Passerelles 37 - pages 54-60 - Vice-Rectorat de la Nouvelle ...
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Marie-Au<strong>de</strong> Murail <strong>la</strong>uréate du trophée 2009<br />
Discours prononcé par Marie- Au<strong>de</strong> Murail lors <strong>de</strong> <strong>la</strong> Remise du trophée 2009 Livre, mon ami<br />
au Centre culturel Tjibaou<br />
« Dès le len<strong>de</strong>main <strong>de</strong> mon arrivée à Nouméa, on m’a <strong>de</strong>mandé<br />
mes impressions sur <strong>la</strong> <strong>Nouvelle</strong>-Calédonie… Voilà dix jours<br />
que je circule, que je regar<strong>de</strong>, que j’écoute, et ma conclusion,<br />
c’est celle-ci : je suis épatée.<br />
Épatée par les CM2 d’Adrienne Lomont qui ont ponctué <strong>de</strong><br />
rires ma lecture à haute voix, par les collégiens <strong>de</strong> Yaté qui m’attendaient<br />
en chansons, par ceux du collège Louise Michel <strong>de</strong> Païta<br />
qui avaient décidé d’adopter <strong>de</strong>s mots en V, vital, valeur, vocation,<br />
vif-argent et n’oublions pas : voter, qui m’ont écrit <strong>de</strong>s cartes<br />
postales timbrées à leur effigie pour m’inciter à voir le phare<br />
Amédée (c’est fait) et le centre culturel Tjibaou (m’y voici). J’ai<br />
été épatée, oui, par les 6 èmes du collège Ste Marie <strong>de</strong> Païta qui<br />
avaient mis en scène chacun <strong>de</strong> mes pas, colliers à l’arrivée,<br />
danses mé<strong>la</strong>nésiennes par <strong>de</strong>s garçons plus virils que ça y a pas<br />
(les gloussements <strong>de</strong>s filles en témoignaient), poème en acrostiche<br />
sur mon nom, pièce <strong>de</strong> théâtre et ca<strong>de</strong>aux d’adieu, à peine si<br />
on m’a <strong>la</strong>issé le temps <strong>de</strong> faire mon job. À Ouvéa, dos à l’église,<br />
face à <strong>la</strong> mer, j’ai vécu un moment magique. Quelque 150 jeunes<br />
ont transformé mon petit 22 ! en ban<strong>de</strong> <strong>de</strong>ssinée, en danse sur le<br />
V, en poème aux allures <strong>de</strong> s<strong>la</strong>m : « Passer ou trépasser ? Nous<br />
préférons outrepasser, car vivre sans une lettre <strong>de</strong> l’alphabet, c’est<br />
effacer aux mots toute leur beauté ». À Koné, j’avais du courrier :<br />
« Je m’appelle Boris Guichard et j’ai 11 ans, j’ai adoré votre livre<br />
Dinky rouge sang, je l’ai lu en une soirée, j’étais littéralement<br />
absorbé. Et j’ai tellement aimé votre livre que ce<strong>la</strong> m’a donné<br />
envie d’être écrivain, je crois que ça <strong>de</strong>man<strong>de</strong> beaucoup <strong>de</strong> travail<br />
mais donne aussi beaucoup <strong>de</strong> p<strong>la</strong>isir. » Boris, je te dirai ce que<br />
m’a dit un jour mon prof <strong>de</strong> faculté : « J’attends <strong>de</strong> trouver tes<br />
livres en librairie ». À Népoui, <strong>la</strong> documentaliste avait trouvé<br />
comment associer les plus grands à l’opération Livre mon ami,<br />
car ce sont les 5 èmes qui ont donné <strong>la</strong> comédie aux plus jeunes en<br />
mettant en scène <strong>la</strong> SPMM, <strong>la</strong> société protectrice <strong>de</strong>s mots et <strong>de</strong>s<br />
métiers. Et puis il y a eu les petits CM2 <strong>de</strong> Népoui. Je me suis crue<br />
dans une c<strong>la</strong>sse Freinet où chaque gosse sait ce qu’il a à faire,<br />
parle en te regardant dans les yeux, chante en sachant p<strong>la</strong>cer sa<br />
voix, lit en mettant le ton. En entrant dans cette c<strong>la</strong>sse, j’ai eu le<br />
