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1968 au Japon et les nouvelles théories marxistes

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<strong>1968</strong> <strong>au</strong> <strong>Japon</strong> <strong>et</strong> <strong>les</strong> nouvel<strong>les</strong> <strong>théories</strong> <strong>marxistes</strong><br />

Journée d’étude « Luttes subalternes, subjectivité critique <strong>et</strong> dissidence<br />

théorique » (dans le cadre du Stage EuroPhilosophie 2010 à l’ENS-Paris), Ecole<br />

Normale Supérieure, Paris (rue d’Ulm), le 14 avril 2010.<br />

Yoshiyuki SATO<br />

<strong>1968</strong> <strong>au</strong> <strong>Japon</strong> a vu, comme en France, la perte de l’<strong>au</strong>torité du Parti Communiste<br />

<strong>Japon</strong>ais <strong>et</strong> la montée de la nouvelle g<strong>au</strong>che. Dans c<strong>et</strong>te atmosphère politique ont apparu<br />

deux œuvres importantes qui ont établi des nouvel<strong>les</strong> <strong>théories</strong> <strong>marxistes</strong>. El<strong>les</strong> ont été<br />

accueillies avec enthousiasme par <strong>les</strong> étudiants de la nouvelle g<strong>au</strong>che. La première<br />

œuvre est Du fantasme collectif (Kyodō-gensō-ron, <strong>1968</strong>) de Takaaki Yoshimoto (né en<br />

1924). Ce dernier y définit l’essence de l’État comme « fantasme collectif » du point de<br />

vue freudo-marxiste, <strong>et</strong> essaie de dépasser la théorie marxiste traditionnelle qui définit<br />

l’État comme « refl<strong>et</strong> » de la base économique. C<strong>et</strong>te théorie a notamment établi la base<br />

théorique qui a permis d’éclairer la structure du fascisme japonais basé sur le système<br />

impérial (Tennōsei).<br />

Deuxième œuvre est Marx, le centre du possible (Marukusu sono kanōsei no chūshin,<br />

1974/1978) de Kojin Karatani (né en 1941). Il y interprète Le Capital de Marx du point<br />

de vue structuraliste <strong>et</strong> freudien. Mais c<strong>et</strong>te tentative ne se limite pas à la simple lecture<br />

structuraliste du Capital. D’après nous, il discerne plusieurs systèmes différenciés dans<br />

le système (ou la « structure ») capitaliste. Autrement dit, la structure capitaliste ne se<br />

constitue jamais d’un seul système de relations synchroniques, mais de plusieurs<br />

systèmes différenciés, <strong>et</strong> seuls ceux-ci produisent l’<strong>au</strong>to-reproduction du capital. C<strong>et</strong>te<br />

théorie, que Karatani appellera plus tard la philosophie de la « parallaxe », a délibéré la<br />

philosophie de Marx de la thématique alors dominante de l’aliénation ou de la<br />

chosification, <strong>et</strong> donnera une base importante de son œuvre sur Transcritique on Kant<br />

and Marx (2001), où il trouve le moment décisif de la transformation du système<br />

capitaliste non pas dans le mouvement ouvrier mais dans le mouvement consumériste.<br />

Nous analysons la pensée de Yoshimoto <strong>et</strong> de Karatani dans leur rapport avec <strong>1968</strong> <strong>au</strong><br />

<strong>Japon</strong>, <strong>et</strong> éclairons l’importance de leurs « nouvel<strong>les</strong> <strong>théories</strong> <strong>marxistes</strong> ».<br />

1<br />

Dans son rapport avec le mouvement étudiant des années 1960 <strong>au</strong> <strong>Japon</strong>, la pensée de<br />

1


Yoshimoto se résume en ces deux points : le premier est la critique de la tendance<br />

staliniste du Parti Communiste <strong>Japon</strong>ais (PCJ) depuis <strong>les</strong> années 1930, <strong>et</strong> le deuxième<br />

est la critique du fascisme de système impérial (Tennōsei fashizumu) des années 1930 <strong>et</strong><br />

1940. Nous pouvons comprendre à travers ce contexte que le mouvement étudiant des<br />

années 1960 dérivait d’une critique du système fasciste <strong>et</strong> impérialiste pendant la<br />

Seconde Guerre mondiale <strong>et</strong> d’une vigilance contre le r<strong>et</strong>our de ce système.<br />

Dans « Résistance artistique <strong>et</strong> sa défaite » (1959), Yoshimoto traite de la résistance<br />

des écrivains contre le fascisme de système impérial <strong>et</strong> l’impérialisme dans <strong>les</strong> années<br />

1930. Le but de c<strong>et</strong> article est d’expliquer « le fait que le système impérial du <strong>Japon</strong> est<br />

passé de l’absolutisme <strong>au</strong> “sur-absolutisme” pendant la Guerre du Pacifique [à savoir la<br />

Seconde Guerre mondiale], <strong>et</strong> dans ce processus, le peuple, qui avait “passivement”<br />

coopéré à la guerre, a été intégré dans le système de coopération “positive” à la guerre »,<br />

<strong>et</strong> d’éclairer le fait que le PCJ le « sous-estimait » 1 . Autrement dit, l’article essaie<br />

d’expliquer comment le fascisme de système impérial a été formé dans <strong>les</strong> années 1930<br />

<strong>et</strong> 1940, <strong>et</strong> quelle manière de pensée a amené le PCJ à sous-estimer le problème du<br />

système impérial.<br />

Commençons par la critique du PCJ par Yoshimoto. En 1958, ce dernier publie un<br />

article intitulé « De la conversion ». La « conversion » signifie ici le fait que, à c<strong>au</strong>se de<br />

l’oppression sévère du mouvement communiste par l’État dans <strong>les</strong> années 1930,<br />

be<strong>au</strong>coup de membres du PCJ ont abandonné le communisme <strong>et</strong> se sont « convertis » en<br />

soutien <strong>au</strong> régime impérial <strong>et</strong> à la guerre impérialiste. En 1933, deux dirigeants du PCJ<br />

alors emprisonnés, Manabu Sano <strong>et</strong> Sadachika Nabeyama, ont publié l’article intitulé<br />

« Déclaration adressée <strong>au</strong>x camarades coaccusés ». Ils y demandent le désengagement<br />

du PCJ du Komintern <strong>et</strong> déclarent leur soutien <strong>au</strong> régime impérial <strong>et</strong> à l’invasion de la<br />

Mandchourie par le <strong>Japon</strong>. Après c<strong>et</strong>te déclaration, de nombreux partisans ont<br />

abandonné le marxisme. Yoshimoto analyse ainsi la raison de leur « conversion » :<br />

Il est naturel d’interpréter la conversion de Sano <strong>et</strong> Nabeyama comme<br />

soumission <strong>au</strong> système impérial (<strong>et</strong> féodal), mais d’après moi, il est nécessaire de<br />

l’analyser à partir de leur adhésion totale à la tendance populaire. Autrement dit, le<br />

motif de leur conversion ne vient pas seulement de la soumission à l’oppression du<br />

système impérial, mais <strong>au</strong>ssi de la difficulté de supporter leur isolement à l’égard du<br />

peuple 2 .<br />

Yoshimoto trouve la c<strong>au</strong>se de leur conversion non pas dans la soumission <strong>au</strong> système<br />

impérial, mais dans « leur isolement à l’égard du peuple ». Ce qui est important ici,<br />

