQUE

NAROUMOV
Je couvre !
TCHAPLITSKI
Parole encore !
TCHEKALINSKI
Vos mises je vous prie ?
NAROUMOV
Attendez !
TCHEKALINSKI
L’as !
SOURINE
À la mirandole...
Entre le prince Eletski.
TOMSKI (à Eletski)
Tu es là ?
Je ne t’avais jamais vu au jeu.
ELETSKI
Oui ! C’est la première fois.
Tu sais, on dit :
Malheureux en amour, heureux au jeu...
TOMSKI
Que veux-tu dire ?
TROISIÈME ACTE SCÈNE 3
ELETSKI
J’ai rompu mes fiançailles.
Ne me pose pas de questions !
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Mnè slichkom bolno, droug!
Ya zdes zatem chtob mstit!
Ved chastie v lioubvi vedyot soboï
Vygrè nechastie...
TOMSKI
Obyasni chto eto znachit?
ELETSKI
Ty ouvidich!
TCHAÏKOVSKI LA DAME DE PIQUE
PEVCHIJE
Boudem pit i veselitsya!
Boudem pit i veselitsya!
Boudem jizniiou igrat!
Boudem jizniiou igrat!
Iounosti ne vechno dlitsya,
Starosti ne dolgo jdat!...
TCHEKALINSKI
Ei, gospoda! Poust Tomskii chtoniboud spoyot nam!
PEVCHIJE
Spoï, Tomskii, spoï
Da chtoniboud vesyoloiè,
Vesyoloiè smechnoe!
TOMSKI
Mnè chtoto ne poyotsa...
TCHEKALINSKI
E, polno, chto za vzdor!
Vypieï i spoyotsa!
Zdorovie Tomskavo, drouzya! Oura!...

Je souffre trop, ami !
Je suis là pour me venger !
Car le malheur en amour implique
Le bonheur au jeu...
TOMSKI
Explique-moi, que veux-tu dire ?
ELETSKI
Tu verras !
LE CHŒUR
Buvons, faisons la fête !
Buvons, faisons la fête !
La vie est un jeu !
La vie est un jeu !
La jeunesse ne dure pas,
La vieillesse vite viendra !...
TCHEKALINSKI
Eh, messieurs ! Que Tomski nous chante quelque chose !
LE CHŒUR
Chante, Tomski, chante
Quelque chose de gai,
Quelque chose de drôle !
TROISIÈME ACTE SCÈNE 3
TOMSKI
Je n’ai pas envie de chanter...
TCHEKALINSKI
Allons, c’est ridicule !
Bois et chante !
À la santé de Tomski, amis ! Hourra !...
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128
TCHAÏKOVSKI LA DAME DE PIQUE
PEVCHIJE
Zdorovie Tomskavo! Oura! Oura! Oura! Oura!
N o 23. Chanson de Tomski & chœur des joueurs
TOMSKI
Yeslib miliyé diévitsy
Tak mogli litat kak ptitsy,
I sadilis na soutchkakh,
Ya jelal by byt souchochkom,
Chtoby tysyacham devotchkam
Na moïkh sidet vetvyakh,
Na moïkh sidet vetvyakh!
PEVCHIJE
Bravo! Bravo!Akh, Spoï yecho kouplet!
TOMSKI
Poust sideli by i peli,
Vili gnyozda i svisteli,
Vyvodili by ptentsov!
Nikogdab ya ne sgibalsya,
Vetchnob imi lioubovalsya,
Byl chaslivei vsekh souchkov,
Byl chaslivei vsekh souchkov!
PEVCHIJE
Bravo! Bravo! Vot tak pesnya! Eto slavno!
Bravo! Molodets! Nikogdab ya ne sgibalsya,
Vechnob imi lioubovalsya,
Byl chaslivei vsekh souchkov,
Byl chaslivei vsekh souchkov!
TCHEKALINSKI
Teperje, po obychaiou, drouzya, igrestkouïou!

TROISIÈME ACTE SCÈNE 3
LE CHŒUR
À la santé de Tomski ! Hourra ! Hourra ! Hourra !
N o 23. Chanson de Tomski & chœur des joueurs
TOMSKI
Si nos aimables demoiselles,
Pouvait voler comme des oiseaux,
Et se percher sur les arbres
J’aimerais être un arbrisseau
Pour que mille demoiselles
Viennent se poser sur mes rameaux,
Viennent se poser sur mes rameaux !
LE CHŒUR
Bravo ! Bravo ! Ah chante encore un couplet !
TOMSKI
Qu’elles se posent et qu’elles chantent,
Qu’elles gazouillent et fassent leur nid,
Qu’elles élèvent leurs petits !
Jamais je ne plierais
Je les admirerais
Un arbre heureux serais,
Un arbre heureux serais !
LE CHŒUR
Bravo ! Bravo ! Ça c’est une chanson !
Bravo ! Très joli ! Jamais je ne plierais
Toujours les admirerais,
Un arbre heureux serais,
Un arbre heureux serais !
TCHEKALINSKI
Maintenant, c’est la tradition mes amis, une chanson de jeu !
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TCHAÏKOVSKI LA DAME DE PIQUE
CHEKALINSKY, TCHAPLITSKI, NAROUMOV I SOURINE
Tak v nenasnye dni sobiralis oni chasto.
PEVCHIJE
Tak v nenastnye dni sobiralis oni chasto.
CHEKALINSKY, TCHAPLITSKI, NAROUMOV I SOURINE
Gnouli bog ikh prosti, ot pyatidesyati na sto.
PEVCHIJE
Gnouli bog ikh prosti, ot pyatidesyati na sto.
CHEKALINSKY, TCHAPLITSKI, NAROUMOV I SOURINE
I vygrali, i otpisyvali melom.
PEVCHIJE
I vygrali, i otpisyvali melom.
CHEKALINSKY, TCHAPLITSKI, NAROUMOV I SOURINE
Tak v nenasnye dni zanimalis oni dielom.
PEVCHIJE
Tak v nenasnye dni zanimalis oni dielom.
CHEKALINSKY, TCHAPLITSKI, NAROUMOV I SOURINE
Gnouli, bog ikh prosti, ot pyatidessati na sto.
PEVCHIJE
Gnouli, bog ikh prosti, ot pyatidessati na sto.
CHEKALINSKY, TCHAPLITSKI, NAROUMOV, SOURINE I PEVCHIJE
I vygrali, i otpisyvali melom,
Tak v nenasnye dni zanimalis oni dielom, dielom, dielom,
Gnouli, bog ikh prosti, ot pyatidessati na sto,
Na sto, na sto, na sto, na sto!

TROISIÈME ACTE SCÈNE 3
TCHEKALINSKI, CHAPLINSKY, NAROUMOV & SOURINE
Aux jours de pluie, ils se rencontraient.
LE CHŒUR
Aux jours de pluie, ils se rencontraient.
TCHEKALINSKI, CHAPLINSKY, NAROUMOV & SOURINE
Ils misaient, Dieu leur pardonne, de cinquante à cent.
LE CHŒUR
Ils misaient, Dieu leur pardonne, de cinquante à cent.
TCHEKALINSKI, CHAPLINSKY, NAROUMOV & SOURINE
Et ils gagnaient et ils marquaient à la craie.
LE CHŒUR
Et ils gagnaient et ils marquaient à la craie.
TCHEKALINSKI, CHAPLINSKY, NAROUMOV & SOURINE
Aux jours de pluie ils faisaient des affaires !
LE CHŒUR
Aux jours de pluie ils faisaient des affaires !
TCHEKALINSKI, CHAPLINSKY, NAROUMOV & SOURINE
Ils misaient, Dieu leur pardonne, de cinquante à cent.
LE CHŒUR
Ils misaient, Dieu leur pardonne, de cinquante à cent.
TCHEKALINSKI, CHAPLINSKY, NAROUMOV, SOURINE
& LE CHŒUR
Et ils gagnaient et ils marquaient à la craie.
Aux jours de pluie ils faisaient des affaires,
Ils misaient, Dieu leur pardonne, de cinquante à cent !
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132
N o 24. Scène finale
TCHEKALINSKI
Za dela, gospoda, za karty! Vina, vina!
PEVCHIJE
Vina, vina!
TCHAPLITSKI
Devyatka!
NAROUMOV
Paroli...
TCHAPLITSKI
Na smarkou!
SOURINE
Ya stavliou na routè...
TCHAPLITSKI
Dana!
NAROUMOV
Ot transporta na desyat!
ELETSKI
Moyo predtchoustvie mienya ne obmanoulo.
Ya mojet byt noujdatsa boudou v sekoundante.
Ty ne otkajechsya?
TOMSKI
Nadeïsa na mienya!
TCHAÏKOVSKI LA DAME DE PIQUE

N o 24. Scène finale
TCHEKALINSKI
Au fait, messieurs, aux cartes ! Du vin, du vin !
LE CHŒUR
Du vin, du vin !
TCHAPLITSKI
Le neuf !
NAROUMOV
Parole...
TCHAPLITSKI
Les jeux sont faits !
SOURINE
Je mise sur la même...
TCHAPLITSKI
Fait !
NAROUMOV
Transport au dix !
Hermann entre.
ELETSKI
Mon pressentiment ne m’a pas trompé.
J’aurais peut-être besoin d’un témoin.
Tu ne me feras pas défaut ?
TOMSKI
Compte sur moi !
TROISIÈME ACTE SCÈNE 3
133

134
PEVCHIJE
A! Guermann droug!
Chto tak pozdno? Otkouda?
TCHEKALINSKI
Sadis ko mnè, ty chastie prinosich.
SOURINE
Otkouda ty? Gde byl? Ouj ne v adou li?
Smotri, na chto pokhoj!
TCHEKALINSKI
Strachneïe byt nelza! Da ty zdorov li?
GUERMANN
Pozvolte mnè postavit kartou.
SOURINE
Vot choudesa, on stal igrat!
PEVCHIJE
Vot choudesa, on stal pontirovat, nach Guermann!
NAROUMOV
Priyatel, pozdravlaïou s razrechenem stol dolgavo posta!
TCHEKALINSKI
A skolko?
GUERMANN
Sorok tysyach!
TCHAÏKOVSKI LA DAME DE PIQUE
PEVCHIJE
Sorok tysyach! Sorok tysyach!
Sorok tysyach! Vot tak kouch! Da ty s ouma sohyol!

LE CHŒUR
Ah ! L’ami Hermann !
Pourquoi si tard ? D’où viens-tu ?
TCHEKALINSKI
Assieds-toi près de moi, tu me portes chance.
SOURINE
D’où viens-tu ? Où étais-tu ? En enfer ?
Regarde à quoi tu ressembles !
TCHEKALINSKI
À faire peur ! Tu es malade ?
HERMANN
Permettez-moi de miser sur une carte.
SOURINE
Un miracle, il va jouer !
LE CHŒUR
Un miracle, notre Hermann va miser contre la banque !
NAROUMOV
Mon ami, je te félicite de rompre cette longue abstinence !
TCHEKALINSKI
Et combien ?
HERMANN
Quarante mille !
TROISIÈME ACTE SCÈNE 3
LE CHŒUR
Quarante mille ! Quarante mille !
Quarante mille ! C’est une somme ! Tu es fou !
135

136
SOURINE
Ouj ne ouznal li ty tri karty ou Grafini?
GUERMANN
Chtoj, byote ili niet?
TCHEKALINSKI
Idyot! Kakaya karta?
GUERMANN
Troïka!...
Vyigrala!
TCHAÏKOVSKI LA DAME DE PIQUE
PEVCHIJE
On vyigral! Vot chaslivets!
TCHEKALINSKI, TCHAPLITSKY, TOMSKI, SOURINE I NAROUMOV
Zdes chtoniboud ne tak! Zdes chtoniboud ne tak!
Yevo otchei bloujdanié soulit ne dobroïe,
On boudto bez soznaya!
ELETSKI
Zdes chtoniboud ne tak!
No blizko, blizko nakazanïe!
Ya otomchou tebe zlodei,
Moï stradanya, ya otomchchou tebe!
GUERMANN
Sbyvaïetsya moyo zavetnoïe jelanïe.
Niet, niet!
Ne obmanchivo staroukhi pretskazanïe!
PEVCHIJE
Zdes chtoniboud ne tak!
Yevo ochei bloujdanïe

SOURINE
Peut-être as-tu découvert les trois cartes de la Comtesse ?
HERMANN
Alors, vous jouez ou non ?
TCHEKALINSKI
Allons-y ! Quelle carte ?
HERMANN
Le trois !...
(Tchekalinski donne.)
J’ai gagné !
LE CHŒUR
Il a gagné ! Quelle chance !
TCHEKALINSKI, TCHAPLITSKY, TOMSKI, SOURINE & NAROUMOV
Que c’est étrange ! Que c’est étrange !
Son regard perdu n’annonce rien de bon,
Il semble devenu fou !
ELETSKI
Comme c’est étrange !
Mais proche, proche est son châtiment !
Je me vengerai, scélérat,
Je te ferai payer mes souffrances !
HERMANN
Mon rêve secret se réalise.
Non, non !
La prophétie de la vieille n’était pas un mensonge !
LE CHŒUR
Comme c’est étrange !
Son regard perdu
TROISIÈME ACTE SCÈNE 3
137

138
Soulit ne dobroïe
On boudto bez soznaya!
TCHEKALINSKI
Ty khochech polouchit?
GUERMANN
Niet! Ya idou ouglom!
PEVCHIJE
On soumachedchyi! Razve mojno?
Niet, Tchekalinski, ne igrai snim,
Smotri, on sam ne svoï!
GUERMANN
Idyot?
TCHEKALINSKI
Idyot. A karta?
GUERMANN
Vot... Semyorka!
Maya!
TCHAÏKOVSKI LA DAME DE PIQUE
PEVCHIJE
Opyat yevo! Tout chtoto ne ladnoïe snim tvoritsa!
GUERMANN
Chto vy nosy povesili? Vam strachno? Vam strachno?
Vina, vina!
PEVCHIJE
Guermann, chto s toboï?