temps <strong>de</strong> happer sur le tableau noir <strong>la</strong> leçon du matin. Voix active,<br />
voix passive. Je leur ai dit :<br />
- Les enfants <strong>de</strong> Népoui ont accueilli Marie-Au<strong>de</strong> Murail. Mettez-moi<br />
ça à <strong>la</strong> voix passive.<br />
Et eux au quart <strong>de</strong> tour :<br />
- Marie-Au<strong>de</strong> Murail a été accueillie par les enfants <strong>de</strong> Népoui.<br />
Les CM2 <strong>de</strong> Népoui, ils ont tout bon. Et les gosses <strong>de</strong> Hienghène<br />
qui sont arrivés jusqu’à moi, épuisés d’avoir fait <strong>la</strong> transversale<br />
en autocar, ils ont encore eu le courage <strong>de</strong> m’écouter et ils<br />
m’ont <strong>la</strong>issé leurs textes dont l’un disait : « La vérité comme le<br />
mensonge, ça fait mal. M’aimeras-tu encore si je te <strong>la</strong> dis ? » Ils<br />
ont dix, onze ans, ils trouvent déjà leurs mots parce qu’ils se sont<br />
déjà frottés aux livres. Et ce sont les collégiens <strong>de</strong> Plum qui<br />
m’ont posé LA question, celle qui résume toutes celles qu’on m’a<br />
posées :<br />
- Pourquoi écrivez-vous ?<br />
Et à Plum, j’ai répondu comme Jean-Paul Sartre dont j’ai relu<br />
Les mots dans ma chambre d’hôtel à Nouméa :<br />
- J’écris pour être lue.<br />
Mais je n’imaginais pas en écrivant 22 ! dans ma chambre à<br />
Orléans que je serais lue en <strong>Nouvelle</strong>-Calédonie par <strong>de</strong>s farfelus<br />
qui me mettraient dans une sélection, celle <strong>de</strong> Livre mon ami, et<br />
que ces mêmes farfelus me feraient lire par plus <strong>de</strong> 9000 enfants<br />
d’ici. À <strong>la</strong> vérité, quand on m’a prévenue que j’étais en lice avec<br />
dix autres auteurs, j’ai mis <strong>la</strong> lettre sous une pile sans y croire. La<br />
<strong>Nouvelle</strong>-Calédonie, c’était bien loin, loin comme mes 20 ans<br />
quand je chantais : « Il vaudrait bien mieux partir, s’en aller d’ici,<br />
partir, et foutre le camp en Calédonie »… Alors, quand j’ai reçu<br />
le coup <strong>de</strong> fil <strong>de</strong> Brigitte Simon qui m’a avertie : « C’est vous, les<br />
enfants vous ont choisie », ça a été un peu <strong>la</strong> panique à bord et le<br />
branle-bas <strong>de</strong> combat. J’ai tout fait pour venir, et venir en famille.<br />
Je n’ai pas pu rencontrer mes 9000 lecteurs, mais ceux que j’ai<br />
rencontrés, ils m’ont épatée. Tout simplement, parce que les<br />
enfants d’ici, vos enfants, sont épatants, et ils l’ont encore prouvé<br />
aujourd’hui. À eux, à leurs enseignants, bravo, à Livre, mon ami,<br />
à ceux qui sponsorisent l’opération et aux médias qui donnent <strong>de</strong><br />
<strong>la</strong> visibilité à tout ce travail souterrain, merci. »<br />
… à ce discours, j’ajouterai que le meilleur était encore à venir<br />
puisque je suis ensuite allée au collège Georges Baudoux, et à<br />
celui <strong>de</strong> Portes <strong>de</strong> fer ainsi qu’à l’école Charbonneaux. Je n’ai pas<br />
souvenir d’avoir vu en métropole <strong>de</strong> rencontres mieux préparées.<br />
J’ai fait provision d’images et d’émotions pour traverser l’hiver<br />
orléanais et j’ai quitté les enfants avec leur refrain dans <strong>la</strong> tête : «<br />
Mais où que je sois, où que m’emmènent mes pas, mon cœur est<br />
en Calédonie ».<br />
Marie-Au<strong>de</strong> Murail<br />
Nouméa, 28 octobre 2009<br />
Orléans, 4 novembre 2009<br />
Au collège <strong>de</strong> Hienghène<br />
Au collège <strong>de</strong> Koné<br />
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