1 Takaaki Yoshimoto, « Geijutsuteki teikō to zas<strong>et</strong>su (Résistance artistique <strong>et</strong> sa défaite) », in Machiu-sho shiron,<br />

Tenkō-ron, Kodan-sha, 1990, p, 253.<br />

2 Takaaki Yoshimoto, « Tenkō-ron (De la conversion) », Machiu-sho shiron, Tenkō-ron, Kodan-sha, 1990, p. 299.<br />

2


c’est que « l’isolement à l’égard du peuple » se r<strong>et</strong>rouve non seulement dans le cas des<br />

communistes « convertis », mais <strong>au</strong>ssi dans le cas des communistes « non-convertis ».<br />

Yoshimoto souligne deux manières de pensée de l’intelligentsia japonaise qui ont<br />

produit « l’isolement à l’égard du peuple ».<br />

La première manière de pensée correspond à celle des communistes « convertis », qui<br />

refoulent, dans leur pensée, la contradiction entre éléments modernes (capitalisme<br />

monopolistique) <strong>et</strong> éléments féod<strong>au</strong>x (système impérial, famille patriarcal, <strong>et</strong>c.) qui<br />

existait dans la société japonaise de l’époque. Ils évitent ainsi la confrontation avec la<br />

réalité de la société japonaise <strong>et</strong> essaient de s’appuyer sur l’internationalisme.<br />

Cependant, quand ils sont arrêtés par la police <strong>et</strong> que le pouvoir <strong>les</strong> oblige à affronter à<br />

la réalité de la société japonaise (la plupart du peuple japonais est pour le système<br />

impérial <strong>et</strong> la guerre impérialiste), ils abandonnent facilement leur internationalisme <strong>et</strong><br />

se « convertissent » 3 .<br />

La deuxième manière de pensée correspond à celle des communistes « non-<br />

convertis ». Yoshimoto l’appelle « modernisme du type japonais », ce qui signifie<br />

« l’<strong>au</strong>tosuffisance de la pensée moyennant l’<strong>au</strong>tomatisme de la logique sans <strong>au</strong>cune<br />

confrontation avec la structure réelle de la société ». Ce « modernisme du type<br />

japonais » ne nécessite pas l’examen de la pensée à la lumière de la société japonaise<br />

réelle <strong>et</strong> suffit d’elle-même dans la logique empruntée à des pensées européennes. Il n’a<br />

donc de contacte ni avec la réalité <strong>et</strong> ni avec le peuple. Ce type de communistes pense<br />

que ce n’est pas lui qui doit se convertir, mais c’est la réalité elle-même qui doit changer<br />

en s’adaptant à sa logique. Ainsi, c<strong>et</strong>te manière de pensée n’est pas différente de la<br />

première dans la mesure où elle se détache de la société réelle <strong>et</strong> du peuple 4 .<br />

C<strong>et</strong>te critique des communistes par Yoshimoto implique celle du PCJ qui était sous le<br />

contrôle du Komintern depuis <strong>les</strong> années 1930. Il a critiqué la manière de pensée du PCJ<br />

qui s’appuyait sur la logique abstraite <strong>et</strong> qui sous-estimait la réalité de la société<br />

japonaise (système impérial, famille patriarcal, <strong>et</strong>c). Suivant c<strong>et</strong>te critique du PCJ, il a<br />

soutenu la nouvelle g<strong>au</strong>che indépendante du PCJ qui agit avec le « peuple ». En 1956, la<br />

première g<strong>au</strong>che indépendante du Parti Communiste qui s’appelle le Bund (Bund der<br />

Kommunisten) a été formée par des étudiants qui soutiennent la lutte populaire. Le Bund<br />

a dirigé Zengakuren (All-Japan Federation of Students' Self-Governing Associations) <strong>et</strong><br />

la lutte contre le Traité de sécurité entre <strong>les</strong> États-Unis <strong>et</strong> le <strong>Japon</strong> en 1960. Après la<br />

lutte contre le traité, le Bund s’est dissolu, mais il s’est reformé en 1966 <strong>et</strong> a joué un rôle<br />

important dans le mouvement étudiant de <strong>1968</strong>. Yoshimoto a publiquement soutenu le<br />

Bund en 1960.<br />

Passons à la critique du fascisme de système impérial selon Yoshimoto. Depuis <strong>les</strong><br />

3 Ibid., pp. 300-301.<br />

4 Ibid., pp. 303-304.<br />

3


années 1930, l’État impérialiste japonais établit le système de mobilisation totale de la<br />

nation <strong>et</strong> intègre le peuple dans le système de coopération « positive » à la guerre.<br />

Yoshimoto en fait remarquer deux moyens : le capitalisme monopolistique de l’État<br />

dans l’économie <strong>et</strong> le système impérial dans la politique. D’après la thèse de Komintern<br />

en 1932, le système de domination par l’État impérialiste japonais réside dans « une<br />

combinaison d’éléments hyper-puissants du féodalisme <strong>et</strong> de développement<br />

considérablement avancé du capitalisme monopolistique ». Cependant, selon<br />

Yoshimoto, c<strong>et</strong>te « combinaison » n’est pas la simple « combinaison », mais plutôt elle<br />

compose « un seul système indissociable » 5 . Dans ce cas, « <strong>les</strong> éléments hyper-puissants<br />

de féodalisme » désignent le système impérial <strong>et</strong> son idéologie, comme la Constitution<br />

de 1889 définit ainsi le statut de l’empereur : « L’empereur, dont la lignée n’a jamais<br />

connu d’interruption, gouverne le grand empire du <strong>Japon</strong> » (par contraste, la<br />

Constitution de 1947 le définit comme « symbole de l’unité nationale du <strong>Japon</strong> »). Ce<br />

statut de l’empereur défini dans la Constitution de 1889 constitue une base du fascisme<br />

de système impérial. Mais le marxisme traditionnel ne peut pas analyser le problème du<br />

système impérial de manière pertinente, puisqu’il considère la structure de l’État <strong>et</strong> son<br />

idéologie comme « refl<strong>et</strong> » de la base économique.<br />

Yoshimoto traite de ce problème dans un article intitulé « La base indépendante de la<br />

pensée » (1965). Dans <strong>les</strong> années 1930, il existait « la controverse sur le capitalisme<br />

japonais » qui concernait la définition de l’État moderne japonais. D’une part, l’école<br />

Kōza définit l’État moderne japonais comme coexistence du métayage semi-féodal <strong>et</strong> de<br />

l’absolutisme de système impérial, suggérant le caractère absolutiste du pouvoir d’État.<br />

D’<strong>au</strong>tre part, l’école Rōnō le définit comme État bourgeois <strong>et</strong> monarchie bourgeoise,<br />

suggérant le caractère bourgeois du pouvoir d’État. D’après Yoshimoto, <strong>les</strong> deux éco<strong>les</strong><br />

<strong>marxistes</strong> considèrent tous <strong>les</strong> deux le pouvoir d’État comme « refl<strong>et</strong> » de l’instance<br />