N’annonce rien de bon
Il semble devenu fou !
TCHEKALINSKI
Tu emportes ta mise ?
HERMANN
Non ! Je double !
LE CHŒUR
Impossible ! Il est fou ?
Non, Tchekalinski, ne joue pas avec lui,
Regarde, il ne se maîtrise plus !
HERMANN
On y va ?
TCHEKALINSKI
On y va. La carte ?
HERMANN
Voilà... Le sept !
(Tchekalinski donne.)
À moi !
TROISIÈME ACTE SCÈNE 3
LE CHŒUR
Encore gagné ! Il y a quelque chose d’étrange !
HERMANN
Pourquoi ces sinistres figures ? Avez-vous peur ?
Du vin, du vin !
LE CHŒUR
Hermann, qu’est-ce que tu as ?
139

140
GUERMANN
Chto nacha jizn? Igra!
Dobro i zlo odne mechty!
Troud, chestnost, skazki dlya babya!
Kto prav, kto chastliv zdes, drouzya?
Sevodnya ty, a zavtra ya!
Tak broste je borbou, lovite mik oudachi!
Poust neoudatchnik plachet, poust neoudatchnik plachet,
Klyanya svoïou soudbou!
Chto verno? Smert odna!
Kak bereg morya souïety,
Nam vsem pribejichche odna.
Ktoj yei milei iz nas, drouzya?
Sevodnya ty, a zavtra ya!
Tak broste je borbou, lovite mik oudachi!
Poust neoudachnik plachet, poust neoudachnik plachet,
Klyanya svoïou soudbou!
Idyot yecho?
TCHEKALINSKI
Niet, polouchi!
Sam chiort s toboï igraiet za odno!
GUERMANN
A yesli by i tak, chto za beda!
Komou ougodno?
Vot eto vsyo na kartou? A?
ELETSKI
Mnè!
TCHAÏKOVSKI LA DAME DE PIQUE
PEVCHIJE
Knyaz, chto s toboï? Knyaz, chto s toboï?
Perestan! Perestan!
Ved eto ne igra, bezoumie! Ostav! Ostav!

HERMANN
Qu’est-ce que notre vie ? Un jeu !
Le bien et le mal ne sont qu’un rêve !
Le travail et la loyauté, des contes de bonne femme !
Qui a raison, qui est heureux ici, amis ?
Toi aujourd’hui, demain moi !
Que pleure le perdant, que pleure le perdant,
Maudissant son sort !
Qu’est-ce qui est vrai ? La mort seulement !
Comme le rivage d’une mer tourmentée,
Elle est notre seul refuge.
Qui élira-t-elle, amis ?
Toi aujourd’hui, demain moi !
Alors cessez de vous battre, attendez la chance !
Que pleure le perdant, que pleure le perdant,
Maudissant son sort !
On continue ?
TCHEKALINSKI
Non, prends tes gains !
Le diable lui-même joue avec toi !
HERMANN
Et si c’était ainsi, où serait le mal !
Qui veut ?
Tout ça sur une seule carte ? Hein ?
ELETSKI
Moi !
TROISIÈME ACTE SCÈNE 3
LE CHŒUR
Prince, qu’as-tu ? Prince, qu’as-tu ?
Arrête ! Arrête !
Ce n’est pas un jeu mais de la folie ! Arrête !
141

142
ELETSKI
Ya znaiou chto ya delaïou! Ou nas s nim chyoty!
GUERMANN
Vam! Vam ougodno?
ELETSKI
Mnè! Mechite, Tchekalinski!
GUERMANN
Moï touz!
ELETSKI
Niet! Vacha dama bita!
GUERMANN
Kakaya dama?
TCHAÏKOVSKI LA DAME DE PIQUE
ELETSKI
Ta, chto ou vas roukakh, dama pik!
GUERMANN
Staroukha!... Ty! Ty zdes!
Chevo smeyochsya?
Ty mienya souma svela.
Proklyataya! Chto? Chto nadobno tebe?
Jizn?... Jizn maya?... Vozmi yeyo, vozmi yeyo!
PEVCHIJE
Nechastny! Nechastny!
Kak oujasno pokonchil on s soboï!
On jiv, on jiv yecho!

ELETSKI
Je sais ce que je fais ! Nous avons un compte à régler !
HERMANN (troublé)
Vous ! Vous voulez ?
ELETSKI
Moi ! Donnez, Tchekalinsli !
HERMANN
À moi l’as !
ELETSKI
Non ! Votre dame est battue.
HERMANN
Quelle dame ?
TROISIÈME ACTE SCÈNE 3
ELETSKI
Celle que vous avez en main, la dame de pique !
Le spectre de la Comtesse apparaît.
Tout le monde s’écarte d’Hermann.
HERMANN
La vieille !... Toi ! Toi ici !
Pourquoi ris-tu ?
Tu m’as rendu fou.
Maudite ! Quoi ? Que veux-tu de moi ?
La vie ?... Ma vie ?... Prends-la, prends-la !
(Il se suicide. Le spectre disparaît.)
LE CHŒUR
Malheureux ! Malheureux !
Quel mort terrible il s’est donnée !
Il vit, il vit encore !
143

144
TCHAÏKOVSKI LA DAME DE PIQUE
GUERMANN
Knyaz! Knyaz, prosti mienya!
Mnè bolno, bolno! Oumiraïou!
Chto eto?... Lisa?... Ty zdes?... Bojé moï!
Zachem? Zachem?... Ty prochaïech!... Da?...
Ne klyanech? Akh! Kak ya lioubiou teba, moï anguel!
Krasavitsa! Boginya! Akh!
PEVCHIJE
Gospod! Prosti yemou!
I oupokoï yevo myatejnouïou,
Izmouchenouiou douchou!

TROISIÈME ACTE SCÈNE 3
HERMANN
Prince ! Prince, pardonne-moi !
J’ai mal, mal ! Je meurs !
Qu’est-ce ?... Lisa ?... Toi ici ?... Mon Dieu !
Pourquoi ? Pourquoi ? Tu pardonnes !... Oui ?...
Tu ne maudis pas ? Ah ! Comme je t’aime, mon ange !
Beauté ! Déesse ! Ah !
(Il meurt.)
LE CHŒUR
Seigneur ! Prends pitié de lui !
Et donne la paix
À son âme rebelle et tourmentée !
145

CAHIER de LECTURES
Alexandre Pouchkine
La Dame de pique
—
Abram Tertz
Hasard & destin
Correspondance & écrits de Tchaïkovski
Je suis persuadé de son brillant avenir
Jean Cocteau
La chance est femme

ALEXANDRE POUCHKINE
LA DAME DE PIQUE
« La dame de pique signifie secrète malveillance. »
Le Cartomancien moderne
I
Les jours de mauvais temps
Ils se retrouvaient souvent ;
Ils doublaient, Dieu ait leur âme !
Leur mise de cinquante
À cent, et ils gagnaient,
Marquaient le coup à la craie.
C’est ainsi que lorsqu’il faisait sombre
Ils s’occupaient sérieusement.
On jouait chez Naroumof, lieutenant aux gardes à cheval.
Une longue nuit d’hiver s’était écoulée sans que personne s’en
aperçût, et il était cinq heures du matin quand on servit le
souper. Les gagnants se mirent à table avec grand appétit ;
pour les autres ils regardaient distraitement leurs assiettes
vides. Peu à peu néanmoins, le vin de Champagne aidant, la
conversation s’anima et devint générale.
149

ALEXANDRE POUCHKINE
– Qu’as-tu fait aujourd’hui, Sourine ? demanda le maître
de la maison à un de ses camarades.
– Comme toujours, j’ai perdu. En vérité, je n’ai pas de
chance. Je joue la mirandole* ; vous savez si j’ai du sangfroid.
Je suis un ponte impassible, jamais je ne change mon
jeu, et je perds toujours !
– Comment ! Dans toute ta soirée, tu n’as pas essayé une
fois de jouer la série ? En vérité ta fermeté me passe.
– Comment trouvez-vous Hermann ? dit un des convives
en montrant un jeune officier du génie. De sa vie, ce garçonlà
n’a fait un paroli ni touché une carte, et il nous regarde
jouer jusqu’à cinq heures du matin.
– Le jeu m’intéresse, dit Hermann, mais je ne suis pas
d’humeur à risquer le nécessaire pour gagner le superflu.
– Hermann est Allemand ; il est économe, voilà tout, fit
observer Tomski ; mais ce qu’il y a de plus étonnant, c’est ma
grand-mère, la comtesse Anna Fedotovna.
– Pourquoi cela ? lui demandèrent ses amis.
– N’avez-vous pas remarqué, reprit Tomski, qu’elle ne
joue jamais ?
– Qu’y a-t-il d’étonnant, dit Naroumof, à ce qu’une femme
de quatre-vingts ans ne ponte pas ?
– Vous ne savez pas le pourquoi ?
– Non. Est-ce qu’il y a une raison ?
– Oh ! bien, écoutez. Vous saurez que ma grand-mère, il y
a quelque soixante ans, alla à Paris et y fit fureur. On courait
après elle pour voir la Vénus moscovite*. Richelieu lui fit la
c o u r, et ma grand-mère prétend qu’il s’en fallut peu qu’elle ne
l’obligeât par ses rigueurs à se brûler la cervelle. Dans ce
t e m p s-là, les femmes jouaient au pharaon. Un soir, au jeu de la
c o u r, elle perdit sur parole, contre le duc d’Orléans, une
somme très considérable. Rentrée chez elle, ma grand-mère
* Les mots en italique suivis d’un astérisque sont écrits en français dans le
texte original.
150

LA DAME DE PIQUE
ôta ses mouches, et défaisant ses paniers alla conter sa mésaventure
à mon grand-père, et lui ordonna de payer. Feu mon
grand-père, autant qu’il m’en souvienne, était une espèce d’intendant
pour sa femme. Il la craignait comme le feu, mais le
chiffre qu’on lui avoua le fit sauter au plancher ; il s’emporta,
se mit à faire ses comptes, et prouva à ma grand-mère qu’en six
mois elle avait dépensé un demi-million. Il lui dit nettement
q u’il n’avait pas à Paris ses villages des gouvernements de
Moscou et de Saratov, et conclut en refusant les subsides
demandés. Vous imaginez bien la fureur de ma grand-mère.
Elle lui donna un soufflet et fit lit à part cette nuit-là en témoignage
de son indignation. Le lendemain elle fit appeler son
mari, espérant que le châtiment avait fait son effet, mais il
demeura inébranlable. Pour la première fois de sa vie elle voulut
bien condescendre à des raisonnements et des ex p l i c a t i o n s .
C’est en vain qu’elle s’efforça de démontrer à son mari qu’il y
a dettes et dettes, et qu’il n’y a pas d’apparence d’en user avec
un prince comme avec un carrossier. Toute cette éloquence fut
en pure perte, mon grand-père était inflexible. Ma grand-mère
ne savait que devenir. Heureusement, elle connaissait un
homme fort célèbre à cette époque. Vous avez entendu parler
du comte de Saint-Germain, dont on débite tant de merveilles.
Vous savez qu’il se donnait pour le Juif errant, possesseur de
l’élixir de vie et de la pierre philosophale. Quelques-uns se
moquaient de lui comme d’un charlatan. Casanova, dans ses
M é m o i r e s, dit qu’il était espion. Quoi qu’il en soit, malgré le
mystère de sa vie, Saint-Germain avait fort bonne apparence et
était vraiment un homme aimable. Encore aujourd’hui ma
grand-mère l’aime à la folie, et elle se fâche tout rouge quand
on n’en parle pas avec respect. Elle décida de recourir à lui, et
lui écrivit un billet pour le prier de passer chez elle. Le vieil
original accourut aussitôt et la trouva plongée dans le désesp
o i r. En deux mots, elle le mit au fait, lui raconta son malheur
et la cruauté de son mari, ajoutant qu’elle n’avait plus d’espoir
que dans son amitié et son obligeance. Saint-Germain, après
151

