la "recherche-action" - European Trade Union Institute (ETUI)
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36<br />
2 e semestre 2010/HesaMag #02<br />
Mouvement syndical 1/4<br />
TMS : <strong>la</strong> "<strong>recherche</strong>-action"<br />
comme outil syndical pour briser<br />
le silence<br />
Plusieurs dizaines de millions de travailleurs européens souffrent de troubles<br />
musculosquelettiques. Face à cette "épidémie", <strong>la</strong> réaction des acteurs politiques<br />
et des partenaires sociaux reste trop timide. Les réponses viendront-elles d'en bas ?<br />
Plus de 300 affiliés d'un syndicat belge ont participé à une "<strong>recherche</strong>-action".<br />
Une initiative qui fait tache d'huile.<br />
Denis Grégoire<br />
Rédacteur en chef<br />
L'augmentation des<br />
rythmes de travail, <strong>la</strong><br />
pression psychologique,<br />
les contraintes temporelles,<br />
etc. aggravent<br />
l'"épidémie de TMS".<br />
Image : © Gaetan Bally,<br />
Keystone, MAXPPP
37<br />
2 e semestre 2010/HesaMag #02<br />
"Beaucoup de collègues quittent leur emploi à<br />
58 ans parce qu'elles n'en peuvent plus, elles<br />
sont usées", témoigne Anne-Marie Brogniez<br />
devant une vingtaine de travailleurs et de<br />
responsables de <strong>la</strong> fédération ouvrière du<br />
syndicat belge FGTB (<strong>la</strong> "Centrale générale").<br />
La déléguée syndicale du groupe de distribution<br />
Mestdagh-Champion connaît bien le<br />
problème des troubles musculosquelettiques<br />
(TMS). Des enquêtes ont déjà, par le passé,<br />
été menées dans son entreprise, notamment<br />
auprès des bouchers et des caristes, deux professions<br />
durement touchées par ces ma<strong>la</strong>dies.<br />
Mais si <strong>la</strong> syndicaliste aborde à nouveau le<br />
problème des TMS, un jour d'été 2009, c'est<br />
pour un projet plus ambitieux encore, qui doit<br />
impliquer l'ensemble du personnel du supermarché<br />
et d'autres enseignes du groupe, soit<br />
près de 200 personnes. Les délégations syndicales<br />
de deux autres entreprises, Laurenty,<br />
une société de nettoyage, et Lepage, actif<br />
dans <strong>la</strong> maintenance industrielle, sont également<br />
présentes.<br />
Les trois entreprises ont répondu à<br />
l'appel <strong>la</strong>ncé par <strong>la</strong> FGTB quelques mois plus<br />
tôt, le 28 avril 2009, quand le syndicat avait<br />
réuni plusieurs centaines de militants pour<br />
une Journée mondiale pour <strong>la</strong> sécurité et <strong>la</strong><br />
santé au travail p<strong>la</strong>cée par le syndicat sous le<br />
thème des TMS.<br />
Et pour cause, cette famille très étendue<br />
de ma<strong>la</strong>dies inf<strong>la</strong>mmatoires et dégénératives<br />
du système musculosquelettique frappe tous<br />
les secteurs et toutes les catégories de travailleurs.<br />
Selon <strong>la</strong> plus importante enquête<br />
sur <strong>la</strong> santé au travail menée en Europe, dont<br />
<strong>la</strong> dernière livraison remonte à 2005, un travailleur<br />
européen sur quatre se p<strong>la</strong>int de<br />
Mouvement syndical 2/4<br />
douleurs au dos, et 23 % ressentent des douleurs<br />
muscu<strong>la</strong>ires aux niveaux des épaules, de<br />
<strong>la</strong> nuque et des membres supérieurs et inférieurs.<br />
1 Les TMS représentent, et de très loin,<br />
le problème de santé lié au travail le plus répandu<br />
en Europe. 2<br />
86 % des travailleurs touchés<br />
Améliorer <strong>la</strong> visibilité d'un problème constitue<br />
généralement l'étape préa<strong>la</strong>ble à toute démarche<br />
de prévention. C'est le principe qui a<br />