économique, ce qui <strong>les</strong> empêche à analyser la propr<strong>et</strong>é du système impérial. A ce<br />

propos, il écrit ainsi :<br />

Quand le premier article de la Constitution de 1889 proclame que « L’empereur,<br />

dont la lignée n’a jamais connu d’interruption, gouverne le grand empire du <strong>Japon</strong> »,<br />

le système impérial comme État politique signifie la synthèse de la religion <strong>et</strong> de la<br />

loi comme une puissance idéale historiquement constituée. La méthode du marxisme<br />

classique, qui essaie de déduire de la simple formation économique <strong>et</strong> sociale<br />

l’essence de l’État japonais moderne, a dévoilé son déf<strong>au</strong>t le plus grave <strong>au</strong> moment<br />

de son application à la théorie de l’État japonais 6 .<br />

5 « Geijutsuteki teikō to zas<strong>et</strong>su (Résistance artistique <strong>et</strong> sa défaite) », in Machiu-sho shiron, Tenkō-ron, p, 283.<br />

6 Takaaki Yoshimoto, « Shisō no jiritsuteki kyoten (La base indépendante de la pensée) », in Yoshimoto Takaaki<br />

chosaku shū (Œuvres de Takaaki Yoshimoto), t. 13, Keisō-shobō, 1969, p. 261.<br />

4


Pour analyser le caractère du pouvoir de système impérial, il f<strong>au</strong>t présupposer<br />

l’<strong>au</strong>tonomie relative de la superstructure par rapport à la base économique. L’essence de<br />

l’État fasciste de système impérial consiste dans la « synthèse » de la religion<br />

(shintoïsme d’État) <strong>et</strong> de la loi. Ce que Yoshimoto appelle « fantasme collectif », c’est<br />

c<strong>et</strong>te synthèse de la religion <strong>et</strong> de la loi comme idéologie de l’État.<br />

Dans « Du fantasme collectif » (<strong>1968</strong>), Yoshimoto explique son concept de<br />

« fantasme collectif ». D’après lui, la superstructure est <strong>au</strong>tonome de manière relative<br />

par rapport à la base économique. Elle ne peut pas être comprise comme « refl<strong>et</strong> » ou<br />

« imitation » de la base économique. Elle correspond <strong>au</strong> « domaine du fantasme » qui<br />

possède une « structure » <strong>au</strong>tonome. De là, Yoshimoto distingue trois fantasmes :<br />

fantasme collectif, fantasme duel, <strong>et</strong> fantasme individuel. Le fantasme collectif<br />

correspond <strong>au</strong> domaine de la loi <strong>et</strong> de la religion : ce concept perm<strong>et</strong> d’analyser le<br />

problème de l’État. Le fantasme duel correspond à celui des partenaires sexuels : ce<br />

concept perm<strong>et</strong> d’analyser le problème de la famille <strong>et</strong> du rapport sexuel. Le fantasme<br />

individuel correspond à celui des individus : ce concept perm<strong>et</strong> d’analyser le problème<br />

des arts <strong>et</strong> de la littérature 7 .<br />

ainsi :<br />

Ce qui nous importe, c’est le concept de fantasme collectif. Yoshimoto le définit<br />

Le fantasme collectif peut facilement produire le tabou collectif en utilisant l’état<br />

psychique dans lequel la distinction entre la réalité <strong>et</strong> l’idée est perdue comme dans le<br />

sommeil 8 .<br />

Yoshimoto définit le fantasme collectif comme « l’état psychique où la distinction entre<br />

la réalité <strong>et</strong> l’idée est perdue ». En utilisant <strong>les</strong> termes althussériens, le fantasme<br />

collectif produit « l’évidence idéologique ». D’après la théorie althussérienne de<br />

l’idéologie, « l’idéologie est une “représentation” du rapport imaginaire des individus à<br />

leurs conditions réel<strong>les</strong> d’existence » 9 . En ce sens, le fantasme collectif est « une<br />

“représentation” du rapport imaginaire des individus à leurs conditions réel<strong>les</strong><br />

d’existence ». Il n’est rien d’<strong>au</strong>tre que la structure de l’idéologie de l’État. Yoshimoto a<br />

déduit de l’analyse du fascisme de système impérial la structure de l’idéologie de l’État<br />

comme « fantasme collectif ».<br />

2<br />

7 Takaaki Yoshimoto, Kyodō-gensō-ron (Du fantasme collectif), Yoshimoto Takaaki chosaku shū (Œuvres de Takaaki<br />

Yoshimoto), t. 11, Keisō-shobō, 1971, pp. 20-23.<br />

8 Ibid., p. 62.<br />

9 Louis Althusser, « Idéologie <strong>et</strong> appareils idéologiques d’État », in Sur la reproduction, PUF, 1995, p. 296.<br />

5


Passons maintenant à la pensée de Kojin Karatani. Il était un membre important du<br />

Bund lors de la lutte contre le traité de sécurité entre <strong>les</strong> États-Unis <strong>et</strong> le <strong>Japon</strong> en 1960.<br />

Il publie Marx, le centre de son possible en 1974. Ce texte nous semble intéressant,<br />

puisqu’il lit Le Capital comme une critique de la métaphysique. La critique du<br />

capitalisme qui vient de c<strong>et</strong>te lecture sera reformulée, dans Transcritique (2001),<br />

comme stratégie de l’action contre le capitalisme.<br />

La manière karatanienne de la lecture de Marx dans Marx, le centre du possible se<br />

résume en deux stratégies : premièrement, Karatani lit Marx du point de vue de la<br />

psychanalyse freudienne ; deuxièmement, il lit Le Capital en se référant <strong>au</strong>x <strong>théories</strong><br />

structuralistes.<br />

Réfléchissons tout d’abord à la première stratégie. La lecture de Marx du point de vue<br />

freudien concerne la notion de « centre du possible ». Karatani écrit ainsi :<br />

La richesse de la théorie de forme-valeur consiste à faire venir « ce qui n’est pas<br />

encore pensé » dans c<strong>et</strong>te théorie. Tous <strong>les</strong> écrivains ont leur propre système dans la<br />

mesure où ils écrivent dans une langue <strong>et</strong> une logique. Cependant, la richesse d’une<br />

œuvre consiste à avoir, à l’intérieur du système que domine l’écrivain de manière<br />

consciente, un système qu’il « ne domine pas ». C’est ce que Marx a écrit dans une<br />

l<strong>et</strong>tre adressée à Lassalle. Pour moi, « lire » Marx est lire « ce qui n’est pas encore<br />

pensée » dans la théorie de forme-valeur 10 .<br />

Analysant la théorie de forme-valeur dans le premier livre du Capital, Karatani essaie<br />

de lire « ce qui n’est pas encore pensée » dans c<strong>et</strong>te théorie. Il tente ainsi de lire<br />