ALEXANDRE POUCHKINE
quelques instants de réflexion : « Madame, dit-il, je pourrais
facilement vous avancer l’argent qu’il vous faut ; mais je sais
que vous n’auriez de repos qu’après me l’avoir remboursé, et je
ne veux pas que vous sortiez d’un embarras pour vous jeter
dans un autre. Il y a un moyen de vous acquitter. Il faut que
vous regagniez cet argent... »
– Mais, mon cher comte, répondit ma grand-mère, je vous
l’ai déjà dit, je n’ai plus une pistole...
– Vous n’en avez pas besoin, reprit Saint-Germain : écou -
tez-moi seulement.
Alors il lui apprit un secret que chacun de vous, j’en suis
sûr, payerait fort cher.
Tous les jeunes officiers étaient attentifs. Tomski s’arrêta
pour allumer une pipe, avala une bouffée de tabac et continua
de la sorte :
– Le soir même, ma grand-mère alla à Versailles au Jeu de
la reine*. Le duc d’Orléans tenait la banque. Ma grand-mère
lui débita une petite histoire pour s’excuser de n’avoir pas
encore acquitté sa dette, puis elle s’assit et se mit à ponter.
Elle prit trois cartes : la première gagna ; elle doubla son
enjeu sur la seconde, gagna encore, doubla sur la troisième ;
bref, elle s’acquitta glorieusement.
– Pur hasard ! dit un des jeunes officiers.
– Quel conte ! s’écria Hermann.
– C’était donc des cartes préparées ? dit un troisième.
– Je ne le crois pas, répondit gravement Tomski.
– Comment ! s’écria Naroumof, tu as une grand-mère qui
sait trois cartes gagnantes, et tu n’as pas encore su te les faire
indiquer ?
– Ah ! c’est là le diable ! reprit Tomski. Elle avait quatre
fils, dont mon père était un. Trois furent des joueurs déterminés,
et pas un seul n’a pu lui tirer son secret, qui pourtant leur
aurait fait grand bien et à moi aussi. Mais écoutez ce que m’a
raconté mon oncle, le comte Ivan Ilitch, et j’ai sa parole
d’honneur. Tchaplitzki – vous savez, celui qui est mort dans la
152

LA DAME DE PIQUE
misère après avoir mangé des millions – un jour, dans sa jeunesse,
perdit contre Zoritch environ trois cent mille roubles. Il
était au désespoir. Ma grand-mère, qui n’était guère indulgente
pour les fredaines des jeunes gens, je ne sais pourquoi,
faisait exception à ses habitudes en faveur de Tchaplitzki : elle
lui donna trois cartes à jouer l’une après l’autre, en exigeant
sa parole de ne plus jouer ensuite de sa vie. Aussitôt Tchaplitzki
alla trouver Zoritch et lui demanda sa revanche. Sur la
première carte, il mit cinquante mille roubles. Il gagna, fit
paroli ; en fin de compte, avec ses trois cartes, il s’acquitta et
se trouva même en gain... Mais voilà six heures ! Ma foi, il est
temps d’aller se coucher.
Chacun vida son verre, et l’on se sépara. En effet, il commençait
déjà à faire jour.
II
– Il paraît que monsieur est décidément pour les suivantes.
– Que voulez-vous, madame ? Elles sont plus fraîches.
Conversation mondaine
La vieille comtesse Anna Fedotovna était dans son cabinet de
toilette, assise devant une glace. Trois femmes de chambre l’entouraient
: l’une lui présentait un pot de rouge, une autre une
boîte d’épingles noires ; une troisième tenait un énorme bonnet
de dentelles avec des rubans couleur de feu. La comtesse n’ a v a i t
plus la moindre prétention à la beauté ; mais elle conservait les
habitudes de sa jeunesse, s’habillait à la mode d’il y a cinquante
ans, et mettait à sa toilette tout le temps et toute la pompe
d’une petite maîtresse du siècle passé. Sa demoiselle de compagnie
travaillait à un métier dans l’embrasure de la fenêtre.
– Bonjour, grand-maman*, dit un jeune officier en entrant
dans le cabinet ; bonjour mademoiselle Lise*. Grand-maman* ,
c’est une requête que je viens vous porter.
– Qu’est-ce que c’est, Paul* ?
153

ALEXANDRE POUCHKINE
– Permettez-moi de vous présenter un de mes amis, et de
vous demander pour lui une invitation à votre bal.
– Amène-le à mon bal, et tu me le présenteras là. As-tu été
hier chez la princesse *** ?
– Assurément ; c’était délicieux ! On a dansé jusqu’à cinq
heures. Mademoiselle Eletzki était à ravir.
– Ma foi, mon cher, tu n’es pas difficile. En fait de beauté,
c’est sa grand-mère la princesse Daria Petrovna qu’il fallait
voir ! Mais, dis donc, elle doit être bien vieille, la princesse
Daria Petrovna ?
– Comment, vieille ! s’écria étourdiment Tomski, il y a sept
ans qu’elle est morte !
La demoiselle de compagnie leva la tête et fit un signe au
jeune officier. Il se rappela aussitôt que la consigne était de
cacher à la comtesse la mort de ses contemporains. Il se mordit
la langue ; mais d’ailleurs la comtesse garda le plus beau sangfroid
en apprenant que sa vieille amie n’était plus de ce monde.
– Morte ? dit-elle – tiens, je ne le savais pas. Nous avons
été nommées ensemble demoiselles d’honneur, et quand nous
fûmes présentées, l’impératrice...
La vieille comtesse raconta pour la centième fois une
anecdote de ses jeunes années.
– Paul*, dit-elle en finissant, aide-moi à me lever. Lisanka,
où est ma tabatière ?
Et, suivie de ses trois femmes de chambre, elle passa derrière
un grand paravent pour achever sa toilette. Tomski
demeurait en tête à tête avec la demoiselle de compagnie.
– Quel est ce monsieur que vous voulez présenter à
Madame ? demanda à voix basse Lisabeta Ivanovna.
– Naroumof. Vous le connaissez ?
– Non. Est-il militaire ?
– Oui.
– Dans le génie ?
– Non, dans les chevaliers-gardes. Pourquoi donc croyiezvous
qu’il était dans le génie ?
154

LA DAME DE PIQUE
La demoiselle de compagnie sourit, mais ne répondit pas.
– Paul* ! cria la comtesse de derrière son paravent,
envoie-moi un roman nouveau, n’importe quoi ; seulement,
vois-tu, pas dans le goût d’aujourd’hui.
– Comment vous le faut-il, grand-maman* ?
– Un roman où le héros n’étrangle ni père ni mère, et où il
n’y ait pas de noyés. Rien ne me fait plus de peur que les noyés.
– Où trouver à présent un roman de cette espèce ? En voudriez-vous
un russe ?
– Bah ! est-ce qu’il y a des romans russes ? Tu m’en enverras
un ; n’est-ce pas, tu ne l’oublieras pas ?
– Je n’y manquerai pas. Adieu, grand-maman* , je suis
bien pressé. Adieu, Lisabeta Ivanovna. Pourquoi donc vouliezvous
que Naroumof fût dans le génie ?
Et Tomski sortit du cabinet de toilette.
Lisabeta Ivanovna, restée seule, reprit son ouvrage et se
mit à regarder par la fenêtre. Aussitôt, dans la rue, à l’angle
d’une maison voisine, parut un jeune officier. Elle rougit,
reprit son ouvrage et baissa le nez sur son canevas. En ce
moment, la comtesse rentra, complètement habillée.
– Lisanka, dit-elle, fais atteler ; nous allons faire un tour
de promenade.
Lisabeta se leva aussitôt et se mit à ranger sa tapisserie.
– Eh bien, qu’est-ce que c’est ? Petite, es-tu sourde ? Va
dire qu’on attelle tout de suite.
– J’y vais, répondit la demoiselle de compagnie. Et elle
courut dans l’antichambre.
Un domestique entra, apportant des livres de la part du
prince Paul Alexandrovitch.
– Bien des remerciements. – Lisanka ! Lisanka ! Où courtelle
comme cela ?
– J’allais m’habiller, madame.
– Nous avons le temps, petite. Assieds-toi, prends le premier
volume, et lis-moi.
La demoiselle de compagnie prit le livre et lut quelques lignes.
155

ALEXANDRE POUCHKINE
– Plus haut ! dit la comtesse. Qu’ a s-tu donc ? Est-ce que tu
es enrouée ? Attends, approche-moi ce tabouret... Plus près... Bon.
Lisabeta Ivanovna lut encore deux pages ; la comtesse bâilla.
– Jette cet ennuyeux livre, dit-elle ; quel fatras ! Renvoie
cela au prince Paul, et fais-lui bien mes remerciements... Et
cette voiture, est-ce qu’elle ne viendra pas ?
– La voici, répondit Lisabeta Ivanovna, en regardant par
la fenêtre.
– Eh bien, tu n’es pas habillée ? Il faut donc toujours t’attendre
! C’est insupportable.
Lisabeta courut à sa chambre. Elle y était depuis deux
minutes à peine, que la comtesse sonnait de toute sa force ;
ses trois femmes de chambre entraient par une porte et le valet
de chambre par une autre.
– On ne m’entend donc pas, à ce qu’il paraît ! s’écria la
comtesse. Qu’on aille dire à Lisabeta Ivanovna que je l’attends.
Elle entrait en ce moment avec une robe de promenade et
un chapeau.
– Enfin, mademoiselle ! dit la comtesse. Mais quelle toilette
est-ce là ! Pourquoi cela ? À qui en veux-tu ? Voyons quel
temps fait-il ? Il fait du vent, je crois.
– Non, Excellence, dit le valet de chambre. Au contraire,
il fait bien doux.
– Vous ne savez jamais ce que vous dites. Ouvrez-moi le
vasistas. Je le disais bien... Un vent affreux ! un froid glacial !
Qu’on dételle ! Lisanka, ma petite, nous ne sortirons pas. Ce
n’était pas la peine de te faire si belle.
– Quelle existence ! se dit tout bas la demoiselle de compagnie.
En effet, Lisabeta Ivanovna était une bien malheureuse
créature. « Il est amer, le pain de l’étranger, dit Dante ; elle est
haute à franchir, la pierre de son seuil. » Mais qui pourrait dire
les ennuis d’une pauvre demoiselle de compagnie auprès d’une
vieille femme de qualité ? Pourtant la comtesse n’était pas
méchante, mais elle avait tous les caprices d’une femme gâtée
par le monde. Elle était avare, personnelle, égoïste, comme
156

LA DAME DE PIQUE
d’ailleurs toutes les vieilles gens qui ont passé l’âge d’aimer et
détestent le temps présent. Jamais elle ne manquait au bal ; et
là, fardée, vêtue à la mode antique, elle se tenait dans un coin,
ornement hideux et indispensable du bal. Chacun, en entrant,
allait lui faire un profond salut comme s’il accomplissait un rite ;
après quoi personne ne lui adressait plus la parole. Elle recevait
chez elle toute la ville, observant l’étiquette dans sa rigueur
et ne pouvant mettre les noms sur les figures. Ses nombreux
domestiques, engraissés et blanchis dans son antichambre, ne
faisaient que ce qu’ils voulaient et pillaient à l’envi la vieille
moribonde. Lisabeta Ivanovna passait sa vie dans un supplice
continuel. Elle servait le thé, et on lui reprochait le sucre gaspillé.
Elle lisait des romans à la comtesse, qui la rendait responsable
de toutes les sottises des auteurs. Elle accompagnait
la noble dame dans ses promenades, et c’était à elle qu’on s’en
prenait du mauvais pavé et du mauvais temps. Ses appointements,
plus que modestes, n’étaient jamais régulièrement
payés, et l’on exigeait qu’elle s’habillât comme tout le monde*,
c ’ e s t - à -dire comme fort peu de gens. Dans la société son rôle
était aussi triste. Tous la connaissaient, personne ne la distinguait.
Au bal, elle dansait, mais seulement lorsqu’on avait
besoin d’un vis-à-vis. Les femmes venaient la prendre par la
main et l’emmenaient hors du salon quand il fallait arranger
quelque chose à leur toilette. Elle avait de l’amour-propre et
sentait profondément la misère de sa position. Elle attendait
avec impatience un libérateur pour briser ses chaînes ; mais les
jeunes gens, prudents au milieu de leur étourderie affectée, se
gardaient bien de l’honorer de leurs attentions, et cependant
Lisabeta Ivanovna était cent fois plus jolie que ces demoiselles
ou effrontées ou stupides qu’ils entouraient de leurs hommages.
Plus d’une fois, quittant le luxe et l’ennui du salon, elle allait
s’enfermer seule dans sa petite chambre meublée d’un vieux
paravent tendu de papier peint, d’une commode, d’un petit
miroir et d’un lit en bois peint ; là, elle pleurait tout à son aise,
à la lueur d’une chandelle de suif dans un chandelier en laiton.
157

