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Umberto Saba - Esprits nomades

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<strong>Umberto</strong> <strong>Saba</strong><br />

Les couleurs du temps et la nostalgie des<br />

simples<br />

Une vie discrète, tout en spasmes intérieurs<br />

Une autobiographie intérieure<br />

La quête de la pureté formelle<br />

Choix de textes<br />

Bibliographie<br />

« Qu’est-ce qu’un poète au fond, si c’est vraiment un poète ?<br />

C’est un enfant qui s’étonne des choses qui lui arrivent, une fois<br />

qu’il est devenu adulte. » (<strong>Umberto</strong> <strong>Saba</strong>)<br />

<strong>Umberto</strong> <strong>Saba</strong> est celui qui aura cherché les couleurs du temps,<br />

comme on cherche un trésor, comme on essaie de retenir<br />

l'ombre des jours, simplement dans les « petits indices du<br />

quotidien », dans les petits riens merveilleux.<br />

Orpailleur du temps qui passe, <strong>Umberto</strong> <strong>Saba</strong> étonne, fascine<br />

ou irrite, par son écriture simple, sa volonté d'honnêteté qui<br />

masque pourtant quelques-uns de ses secrets.<br />

Il reste un poète secret, une sorte de nom magique que<br />

certains se passent les nuits d'insomnie. Il est le poète-culte de<br />

la poésie italienne du 20ème siècle.<br />

Sa langue simple donne musique aux rêves, habille la nostalgie<br />

des jours.<br />

Sa prose, ses nouvelles, ses poèmes, sont ceux autant « d'un<br />

vieillard qui rêve» que d'un enfant éternel.<br />

Il est profondément anachronique, entre les mondes. C'est ce<br />

qui fait sa magie propre. Aussi on le redécouvre à chaque fois à<br />

nouveau, il ne s'use jamais.<br />

Lui se savait grand poète, il ne craignait pas d'attendre que la<br />

postérité le contemple à nouveau.


Homosexuel dissimulé, juif revendiqué, austro-hongrois aux<br />

limites de l'Italie, enfant de Trieste entre cafés populaires et<br />

Adriatique, <strong>Umberto</strong> <strong>Saba</strong> est plus compliqué que sa vie qui se<br />

voulait presque obscure comme petit libraire dans sa bonne<br />

ville de Trieste, où comme le dit cet autre habitant de cette<br />

ville,Claudio Magris, tout la vie se chuchote dans les bars et les<br />

ruelles plongeant vers la mer.<br />

Marqué par les blessures de la guerre, par la Shoah, il se fait<br />

une cabane face à cela par sa tendresse un peu désenchantée,<br />

sa douce ironie, sa faculté à débusquer dans les choses les plus<br />

simples le merveilleux des jours. Il capte les bruissements de la<br />

vie en tendant son oreille de poète, de sage des nuits d'été. Il<br />

porte en lui le statut des exclus, une véritable angoisse<br />

existentielle. Mais par sa volonté d'enfance, son pouvoir de<br />

poésie et de compassion il sait vivre entre deux mondes, là où<br />

le tragique ne peut l'atteindre.<br />

Il aura toujours été « d'autre sorte ». Un égaré en poésie et<br />

dont les yeux ont vu chaque époque. Mais qui toujours veut<br />

rejoindre les sommeils de son enfance.<br />

Une vie discrète, tout en spasmes<br />

intérieurs<br />

De ces rêves et de cette fureur tout<br />

ce que tu as gagné, ce que tu as perdu,<br />

ton mal et ton bien, t’est venu.<br />

Présentant son œuvre essentielle «Il Canzoniere», <strong>Umberto</strong><br />

<strong>Saba</strong> écrit:<br />

« Il Canzoniere » est l'histoire d'une vie pauvre (relativement)<br />

en événements extérieurs; riche parfois, jusqu'au spasme, de<br />

mouvements et d'échos intérieurs et d'êtres que le poète aima<br />

au cours de cette longue vie, et dont il fit des figures.<br />

Ainsi pourrait se décrire sa vie, l'histoire d'une vie, l'histoire de<br />

sa vie.<br />

<strong>Umberto</strong> <strong>Saba</strong> est né le 9 mars à Trieste, ville ouverte brassant<br />

les langues et les populations. Il est né <strong>Umberto</strong> Poli, fils<br />