« l’inconscient » du texte dans Le Capital de Marx. C’est c<strong>et</strong> « inconscient » du texte<br />

qu’il appelle « le centre du possible » du texte. C<strong>et</strong>te lecture psychanalytique<br />

karatanienne est très proche de la « lecture symptômale » althussérienne. Mais, alors<br />

que celle-ci est une manière de lecture qui, en lisant le texte de manière extrêmement<br />

rigide, dévoile des contradictions qui y sont inscrites <strong>et</strong> finalement le déconstruit, la<br />

lecture karatanienne dégage plutôt « le possible » 11 que le texte contient<br />

inconsciemment. En lisant « le centre du possible » dans le texte de Marx, Karatani<br />

déduira de la théorie de forme-valeur sa propre philosophie.<br />

La deuxième stratégie consiste à introduire le point de vue s<strong>au</strong>ssurien dans la lecture<br />

de Marx. Karatani replace la théorie de forme-valeur dans le contexte de la linguistique<br />

s<strong>au</strong>ssurienne, <strong>et</strong> interprète le rapport entre <strong>les</strong> marchandises comme le rapport entre des<br />

signifiants.<br />

10 Kojin Karatani, Marukusu sono kanōsei no chūshin (Marx, centre du possible), Kōdan-sha, 1990, pp. 25-26.<br />

11 Ce concept du « possible » chez Karatani est inspiré par P<strong>au</strong>l Valérie. Cf. L’introduction à la méthode de Léonard<br />

de Vinci, Gallimard, coll. « Folio », 1992.<br />

6


En essayant de dégager <strong>les</strong> conditions de la formation de la langue <strong>et</strong> de <strong>les</strong><br />

clarifier comme obj<strong>et</strong> de la linguistique, S<strong>au</strong>ssure en exclut la vibration de l’air<br />

puisqu’elle est l’obj<strong>et</strong> de la phonologie, tout comme Marx qui exclut <strong>les</strong><br />

marchandises concrètes de l’obj<strong>et</strong> de sa réflexion puisqu’el<strong>les</strong> sont l’obj<strong>et</strong> de la<br />

« marchandologie ». Par conséquent, S<strong>au</strong>ssure trouve l’essence de la langue dans la<br />

combinaison du signifiant (phonème) <strong>et</strong> du signifié (concept). Cependant, ce n’est pas<br />

cela qui est nouve<strong>au</strong>. L’aspect novateur de sa théorie consiste plutôt à sa manière de<br />

considérer la langue comme une valeur. Autrement dit, il s’agit de voir la langue<br />

comme un système de rapports différentiels : le sens n’existe pas a priori mais<br />

apparaît dans le système de différenciations, c’est-à-dire dans le rapport entre <strong>les</strong><br />

mots. Ce point de vue n’apparaît pas tant qu’on considère <strong>les</strong> mots pour eux-même,<br />

séparés <strong>les</strong> uns des <strong>au</strong>tres. La métaphysique conçoit que <strong>les</strong> sens existent a priori,<br />

mais ce faisant, elle oublie le fait qu’ils n’existent que dans le système de rapports<br />

différentiels.<br />

Selon Marx, la distinction qu’établit l’économie classique entre la valeur d’usage<br />

<strong>et</strong> la valeur d’échange isole <strong>les</strong> marchandises. En réalité, leur distinction dérive du<br />

fait que <strong>les</strong> marchandises existent comme forme-valeur, à savoir comme rapports<br />

différentiels 12 .<br />

La « métaphysique » signifie ici la pensée qui comprend le « sens » comme substance<br />

d’a priori. Karatani critique c<strong>et</strong>te « métaphysique » de manière ni<strong>et</strong>zschéenne. S<strong>au</strong>ssure<br />

définit la langue comme « système de rapports différentiels », <strong>et</strong> clarifie le fait que le<br />

« sens » n’existe pas a priori <strong>et</strong> n’apparaît que dans le « système de rapports<br />

différentiels ». Chez Marx <strong>au</strong>ssi, le système de l’échange des marchandises est le<br />

« système de rapports différentiels » : la « valeur » n’existe pas a priori <strong>et</strong> apparaît dans<br />

le rapport différentiel entre <strong>les</strong> marchandises. En soulignant le rapport différentiel entre<br />

<strong>les</strong> signifiants (ou <strong>les</strong> marchandises), Karatani lit Le Capital comme une critique de la<br />

métaphysique du « sens » <strong>et</strong> de la « valeur ».<br />

De là, Karatani critique Marx qui recentre le « système de rapports différentiels »<br />

<strong>au</strong>tours de l’argent :<br />

Marx écrit ainsi à propos de « forme-valeur développée ».<br />

z marchandise A = u marchandise B<br />

12 Ibid., pp. 30-31.<br />

= v marchandise C<br />

= w marchandise D<br />

7


= x marchandise E<br />

C’est une série de rapports relatifs entre toutes <strong>les</strong> marchandises différentes ; il n’y<br />

existe pas de centre. Elle est pour ainsi dire le « système de rapports sans centre ».<br />

[…] D’après Marx, il est inévitable qu’apparaisse la forme-valeur générale ou la<br />

forme-argent, à savoir une marchandise centrale. Mais on peut dire que c<strong>et</strong>te<br />

explication est renversée. Car la « forme-valeur générale ou développée » n’est rien<br />

d’<strong>au</strong>tre que le « système des rapports sans centre » quand on décentre la forme-valeur<br />

générale ou la forme-argent. S<strong>au</strong>ssure est arrivé à c<strong>et</strong>te reconnaissance dans la<br />

linguistique, <strong>et</strong> Lévi-Str<strong>au</strong>ss l’a appliqué à l’anthropologie 13 .<br />

Dans la théorie de forme-valeur, la forme-valeur simple désigne le « rapport des valeurs<br />

d’échange différentes » 14 comme « x marchandise A = y marchandise B ». Par contraste,<br />

la forme-valeur développée désigne le rapport dans lequel la « forme-équivalent »<br />

comme « z marchandise A » pose des marchandises différentes comme éga<strong>les</strong>. Karatani<br />

l’appelle « système de rapports sans centre » 15 . On ne doit pas centraliser « z<br />

marchandise A » comme « argent », puisqu’elle n’est qu’une forme-équivalent pour<br />

poser <strong>les</strong> <strong>au</strong>tres marchandises comme éga<strong>les</strong>. Karatani critique c<strong>et</strong>te centralisation du<br />

système d’échanges <strong>au</strong>tours de l’argent. Le système d’échanges des marchandises est le<br />

« système de rapports sans centre ». Si on hypostasie la forme-équivalent comme<br />