ALEXANDRE POUCHKINE
Une fois, c’était deux jours après la soirée chez Naroumof et
une semaine avant la scène que nous venons d’esquisser, un
matin, Lisabeta était assise à son métier devant la fenêtre,
quand, promenant un regard distrait dans la rue, elle aperçut un
officier du génie, immobile, les yeux fixés sur elle. Elle baissa
la tête et se remit à son travail. Au bout de cinq minutes, elle
regarda machinalement dans la rue, l’officier était à la même
place. N’ayant pas l’habitude de coqueter avec les jeunes gens
qui passaient sous ses fenêtres, elle demeura les yeux fixés sur
son métier pendant près de deux heures, jusqu’à ce qu’on vînt
l’avertir pour dîner. Alors il fallut se lever et ranger ses affaires,
et pendant ce mouvement elle revit l’officier à la même place.
Cela lui sembla fort étrange. Après le dîner, elle s’approcha de
la fenêtre avec une certaine émotion, mais l’officier du génie
n’était plus dans la rue. Elle cessa d’y penser.
Deux jours après, sur le point de monter en voiture avec la
comtesse, elle le revit planté droit devant la porte, la figure à
demi cachée par un collet de fourrure, mais ses yeux noirs
étincelaient sous son chapeau. Lisabeta eut peur sans trop
savoir pourquoi, et s’assit en tremblant dans la voiture.
De retour à la maison, elle courut à la fenêtre avec un battement
de cœur ; l’officier était à sa place habituelle, fixant sur
elle un regard ardent. Aussitôt elle se retira, mais brûlante de
curiosité et en proie à un sentiment étrange qu’elle éprouvait
pour la première fois.
Depuis lors, il ne se passa pas de jour que le jeune ingénieur
ne vînt rôder sous sa fenêtre. Bientôt, entre elle et lui
s’établit une connaissance muette. Assise à son métier, elle
avait le sentiment de sa présence ; elle relevait la tête, et
chaque jour le regardait plus longtemps. Le jeune homme
semblait plein de reconnaissance pour cette innocente
faveur : elle voyait avec ce regard profond et rapide de la jeunesse
qu’une vive rougeur couvrait les joues pâles de l’officier,
chaque fois que leurs yeux se rencontraient. Au bout d’une
semaine, elle se prit à lui sourire.
158

LA DAME DE PIQUE
Lorsque Tomski demanda à sa grand-mère la permission
de lui présenter un de ses amis, le cœur de la pauvre fille battit
bien fort, et, lorsqu’elle sut que Naroumof était dans les
gardes à cheval, elle se repentit cruellement d’avoir compromis
son secret en le livrant à un étourdi.
Hermann était le fils d’un Allemand établi en Russie, qui lui
avait laissé un petit capital. Fermement résolu à conserver son
indépendance, il s’était fait une loi de ne pas toucher à ses revenus,
vivait de sa solde et ne se passait pas la moindre fantaisie.
Il était peu communicatif, ambitieux, et sa réserve fournissait
rarement à ses camarades l’occasion de s’amuser à ses dépens.
Il avait des passions violentes, une imagination désordonnée,
mais il était toujours maître de lui et avait su se préserver des
égarements ordinaires de la jeunesse. Ainsi, né joueur, jamais il
n’avait touché une carte, parce qu’il comprenait que sa position
ne lui permettait pas (il le disait lui-même) de sacrifier le nécessaire
dans l’espérance d’acquérir le superflu ; et cependant il
passait des nuits entières devant un tapis vert, suivant avec une
anxiété fébrile les chances rapides du jeu.
L’anecdote des trois cartes du comte de Saint-Germain
avait fortement frappé son imagination, et toute la nuit il ne fit
qu’y penser.
– Si pourtant, se disait-il le lendemain soir, en se promenant
dans les rues de Pétersbourg, si la vieille comtesse me confiait son
secret ? si elle voulait seulement me dire trois cartes gagnantes !...
Il faut que je me fasse présenter, que je gagne sa confiance, que je
lui fasse la cour... Oui ! et elle a quatre- v i n g t -sept ans ! Elle peut
mourir cette semaine, demain peut-être... D’ailleurs, cette histoire...
y a-t-il un mot de vrai là-dedans ? Non, l’économie, la tempérance,
le travail, voilà mes trois cartes gagnantes ! C’est avec
elles que je doublerai, que je décuplerai mon capital. Ce sont elles
qui m’assureront l’indépendance et le bien-être.
Rêvant de la sorte, il se trouva dans une des grandes rues
de Pétersbourg, devant une maison d’assez vieille architecture.
La rue était encombrée de voitures, défilant une à une devant
159

ALEXANDRE POUCHKINE
une façade splendidement illuminée. Il voyait sortir de chaque
portière ouverte tantôt le petit pied d’une jeune femme, tantôt la
botte à l’écuyère d’un général, cette fois un bas à jour, cette
autre un soulier diplomatique. Pelisses et manteaux passaient
en procession devant un suisse gigantesque ; Hermann s’arrêta.
– À qui est cette maison ? demanda-t-il à un garde de nuit
rencogné dans sa guérite.
– À la comtesse ***.
Hermann tressaillit. L’histoire des trois cartes se représenta
à son imagination. Il se mit à tourner autour de la maison, pensant
à la femme qui l’occupait, à son pouvoir mystérieux. De
retour enfin dans son taudis, il fut longtemps avant de s’endormir,
et, lorsque le sommeil s’empara de ses sens, il vit danser
devant ses yeux des cartes, un tapis vert, des tas de ducats
et de billets de banque. Il se voyait faisant paroli sur paroli,
gagnant toujours, empochant des piles de ducats et bourrant
son portefeuille de billets. À son réveil, il soupira de ne plus
trouver ses trésors fantastiques, et, pour se distraire, il alla de
nouveau se promener par la ville. Bientôt il fut en face de la
maison de la comtesse ***. Une force invincible l’entraînait.
Il s’arrêta et regarda aux fenêtres. Derrière une vitre il aperçut
une jeune tête avec de beaux cheveux noirs, penchée gracieusement
sur un livre sans doute, ou sur un métier. La tête
se releva ; il vit un frais visage et des yeux noirs.
Cet instant-là décida de son sort.
III
Vous m’écrivez, mon ange, des lettres de quatre pages
plus vite que je ne puis les lire.
Correspondance
Lisabeta Ivanovna n’eut pas plus tôt enlevé manteau et
chapeau que la comtesse l’envoya chercher, et fit de nouveau
atteler son coupé. Elles s’apprêtaient à y monter. À l’instant où
160

LA DAME DE PIQUE
deux laquais soulevaient et hissaient la vieille dame sur le
marchepied, Lisabeta Ivanova aperçut son officier tout près de
la roue ; il lui saisit la main. Avant qu’elle eût pu se remettre
de sa frayeur, le jeune homme avait disparu ; une lettre lui restait
dans la main. Elle la cacha dans son gant et, durant tout
le trajet, n’entendit rien, ne vit rien. En voiture, la comtesse
avait l’habitude de poser sans cesse des questions :
– Qui vient de passer ? Comment s’appelle ce pont ? Qu’ e s t -
ce qu’il y a écrit sur cette enseigne ? Cette fois, Lisabeta Ivanovna
répondait tout de travers, ce qui mit en colère la comtesse.
– Qu’as-tu donc aujourd’hui, petite ? As-tu perdu le sens ?
Tu n’entends pas ou tu ne comprends pas ? Dieu merci, je ne
grasseye pas, et je n’ai pas encore perdu la tête, hein ?
Lisabeta Ivanovna ne l’écoutait pas. De retour à la maison,
elle courut s’enfermer dans sa chambre et tira la lettre de son
gant. Elle n’était pas cachetée, Lisabeta la lut. La lettre contenait
des protestations d’amour. Elle était tendre, respectueuse,
et mot pour mot traduite d’un roman allemand ; mais Lisabeta
ne savait pas l’allemand, et en fut fort contente.
Seulement, elle se trouvait bien embarrassée. Pour la première
fois de sa vie, elle avait un secret. Être en correspondance
avec un jeune homme ! Sa témérité la faisait frémir. Elle
se reprochait son imprudence, et ne savait quel parti prendre.
Cesser de travailler à la fenêtre, et, à force de froideur,
dégoûter le jeune officier de sa poursuite, – lui renvoyer sa
lettre – lui répondre d’une manière ferme et décidée ? Elle
n’avait ni amie ni conseiller ; elle se résolut à répondre.
Elle s’assit à sa table, prit du papier et une plume, et
méditant profondément. Plus d’une fois elle commença une
phrase, puis déchira la feuille. Le billet était tantôt trop sec,
tantôt il manquait d’une juste réserve. Enfin, à grand-peine,
elle réussit à composer quelques lignes dont elle fut satisf
a i t e : « Je sais, écrivit-elle, que vos intentions sont celles
d’un galant homme, et que vous ne voudriez pas m’offenser
par une conduite irréfléchie ; mais vous comprendrez que
161

ALEXANDRE POUCHKINE
notre connaissance ne peut commencer de la sorte. Je vous
renvoie votre lettre, et j’espère que vous ne me donnerez pas
lieu de regretter mon imprudence. »
Le lendemain, aussitôt qu’elle aperçut Hermann, elle
quitta son métier, passa dans le salon, ouvrit le vasistas, et jeta
la lettre dans la rue, comptant bien que le jeune officier ne la
laisserait pas s’égarer. En effet, Hermann la ramassa aussitôt,
et entra dans une boutique de confiseur pour la lire. N’y trouvant
rien de décourageant, il rentra chez lui assez content du
début de son intrigue amoureuse.
Trois jours après, une jeune personne aux yeux fort
éveillés vint demander à parler à mademoiselle Lisabeta de la
part d’une marchande de modes. Lisabeta ne la reçut pas sans
inquiétude, prévoyant quelque mémoire arriéré ; mais sa surprise
fut grande lorsqu’en ouvrant un papier qu’on lui remit
elle reconnut l’écriture de Hermann.
– Vous vous trompez, mademoiselle, cette lettre n’est pas
pour moi.
– Je vous demande bien pardon, répondit la modiste avec
un sourire malin. Prenez donc la peine de la lire.
Lisabeta y jeta les yeux. Hermann demandait un entretien.
– C’est impossible ! s’écria-t-elle, effrayée et de la hardiesse
de la demande et de la manière dont elle lui était transmise.
Cette lettre n’est pas pour moi.
Et elle la déchira en mille morceaux.
– Si cette lettre n’est pas pour vous, mademoiselle, pourquoi
la déchirez-vous ? reprit la modiste. Il fallait la renvoyer
à la personne à qui elle était destinée.
– Mon Dieu ! ma bonne, excusez-moi, dit Lisabeta toute déconcertée
; ne m’apportez plus jamais de lettres, je vous en prie, et
dites à celui qui vous envoie qu’il devrait rougir de son procédé.
Mais Hermann n’était pas homme à lâcher prise. Chaque
jour Lisabeta recevait une lettre nouvelle, arrivant tantôt d’une
manière, tantôt d’une autre. Maintenant ce n’était plus des traductions
de l’allemand qu’on lui envoyait. Hermann écrivait
162

LA DAME DE PIQUE
sous l’empire d’une passion violente, et parlait une langue qui
était bien la sienne. Lisabeta ne put tenir contre ce torrent
d’éloquence. Elle reçut les lettres de bonne grâce, et bientôt y
répondit. Chaque jour, ses réponses devenaient plus longues et
plus tendres. Enfin, elle lui jeta par la fenêtre le billet suivant :
« Aujourd’hui il y a bal chez l’ambassadeur de ***. La comtesse
y va. Nous y resterons jusqu’à deux heures. Voici comment
vous pourrez me voir sans témoins. Dès que la comtesse sera
partie, vers onze heures, les gens ne manquent pas de s’éloig
n e r. Il ne restera que le suisse dans le vestibule, mais lui aussi
regagne d’ordinaire sa loge. Entrez dès que onze heures sonneront,
et aussitôt montez rapidement l’escalier. Si vous trouvez
q u e l q u’un dans l’antichambre, vous demanderez si la comtesse
est chez elle : on vous répondra qu’elle est sortie et alors il faudra
bien se résigner et partir ; mais très probablement vous ne
rencontrerez personne. Les femmes de la comtesse sont toutes
ensemble dans une chambre éloignée. Arrivé dans l’antichambre,
prenez à gauche, et allez tout droit devant vous jusq
u’à ce que vous soyez dans la chambre à coucher de la comtesse.
Là, derrière un grand paravent, vous trouverez deux
portes : celle de droite ouvre dans un cabinet où la comtesse
n’entre jamais, celle de gauche donne dans un corridor au bout
duquel est un petit escalier tournant ; il mène à ma chambre. »
Hermann frémissait, comme un tigre, en attendant l’heure
du rendez-vous. Dès dix heures, il était en faction devant la
porte de la comtesse. Il faisait un temps affreux. Les vents
étaient déchaînés, la neige tombait à larges flocons. Les réverbères
ne jetaient qu’une lueur incertaine ; les rues étaient
désertes. De temps en temps passait un fiacre fouettant une
rosse maigre, et cherchant à découvrir un passant attardé.
Couvert d’une mince redingote, Hermann ne sentait ni le vent
ni la neige. Enfin parut la voiture de la comtesse. Il vit deux
grands laquais prendre par-dessous les bras ce spectre cassé,
et le déposer sur les coussins, bien empaqueté dans une énorme
pelisse. Aussitôt après, enveloppée d’un petit manteau,
163