d'Eduardo Abramo Poli et de Felicia Rachelle Cohen. Par amour


son père se convertit au judaïsme, qu'il va vite abandonner,<br />

ainsi que sa famille. Dans un univers austro-hongrois, <strong>Umberto</strong><br />

se sent italien avant tout.<br />

L'absence du père va le marquer. Il est confié à une nourrice<br />

slovène, Peppa <strong>Saba</strong>z, qui sera sa source d'amour et de<br />

tendresse, sa« mère-joie ». Il découvre à la fois la nature et la<br />

bonté.<br />

Il étudie plus ou moins bien, et publie ses premiers poèmes à<br />

dix-sept ans. Des amitiés passionnées jalonnent son<br />

adolescence.<br />

En 1903 il part à Pise étudier la littérature italienne et latine, la<br />

philosophie, l'archéologie, l'histoire et l'allemand.<br />

il séjourne à Florence de 1905 à 1908 et rencontre Gabriele<br />

d'Annunzio. Après son service militaire, il épouse, selon la<br />

tradition juive, Carolina Woefler le 28 février 1909. Elle sera la<br />

Lina de ses poèmes d'amour.<br />

Sa fille Linuccia naît en janvier 1910. Son premier recueil<br />

Poésie lui naît en 1911. Le second Coi mici occhi date de 1912.<br />

Il prend le pseudonyme de <strong>Saba</strong>, autant hommage à sa<br />

nourrice, qu'à son judaïsme, car saba signifierait pain en<br />

hébreu très ancien. Dès 1920, il fait légaliser ce nom.<br />

En 1914 il devient secrétaire d'un cabaret l' Auberge Rouge! Il<br />

est rappelé pendant la guerre, et ne revient à Trieste qu'en<br />

1918, pour devenir directeur du cinéma de son beau-frère!<br />

En 1919 il achète une librairie de livres anciens au 30 de la Via<br />

Nicolo qu'il va tenir presque toute sa vie. Entre amours brèves<br />

pour ses employées, crise de neurasthénie et névrose,<br />

psychothérapie, il édifie son œuvre poétique contenue dans Il<br />

Canzonière, très mal reçue par le public et les critiques. Il<br />

devient l'ami d'Eugenio Montale et d'Italo Svevo dès 1923.<br />

Ungaretti l'admire. Elsa Morante aussi.<br />

À la déclaration de la guerre en 1939, il se trouve à Rome aidé<br />

par Ungaretti. Ses livres sont interdits, et il retourne à Trieste.<br />

Pendant l'occupation allemande, poursuivi par les lois raciales,<br />

il doit se cacher à Florence en tant que juif et il échappe à la<br />

déportation en fuyant sans cesse. Son ami Eugenio Montale<br />

aidera à le sauver.<br />

À la libération il revient dans sa chère ville de Trieste, avec des<br />

séjours très longs à Milan, puis à Rome.<br />

Ensuite il va mener une vie discrète dans cette ville qu'il aura si<br />

peu quittée. Entre crises d'angoisse, cliniques, morphine et


opium parfois, livres anciens, passants, souffle du vent de<br />

Trieste, le bora, il écoule son existence presque en silence.<br />

Il meurt le 25 août 1957 à Rome, à la clinique San Giusto di<br />

Gorizia, quelques mois après la mort de sa femme. Seul, très<br />

seul.<br />

Avec lui meurt tout un pan immense de la poésie italienne.<br />

Toute ma vie s’est déroulée contre-courant, ce qui peut<br />

convenir à un homme taillé pour la lutte, non pour des<br />

caractères comme le mien. J’aurais eu besoin de vivre dans une<br />

autre période historique ; peut-être aurais-je pu alors donner<br />

davantage de moi-même ; au moins aurais-je moins souffert ?<br />

(Lettre à une amie).<br />

Une autobiographie intérieure<br />

Je puise dans mon expérience personnelle (comme dans la<br />

seule possible) un exemple, qui mieux qu'une affirmation nue,<br />

peut prouver la difficulté qu'il y a à ne pas introduire d'abord et<br />

à expulser ensuite les éléments étrangers à notre vision.<br />

(Femmes de Trieste).<br />

<strong>Umberto</strong> <strong>Saba</strong> est avant tout l'homme d'une ville, Trieste la<br />