guidé <strong>la</strong> "<strong>recherche</strong>-action" coordonnée par<br />
<strong>la</strong> FGTB de Charleroi, une ville industrielle<br />
de l'ouest de <strong>la</strong> Belgique. Le projet repose<br />
sur l'utilisation d'un questionnaire connu<br />
dans les milieux scientifiques sous le nom de<br />
"questionnaire nordique". 3 Il comporte des<br />
questions aussi concrètes que : "Avez-vous eu,<br />
au cours des 12 derniers mois, des problèmes<br />
de courbatures, douleurs, gênes, engourdissements<br />
au niveau de <strong>la</strong> région nuque/cou,<br />
genou/jambe, poignet ?" Les travailleurs doivent<br />
également évaluer le niveau des douleurs<br />
ressenties sur une échelle de 0 à 10.<br />
La FGTB a confié le traitement des réponses<br />
au Centre de défense et d'action pour<br />
<strong>la</strong> santé des travailleurs (CDAST), une association<br />
qui a pour but d'accompagner et de défendre<br />
les travailleurs victimes d'un accident<br />
du travail ou d'une ma<strong>la</strong>die professionnelle.<br />
Au total, 343 travailleurs – 201 femmes et 142<br />
hommes – ont rempli le questionnaire.<br />
86 % des travailleurs ont répondu avoir<br />
ressenti des douleurs ou gênes musculosquelettiques<br />
au cours des 12 derniers mois,<br />
et 72 % au cours des sept jours ayant précédé<br />
1. Fourth <strong>European</strong> Working<br />
Conditions Survey (2005),<br />
<strong>European</strong> Foundation for<br />
the Improvement of Living<br />
and Working Conditions.<br />
2. Selon les chiffres<br />
d’Eurostat, les TMS<br />
représentent 50 % des<br />
ma<strong>la</strong>dies professionnelles<br />
reconnues dans l'<strong>Union</strong><br />
européenne. <strong>European</strong><br />
Occupational Diseases<br />
Statistics (EODS), 2000.<br />
3. Développé en 1987 par<br />
des experts scandinaves, ce<br />
questionnaire est constitué<br />
de questions fermées,<br />
et peut être utilisé en<br />
auto-questionnaire ou en<br />
interview. Le questionnaire<br />
a été créé pour répondre<br />
à <strong>la</strong> question suivante :<br />
"Est-ce qu'une pathologie<br />
ostéo-articu<strong>la</strong>ire existe<br />
dans <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion donnée<br />
et, si oui, quelle région du<br />
corps touche-t-elle ?" Le<br />
questionnaire comporte un<br />
schéma du corps humain<br />
vu de dos, divisé en neuf<br />
régions anatomiques.
2e 38 semestre 2010/HesaMag #02<br />
Mouvement syndical 3/4<br />
Graphique 1 Pourcentage de travailleurs qui rapportent au moins une p<strong>la</strong>inte<br />
80<br />
70<br />
60<br />
50<br />
40<br />
30<br />
20<br />
10<br />
0<br />
5<br />
4,5<br />
4<br />
3,5<br />
3<br />
2,5<br />
2<br />
1,5<br />
1<br />
0,5<br />
0<br />
12<br />
10<br />
8<br />
6<br />
4<br />
2<br />
0<br />
nuque,<br />
cou<br />
épaule,<br />
bras<br />
coude poignet,<br />
main<br />
doigts haut<br />
du dos<br />
Graphique 2 Intensité des douleurs par localisation<br />
nuque,<br />
cou<br />
épaule,<br />
bras<br />
coude poignet,<br />
main<br />
doigts haut<br />
du dos<br />
bas<br />
du dos hanche,<br />
cuisse<br />
bas<br />
du dos hanche,<br />
cuisse<br />
Graphique 3 Re<strong>la</strong>tions entre ancienneté au même poste et intensité des douleurs<br />
genou,<br />
jambe cheville,<br />
pied<br />
genou,<br />
jambe cheville,<br />
pied<br />
0 5 10 15 20 25 30 35 40 45 50<br />
leur participation à l’enquête. Avec 71 % des<br />
travailleurs concernés, les douleurs au bas<br />
du dos sont très nettement le type de TMS le<br />
plus courant dans les trois entreprises (voir<br />