ALEXANDRE POUCHKINE
la tête couronnée de fleurs naturelles, Lisabeta s’élança
comme un trait dans la voiture. La portière se ferma, et la voiture
roula sourdement sur la neige molle. Le suisse ferma la
porte de la rue. Les fenêtres du premier étage devinrent
sombres, le silence régna dans la maison. Hermann se promenait
de long en large. Bientôt il s’approcha d’un réverbère, et
regarda sa montre. Onze heures moins vingt minutes. Appuyé
contre le réverbère, les yeux fixés sur l’aiguille, il comptait
avec impatience les minutes qui restaient. À onze heures et
demie exactement, Hermann montait les degrés, ouvrait la
porte de la rue, entrait dans le vestibule, en ce moment fort
éclairé. Ô bonheur ! point de suisse. D’un pas ferme et rapide,
il franchit l’escalier en un clin d’œil, et se trouva dans
l’antichambre. Là, devant une lampe, un valet de pied dormait
étendu dans une vieille bergère toute crasseuse. Hermann
passa prestement devant lui. La salle et le salon étaient
sombres ; la lampe de l’antichambre les éclairait faiblement.
Le voilà enfin dans la chambre à coucher. Devant l’armoire
sainte, remplie de vieilles images, brûlait une lampe d’or. Des
fauteuils dorés, des divans aux couleurs passées et aux coussins
moelleux étaient disposés symétriquement le long des
murailles tendues de soieries de la Chine. On remarquait
d’abord deux grands portraits peints par madame Lebrun. L’un
représentait un homme de quarante ans, gros et haut en couleur,
en habit vert clair, avec une plaque sur la poitrine. Le
second portrait était celui d’une jeune élégante, le nez aquilin,
les cheveux relevés sur les tempes, avec de la poudre et
une rose sur l’oreille. Dans tous les coins, on voyait des bergers
en porcelaine de Saxe, des petites boîtes de toutes
formes, des pendules de Leroy, des paniers, des éventails, et
les mille joujoux à l’usage des dames, grandes découvertes du
siècle dernier, contemporaines des ballons de Montgolfier et
du magnétisme de Mesmer. Hermann passa derrière le paravent,
qui cachait un petit lit en fer. Il aperçut les deux portes :
à droite celle du cabinet noir, à gauche celle du corridor. Il
164

LA DAME DE PIQUE
ouvrit cette dernière, vit le petit escalier qui conduisait chez
la pauvre demoiselle de compagnie ; mais il referma cette
porte, et entra dans le cabinet noir.
Le temps s’écoulait lentement. Dans la maison, tout était
tranquille. La pendule du salon sonna minuit, et le silence
recommença. Hermann était debout, appuyé contre un poêle
sans feu. Il était calme. Son cœur battait par pulsations bien
égales, comme celui d’un homme déterminé à braver tous les
dangers qui s’offriront à lui, parce qu’il les sait inévitables. Il
entendit sonner une heure, puis deux heures ; puis bientôt
après, le roulement lointain d’une voiture. Alors il se sentit
ému malgré lui. La voiture approcha rapidement et s’arrêta. Il
entendit rabattre le marchepied. Grand bruit aussitôt de
domestiques courant dans les escaliers, des voix confuses ;
tous les appartements s’illuminent, et trois vieilles femmes de
chambre entrent à la fois dans la chambre à coucher ; enfin
paraît la comtesse, à demi morte, qui se laisse tomber dans un
grand fauteuil à la Voltaire. Hermann regardait par une fente.
Il vit Lisabeta passer tout contre lui et il entendit son pas précipité
dans le petit escalier tournant. Au fond du cœur, il sentit
bien quelque chose comme un remords, mais cela passa.
Son cœur redevint de pierre.
La comtesse se mit à se déshabiller devant un miroir. On lui
ôta sa coiffure de roses et on sépara sa perruque poudrée de ses
cheveux à elle, tout ras et tout blancs. Les épingles tombaient
en pluie autour d’elle. Sa robe jaune, lamée d’argent, glissa
j u s q u’à ses pieds gonflés. Hermann assista malgré lui à tous les
détails peu ragoûtants d’une toilette de nuit ; enfin la comtesse
demeura en peignoir et en bonnet de nuit. En ce costume
plus convenable à son âge, elle était un peu moins effroyable.
Comme la plupart des vieilles gens, la comtesse était tourmentée
par des insomnies. Après s’être déshabillée, elle fit rouler
son fauteuil dans l’embrasure d’une fenêtre et congédia ses
femmes. On éteignit les bougies, et la chambre ne fut plus éclairée
que par la lampe qui brûlait devant les saintes images. La
165

ALEXANDRE POUCHKINE
comtesse, toute jaune, toute ratatinée, les lèvres pendantes, se
balançait doucement à droite et à gauche. Dans ses yeux ternes
on lisait l’absence de la pensée ; et, en la regardant se brandiller
ainsi, on eût dit qu’elle ne se mouvait pas par l’action de
la volonté, mais par celle d’un secret courant galvanique.
Tout à coup ce visage de mort changea d’expression. Les
lèvres cessèrent de trembler, les yeux s’animèrent.
Devant la comtesse, un inconnu venait de paraître : c’était
Hermann.
– N’ayez pas peur, madame, dit Hermann à voix basse,
mais en accentuant bien ses mots. Pour l’amour de Dieu, n’ a y e z
pas peur. Je ne veux pas vous faire le moindre mal. Au contraire,
c’est une grâce que je viens implorer de vous.
La vieille le regardait en silence, comme si elle ne comprenait
pas. Il crut qu’elle était sourde, et, se penchant à son
oreille, il répéta son exorde. La comtesse continua à garder le
silence.
– Vous pouvez, continua Hermann, assurer le bonheur de
toute ma vie, et sans qu’il vous en coûte rien... Je sais que
vous pouvez me dire trois cartes qui...
Hermann s’arrêta. La comtesse comprit sans doute ce
q u’on voulait d’elle ; peut-être cherchait-elle une réponse.
Elle dit :
– C’était une plaisanterie. Je vous le jure, une plaisanterie.
– Non, madame, répliqua Hermann d’un ton colère. Souvenez-vous
de Tchaplitzki, que vous fîtes gagner...
La comtesse parut troublée. Un instant, ses traits exprimèrent
une vive émotion, mais bientôt ils reprirent leur
impassibilité première.
– Ne pouvez-vous pas, dit Hermann, m’indiquer trois
cartes gagnantes ?
La comtesse se taisait ; il continua :
– Pourquoi garder pour vous ce secret ? Pour vos petitsfils
? Ils sont riches sans cela. Ils ne savent pas le prix de l’argent.
À quoi leur serviraient vos trois cartes ? Ce sont des
166

LA DAME DE PIQUE
débauchés. Celui qui ne sait pas garder son patrimoine mourra
dans l’indigence, eût-il la science des démons à ses ordres.
Je suis un homme rangé, moi ; je connais le prix de l’argent.
Vos trois cartes ne seront pas perdues pour moi. Allons...
Il s’arrêta, attendant une réponse en tremblant. La comtesse
ne disait mot. Hermann se mit à genoux.
– Si votre cœur a jamais connu l’amour, si vous vous rappelez
ses douces extases, si vous avez jamais souri au cri d’un
nouveau-né, si quelque sentiment humain a jamais fait battre
votre cœur, je vous en supplie par l’amour d’un époux, d’un
amant, d’une mère, par tout ce qu’il y a de saint dans la vie,
ne rejetez pas ma prière. Révélez-moi votre secret ! Voyons !
Peut-être se lie-t-il à quelque péché terrible, à la perte de
votre bonheur éternel ? N’auriez-vous pas fait quelque pacte
diabolique ?... Pensez-y, vous êtes bien âgée, vous n’avez plus
longtemps à vivre. Je suis prêt à prendre sur mon âme tous vos
péchés, à en répondre seul devant Dieu ! Dites-moi votre
secret ! Songez que le bonheur d’un homme se trouve entre
vos mains, que non seulement moi, mais mes enfants, mes
petits-enfants, nous bénirons tous votre mémoire et vous vénérerons
comme une sainte.
La vieille comtesse ne répondit pas un mot. Hermann se
releva.
– Maudite vieille, s’écria-t-il en grinçant des dents, je saurai
bien te faire parler !
Et il tira un pistolet de sa poche.
À la vue du pistolet, la comtesse, pour la seconde fois,
montra une vive émotion. Sa tête branla plus fort, elle étendit
ses mains comme pour écarter l’arme, puis, tout d’un coup, se
renversant en arrière, elle demeura immobile.
– Allons ! Cessez de faire l’enfant, dit Hermann en lui saisissant
la main. Je vous adjure pour la dernière fois. Voulezvous
me dire vos trois cartes, oui ou non ?
La comtesse ne répondit pas. Hermann s’aperçut qu’elle
était morte.
167

ALEXANDRE POUCHKINE
IV
7 mai 18**
Homme sans mœurs et sans religion !
Correspondance
Lisabeta Ivanovna était assise dans sa chambre, encore en
toilette de bal, plongée dans une profonde méditation. De
retour à la maison, elle s’était hâtée de congédier sa femme de
chambre à moitié endormie en lui disant qu’elle n’avait besoin
de personne pour se déshabiller, et elle était montée dans son
appartement, tremblant d’y trouver Hermann, désirant de ne
l’y pas trouver. Du premier coup d’œil elle s’assura de son
absence et remercia le hasard qui avait fait manquer leur rendez-vous.
Elle s’assit toute pensive, sans songer à changer de
toilette, et se mit à repasser dans sa mémoire toutes les circonstances
d’une liaison commencée depuis si peu de temps,
et qui pourtant l’avait déjà menée si loin. Trois semaines
s’étaient à peine écoulées depuis que de sa fenêtre elle avait
aperçu le jeune officier, et déjà elle lui avait écrit, et il avait
réussi à obtenir d’elle un rendez-vous la nuit. Elle savait son
nom, uniquement parce qu’il avait signé quelques-unes de ses
lettres, mais jamais il ne lui avait adressé la parole ; elle ne
connaissait pas le son de sa voix. Jusqu’à ce soir-là même,
chose étrange, elle n’avait jamais entendu parler de lui. Ce
soir-là, Tomski, croyant s’apercevoir que la jeune princesse
Pauline ***, auprès de laquelle il était fort assidu, coquetait,
contre son habitude, avec un autre que lui, avait voulu s’en
venger en faisant parade d’indifférence. Dans ce beau dessein,
il avait invité Lisabeta pour une interminable mazurka.
Il lui fit force plaisanteries sur sa partialité pour les officiers
de l’armée du génie, et, tout en feignant d’en savoir beaucoup
plus qu’il n’en disait, il arriva que quelques-unes de ses plaisanteries
tombèrent si justes, que plus d’une fois Lisabeta put
croire que son secret était découvert.
168

LA DAME DE PIQUE
– Mais enfin, dit-elle en souriant, de qui tenez-vous
tout cela ?
– D’un ami de l’officier que vous savez. D’un homme très
original.
– Et quel est cet homme si original ?
– Il s’appelle Hermann.
Elle ne répondit rien, mais elle sentit ses mains et ses
pieds se glacer.
– Hermann est un héros de roman, continua Tomski. Il a le
profil de Napoléon et l’âme de Méphistophélès. Je crois qu’il a
au moins trois crimes sur la conscience. Comme vous êtes pâle !
– J’ai la migraine. Eh bien ! que vous a dit ce M. Hermann
? N’est-ce pas ainsi que vous l’appelez ?
– Hermann est très mécontent de son ami, de l’officier du
génie que vous connaissez. Il dit qu’à sa place il en userait
autrement. Et puis, je parierais que Hermann a ses projets sur
vous. Du moins, il paraît écouter avec un intérêt fort étrange
les confidences de son ami...
– Et où m’a-t-il vue ?
– À l’église peut-être ; à la promenade, Dieu sait où, peutêtre
dans votre chambre pendant que vous dormiez. Il est
capable de tout...
En ce moment, trois dames s’avançant, selon les us de la
mazurka, pour l’inviter à choisir entre oubli* ou regret*, interrompirent
une conversation qui excitait douloureusement la
curiosité de Lisabeta Ivanovna.
La dame qui, en vertu de ces infidélités que la mazurka
autorise, venait d’être choisie par Tomski était la princesse
Pauline. Il y eut entre eux une grande explication pendant les
évolutions répétées que la figure les obligeait à faire et la
conduite très lente jusqu’à la chaise de la dame à sa place. De
retour, Tomski ne pensait plus ni à Hermann ni à Lisabeta
Ivanovna. Elle essaya vainement de continuer la conversation,
mais la mazurka finit et aussitôt après la vieille comtesse se
leva pour sortir.
169