cosmopolite. Il aura tant erré dans ces avenues interminables<br />

conduisant à la mer, tant traîné dans les bars populaires où se<br />

refaisait à chaque fois le monde, les Alpes lointaines, les<br />

collines. Cette ville semble conduire à une certaine oisiveté, ou<br />

tout du moins une certaine nonchalance. Une brume de<br />

mélancolie tombe de ses murs. Ainsi se passeront ses journées<br />

de jeune homme, ainsi se passeront ses journées de petit<br />

libraire.<br />

« Les rêves longs et fatals » seront son exutoire et sa<br />

géographie intérieure, à l'ombre des grands arbres anciens.<br />

Son berceau est taillé dans le bois des souvenirs de son<br />

enfance, l'amour pour sa mère, pour sa tendre nourrice. Il fait<br />

les cent pas dans sa difficulté d'être.<br />

En fait tous ses poèmes, ses nouvelles, ses aphorismes, ne<br />

seront qu'un voyage dans son autobiographie intérieure.<br />

Attentif aux mystères, au temps qui fuit et coule sans nous, il<br />

médite tendrement: « Je regarde et j'écoute: parce que c'est là


que réside toute<br />

ma force. Regarder et écouter »(Méditation, poèmes de<br />

jeunesse). Attentif au rien, au peu de choses, il est celui qui<br />

guette, qui songe.<br />

« La lune n'est pas née, elle naîtra plus tard<br />

La lune est née alors qu'au ciel les étoiles déclinent<br />

Là-bas, une lumière<br />

jaune s'est éteinte fumeuse. L'heure<br />

sonna. Un coq<br />

a chanté; d'autres coqs ont répondu ça et là».<br />

Sa poésie semble une berceuse des petits moments du monde.<br />

Lui l'homme des insomnies trace sur le sable des mots les<br />

noms oubliés depuis toujours.<br />

Quand il marche dans la vieille ville aux rues sombres, aux<br />

auberges innombrables, c'est dans son âme qu'il déambule.<br />

Une tristesse muette et un sourire indicible imprègnent ses<br />

mots comme une mélancolie amoureuse. Ses poèmes souvent<br />

sont une suite d'instantanés et la chute du poème ramène<br />

toujours à des douleurs cachées, « à l'immense chose de ses<br />

vieux amours ». Mémoire et nostalgie du passé sourdent dans<br />

ses poèmes. Il sait la douleur de l'amour, et cette douleur est<br />

pour lui l'essence de la vie.<br />

Il semble vouloir dire à ses lecteurs de s'éloigner sans se<br />

retourner , afin de ne rester pour eux qu'un triste souvenir.<br />

Il cultive une sérénité bordée de désespoir. Pour lui la vie est<br />

une gorgée amère, entre absences et compassion.<br />

Ses mots auront creusé profond une terre aride pour chercher<br />

le trésor des sentiments.<br />

La quête de la pureté formelle<br />

Aux poètes, il reste à faire de la poésie honnête.(<strong>Umberto</strong><br />

<strong>Saba</strong>).<br />

L'écriture d'<strong>Umberto</strong> <strong>Saba</strong> est à la fois recherche de simplicité<br />

et nourrie de préciosité, parfois d'archaïsme, comme des algues<br />

laissées par la marée du temps.<br />

Sa langue lui est naturelle et elle est tendue vers une quête de<br />

la pureté formelle, capable de faire entendre ses souvenirs


intérieurs.<br />

Entre hommage à son enfance, et ses réminiscences «comme<br />

un vieillard qui rêve », <strong>Umberto</strong> <strong>Saba</strong> érige une stèle à une<br />