« argent », on fait r<strong>et</strong>our de la métaphysique du « sens » <strong>et</strong> de la « valeur ». Dans le<br />

même sens, Karatani critique le « symbole zéro » — Lévi-Str<strong>au</strong>ss l’a introduit pour<br />

stabiliser le « système de rapports sans centre » — comme le r<strong>et</strong>our de la<br />

transcendance 16 .<br />

Ce qui nous semble intéressant, c’est que, en hypostasiant la forme-équivalent<br />

comme « argent », Marx ne perd pas la perspective que le système d’échanges des<br />

marchandises soit un « système de rapports différentiels ». Dans Le Capital, il critique<br />

ainsi la théorie d’après laquelle <strong>les</strong> marchandises différentes sont équivalentes parce<br />

qu’el<strong>les</strong> contiennent la même sorte de travail :<br />

13 Ibid., pp. 34-35.<br />

14 Ibid., p. 32.<br />

15 De la même manière, en interprétant Marx du point de vue freudien, Althusser appelle la formation sociale chez<br />

Marx « système d’instances sans centre » : « Certes, on ne peut s’empêcher de penser, de loin, à la révolution<br />

introduite par Marx, lorsqu’il renonça <strong>au</strong> mythe idéologique bourgeois qui pensait la nature de la société comme un<br />

tout unifié <strong>et</strong> centré, pour parvenir à penser toute formation sociale comme un système d’instances sans centre. Freud,<br />

qui ne connaissait presque pas Marx, pensait comme lui (bien qu’il n’eût rien en commun avec le sien) son obj<strong>et</strong> dans<br />

la figure spatiale d’une topique (qu’on pense à la Préface de la Contribution de 1859), <strong>et</strong> d’une topique sans centre,<br />

où <strong>les</strong> diverses instances n’ont d’<strong>au</strong>tre unité que l’unité de leur fonctionnement conflictuel, dans ce que Freud appelle<br />

« l’appareil psychique », terme (appareil) qui n’est pas non plus sans faire penser discrètement à Marx. » (Louis<br />

Althusser, « Sur Marx <strong>et</strong> Freud », in Écrits sur la psychanalyse, Stock/IMEC, 1993, p. 241)<br />

16 Marukusu sono kanōsei no chūshin (Marx, centre du possible), pp. 37-38.<br />

8


Ce n’est donc pas parce que <strong>les</strong> produits de leur travail v<strong>au</strong>draient pour eux<br />

comme simp<strong>les</strong> enveloppes matériel<strong>les</strong> d’un travail humain indifférencié que <strong>les</strong><br />

hommes établissent des relations mutuel<strong>les</strong> de valeur entre ces choses. C’est<br />

l’inverse. C’est en posant dans l’échange leurs divers produits comme ég<strong>au</strong>x à titre de<br />

valeurs qu’ils posent leurs trav<strong>au</strong>x différents comme ég<strong>au</strong>x entre eux à titre de travail<br />

humain. Ils ne le savent pas, mais ils le font pratiquement. La valeur ne porte donc<br />

pas écrit sur le front ce qu’elle est. La valeur transforme <strong>au</strong> contraire tout produit du<br />

travail en hiéroglyphe social. Par la suite, <strong>les</strong> hommes cherchent à déchiffrer le sens<br />

du hiéroglyphe, à percer le secr<strong>et</strong> de leur propre produit social, car la détermination<br />

des obj<strong>et</strong>s d’usage comme valeurs est leur propre production sociale, <strong>au</strong> même titre<br />

que le langage. Certes, la découverte tardive par la science que <strong>les</strong> produits du travail,<br />

dans la mesure où ils sont valeurs, ne font qu’exprimer sous forme de choses un<br />

travail humain dépensé à <strong>les</strong> produire, est une découverte qui a fait date dans<br />

l’histoire du développement de l’humanité, mais elle n’a dissipé en rien l’apparence<br />

d’obj<strong>et</strong> qu’ont <strong>les</strong> caractères soci<strong>au</strong>x du travail 17 .<br />

D’après Marx, <strong>les</strong> marchandises différentes sont équivalentes parce que <strong>les</strong> hommes <strong>les</strong><br />

posent dans l’échange comme éga<strong>les</strong>, non pas parce qu’el<strong>les</strong> contiennent la même sorte<br />

de travail. La valeur des marchandises n’est pas déterminée seulement suivant le travail<br />

dépensé. La valeur du travail est socialement déterminée suivant le système d’échanges<br />

des marchandises, c’est-à-dire dans le rapport avec d’<strong>au</strong>tres travails. Les hommes « ne<br />

le savent pas, mais ils le font pratiquement ». Karatani interprète ainsi c<strong>et</strong>te citation de<br />

Marx :<br />

Quand Marx écrit qu’ « ils ne savent pas, mais ils le font pratiquement », il évoque<br />

effectivement « l’inconscient » <strong>au</strong> sens freudien du terme. Par exemple, d’après<br />

Jacques Lacan, l’inconscient est structuré comme un langage. Dans le même sens, la<br />

« forme-valeur », éliminée dans la forme-argent, est le hiéroglyphe comme le dit<br />

Marx. Notre « conscient » ne voit pas c<strong>et</strong>te « forme-valeur » : il ne voit que le résultat<br />

qu’elle produit. Comme le dit Freud, la prise de conscience signifie la verbalisation.<br />

Ce dont nous avons conscience, c’est seulement ce qui prend la forme de l’argent ou<br />

de la langue verbale. Les sciences économiques partent de ce « conscient ».<br />

Autrement dit, el<strong>les</strong> présupposent l’argent. Toutes <strong>les</strong> réflexions <strong>et</strong> <strong>les</strong> analyses, si<br />

rigoureuses soient-el<strong>les</strong>, prennent toujours le résultat pour la c<strong>au</strong>se, si el<strong>les</strong> sont faites<br />

dans le « conscient » déjà formé 18 .<br />

17 Karl Marx, Das Kapital, Bd. 1, Marx-Engels Werke, Bd. 23, Di<strong>et</strong>z, 1962, S. 88 ; Le Capital, Livre I, trad. fr., PUF,<br />

1993, pp. 84-85. Traduction modifiée. Cité <strong>et</strong> souligné par Karatani : Marukusu sono kanōsei no chūshin (Marx,<br />

centre du possible), p. 39.<br />

18 Marukusu sono kanōsei no chūshin (Marx, centre du possible), pp. 39-40.<br />

9


Karatani introduit ici la notion freudienne d’inconscient dans la lecture de Marx. Si on<br />

réduit la forme-valeur à l’argent, on dissimule l’opération de « l’inconscient » dans<br />

l’échange (« ils ne savent pas, mais ils le font pratiquement ») : <strong>les</strong> hommes produisent<br />

inconsciemment la forme-valeur comme « rapports différentiels » en m<strong>et</strong>tant dans<br />

l’échange <strong>les</strong> produits différents comme ég<strong>au</strong>x. L’inconscient (forme-valeur) est un<br />

système de rapports entre <strong>les</strong> signifiants (à savoir entre <strong>les</strong> marchandises). Comme le dit<br />

Lacan, il est « structuré comme un langage » (Et dans L’interprétation du rêve, Freud<br />

compare l’inconscient avec le hiéroglyphe). Karatani éclaire le fait que c’est l’acte<br />

d’échange qui forme le système de valeur comme « système de rapports sans centre ». Il<br />

critique ainsi la métaphysique du « sens » <strong>et</strong> de la « valeur ».<br />

Mais, quand on dit que l’échange forme le système de valeur comme « système de<br />

rapports sans centre », on présuppose la singularité du système de valeur ou de la<br />

structure. Par exemple, si on se rappelle le concept de structure chez Lévi-Str<strong>au</strong>ss<br />