ALEXANDRE POUCHKINE
Les phrases mystérieuses de Tomski n’étaient autre chose
que des platitudes à l’usage de la mazurka, mais elles étaient
entrées profondément dans le cœur de la pauvre demoiselle de
compagnie. Le portrait ébauché par Tomski lui parut d’une
ressemblance frappante, et, grâce à son érudition romanesque,
elle voyait dans le visage assez insignifiant de son adorateur
de quoi la charmer et l’effrayer tout à la fois. Elle était assise
les mains dégantées, les épaules nues ; sa tête parée de fleurs
tombait sur sa poitrine, quand tout à coup la porte s’ouvrit, et
Hermann entra. Elle tressaillit.
– Où étiez-vous ? lui demanda-t-elle toute tremblante.
– Dans la chambre à coucher de la comtesse, répondit Hermann.
Je la quitte à l’instant : elle est morte.
– Bon Dieu !... Que dites-vous !
– Et je crains, continua-t-il, d’être cause de sa mort.
Lisabeta Ivanovna le regardait tout effarée, et la phrase de
Tomski lui revint à la mémoire : « Il a au moins trois crimes
sur la conscience ! » Hermann s’assit auprès de la fenêtre, et
lui raconta tout.
Elle l’écouta avec épouvante. Ainsi, ces lettres si passionnées,
ces expressions brûlantes, cette poursuite si hardie,
si obstinée, tout cela, l’amour ne l’avait pas inspiré.
L’ a rgent seul, voilà ce qui enflammait son âme. Elle qui
n’avait que son cœur à lui offrir, pouvait-elle le rendre heureux
? Pauvre enfant ! elle avait été l’instrument aveugle
d’un voleur, du meurtrier de sa vieille bienfaitrice. Elle
pleurait amèrement dans l’agonie de son repentir. Hermann
la regardait en silence ; mais ni les larmes de l’infortunée
ni sa beauté rendue plus touchante par la douleur ne pouvaient
ébranler cette âme de fer. Il n’avait pas un remords en
songeant à la mort de la comtesse. Une seule pensée le
déchirait, c’était la perte irréparable du secret dont il avait
attendu sa fortune.
– Mais vous êtes un monstre ! s’écria Lisabeta après un
long silence.
170

LA DAME DE PIQUE
– Je ne voulais pas la tuer, répondit-il froidement ; mon
pistolet n’était pas chargé.
Ils demeurèrent longtemps sans se parler, sans se regard
e r. Le jour venait, Lisabeta éteignit la chandelle qui brûlait
dans la bobèche. La chambre s’éclaira d’une lumière blafarde.
Elle essuya ses yeux noyés de pleurs, et les leva sur
Hermann. Il était toujours près de la fenêtre, les bras croisés,
fronçant le sourcil. Dans cette attitude, il lui rappela involontairement
le portrait de Napoléon. Cette ressemblance
frappa même Lisabeta Ivanovna.
– Comment vous faire sortir d’ici ? lui dit-elle enfin. Je
pensais à vous faire sortir par l’escalier dérobé, mais il faudrait
passer par la chambre de la comtesse, et j’ai trop peur...
– Dites-moi seulement où je trouverai cet escalier dérobé ;
j’irai bien seul.
Elle se leva, chercha dans un tiroir une clé qu’elle remit à
Hermann, en lui donnant tous les renseignements nécessaires.
Hermann prit sa main glacée, déposa un baiser sur son front
qu’elle baissait, il sortit.
Il descendit l’escalier tournant et entra dans la chambre
de la comtesse. Elle était assise dans son fauteuil, toute
r o i d e ; les traits de son visage n’étaient point contractés. Il
s’arrêta devant elle, et la contempla quelque temps comme
pour s’assurer de l’effrayante réalité ; puis il entra dans le
cabinet noir, et, en tâtant la tapisserie, découvrit une petite
porte qui ouvrait sur un escalier. En descendant, d’étranges
idées lui vinrent en tête.
– Par cet escalier, se disait-il, il y a quelque soixante ans,
à pareille heure, sortant de cette chambre à coucher, en habit
brodé, coiffé à l’oiseau royal*, serrant son chapeau à trois
cornes contre sa poitrine, on aurait pu surprendre quelque
galant, enterré depuis de longues années, et, aujourd’hui
même, le cœur de sa vieille maîtresse a cessé de battre.
Au bout de l’escalier, il trouva une autre porte que sa clé
ouvrit. Il entra dans un corridor, et bientôt il gagna la rue.
171

ALEXANDRE POUCHKINE
V
Cette nuit m’est apparue la défunte baronne von W***.
Elle était tout de blanc vêtue et m’a dit :
« Bonjour monsieur le Conseiller ! »
172
SWEDENBORG
Trois jours après cette nuit fatale, à neuf heures du matin,
Hermann entrait dans le couvent de ***, où l’on devait rendre
les derniers devoirs à la dépouille mortelle de la vieille comtesse.
Il n’avait pas de remords, et cependant il ne pouvait se
dissimuler qu’il était l’assassin de cette pauvre femme.
N’ayant que peu de foi, il avait beaucoup de superstition.
Persuadé que la comtesse morte pouvait exercer une maligne
influence sur sa vie, il s’était imaginé qu’il apaiserait ses
mânes en assistant à ses funérailles.
L’église était pleine de monde, et il eut beaucoup de peine
à trouver place. Le corps était disposé sur un riche catafalque,
sous un baldaquin de velours. La comtesse était couchée dans
sa bière, les mains jointes sur la poitrine, avec une robe de
satin blanc et des coiffes de dentelles. Autour du catafalque,
la famille était réunie ; les domestiques en cafetan noir, avec
un nœud de rubans armoriés sur l’épaule, un cierge à la main ;
les parents en grand deuil, enfants, petits-enfants, arrièrepetits-enfants,
personne ne pleurait ; les larmes eussent passé
pour une affectation*. La comtesse était si vieille, que sa mort
ne pouvait surprendre personne, et l’on s’était accoutumé
depuis longtemps à la regarder comme déjà hors de ce monde.
Un jeune prélat prononça l’oraison funèbre. Dans quelques
phrases simples et touchantes, il peignit le départ final du
juste, qui a passé de longues années dans les préparatifs
attendrissants d’une fin chrétienne.
– L’ange de la mort l’a enlevée, dit l’orateur, au milieu de
l’allégresse de ses pieuses méditations et dans l’attente du

LA DAME DE PIQUE
fiancé de minuit. Le service s’acheva dans le recueillement
convenable. Alors les parents vinrent faire leurs derniers
adieux à la défunte. Après eux, en longue procession, tous les
invités à la cérémonie s’inclinèrent pour la dernière fois
devant celle qui, depuis tant d’années, avait pris part à leurs
amusements frivoles. La maison de la comtesse s’avança la
dernière. On remarquait une vieille gouvernante du même âge
que la défunte, soutenue par deux femmes. Elle n’avait pas la
force de s’agenouiller, mais des larmes coulèrent de ses yeux
quand elle baisa la main de sa maîtresse.
À son tour, Hermann se décida à s’approcher du cercueil.
Il se prosterna un moment sur les dalles jonchées de branches
de sapin. Puis il se leva, et, pâle comme la mort, il monta les
degrés du catafalque et s’inclina... quand tout à coup il lui
sembla que la morte le regardait d’un air moqueur en clignant
un œil. Hermann, d’un brusque mouvement se rejeta en arrière
et tomba à la renverse. On le releva. Au même instant,
sur le parvis de l’église, on emportait Lisabeta Ivanovna évanouie.
Cet épisode troubla pendant quelques minutes la
pompe de la cérémonie funèbre ; les assistants chuchotaient,
et un chambellan chafouin, proche parent de la défunte, murmura
à l’oreille d’un Anglais qui se trouvait près de lui : « Ce
jeune officier est un fils de la comtesse, de la main gauche,
s’entend. » À quoi l’Anglais répondit froidement : « Oh ! »
Toute la journée, Hermann fut en proie à un malaise extraordinaire.
Dans le restaurant solitaire où il prenait ses repas,
il but beaucoup contre son habitude, dans l’espoir de s’étourdir
; mais le vin ne fit qu’allumer son imagination et donner
une activité nouvelle aux idées qui le préoccupaient. Il rentra
chez lui de bonne heure, se jeta tout habillé sur son lit, et s’endormit
d’un sommeil de plomb.
Lorsqu’il se réveilla, il était nuit, la lune éclairait sa
chambre. Il regarda l’heure ; il était trois heures moins un
quart. Il n’avait plus envie de dormir. Il était assis sur son lit
et pensait à l’enterrement de la vieille comtesse.
173

ALEXANDRE POUCHKINE
En ce moment, quelqu’un dans la rue s’approcha de la
fenêtre comme pour regarder dans sa chambre, et passa aussitôt.
Hermann n’y fit aucune attention. Au bout d’une minute,
il entendit ouvrir la porte de son antichambre. Il crut que son
domestique, ivre selon son habitude, rentrait de quelque
excursion nocturne ; mais bientôt il distingua un pas inconnu.
Quelqu’un entrait en traînant doucement des pantoufles sur le
parquet. La porte s’ouvrit, et une femme vêtue de blanc
s’avança dans sa chambre. Hermann s’imagina que c’était sa
vieille nourrice, et il se demanda ce qui pouvait l’amener à
cette heure de la nuit ; mais la femme en blanc, traversant la
chambre avec rapidité, fut en un moment au pied de son lit, et
Hermann reconnut la comtesse !
– Je viens à toi contre ma volonté, dit-elle d’une voix
ferme. Je suis contrainte d’exaucer ta prière. Tr o i s-s e p t - a s
gagneront pour toi l’un après l’autre ; mais tu ne joueras pas
plus d’une carte en vingt-quatre heures, et après, pendant
toute ta vie, tu ne joueras plus ! Je te pardonne ma mort,
pourvu que tu épouses ma demoiselle de compagnie,
Lisabeta Ivanovna.
À ces mots, elle se dirigea vers la porte et se retira en traînant
encore ses pantoufles sur le parquet. Hermann l’entendit
pousser la porte de l’antichambre, et vit de nouveau quelqu’un
qui regardait chez lui, par la fenêtre.
Hermann demeura quelque temps tout abasourdi ; il se
leva et entra dans l’antichambre. Son serviteur, ivre comme à
l’ordinaire, dormait couché sur le parquet. Il eut beaucoup de
peine à le réveiller, et n’en put obtenir la moindre explication.
La porte de l’antichambre était fermée à clé. Hermann rentra
dans sa chambre, alluma une bougie et écrivit aussitôt toutes
les circonstances de sa vision.
174

LA DAME DE PIQUE
VI
– Attendez.
– Comment avez-vous osé me dire « attendez » ?
– Votre Excellence, j’ai dit « veuillez attendre ».
Deux idées fixes ne peuvent exister à la fois dans le monde
moral, de même que dans le monde physique deux corps ne
peuvent occuper à la fois la même place. Tr o i s-sept-as effacèrent
bientôt dans l’imagination de Hermann l’image de feu la
vieille comtesse. Tr o i s-sept-as ne lui sortaient plus de la tête
et venaient à chaque instant sur ses lèvres. Rencontrait-il une
jeune personne dans la rue : « Quelle jolie taille ! disait-il ; elle
ressemble à un trois de cœur. » On lui demandait l’heure ; il
répondait : « Sept de carreau moins un quart. » Tout gros
homme qu’il voyait lui rappelait un as. Tr o i s-sept-as le suivaient
en songe, et lui apparaissaient sous maintes formes
étranges. Il voyait des trois s’épanouir comme des m a g n o l i a
g r a n d i fl o r a . Des sept s’ouvraient en portes gothiques ; des as
se montraient suspendus comme des araignées monstrueuses.
Toutes ses pensées se concentraient vers un seul but : comment
mettre à profit ce secret si chèrement acheté ? Il songeait
à demander un congé pour voyager. À Paris, se disait-il,
il découvrirait quelque maison de jeu où il ferait en trois
coups sa fortune. Le hasard le tira bientôt d’embarras.
Il y avait à Moscou une société de joueurs riches, sous la
présidence du célèbre Tc h e kalinski, qui avait passé toute sa vie
à jouer, et qui avait amassé des millions, car il gagnait des
billets de banque et ne perdait que de l’argent blanc. Sa maison
magnifique, sa cuisine excellente, ses manières ouvertes, lui
avaient fait de nombreux amis et lui attiraient la considération
générale. Il vint à Pétersbourg. Aussitôt la jeunesse accourut
dans ses salons, oubliant les bals pour les soirées de jeu et préférant
les émotions du tapis vert aux séductions de la coquetterie.
Hermann fut conduit chez Tc h e kalinski par Naroumof.
175