enfance fantasmée, rêvée près de sa nourrice, et sans<br />

l'abandon du père.<br />

Aussi il emploie la transparence de la langue, la totale simplicité<br />

des mots et des images.<br />

Il est le poète de l'insomnie « J'écris la poésie du demi-sommeil,<br />

le demi-sommeil devenu poésie ».<br />

Ainsi il couvre d'un voile de mots enchantés les douleurs reçues<br />

et jamais avouées. Il faudra attendre son roman Ernesto, sorte<br />

d'autobiographie homosexuelle et rurale, pour voir s'élever un<br />

pan du mystère, une confession trop lourdement portée enfouie<br />

en lui.<br />

Il a écrit beaucoup de prose, aphorismes souvent cinglants, et<br />

petites nouvelles, mais c'était la poésie qui représentait la<br />

vérité du monde.<br />

Pendant le fascisme italien des poésies «civiques» montre son<br />

attachement au peuple, et surtout son enracinement dans le<br />

judaïsme. En fait il porte en lui les « destins contraires de l'art<br />

et de l'amour ». Et sa relation entre amour et haine avec sa<br />

véritable maîtresse: Trieste.<br />

En tout cas, le monde, je l’ai regardé à partir de Trieste. Son<br />

paysage, matériel et spirituel, est présent dans nombre de mes<br />

poésies et de mes proses, même dans celles – et c’est la<br />

grande majorité – qui parlent de toute autre chose, et ne citent<br />

même pas Trieste.<br />

Afin de restituer tous ses paysages d'enfance, tous ses remous<br />

intérieurs, tout son amour, il va s'appuyer sur l'art et s'obliger à<br />

une grande pureté de forme. Entre tradition et modernité, il<br />

élabore des mots où le lyrisme domine, mais dans une langue<br />

volontairement pauvre. Il raconte, il dessine quelques paysages,<br />

quelques visages. Et la grâce surgit dans ses mots.<br />

Son écriture n'est pas celle d'un artisan, d'un travailleur<br />

acharné polissant et repolissant ses mots et ses images, mais<br />

plutôt d'une sorte « d'enfant inspiré », s'émerveillant d'un vol<br />

de moineaux, du soir qui tombe, des ruelles de sa ville.<br />

Il disait de ses poèmes ceci: « Les plus beaux vers de <strong>Saba</strong> ont<br />

un défaut terrible : ils ne se voient pas. »


<strong>Umberto</strong> <strong>Saba</strong> aura parlé avec les mots les plus simples, les<br />

images les plus banales. Il était authentique et aura su trouver<br />

la source intime de la poésie.<br />

.<br />

« Un chant limpide et pur, parfait, sourd de la poésie d'<strong>Umberto</strong><br />

<strong>Saba</strong>», Elsa Morante, qui ajoute que <strong>Saba</strong> aura sauvé les<br />

valeurs de la vie.<br />

Gii Pressnitzer<br />

Choix de textes<br />

Insomniaque<br />

je me lève à l’aube. Que devient ma vieille nourrice ? Est-ce<br />

que je pourrais encore la retrouver, dans sa pauvre<br />

boutique ? Comment vit-elle, si elle vit ? Et je me hâte vers<br />

elle, une fois encore, le cœur battant.<br />

La voici : elle est vivante ; debout après tant d’épreuves et de<br />

saisons. Un sourire, quand elle me voit, éclaire encore son<br />

visage beau à mes yeux, mystérieux. C’est l’heure d’ouvrir pour<br />

elle. Accouru pour l'aider un enfant aux pieds nus, tout<br />

imprégné de sa colline natale, se penche léger et relève le<br />

rideau de fer.<br />

Par cette matinée au ciel rosée et fraîche sur la terre je la<br />

retrouvais bien. Et je suis à celle d’autrefois. Je suis cet<br />

enfant qui se précipitait vers elle spontanément : image de moi,<br />

d’un moi perdu…<br />

Trois poésies pour ma nourrice [Tre poesie alla mia balia] in Le<br />

petit Berto (1929-1931), Il Canzoniere, Bibliothèque de l’Âge<br />

d’homme, 1988, page 400. Traduit de l’italien par René de<br />

Ceccatty.<br />

Mon enfance fut pauvre et heureuse<br />

grâce à peu d’amis, quelques animaux,<br />

près de moi une bonne tante que j’aimais<br />

comme ma mère, et dans le ciel Dieu immortel.<br />

À l’ange gardien était réservée


la nuit la moitié de mon oreiller.<br />

Plus jamais son ombre chérie n’est venue en rêve<br />

après la première douceur de la chair.<br />

Un rire irrépressible s’emparait de mes camarades<br />

et moi j’étais saisi d’une étrange ferveur<br />

quand je récitais des vers à l’école.<br />

Sifflets, chœurs de cris d'animaux,<br />

je me revois encore au fond de cet enfer, et j’entends<br />

seule en moi une voix qui m’approuve.<br />

Il Canzoniere, poème 4 de “Autobiographie” (1924)<br />

traduit de l’italien par Odette Kaan, L’Âge d'homme, 1988<br />

Mots<br />

« Mots, Où le cœur de l’homme se reflétait Nu et surpris – aux<br />

origines ; je cherche Au monde un coin perdu, l’oasis propice À<br />

vous laver par mes pleurs Du mensonge qui vous aveugle.<br />

Alors Fondrait aussi la masse des souvenirs Effrayants, comme<br />

neige au soleil. »<br />

Traduction de Philippe Renard, in Anthologie bilingue de la<br />

poésie italienne, éditions Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade.<br />