(structure de l’échange des femmes) <strong>et</strong> chez Lacan (celle du « suj<strong>et</strong> de l’inconscient »),<br />

on peut comprendre que la plupart des structuralistes présupposent une seule structure<br />

universelle <strong>et</strong> non pas la structure composée de plusieurs systèmes différenciés de<br />

manière géographique ou temporelle (la seule exception est S<strong>au</strong>ssure : il présuppose la<br />

différence synchronique <strong>et</strong> diachronique des systèmes de la langue). Par contraste, la<br />

particularité de Karatani consiste à présupposer la structure composée de plusieurs<br />

systèmes (de valeur) différenciés de manière géographique ou temporelle. De ce point<br />

de vue, il réfléchit sur le mécanisme essentiel du capitalisme, à savoir celui de la<br />

production de la plus-valeur <strong>et</strong> de l’<strong>au</strong>to-prolifération du capital :<br />

Dans la forme-argent = la langue verbale = le conscient, la forme-valeur est déjà<br />

dissimulée. Mais pourquoi cela est-il important ? Parce qu’y est dissimulé le fait que<br />

ce caractère de l’argent est le fondement de la « transformation de l’argent en<br />

capital ». Si l’argent n’est que l’indicateur de la valeur des marchandises, le processus<br />

A (Argent)—M (Marchandise)—A’(A+ΔA) n’existera pas. Autrement dit, si le<br />

propriétaire de l’argent n’achète pas la marchandise <strong>et</strong> ne la vend pas, le capital ne<br />

pourrait pas exister.<br />

Cependant, là où l’argent existe, le capital marchand existe toujours. Ce n’est pas<br />

parce que <strong>les</strong> hommes ont toujours le caractère de rechercher le profit. Ce « caractère<br />

humain » apparaît seulement quand il existe le fondement nécessaire sur lequel <strong>les</strong><br />

échanges produisent le profit (plus-valeur). Ni dans A—M, ni dans M—A’, il n’existe<br />

la possibilité de produire le profit. S’il existe, c’est une imposture. Cependant,<br />

l’imposture momentanée ne peut pas être le fondement durable de la production du<br />

capital ou de l’<strong>au</strong>to-prolifération de l’argent. Alors, la clé pour résoudre ce problème<br />

10


consiste en séparation temporelle ou géographique de A—M <strong>et</strong> de M—A’. Autrement<br />

dit, l’argent n’est pas la simple mesure de valeur, mais, pour ainsi dire, le texte<br />

opaque 19 .<br />

Si A—M <strong>et</strong> M—A’ sont <strong>les</strong> échanges équivalents, comment la plus-valeur est-elle<br />

produit ? Ce qui produit la plus-valeur dans ce processus, c’est la « séparation<br />

temporelle ou géographique » de A—M <strong>et</strong> de M—A’. Autrement dit, le processus A—M<br />

—A’ est composé de deux systèmes différents (A—M <strong>et</strong> M—A’). Il existe alors la<br />

différence « temporelle ou géographique » entre ces deux systèmes. La forme-argent<br />

(« le texte opaque ») la dissimule.<br />

De là, Karatani réfléchit sur le mécanisme de la production de la plus-valeur dans le<br />

capital marchand. Dans ce dernier, la différence entre <strong>les</strong> deux systèmes différents<br />

apparaît comme une différence « géographique ».<br />

Chaque région possède un système propre <strong>et</strong> indépendant de valeur qui est le<br />

« système de rapports différentiels ». Le capital marchand profite de la différence du<br />

prix dans <strong>les</strong> deux systèmes de valeur géographiquement séparés : il achète la<br />

marchandise moins cher dans une région <strong>et</strong> la vend plus cher dans une <strong>au</strong>tre ; il produit<br />

ainsi la plus-valeur. Si c<strong>et</strong>te différence géographique n’existait pas, l’échange ne<br />

produirait pas la plus-valeur. Seulement quand <strong>les</strong> deux systèmes de valeur<br />

géographiquement séparés sont médiatisés, le capital marchand peut produire la plus-<br />

valeur en profitant de la différence de ces deux systèmes 20 .<br />

Ce mécanisme de la production de la plus-valeur n’est pas celui du passé. Même dans<br />

le capitalisme global d’<strong>au</strong>jourd’hui, la plus-valeur est produite en profitant de la<br />

différence géographique : <strong>les</strong> pays développés transfèrent leurs sièges de la production<br />

<strong>et</strong> du service <strong>au</strong>x pays sous-développés <strong>et</strong> diminuent leurs coûts. Comme le dit Karatani,<br />

« le capital industriel est formé dans l’élargissement de l’économie marchande <strong>et</strong><br />

l’établissement du marché mondial. Nous devons donc considérer c<strong>et</strong>te différence<br />

[géographique] comme un donné indispensable dans la réflexion sur le capital » 21 .<br />

Alors, comment la production de la plus-valeur est-elle produite dans le capital<br />

industriel ? Karatani se demande ainsi :<br />

Comme le dit Marx, si on présuppose le même système, le processus de circulation<br />

A—M—A’ ne peut pas produire la plus-valeur. Le capital industriel la produit suivant<br />

le processus d’échange A—M------M’—A’. C’est le processus dans lequel le<br />

capitaliste achète <strong>les</strong> moyens de production, <strong>les</strong> matières brutes <strong>et</strong> <strong>les</strong> forces de<br />

travail, <strong>et</strong> vend le produit. On peut supposer ici que <strong>les</strong> moyens de production <strong>et</strong> <strong>les</strong><br />

19 Ibid., pp. 54-55.<br />

20 Ibid., p. 56, 63.<br />

21 Ibid., p. 67.<br />

11


matières brutes sont des simp<strong>les</strong> marchandises <strong>et</strong> ne produisent pas la plus-valeur<br />

dans un même système. La clé pour résoudre ce problème réside dans la force de<br />

travail comme marchandise. Pour dire simplement, la plus-valeur est la différence<br />

entre la valeur de la force productive qu’achète le capitaliste <strong>et</strong> la valeur du produit<br />

que produisent <strong>les</strong> travailleurs (décomptée <strong>les</strong> moyens de production <strong>et</strong> <strong>les</strong> matières<br />

brutes). Mais, comment c<strong>et</strong>te différence est-elle produite ? 22<br />

La plus-valeur dans le capital industriel est produite par la force de travail comme<br />

marchandise. Dans ce cas, la plus-valeur correspond à la « différence entre la valeur de<br />

la force de travail qu’achète le capitaliste <strong>et</strong> la valeur du produit que produisent <strong>les</strong><br />

travailleurs (décomptée <strong>les</strong> moyens de production <strong>et</strong> <strong>les</strong> matières brutes) ». Mais,<br />

comment c<strong>et</strong>te « différence » est-elle produite sinon par « l’imposture » ? Il f<strong>au</strong>t se<br />

rappeler que la valeur de la force de travail est déterminée, comme celle des <strong>au</strong>tres<br />

marchandises, dans le « système de rapports différentiels » :<br />

Comme le dit Marx, la valeur de la marchandise consiste en « des heures de<br />

travail » nécessaires pour sa production, comme la valeur de la force de travail. Or,<br />

puisque <strong>les</strong> heures socia<strong>les</strong> de travail sont données seulement comme forme-argent,<br />

ce que veut dire Marx est seulement que la force de travail se trouve dans le système<br />

de valeur qui la rapporte <strong>au</strong>x <strong>au</strong>tres marchandises <strong>et</strong> dans lequel toutes <strong>les</strong><br />

marchandises se dépendent mutuellement. Et quand Marx écrit que la valeur de la<br />

force de travail diffère suivant « certains pays » <strong>et</strong> « certaines périodes », cela signifie<br />

qu’on doit considérer c<strong>et</strong>te valeur dans le système de rapports synchroniques 23 .<br />