ALEXANDRE POUCHKINE
Ils traversèrent une longue enfilade de pièces remplies de
serviteurs polis et empressés. Il y avait foule partout. Des généraux
et des conseillers privés jouaient au whist. Des jeunes
gens étaient étendus sur les divans, prenant des glaces et
fumant de grandes pipes. Dans le salon principal, devant une
longue table autour de laquelle se serraient une vingtaine de
joueurs, le maître de la maison tenait une banque de pharaon 1 .
C’était un homme de soixante ans environ, d’une physionomie
douce et noble, avec des cheveux blancs comme la neige. Sur
son visage plein et fleuri, on lisait la bonne humeur et la bienveillance.
Ses yeux brillaient d’un sourire perpétuel. Naroumof
lui présenta Hermann. Aussitôt Tc h e kalinski lui tendit la main,
lui dit qu’il était le bienvenu, qu’on ne faisait pas de cérémonies
dans sa maison, et il se remit à tailler.
La taille dura longtemps ; on pontait sur plus de trente
cartes. À chaque coup, Tchekalinski s’arrêtait pour laisser aux
gagnants le temps de faire des paroli, payait, écoutait civilement
les réclamations, et plus civilement encore faisait
abattre les cornes qu’une main distraite s’était permises.
Enfin la taille finit ; Tchekalinski mêla les cartes et se prépara
à en faire une nouvelle.
– Permettez-vous que je prenne une carte ? dit Hermann
allongeant la main par-dessus un gros homme qui pontait à
cet endroit.
Tc h e kalinski, en lui adressant un gracieux sourire, s’inclina
poliment en signe d’acceptation. Naroumof complimenta en riant
Hermann sur la fin de son austérité d’autrefois, et lui souhaita
toute sorte de bonheur pour son début dans la carrière du jeu.
1. Le pharaon est un jeu simple et dangereux. Le banquier taille, il joue seul
contre les autres joueurs, qui pontent. On se sert de deux jeux de cartes. Chaque
joueur mise sur une ou plusieurs cartes choisies dans le premier jeu. Le banquier
mélange et fait couper le second jeu ; il en tire deux cartes qu’il pose l’une
à sa gauche, l’autre à sa droite. Celle de gauche fait gagner aux joueurs les
sommes qu’ils ont misées sur une carte identique ; celle de droite fait gagner
au banquier les sommes misées sur une carte identique. ( N d E )
176

LA DAME DE PIQUE
– Va ! dit Hermann après avoir écrit un chiffre sur le dos
de sa carte.
– Combien ? demanda le banquier en clignant des yeux.
Excusez, je ne vois pas.
– Quarante-sept mille roubles, dit Hermann.
À ces mots, toutes les têtes se levèrent, tous les regards se
dirigèrent sur Hermann.
– Il a perdu l’esprit, pensa Naroumof.
– Permettez-moi de vous faire observer, monsieur, dit Tchekalinski
avec son éternel sourire, que votre jeu est un peu fort.
Jamais personne n’a ponté ici plus de deux cent soixantequinze
roubles sur le simple.
– Bon, dit Hermann ; mais faites-vous ma carte, oui ou
non ?
Tchekalinski s’inclina en signe d’assentiment.
– Je voulais seulement vous faire observer, dit-il, que me
flattant de la confiance de mes amis, je ne puis tailler que
devant de l’argent comptant. Je suis parfaitement convaincu
que votre parole vaut de l’or ; cependant, pour l’ordre du jeu
et la facilité des calculs, je vous serai obligé de mettre de l’argent
sur votre carte.
Hermann tira de sa poche un billet et le tendit à
Tchekalinski, qui, après l’avoir examiné d’un clin d’œil, le
posa sur la carte de Hermann.
Il tailla, à droite vint un dix, à gauche un trois.
– Je gagne, dit Hermann en montrant sa carte.
Un murmure d’étonnement circula parmi les joueurs. Un
moment, les sourcils du banquier se contractèrent, mais aussitôt
son sourire habituel reparut sur son visage.
– Faut-il régler ? demanda-t-il au gagnant.
– Si vous avez cette bonté.
Tchekalinski tira des billets de banque de son portefeuille
et paya aussitôt. Hermann empocha son gain et quitta la table.
Naroumof n’en revenait pas. Hermann but un verre de limonade
et rentra chez lui.
177

ALEXANDRE POUCHKINE
Le lendemain au soir, il revint chez Tchekalinski, qui était
encore à tailler. Hermann s’approcha de la table ; cette fois,
les pontes s’empressèrent de lui faire une place. Tchekalinski
s’inclina d’un air caressant.
Hermann attendit une nouvelle taille, puis prit une carte
sur laquelle il mit ses quarante-sept mille roubles et, en outre,
le gain de la veille.
Tchekalinski commença à tailler. Un valet sortit à droite,
un sept à gauche.
Hermann montra un sept.
Il y eut un ah ! général. Tchekalinski était évidemment mal
à son aise. Il compta quatre-vingt-quatorze mille roubles et les
remit à Hermann, qui les prit avec le plus grand sang-froid, se
leva et sortit aussitôt.
Il reparut le lendemain à l’heure accoutumée. Tout le
monde l’attendait ; les généraux et les conseillers privés
avaient laissé leur whist pour assister à un jeu si extraordinaire.
Les jeunes officiers avaient quitté les divans, tous les
gens de la maison se pressaient dans la salle. Tous entouraient
Hermann. À son entrée, les autres joueurs cessèrent de ponter
dans leur impatience de le voir aux prises avec le banquier
qui, pâle, mais toujours souriant, le regardait s’approcher de
la table et se disposer à jouer seul contre lui. Chacun d’eux
défit à la fois un paquet de cartes. Tchekalinski mêla et Hermann
coupa ; puis il prit une carte et la couvrit d’un monceau
de billets de banque. On eût dit les apprêts d’un duel. Un profond
silence régnait dans la salle.
Tchekalinski commença à tailler ; ses mains tremblaient.
À droite, on vit sortir une dame ; à gauche un as.
– L’as gagne, dit Hermann, et il découvrit sa carte.
– Votre dame a perdu, dit Tc h e kalinski d’un ton de voix
mielleux.
Hermann tressaillit. Au lieu d’un as, il avait devant lui
une dame de pique. Il n’en pouvait croire ses yeux, et ne comprenait
pas comment il avait pu se méprendre de la sorte. À
178

LA DAME DE PIQUE
ce moment, il lui sembla voir la dame de pique cligner de
l’œil et sourire d’un air railleur. Une ressemblance ex t r a o r d inaire
le frappa...
– La vieille ! s’écria-t-il épouvanté.
Tchekalinski, d’un coup de râteau, ramassa tout son gain.
Hermann demeura longtemps immobile, anéanti. Quand enfin
il quitta la table de jeu, il y eut un moment de causerie
bruyante. Un fameux ponte ! disaient les joueurs. Tchekalinski
mêla les cartes, et le jeu continua.
CONCLUSION
Hermann est devenu fou. Il est à l’hôpital d’Oboukhof, le
n o 17. Il ne répond à aucune question et marmotte à une vitesse
extraordinaire : trois-sept-as ! – trois-s e p t -dame !
Lisabeta Ivanovna vient d’épouser un jeune homme très
aimable, fils de l’intendant de la défunte comtesse. Il a une
bonne place, et c’est un garçon fort rangé. Lisabeta a pris chez
elle une pauvre parente dont elle fait l’éducation.
Tomski a passé chef d’escadron. Il a épousé la princesse
Pauline ***.
Traduction de PROSPER MÉRIMÉE, 1852

ABRAM TERTZ
HASARD & DESTIN
Les seuls êtres qui calculent, chez Pouchkine, sont les
despotes, les rebelles. Aleko. L’usurpateur Boris Godounov.
Ce voleur à la tire qu’est Hermann. Tout bien compté, le calculateur
trébuche et tombe, sans savoir pourquoi, car il est
toujours mécontent (il boude le destin). Dans des dizaines de
variations, Pouchkine nous expose ce thème : l’ennemi du
destin se casse le nez, malgré ruses et intrigues, c’est le destin
qui triomphe de l’homme en brouillant ses cartes ou en lui
faisant un croc-en-jambe.
[...] Serviteur du destin, le hasard dissimule son maître
sous un voile de coïncidences sporadiques qui adviennent
avec une rigueur suspecte mais qui sont suffisamment
modestes et capricieuses pour qu’on y voie, sans recourir à la
métaphysique, un innocent concours de circonstances.
– Hasard ! – dit l’un des invités.
– Fable ! – observa Hermann.
180

HASARD & DESTIN
Voila comment, dans La Dame de pique, le public réagit
aux informations dispersées par Tomski sur l’au-delà : ce qui
pour certains n’a aucune réalité (« Fable ! ») est encore admis
par d’autres sous l’humble travestissement d’un hasard, qui
flotte entre l’inouï et le vraisemblable. En sapant le destin, le
hasard lui assure une assiette nouvelle, et scientifique. Le
hasard est une concession qui fut faite à la magie noire par la
mécanique lorsque celle-ci découvrit l’origine des choses
dans un tohu-bohu d’atomes et s’ingénia – au nez et à la barbe
d’une église ébahie – à expliquer l’ordre du monde par un
désordre d’où, comme du haut-de-forme d’un magicien, par la
soudaine rencontre de petites billes surgissait une civilisation
qui n’avait plus besoin de créateur.
Extrait de Promenades avec Pouchkinede Abram Tertz
(alias André Siniavski)
Traduction de Louis Martinez
© Seuil, Collection Pierres vives, 1976

Je suis persuadé de son brillant avenir
CORRESPONDANCE & ÉCRITS DE TCHAÏKOVSKI
À son frère Modest, le 28 mars 1888
Un sujet comme La Dame de piquene me touche pas, et je
ne pourrais écrire que des choses sans valeur.
Journal, le 19 janvier 1890
J’ai commencé le travail, et assez bien.
Journal (au moment de la composition de la pastorale
de l’acte II), le 12 février1890
Par moments, j’avais l’impression de vivre au XVIII e siècle,
et qu’il n’y avait plus rien après Mozart.
À son frère Modest le 3 mars 1890
Lorsque je suis arrivé à la mort de Hermann et au chœur
final, je me suis senti pris d’une telle compassion pour
Hermann que j’ai commencé à pleurer abondamment. Ces
pleurs ont duré longtemps et ont fini par se transformer en une
légère crise d’hystérie, fort agréable, car il m’était extrêmement
doux de pleurer. Ce n’est qu’après que j’en ai compris la
182

JE SUIS PERSUADÉ DE SON BRILLANT AVENIR
raison (car il ne m’était jamais arrivé de sangloter sur le destin
de mes héros, et je voulais en comprendre la raison.) En
fait, Hermann n’est pas seulement pour moi un prétexte pour
composer telle ou telle musique, mais un homme réel et
vivant, pour qui j’éprouvais de surcroît une grande sympathie.
D e r n i è re page des esquisses de la partition,
le 3 mars 1890
Je remercie Dieu ! J’ai terminé la composition de l’opéra.
À son frère Modest, le 6 avril 1890
J’ai maintenant l’impression que l’histoire du monde se
subdivise en deux périodes. La première période, c’est tout ce
qui s’est passé depuis la création du monde jusqu’à la création
de La Dame de pique. La seconde période a débuté il y a un
mois de cela.
À son frère Anatole, le 24 mai 1890
Je passe par une période de joie de vivre tout à fait particulière.
Je me délecte de la conscience d’avoir bien achevé un
gros travail. Peut-être n’est-ce qu’un impression, mais je crois
que La Dame de pique sera un opéra réussi. Je ne sais pas,
mais pour l’instant, je suis persuadé de son brillant avenir.
Extraits recueillis dans Piotr Illitch Tchaïkosky
de André Lischke, © Fayard, 1993

’ ’
La chance est femme, elle est jalouse
De ces veuvages solennels
Sans doute elle m’a crue l’épouse
D’un véritable colonel
J’ai gagné, gagné sur le douze
Et puis les robes se décousent
La fourrure perd ses cheveux
On a beau répéter « Je veux »
Dès que la chance vous déteste
Dès que votre cœur est nerveux
Vous ne pouvez plus faire un geste
Pousser un sou sur le tableau
Sans que la chance qui s’écarte
Change les chiffres et les cartes
Des tables de Monte-Carlo
JEAN COCTEAU
Extrait de La Dame de Monte-Carlo

CARNET de NOTES
Piotr Illitch Tchaïkovski
Repères biographiques
& Notice bibliographique
—
Alexandre Pouchkine
Repères biographiques
& Notice bibliographique
—
La Dame de pique
Orientations discographiques

PIOTR ILLITCH TCHAÏKOVSKI REPÈRES BIOGRAPHIQUES
186
H I S T O I R E T C H A Ï KOV S K I
1840.
Le règne du tsar Nicolas I er
dure depuis 15 ans.
1848.
Révolutions en Europe.
Fondation de la II e république
en France.
1849.
Kossuth proclame
l’indépendance de la Hongrie.
1852.
Fondation du Second Empire.
1854.
Guerre de Crimée : France et
Angleterre contre la Russie.
1855.
Avènement du tsar Alex a n d r e I I .
1858.
Les serfs appartenant à la
couronne russe sont affranchis.
1840.
Naissance le 7 mai à Votkinsk.
Son père est gentilhomme,
ses ancêtres avaient combattu
à Poltava. Son grand-père
maternel est le marquis
d’Assier émigré en Russie
pendant la Révolution française.
1845.
Sa mère lui donne ses
premières leçons de piano.
1850-1859.
Études de droit à
Saint-Petersbourg.
1852.
Il assiste à une représentation
de Don Giovanni qui détermine
sa vocation musicale.