graphique 1). Il s’agit également de <strong>la</strong> localisation<br />
qui provoque les douleurs les plus intenses.<br />
Ceux qui en sont victimes les p<strong>la</strong>cent<br />
à un niveau de 4,5 sur une échelle de 10, soit<br />
des douleurs qui sont deux fois plus intenses<br />
que celles ressenties par ceux qui se p<strong>la</strong>ignent<br />
du haut du dos, de <strong>la</strong> nuque ou des genoux/<br />
jambes (voir graphique 2).<br />
Les travailleurs devaient également répondre<br />
à des questions liées aux démarches entreprises<br />
auprès des milieux médicaux : 43 %<br />
des travailleurs déc<strong>la</strong>rent avoir consulté<br />
un médecin pour des p<strong>la</strong>intes musculosquelettiques<br />
au cours des 12 mois antérieurs<br />
à l’enquête, 45 % déc<strong>la</strong>rent avoir bénéficié<br />
d’un traitement et 22 % déc<strong>la</strong>rent avoir<br />
interrompu le travail.<br />
"Les différences constatées dans <strong>la</strong> localisation<br />
et l’intensité des p<strong>la</strong>intes déc<strong>la</strong>rées ne<br />
peuvent être reliées au genre des travailleurs",<br />
estime l'auteur du rapport, le docteur Ji<strong>la</strong>li<br />
Source des graphiques 1,2, 3 :<br />
Recherche-action en pays de<br />
Charleroi, les troubles musculosquelettiques,<br />
FGTB, CDAST<br />
Laaouej. "Quand on observe les résultats des<br />
travailleurs occupés dans des postes de travail<br />
où il y a une certaine mixité, comme par<br />
exemple à <strong>la</strong> boucherie des magasins Mestdagh,<br />
les différences s'estompent", constate l'expert<br />
du CDAST. Une exception cependant, les<br />
femmes se p<strong>la</strong>ignent nettement plus que les<br />
hommes de douleurs au niveau des membres<br />
supérieurs. Selon le docteur Laaouej, cette<br />
différence serait surtout due à <strong>la</strong> différence<br />
de taille entre hommes et femmes, les travailleurs<br />
de grande taille se p<strong>la</strong>ignant moins<br />
de douleurs dans les membres supérieurs que<br />
ceux de petite taille.<br />
Par contre, l’enquête montre une nette<br />
différence liée au genre en ce qui concerne les<br />
consultations médicales : les femmes se rendent<br />
plus facilement chez le médecin et suivent<br />
plus souvent un traitement médical que<br />
les hommes. On constate cependant qu’elles<br />
ne sont pas plus souvent en incapacité temporaire<br />
de travail que leurs collègues masculins.<br />
Le poids de l'organisation du travail<br />
Des facteurs liés à l’organisation du travail<br />
semblent jouer un rôle évident dans les<br />
problèmes de TMS : les travailleurs avec un<br />
horaire de type variable (travail à pause et<br />
horaires découpés) déc<strong>la</strong>rent significativement<br />
plus de p<strong>la</strong>intes douloureuses que les<br />
travailleurs en horaire régulier. De même,<br />
plus le nombre d’heures prestées par semaine<br />
est élevé, plus <strong>la</strong> douleur moyenne ressentie<br />
l’est également. Ce<strong>la</strong> n’est pas vraiment surprenant,<br />
pas plus que ne l'est le lien observé<br />
entre l’intensité de <strong>la</strong> douleur et l’ancienneté,<br />
que ce soit aux niveaux du poste, de l’entreprise<br />
ou de l’activité professionnelle totale<br />
(voir graphique 3).<br />
L'objectif de <strong>la</strong> méthode vise à ce que<br />
les travailleurs s'approprient l'ensemble de <strong>la</strong><br />
L’enquête montre une nette différence liée au<br />
genre en ce qui concerne les consultations<br />
médicales : les femmes se rendent plus<br />
facilement chez le médecin et suivent plus<br />
souvent un traitement médical que les hommes.