La force de travail n’est pas isolée des <strong>au</strong>tres marchandises. Puisqu’elle a le caractère<br />

« social », on doit considérer sa valeur dans « le système de rapports synchroniques »,<br />

c’est-à-dire dans le système de rapports des marchandises. C’est cela qui éclaire le<br />

mécanisme de la production de la plus-valeur dans le capital industriel. Dans Le<br />

Capital, Marx en donne <strong>les</strong> deux mécanismes : la production de la plus-valeur absolue<br />

<strong>et</strong> celle de la plus-valeur relative. La première produit la plus-valeur par la prolongation<br />

de la journée de travail. Cependant, cela veut dire que le capitaliste fait travailler <strong>les</strong><br />

travailleurs plus qu’il paie, <strong>et</strong> c’est pour ainsi dire « l’imposture ». Par contraste, la<br />

deuxième s’appuie sur l’accroissement de la productivité du travail par le<br />

développement de la technologie. Karatani analyse ainsi ce dernier mécanisme :<br />

L’accroissement de la productivité du travail diminue potentiellement la valeur de<br />

22 Ibid., p. 69.<br />

23 Ibid., pp. 74-75.<br />

12


la force de travail moyennant soit l’accroissement de la division de travail ou de la<br />

coopération, soit le développement de la technologie. On peut le dire <strong>au</strong>trement : le<br />

capitaliste place <strong>les</strong> produits <strong>au</strong> nive<strong>au</strong> du système actuel de valeur même s’ils sont<br />

produits moins cher. La valeur de la force de travail est relativement diminuée ainsi<br />

que celle des produits, mais c<strong>et</strong>te diminution n’apparaît pas tout de suite. Il coexiste<br />

alors le système actuel <strong>et</strong> le système potentiel. Nous trouvons donc que le capital<br />

industriel produit lui <strong>au</strong>ssi le plus-valeur <strong>au</strong> moyen de la différence entre deux<br />

systèmes différents.<br />

Nous avons déjà expliqué que le capital marchand se produit <strong>au</strong> moyen de la<br />

différence géographique entre deux systèmes de valeur (c<strong>et</strong>te différence n’est pas<br />

visible pour des personnes appartenant à un des deux systèmes). En ce sens, nous<br />

pouvons dire que le capital industriel produit, dans un système de valeur, un <strong>au</strong>tre<br />

système temporellement différent en accroissant la productivité du travail 24 .<br />

Le capital industriel produit, dans un « système de rapports synchroniques » actuel, un<br />

« <strong>au</strong>tre système potentiel » en accroissant la productivité du travail. Il crée ainsi la plus-<br />

valeur suivant la différence entre le système actuel <strong>et</strong> le système potentiel. Si le capital<br />

marchand produit la plus-valeur en créant la différence géographique, le capital<br />

industriel la produit en créant la différence temporelle. C’est c<strong>et</strong>te « différenciation »<br />

qui forme le mécanisme essentiel de la transformation de l’argent en capital, ou celui de<br />

la « pulsion » de l’<strong>au</strong>to-prolifération du capital. Et c<strong>et</strong>te « pulsion » n’a pas de fin :<br />

« L’accroissement de la productivité du travail crée un système potentiel dans un<br />

système actuel. Ce mécanisme perm<strong>et</strong> donc de produire la différence malgré<br />

l’apparence de l’échange équivalent. C<strong>et</strong>te différence sera bientôt supprimée <strong>et</strong> un <strong>au</strong>tre<br />

nouve<strong>au</strong> système de valeur sera formé. Le capital doit donc sans cesse produire c<strong>et</strong>te<br />

différence » 25 .<br />

La plus-valeur désigne la différence que la forme-valeur (système de rapports)<br />

produit suivant la « pulsion » de l’<strong>au</strong>to-prolifération du capital. Si ce qui apparaît<br />

comme un seul système produit la plus-valeur (différence), il y existe en réalité<br />

plusieurs systèmes (par exemple, l’exploitation des pays en développement par <strong>les</strong> pays<br />

développés, la production de la plus-valeur relative moyennant le développement de la<br />

technologie). Cependant, si l’on essaie de comprendre ce processus en l’hypostasiant <strong>au</strong><br />

moyen de l’argent, la différence que produisent <strong>les</strong> rapports est dissimulée. La<br />

« philosophie » que Karatani a déduite de Marx est une critique de la métaphysique qui<br />

hypostase ces rapports différentiels. Elle est la philosophie de la « différence » ou de la<br />

« parallaxe » qui essaie de comprendre ce qui a l’apparence d’un seul système comme<br />

24 Ibid., p. 78.<br />

25 Ibid., p. 79.<br />

13


de plusieurs systèmes différenciés à partir de leurs rapports.<br />

Karatani a trouvé de plusieurs systèmes différenciés dans une structure, <strong>et</strong> a essayé de<br />

ressaisir la structure à partir des rapports <strong>et</strong> des différences entre ces systèmes. En ce<br />

sens, il a essayé de dépasser la pensée structuraliste à partir de la « différence ». C<strong>et</strong>te<br />

« différence » n’est pas derridienne, mais le concept propre de Karatani qu’il appellera<br />

plus tard la « parallaxe ». L’originalité de Marx, centre du possible consiste donc à<br />

éclairer le fait que le système capitaliste n’est jamais réduit à un seul système de<br />

rapports synchroniques, mais qu’il y existe nécessairement plusieurs systèmes<br />

différenciés, <strong>et</strong> que seule la différence entre eux peut produire l’<strong>au</strong>to-prolifération du<br />

capital.<br />

3<br />

Karatani a ainsi éclairé le mécanisme de l’<strong>au</strong>to-prolifération du capital — qui est la<br />

« pulsion » originaire du capitalisme — comme celui de la « différenciation » ou de la<br />

« parallaxe ». Dans Transcritique publié en 2001, il appelle la « parallaxe »<br />

l’introduction du point de vue d’un tout <strong>au</strong>tre système (ou d’un <strong>au</strong>tre) dans un système<br />

singulier 26 .<br />

Ce qui est intéressant dans ce livre, c’est qu’il y éclaire le fait que la logique du<br />

capitalisme n’existe pas de manière <strong>au</strong>tonome, mais toujours en relation avec la nation<br />

(commun<strong>au</strong>té mutualiste) <strong>et</strong> l’État (pillage <strong>et</strong> redistribution par l’État). Il appelle c<strong>et</strong>te<br />

« trinité » « État-nation-capitaliste » <strong>et</strong> écrit ainsi en se référant à la tendance<br />

néolibérale du capitalisme actuel :<br />

On entend souvent la prédiction que, grâce à la mondialisation du capital, l’État-<br />

nation disparaîtra. Il est certain que <strong>les</strong> politiques économiques intérieures de l’État-<br />

nation ne marcheront pas <strong>au</strong>ssi effectivement que dans le passé, à c<strong>au</strong>se du rése<strong>au</strong><br />