M U S I Q U E
1840.
Schumann, Dichterliebe.
1841.
Naissance de Chabrier
et de Dvorák.
1842.
Glinka, Ruslan et Ludmilla.
1844.
Naissance de Rimski-Korsakov.
1849.
Mort de Chopin.
1854.
Naissance de Leos Janácek.
1857.
Naissance du Groupe des Cinq :
Balakirev, Borodine, Cui,
Moussorgski, Rimski-Korsakov.
Mort de Glinka.
TCHAÏKOVSKI & SON TEMPS
LETTRES, ARTS & SCIENCES
1840.
Naissance de Zola, de Rodin,
de Monet.
Poe, Histoires extraordinaires.
1842.
Publication des Âmes mortes
de Gogol.
1848.
Mort de Chateaubriand.
1852.
Mort de Gogol.
To u rg u e n i e v, Récits d’un chasseur.
1859.
Ostrovski, L’Orage.
187

PIOTR ILLITCH TCHAÏKOVSKI REPÈRES BIOGRAPHIQUES
188
H I S T O I R E T C H A Ï KOV S K I
1861.
Abolition totale du servage
en Russie.
1863.
Insurrection polonaise écrasée
par la Russie l’année suivante.
1867.
Publication en Allemagne
du premier livre du Capital
de Karl Marx.
1868.
Naissance du futur Nicolas II,
dernier tsar de Russie.
1870.
Guerre franco-prussienne.
Naissance de Vladimir Illitch
Oulianov (Lénine).
1862.
Entre au Conservatoire de
Saint-Pétersbourg.
1868.
Création de la Première
Symphonie “Rêves d’hiver”
à Moscou sous la direction
de Nikolaï Rubinstein.
1869.
Création au Bolchoï de son
premier opéra, Le Voiévode.
Rencontre Franz Liszt.

M U S I Q U E
1860.
Naissance de Mahler.
1863.
Berlioz, Les Troyens.
1864.
Naissance de Richard Strauss.
1867.
Rimski-Korsakov, Sadko.
1869.
Mort de Dargomijski
et de Berlioz.
TCHAÏKOVSKI & SON TEMPS
LETTRES, ARTS & SCIENCES
1860.
Naissance de Tchekhov.
1862.
Dostoïevski, Souvenirs
de la maison des morts.
1863.
Naissance du metteur en scène
Konstantin Stanislavski.
1865-1869.
Tolstoï, Guerre et Paix.
1866.
Naissance de Vassily Kandinsky.
1867.
Mort de Baudelaire.
1868.
Naissance de Maxime Gorki.
Dostoïevski, L’Idiot.
189

PIOTR ILLITCH TCHAÏKOVSKI REPÈRES BIOGRAPHIQUES
190
H I S T O I R E T C H A Ï KOV S K I
1871.
Défaite de la France.
La Commune de Paris est
écrasée dans le sang.
4 septembre : proclamation
de la III e République.
1877.
Guerre des Balkans.
1875.
Création du Premier Concerto
pour piano et orchestre
à Boston, sous la direction
de Hans von Bülow.
1876.
Séjourne à Paris où il retrouve
son ami Saint-Saëns et
rencontre Massenet.
Assiste au premier festival
de Bayreuth.
Premier contact épistolaire
avec Madame von Meck
qui deviendra son mécène.
1877.
Mariage avec A. Milioukova.
Échec conjugual et dépression
du compositeur.

M U S I Q U E
1871.
Verdi, Aïda.
1872.
Naissance d’Alexandre Scriabine.
1873.
Naissance de Serge Rachmaninov
et de Fédor Chaliapine.
1874.
Moussorgski, Boris Godounov.
Naissance de Schönberg.
1875.
Bizet, Carmen. Mort de Bizet.
Naissance de Ravel.
Inauguration du Palais-Garnier.
1876.
Premier festival de Bayreuth.
Wagner, La Tétralogie.
1878.
Dvorák, Danses slaves.
TCHAÏKOVSKI & SON TEMPS
LETTRES, ARTS & SCIENCES
1872.
Monet, Impression, soleil levant.
Nietzsche, La Naissance
de la tragédie.
1873.
Rimbaud, Une saison en enfer.
Tolstoï, Anna Karénine.
1876.
Bell invente le téléphone,
1877.
Edison invente le phonographe.
191

PIOTR ILLITCH TCHAÏKOVSKI REPÈRES BIOGRAPHIQUES
192
H I S T O I R E T C H A Ï KOV S K I
1879.
Naissance de Iossif
Vissarionovitch Djougachvili
(Josef Staline).
1881.
Assassinat du tsar Alexandre II
par l’organisation populiste
“La Volonté du peuple”.
1881-1882.
Pogroms contre les Juifs
en Russie.
1889.
Premier emprunt russe lancé
en France.
1879.
Création d’Eugène Onéguine
par les élèves du Conservatoire
de Moscou.
1880.
Création à Moscou du
Capriccio italien.
1884.
Création de M a z e p p aau Bolchoï.
1890.
Au Mariinski de
Saint-Pétersbourg, création
de La Dame de pique.
1891-1893.
Tournées aux États-Unis, en
Allemagne, en Suisse, en Italie,
en Belgique.

M U S I Q U E
1881.
Mort de Moussorgski.
1882.
Naissance d’Igor Stravinski.
1883.
Naissance de Webern
et de Varèse.
1885.
Naissance d’Alban Berg.
1887.
Mort de Borodine.
1889.
R i m s k i - Ko r s a ko v, S c h é h é r a z a d e.
1890.
Création posthume
du Prince Igor de Borodine.
1891.
Naissance de Serge Prokofiev.
TCHAÏKOVSKI & SON TEMPS
LETTRES, ARTS & SCIENCES
1881.
Mort de Dostoïevski.
1882.
Naissance de James Joyce.
1883.
Pavlov passe sa thèse
de doctorat en médecine.
Mort de Karl Marx.
1885.
Mort de Victor Hugo.
1887.
Naissance de Marc Chagall.
Tchekhov, Ivanov.
1890.
Naissance de Boris Pasternak.
1891.
Naissance d’Ossip Mandelstam.
193

PIOTR ILLITCH TCHAÏKOVSKI REPÈRES BIOGRAPHIQUES
194
H I S T O I R E T C H A Ï KOV S K I
1892.
Création de Casse-Noisetteau
Mariinski de Saint-Petersbourg.
1893.
Tchaïkovski dirige lui-même
la création de la Sixième
Symphonie “Pathétique”.
Il meurt du choléra neuf jours
plus tard.

M U S I Q U E
1893.
Verdi, Falstaff.
TCHAÏKOVSKI & SON TEMPS
LETTRES, ARTS & SCIENCES
1892.
Naissance de Marina Tsvétaeva.
1893.
Émile Zola, Le Docteur Pascal,
dernier volet des Ro u g o n - M a c q u a r t .
Naissance de Maïakovski.
195

PIOTR ILLITCH TCHAÏKOVSKI NOTICE BIBLIOGRAPHIQUE
196
PIOTR ILLITCH TCHAÏKOVSKI. Voyage à l’étranger,
Collection Les Inattendus, Le Castor astral, 1993.
Tchaïkovski au miroir de ses écrits, textes choisis,
traduits & présentés par André Lischke, Fayard, 1998.
Du compositeur
Sur le compositeur
MICHEL. R. HOFFMAN. Tchaïkovski, Collection Solfèges, Seuil, 1959.
GUY ERISMANN. Tchaïkovski, l’homme et son œuvre, Seghers, 1964.
NINA BERBEROVA. Tchaïkovski, Actes Sud, 1987.
ANDRÉ LISCHKE. Piotr Illitch Tchaïkovski, Fayard, 1993.
Sur La Dame de pique
La Dame de pique, L’Avant-Scène / Opéra, n os 119/120, 1989.

ALEXANDRE POUCHKINE REPÈRES BIOGRAPHIQUES
1799.
Le 26 mai, naissance à Moscou d’Alexandre Sergueiévitch
Pouchkine. Son père est d’une vieille famille de la noblesse.
Sa mère est l’arrière-petite-fille de l’Africain Hannibal,
filleul du tsar et dont Pouchkine fera le héros de son roman
Le Nègre de Pierre le Grand.
1811.
Il entre au lycée de Tsarskoïé Siélo qui prépare les jeunes
des familles nobles au service de l’État.
1814.
Première publication d’un texte de Pouchkine,
À un ami poète, dans la revue Le Messager de l’Europe.
1817.
Entre au service du ministère des Affaires étrangères.
Commence son poème Rouslan et Ludmila
1820.
Il est envoyé en exil administratif en Ukraine à la suite de la
publication de poèmes jugés séditieux (Liberté, Le Village).
1822.
Publication du Prisonnier du Caucase.
1824.
Révocation de Pouchkine du service de l’État et exil
près de Pskov.
1825.
Publication du premier chapitre d’Eugène Onéguine.
Pouchkine termine Boris Godounov.
1826.
Après l’avènement de Nicolas 1 er , Pouchkine est autorisé
à vivre à Moscou, sous étroite surveillance. Le tsar,
qui le reçoit, s’est institué son censeur personnel.
1827.
Est autorisé à vivre à Saint-Pétersbourg.
197

ALEXANDRE POUCHKINE REPÈRES BIOGRAPHIQUES
198
1828.
Écrit Poltava.
1829.
Voyage dans le Caucase et en Arménie.
1830.
Après plusieurs interdictions et quelques aménagements,
publication de Boris Godounov. (« Le tsar l’a lu avec plaisir »,
fait savoir Benkendorf, chef du corps des gendarmes
de Moscou.)
1831.
Mariage avec Natalia Gontcharova qui a seize ans.
Réintégration au ministère des Affaires étrangères.
1832.
Naissance de sa fille, Marie.
1833.
Publication de l’intégralité d’Eugène Onéguine.
Élu membre de l’Académie russe.
Naissance de son fils Sacha.
1834.
Publication de La Dame de pique dans la revue
Le Cabinet de lecture.
1835.
Publication du Conte du Coq d’or.
Naissance de son fils Grégoire.
1836.
Naissance de sa fille Nathalie.
Publication de La Fille du Capitaine.
1837.
Provoque en duel Georges d’Anthès qui faisait à sa femme
une cour insistante depuis plusieurs mois ;
Pouchkine est blessé le 27 janvier. Il meurt le 29.

ALEXANDRE POUCHKINE NOTICE BIBLIOGRAPHIQUE
JEAN-LOUIS BACKÈS. Pouchkine par lui-même, Seuil, 1966.
Pouchkine, Hachette, 2000.
HENRI TROYAT. Pouchkine, biographie, Perrin, 1999.
Revue Europe n o 843 : Pouchkine, 1999.
Sur l’écrivain
Œuvres de Pouchkine
La Dame de pique (édition bilingue), traduit du russe
par Nina Kehayan, Folio-Bilingue, 1995.
La Dame de pique, traduit du russe par Prosper Mérimée,
avec des documents et un dossier pédagogiques (Classes de
4 e /3 e ), collection Carrés classiques, Fernand Nathan, 2006.
NB. La Dame de piqueest disponible en plusieurs éditions de
poche et en plusieurs traductions.
Dans la collection Classiques slaves des éditions L’Âge d’homme :
- Œuvres poétiques(2 volumes)
- Œuvres en prose, drames, romans(1 volume)
Boris Godounov / Écrits autobiographiques / Proses
199

LA DAME DE PIQUE ORIENTATIONS DISCOGRAPHIQUES
ALEXANDER MELIK-PACHAIEV
Orchestre & Chœurs du Théâtre du Bolchoï de Moscou
Gueorgui Nelepp (Hermann), Evguenia Smolenskaïa (Lisa),
Alexeï Ivanov (Tomski), Pavel Lissitsian (Eletski),
Evguenia Verbitskaïa (La Comtesse),
Veronika Borrisenko (Paulina)
Mélodyia – 1955
MTSISLAV ROSTROPOVITCH
Orchestre national de France & Chœurs Tchaïkovski
Peter Gougalov (Hermann), Galina Vichnievskaïa (Lisa),
Dan Iordachescu (Tomski), Bernd Weikl (Eletski),
Regina Resnik (La Comtesse), Hanna Schwarz (Paulina)
DG – 1976
VALERY GERGIEV
Orchestre & Chœurs du Kirov de Saint Pétersbourg
Gegam Grigorian (Hermann), Maria Guleghina (Lisa),
Nikolaï Putilin (Tomski), Vladimir Chernov (Eletski),
Irina Arkhipova (La Comtesse), Olga Borodina (Paulina)
Philips – 1993

Chargé d’édition
Jean Spenlehauer
Remerciements
Alain Adaken
Conception & Réalisation
Brigitte Rax / Clémence Hiver
Impression
Imprimerie Lussaud
Opéra national de Lyon
Saison 2009/10
Directeur général
Serge Dorny
OPÉRA NATIONAL DE LYON
Place de la Comédie
69001 Lyon
Renseignements & Réservation
0.826.305.325 (0,15 e/ m n )
www.opera-lyon.com
L’Opéra national de Lyon est conventionné par le ministère de la Culture et
de la Communication, la Ville de Lyon, le conseil régional Rhône-Alpes
et le conseil général du Rhône.

ISBN 978-2-84956-051-8
Dépôt légal : avril 2010

ACHEVÉ d’IMPRIMER
au printemps 2010 pour les représentations de
de LA DAME DE PIQUE à l’Opéra national de Lyon
dans une mise en scène de PETER STEIN
& sous la direction musicale de
KIRILL PETRENKO