2e 39 semestre 2010/HesaMag #02<br />
Mouvement syndical 4/4<br />
problématique. Le pari est-il gagné ? En février<br />
2010, nous avons à nouveau rencontré les déléguées<br />
syndicales des entreprises Mestdagh et<br />
Laurenty. Leur premier bi<strong>la</strong>n est mitigé. Côté<br />
pile : les travailleurs ont – sauf quelques cas<br />
isolés – accepté de répondre au questionnaire.<br />
"A partir du moment où on leur garantissait<br />
que le questionnaire n’al<strong>la</strong>it pas aboutir dans<br />
les mains de l’employeur, il n’y avait pas de<br />
soucis. Spontanément, ils nous ont dit : "c'est<br />
bien qu'on parle enfin de notre métier", témoigne<br />
Catherine Mathy, déléguée syndicale<br />
dans l'entreprise de nettoyage Laurenty. Côté<br />
face : si certains espèrent que les résultats de<br />
l'enquête encourageront leur employeur à remettre<br />
en question <strong>la</strong> manière dont il organise<br />
leur travail, <strong>la</strong> plupart des participants ne se<br />
font guère d'illusions, certains semblent même<br />
préférer le statu quo à l'introduction de nouveautés<br />
censées faciliter leur travail.<br />
"On craint même l’amélioration chez<br />
Laurenty. Nous avons du matériel adapté qui<br />
doit nous faciliter <strong>la</strong> vie. Mais le problème c’est<br />
que l'entreprise lie bien-être au travail et rentabilité.<br />
Et chaque fois qu’on voit un nouveau<br />
chariot débarquer, on sait qu’on va avoir des<br />
préavis parce qu’il va y avoir moins d’heures.<br />
Une nouvelle microfibre, huit faces à <strong>la</strong> microfibre.<br />
Génial, on ne va plus devoir tordre<br />
à chaque fois. Mais comme vous ne perdrez<br />
plus de temps pour aller au seau pour tordre,<br />
on vous enlève une demi-heure pour nettoyer<br />
le même espace", dénonce <strong>la</strong> déléguée.<br />
Un résultat jugé positif du côté syndical<br />
est que les travailleurs qui ont participé à <strong>la</strong><br />
<strong>recherche</strong> font directement le lien entre leurs<br />
douleurs physiques et leur travail. Mais mettre<br />
en lumière l'impact de l'organisation du travail<br />
n'est pas pour autant synonyme de mobilisation.<br />
La plupart des travailleurs semblent résignés.<br />
Ils ont intégré l'idée que ce<strong>la</strong> fait partie<br />
de <strong>la</strong> nature même des emplois de leur secteur.<br />
"Les jeunes engagées pensent que ce<strong>la</strong><br />
ne risque pas de changer parce que c’est <strong>la</strong><br />
vie qui veut ça, c’est <strong>la</strong> productivité qui veut<br />
ça. Etant une société de services, on ne fait<br />
jamais que refléter ce que le client paie à <strong>la</strong><br />
société. Si le client ne paie pas bien, c’est sûr<br />
qu’il faudra faire le travail très très vite. Et<br />
les contrats étant de très courte durée, si ce<br />
n'est pas pour nous, c’est pour d'autres parce<br />
qu’il y a tout ce système de transfert dans<br />
le nettoyage. On sait à quelle sauce on est<br />
mangé maintenant et au prochain transfert,<br />
quand il y aura une soumission, on sait que<br />
les prix seront d’office moins élevés et qu'il y<br />
aura plus de travail encore à faire", déplore<br />
Catherine Mathy.<br />
Pour Carlo Briscolini, le coordinateur du<br />
projet au sein de <strong>la</strong> FGTB, le passage du constat<br />
à l'action préventive dans l'entreprise dépend du<br />
dynamisme du CPPT, l'organe de concertation<br />
au sein duquel représentants de l'employeur et<br />
du personnel traitent des questions re<strong>la</strong>tives à<br />
<strong>la</strong> santé et à <strong>la</strong> sécurité sur le lieu de travail.<br />
"Une nouvelle page s'ouvre dans les trois<br />
entreprises qui ont participé au projet. Il faut<br />
maintenant que leur CPPT propose des réponses<br />
concrètes aux problèmes révélés par<br />
l'enquête", estime le responsable syndical.<br />
Consciente des limites d'une initiative essentiellement<br />
régionale, <strong>la</strong> FGTB compte <strong>la</strong>ncer<br />
une enquête TMS d'ampleur nationale dans<br />
le secteur du nettoyage. Le syndicat espère<br />
également répéter l'expérience dans des entreprises<br />
majoritairement composées de "cols<br />
b<strong>la</strong>ncs" car les TMS frappent également les<br />
métiers intellectuels (voir l'encadré).<br />