élargissant de la dépendance économique internationale dans <strong>les</strong> échanges extérieurs.<br />

Cependant, même si <strong>les</strong> relations internationa<strong>les</strong> sont réorganisées <strong>et</strong> intensifiées,<br />

l’État <strong>et</strong> la nation ne disparaîtront pas. Quand <strong>les</strong> économies nationa<strong>les</strong> individuel<strong>les</strong><br />

sont menacées par la mondialisation du capitalisme (néolibéralisme), el<strong>les</strong> demandent<br />

la protection (redistribution) de l’État <strong>et</strong>/ou le bloc économique, en même temps<br />

appellent à l’identité culturelle nationale. L’action contre le capital doit être <strong>au</strong>ssi<br />

contre l’État <strong>et</strong> la nation (commun<strong>au</strong>té). L’État-nation capitaliste est puissant à c<strong>au</strong>se<br />

de sa trinité. La négation de l’un est finalement absorbée dans l’anne<strong>au</strong> de la trinité<br />

par le pouvoir des deux <strong>au</strong>tres. C’est parce que chacun des trois, même s’ils<br />

26 Kojin Karatani, Transcritique on Kant and Marx, MIT Press, 2003, pp. 44-53.<br />

14


paraissent illusoires, se base sur <strong>les</strong> principes différents de l’échange. Quand nous<br />

considérons le capitalisme, nous devons donc toujours inclure la nation <strong>et</strong> l’État.<br />

L’action contre le capitalisme doit être <strong>au</strong>ssi contre l’État-nation 27 .<br />

Le capitalisme néolibéral généralise le principe de concurrence dans la société <strong>et</strong> détruit<br />

la liaison sociale, mais l’excès de c<strong>et</strong>te tendance fait r<strong>et</strong>our du principe de mutualisme<br />

(nation) <strong>et</strong> de redistribution par l’État, <strong>et</strong> par conséquent protège le capitalisme. Le<br />

principe du capitalisme est ainsi puissant puisqu’il forme un ensemble avec l’État-<br />

nation. Donc, « l’action contre le capitalisme doit être <strong>au</strong>ssi contre l’État-nation ». De<br />

là, Karatani propose le principe d’ « association » éthico-économique comme celui<br />

d’action contre l’État-nation-capitaliste. D’après lui, c<strong>et</strong>te association est réalisable avec<br />

la monnaie alternative (LETS : Local Exchange Trading System, conceptualisé par<br />

Michael Linton depuis 1982) <strong>et</strong> la coopérative de production <strong>et</strong> de consommation. Ce<br />

qui nous intéresse, c’est que ces deux moyens sont conceptualisés d’après la philosophie<br />

de la « parallaxe » déjà esquissée dans Marx, centre du possible.<br />

En premier lieu, Karatani déduit l’antinomie de l’argent de la théorie de forme-valeur<br />

dans Le Capital. D’après c<strong>et</strong>te antinomie, « l’argent doit exister » comme forme-<br />

equivalent qui établit le système de valeur des marchandises ; mais en même temps,<br />

« l’argent ne doit pas exister » comme moteur du mouvement du capital qui produit<br />

l’<strong>au</strong>to-prolifération du capital. C<strong>et</strong>te antinomie de l’argent, <strong>au</strong>trement dit, c<strong>et</strong>te vue<br />

parallaxe sur l’argent demande la création de l’argent alternatif qui construit <strong>les</strong> rapports<br />

soci<strong>au</strong>x, mais qui ne se transforme pas en capital, <strong>et</strong> qui ne produit pas la pulsion de<br />

l’<strong>au</strong>to-prolifération du capital 28 .<br />

En deuxième lieu, Karatani accorde de l’importance <strong>au</strong> mouvement consumériste, <strong>et</strong><br />

non pas <strong>au</strong> mouvement ouvrier. Les travailleurs appartiennent à la « position de<br />

vendre » (M—A) comme vendeurs de leur force de travail, mais en même temps, ils<br />

appartiennent à la « position d’ach<strong>et</strong>er » (A—M) comme consuméristes qui achètent <strong>les</strong><br />

produits capitalistes. La « position de vendre » est une position faible pour résister <strong>au</strong><br />

capital, puisque <strong>les</strong> travailleurs se trouvent alors dans une position passive où ils se<br />

trouvent assuj<strong>et</strong>tis <strong>au</strong> capital. Par contre, la « position d’ach<strong>et</strong>er » est une position active<br />

qui réalise la plus-valeur des produits capitalistes. Dans c<strong>et</strong>te position active, <strong>les</strong><br />

travailleurs peuvent résister <strong>au</strong> capital par le boycottage des produits capitalistes 29 . C<strong>et</strong>te<br />

vue « parallaxe » qui éclaire la position double du travailleur-consumériste perm<strong>et</strong><br />

l’action contre le capitalisme. Karatani écrit ainsi :<br />

Les coopératives non-capitalistes ainsi que la monnaie alternative supporteront <strong>les</strong><br />

27 Ibid., p. 281.<br />

28 Ibid., p. 298.<br />

29 Ibid., p. 288.<br />

15


luttes à l’intérieur de l’économie capitaliste. Les mouvements de « ne pas vendre la<br />

force de travail » <strong>et</strong> de « ne pas ach<strong>et</strong>er <strong>les</strong> produits capitalistes » accéléreront la<br />

transformation de l’entreprise capitaliste en entité coopérative. Les luttes immanentes<br />

<strong>et</strong> ex-scendantes contre le capitalisme sont possib<strong>les</strong> seulement dans le processus de<br />

circulation, à savoir dans le positionnement où <strong>les</strong> travailleurs apparaissent comme<br />

consuméristes. C’est la seule position dans laquelle <strong>les</strong> individus ont le moment pour<br />

devenir « suj<strong>et</strong>s ». L’association se base strictement sur la subjectivité des individus ;<br />

elle n’est possible qu’en situant le processus de circulation à un axe 30 .<br />

Les travailleurs peuvent acter, dans la position de consumériste, comme « suj<strong>et</strong>s » pour<br />

résister <strong>au</strong> capital. L’association est ainsi un ensemble de la « subjectivité des<br />

individus ». D’après c<strong>et</strong>te théorie, Karatani a commencé le mouvement associationniste<br />

qui s’appelle New Association Mouvement (NAM) en 2000. Celui-ci a échoué à c<strong>au</strong>se<br />

du problème de la monnaie alternative LETS (la demande <strong>et</strong> l’offre des biens <strong>et</strong> des<br />

services apportés ne se correspondent pas, <strong>et</strong> la circulation de c<strong>et</strong>te monnaie est limitée<br />

dans une p<strong>et</strong>ite commun<strong>au</strong>té). Cependant, l’idée de l’association basée sur la<br />

« subjectivité des individus » — la subjectivité désassuj<strong>et</strong>tie par rapport <strong>au</strong> capital —<br />

devient plus en plus actuelle, dans le capitalisme mondial <strong>et</strong> néolibéral, pour<br />

transformer le capitalisme en « association éthique ».<br />

30 Ibid., p. 301.<br />

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