Ulysse<br />

Dans ma jeunesse j'ai navigué le long des côtes dalmates. Des<br />

îlots à fleur d’onde émergeaient, où quelque rare oiseau se<br />

posait guettant sa proie ; couverts d'algues, glissants, ils<br />

luisaient au soleil, beaux comme des émeraudes. Quand la<br />

marée haute et la nuit les effaçaient, des voiles sous le vent se<br />

dispersaient au large, pour en fuir les écueils. Aujourd'hui mon<br />

royaume est cette terre de personne. Le port fait briller pour<br />

d'autres ses lumières ; moi, vers le large me pousse encore un<br />

esprit indompté et de la vie le douloureux amour.<br />

traduction d’Odette Kaan, L’Age d’homme, 1988,<br />

Poésies pour Linuccia


C’était un monde tout petit, on le tenait<br />

par la main.<br />

Ce monde difficile, aujourd’hui<br />

loin de nous, qu’à peine effleure<br />

comme une vague, l’angoisse. Entre veille<br />

et sommeil qui tarde, si parfois s’en détache,<br />

un dessin, des contours exacts, un tableau<br />

qui t’illumine la mémoire,<br />

doux en soi il te cherche, comme<br />

le poignard d’un ennemi, le cœur.<br />

C’était un monde tout petit et sa fureur<br />

te tenait par la main.<br />

Traduction Franc Ducros<br />

Nuit d'été<br />

Dans cette chambre tout à côté j’écoute les voix tant aimées là<br />

dans le lit où je vais inviter le sommeil. Par la fenêtre ouverte<br />

une lumière brille, lointaine, en haut de la colline, ou qui sait où.<br />

Ici je te serre contre mon cœur, mon amour, maintenant mort<br />

pour moi depuis des années infinies. Il Canzoniere, adaptation<br />

personnelle<br />

La chèvre<br />

J’ai parlé a une chèvre seule elle était dans le pré, attachée elle<br />

était. Rassasiée d’herbe. Toute mouillée par la pluie, elle bêlait.<br />

Ce bêlement monotone était écho fraternel à ma douleur. Et je<br />

répondis, d’abord pour plaisanter, et puis parce que la douleur<br />

est toujours la même, avec une seule voix qui jamais ne<br />

change. Cette voix je pouvais l'entendre dans les gémissements<br />

de cette chèvre solitaire.<br />

En une chèvre au visage sémite on pouvait entendre les<br />

plaintes de tout autre mal, de toute autre vie.<br />

Maison et campagne (1909-1910)


adaptation personnelle<br />

J’aimai<br />

J’aimai les mots les plus banaux que nul n’osait plus<br />

prononcer. La rime « amore-fiore » m'enchanta, elle la<br />

plus vieille et la plus difficile au monde.<br />

J'aimai la vérité qui se trouve au fond, presque un rêve oublié,<br />

que la douleur redécouvre amie. Avec la peur au cœur on s’en<br />

approche, on ne l’abandonne plus.<br />

Je t’aime toi qui m’écoutes et toi ma bonne carte qui m’est<br />

restée à la fin de mon jeu.<br />

adaptation personnelle<br />

Les amis morts<br />

Les amis morts Les amis morts revivent en toi, et dans les<br />

saisons mortes. Que tu existes est un prodige. Mais un autre le<br />

surpasse : en toi je retrouve un temps qui a été le mien.<br />

Je tourne autour d’un pays qui n’est plus, immémorial,<br />

enseveli par ma volonté de vivre. Voici le bien ou le mal, ne le<br />

sais, que tu m’as fait.<br />

adaptation personnelle<br />

L'insomnie d'une nuit d'été<br />

Sous les étoiles, je me suis étendu par une de ces nuits de<br />

sombre insomnie qui font joie sur le sacré Mon oreiller était une<br />

pierre. Il est assis là dans le coin, le chien. Il est assis<br />

immobile et regarde encore toujours un peu plus loin. On<br />

dirait qu’il pense, On dirait qu’il est digne d'un rituel, et que<br />

passent dans son corps les silences de l'infini. Sous un ciel si<br />

bleu, par une nuit aussi étoilée que celle-ci, Jacob a rêvé de<br />

dresser une échelle entre les anges des cieux, et son oreiller,<br />

qui était une pierre. Dans les innombrables enfants d’étoiles<br />

était sa progéniture à venir; dans ce pays où il avait fui la<br />

colère du redoutable Esaü, un empire, à jamais inébranlable<br />

lourd de richesse pour ses enfants;<br />

Le rêve et le cauchemar étaient le Seigneur qui avait<br />

combattu avec lui.<br />

Maison et campagne (1909-1910)