Pour le syndicat, <strong>la</strong> multiplication des<br />
enquêtes de type "<strong>recherche</strong>-action" doit également<br />
permettre de convaincre responsables<br />
politiques et institutionnels de l'ampleur d'un<br />
problème qu'ils feignent d'ignorer.•<br />
Témoignage<br />
Les "cols b<strong>la</strong>ncs" ne sont<br />
pas épargnés<br />
En France, <strong>la</strong> fédération de l’éducation, de <strong>la</strong><br />
<strong>recherche</strong> et de <strong>la</strong> culture de <strong>la</strong> CGT a donné, fin<br />
mai 2009, le coup d’envoi d’une campagne contre<br />
les TMS. Les TMS touchent aussi massivement les<br />
métiers intellectuels comme le montre le témoignage<br />
suivant.<br />
Vinca Hyolle est magasinière spécialisée au service<br />
du dépôt légal des livres de <strong>la</strong> Bibliothèque nationale<br />
de France à Paris.<br />
“On reçoit des colis énormes qu'il faut sortir des<br />
chariots, ouvrir, sortir les livres dont certains<br />
peuvent peser plusieurs kilos. Il faut faire une<br />
<strong>recherche</strong> pour s'assurer que l'ouvrage n'a pas<br />
déjà été enregistré, il faut ensuite l'enregistrer et<br />
lui donner un numéro d'inventaire pour ensuite<br />
le poser sur un chariot ce qui nous contraint à<br />
faire un mouvement de rotation. Ce<strong>la</strong> implique<br />
le travail devant écran et l'utilisation de <strong>la</strong> souris<br />
d'ordinateur, ce qui occasionne des problèmes<br />
de vertèbres car nous n'avons pas de mobilier<br />
adapté. On travaille sur une table qui n'est pas<br />
un bureau, on ne peut pas passer les jambes sous<br />
cette table. Je suis donc obligée de travailler à<br />
distance de mon c<strong>la</strong>vier, de mon écran. Ce travail<br />
sur ordinateur nécessite un certain calme. Or<br />
nous sommes une douzaine dans <strong>la</strong> même pièce,<br />
ce qui engendre évidemment du bruit, notamment<br />
du fait de l'ouverture des colis. Chaque<br />
semaine, deux demi-journées de travail sont<br />
consacrées à l'ouverture, c'est-à-dire qu'on prend<br />
les colis, on les ouvre et on les met sur les chariots<br />
afin de les porter aux autres collègues qui<br />
effectuent de l'enregistrement toute <strong>la</strong> journée,<br />
soit pendant exactement 7 h 12. Le travail n'est<br />
donc pas très varié.<br />
Notre travail a fortement évolué avec l'informatisation.<br />
Avant, le magasinier n'effectuait que des tâches<br />
physiques comme l'ouverture des colis et le tri des<br />
livres. Maintenant, les magasiniers doivent également<br />
connaître l'outil informatique et les systèmes de gestion,<br />
avoir une bonne connaissance du catalogue de<br />
<strong>la</strong> Bibliothèque nationale. Nos tâches sont devenues<br />
plus complexes et, dans le même temps, on nous<br />
demande de plus en plus de rendement. On doit depuis<br />
peu respecter des quotas pour l'enregistrement<br />
des ouvrages, sans tenir compte du temps consacré<br />
à <strong>la</strong> <strong>recherche</strong> d'informations pour les documents<br />
difficiles à c<strong>la</strong>sser. Auparavant, le travail se faisait<br />
plus sereinement, il y avait moins d'erreurs.<br />
Il y a un stress qui est ressenti car il faut absolument<br />
arriver aux chiffres fixés. Par exemple, un catalogueur<br />
doit enregistrer 25 ouvrages par jours. Or<br />
pour certains ouvrages, il doit encoder toutes les<br />
informations rattachées à <strong>la</strong> notice bibliographique<br />
telles que des renseignements sur l'auteur, le<br />
type d'édition, etc. C'est un travail assez long, qui<br />
demande beaucoup de connaissances. Il y a des<br />
relecteurs qui sont chargés de contrôler <strong>la</strong> qualité<br />
de l'enregistrement. Il s'agit souvent de jeunes<br />
diplômés, frais émoulus des concours, qui viennent<br />
faire <strong>la</strong> morale à leurs collègues plus expérimentés<br />
qui, sous l'effet du stress, ont commis des erreurs.<br />
Cette situation crée de <strong>la</strong> tension entre collègues,<br />
l'ambiance est moins conviviale, on ne fête plus les<br />
anniversaires. On faisait un travail de qualité, qui<br />
était considéré comme une référence dans toutes les<br />
bibliothèques de France et même à l'étranger. Cette<br />
réputation est menacée. Il est question de confier<br />
une partie de notre travail de catalogage au privé.”