adaptation personnelle<br />

Après la tristesse<br />

Ce pain a la saveur d'un souvenir, mangé dans cette taverne<br />

des pauvres, Lorsque est abandonné et l'espace et le port.<br />

Et j'aime l'amertume de la bière, asseyez-vous maintenant à<br />

mi-chemin, vous assombries dans le visage de la montagne et<br />

du phare.<br />

Mon âme qui sa peine a gagné , avec des yeux nouveaux dans<br />

le soir 'ancien, ressemble à un pilote avec sa femme enceinte.<br />

et un navire fait de très vieux bois scintille au soleil, et la<br />

cheminée longue comme deux arbres, est une imagination de<br />

l'enfant, que j'étais il y a vingt ans.<br />

Et qui me dirait ma vie si belle, avec tant de tristesse douce, et<br />

tant de bonheur enfermées en elle!<br />

(De Trieste et une femme, 1910-1912)<br />

Cendres<br />

Cendres de si mortes choses, de maux perdus, de contacts<br />

ineffables, de muets soupirs;<br />

flammes vives vous me basculez dans ce moment où d’anxiété<br />

en anxiété je m’approche du seuil du sommeil et dans le<br />

sommeil avec ces liens passionnés et tendres, de l’enfant à sa<br />

mère, à vous, cendres, je me fonds.<br />

L’angoisse m’attend au passage, je la désarme. Comme un<br />

bienheureux la voie du paradis je monte un escalier, je<br />

m’arrête à une porte où je sonnais en d’autres temps. Le<br />

temps il a cédé d'un coup. Je me sens, avec les vêtements et<br />

l'âme d'alors, dans une foudroyante lumière ; au cœur ne se<br />

résout pas une joie vertigineuse comme la fin. Mais je ne crie<br />

pas. Muet je pars pour l'immense empire des ombres.<br />

adaptation personnelle<br />

Bibliographie sommaire<br />

- Bibliographie des œuvres d’<strong>Umberto</strong> <strong>Saba</strong> en traduction


française :<br />

- Ernesto, roman, Traduction René de Ceccatty, Éditions Le<br />

Seuil, 2010<br />

- Ombres des jours, aphorismes et nouvelles, Traduction René<br />

de Ceccatty, Rivages 1991<br />

- Couleur du temps, Traduction René de Ceccatty, Bibliothèque<br />

étrangère Rivage 1991<br />

- Comme on cherche un trésor, traduction Franc Ducros. La<br />

Dogana, 2005<br />

- Comme un vieillard qui rêve. Nouvelles, traduction Gabriel<br />

Macé. Bibliothèque étrangère Rivage 1990<br />

- Moi et les autres, traduction Marie-Claire Taroni et Michel<br />

Maire, Atelier La Feugraie 1989<br />

- Il Canzoniere, Traduction René de Ceccatty et Odette Kaan,<br />

L'Âge d'homme,1988<br />

- Femmes de Trieste, Traduction René de Ceccatty, José Corti,<br />

1997<br />

Bibliographie des œuvres d’<strong>Umberto</strong> <strong>Saba</strong> en italien :<br />

- Poèmes de l’adolescence et de la jeunesse (Poesie<br />

dell’adolescenza e giovanili, 1900-1907) - Maison et campagne<br />

(Casa e campagna, 1909-1910) - Trieste et une femme (Trieste<br />

e una donna, 1910-1912)<br />

- Le désespoir serein (1913-1915) - Choses légères et errantes<br />

(Cose leggere e vaganti), 1920) - L’Amoureuse Epine<br />

(L’amorosa spina, 1921)<br />

- L'homme (1928)<br />

- Préludes et fugues (1928-29)<br />

- Cœur qui va mourir (1925-30)<br />

- Le petit Berto (1929-1931) - Paroles (Parole, 1934)<br />

- Épigraphes (1935-43)<br />

- Mediterranée (1947)<br />

- Canzoniere (1900-1947) - Oiseaux (Uccelli, 1950) - Presque<br />

un récit (Quasi un racconto, 1951)<br />

- Ernesto, roman(1953)<br />

- Souvenirs-récits, 1910-1947 (mémoires, 1956)

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