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Catherine Monnot, Petites filles d'aujourd'hui. L ... - Caf.fr

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l’ancrage géographique dans un environnement<br />

semi-rural du sud de la France a néanmoins<br />

conduit à privilégier des milieux plutôt populaires.<br />

Il est vrai que les travaux sur la socialisation<br />

sexuée ne montrent pas de différences criantes<br />

entre origines sociales mais ceci peut constituer<br />

une limite de l’analyse.<br />

L’ouvrage est composé de quatre parties. La<br />

première, « Un devoir d’appartenance », décrit<br />

précisément ce qui semble constitutif d’une véritable<br />

culture de groupe avec des codes, des pratiques<br />

et un langage. Au-delà de la personnalité et<br />

des intérêts particuliers de chaque petite fille, il<br />

s’agit d’intégrer le groupe et d’en respecter les<br />

règles établies (échanges, dons, confidences, etc.).<br />

Le non-respect de ce qui est une norme avec ses<br />

contraintes conduit à une marginalisation difficile<br />

à assumer à ces âges où l’on ne cherche pas encore<br />

à se « distinguer ». Le collectif est basé autour de<br />

l’échange de photos de stars (chanteuses, héroïnes de<br />

séries TV essentiellement) dans ce qui peut apparaître<br />

comme une véritable « nécessité sociale du<br />

don » (p. 28), c’est-à-dire se séparer de photos<br />

auxquelles on tient. S’intéresser et collectionner<br />

tout ce qui est relatif au monde des « stars » permet<br />

de s’intégrer au groupe. Ces petites <strong>filles</strong> en groupe<br />

alimentent leurs conversations autour des émissions<br />

de télé-réalité telles que Star Academy, Nouvelle<br />

Star, Popstars. Les amourettes systématiquement<br />

présentes dans ce type d’émissions sont largement<br />

commentées. Plus globalement, celles-ci participent<br />

pour ces préadolescentes de leur rêve qui est de<br />

devenir star. Les textes des chansons des stars particulièrement<br />

appréciées, telles Jenifer, véhiculent<br />

d’ailleurs l’idée que tous les rêves sont accessibles.<br />

La télévision, remarque l’auteure, est pour elle, un<br />

sujet de conversation bien plus important que pour<br />

les petits garçons. Les séries télés qui sont également<br />

un autre thème de prédilection privilégient<br />

d’ailleurs les groupes de <strong>filles</strong> (sœurs, amies, etc.) ;<br />

à titre illustratif, la série Charmed repose sur un<br />

groupe formé par trois sœurs qui ne peuvent<br />

« vaincre » qu’ensemble. Les échanges en groupe<br />

se matérialisent également à travers les blogs de<br />

copines sur Internet qui tendent à se développer.<br />

Cette apologie du groupe et du refus de l’individualisme<br />

repose sur des activités qui sont peut-être<br />

insuffisamment commentées. Il est assez significatif,<br />

nous semble-t-il, qu’il s’agisse principalement<br />

de regarder, contempler, s’identifier par l’imitation<br />

de ces « stars ». Autant d’attributs qui relèvent plutôt<br />

d’une passivité. De plus, des qualités privilégiées<br />

au sein du groupe comme celle du don peuvent<br />

renvoyer, et donc préparer en quelque sorte, les<br />

petites <strong>filles</strong> aux tâches de care, c’est-à-dire<br />

d’attention aux autres.<br />

Politiques sociales et familiales n° 97 - septembre 2009<br />

99 Comptes rendus de lectures<br />

La deuxième partie « Apprenties jeunes <strong>filles</strong> »<br />

montre comment ces activités et ces centres d’intérêt<br />

issus du groupe constituent en quelque sorte ce<br />

que l’on nommerait des « rites de passage » entre<br />

la « petite » et la « jeune » fille : « le monde des<br />

stars est donc avant tout recherché pour servir de<br />

tremplin, de “courte échelle” afin d’explorer<br />

précocement l’univers de la féminité » (p. 86). En<br />

effet, cette passion des petites <strong>filles</strong> pour la musique<br />

et les stars les conduit à intégrer une identité<br />

sexuée qui passe notamment par l’importance<br />

accordée à l’apparence et au jeu de séduction. À<br />

cet égard, l’utilisation assidue du karaoké où elles<br />

apprennent à chanter et à danser les initie à se<br />

mettre en scène et à plaire à autrui. Cette féminisation<br />

du corps peut aller jusqu’à une érotisation<br />

(maquillage, port de vêtements moulants et<br />

laissant apparaître ventre et jambes, strings, etc.)<br />

qui semble être encore plus prégnante qu’il y a<br />

quelques années pour ces tranches d’âge (3). Un<br />

joli visage, la minceur, des cheveux longs et des<br />

vêtements à la mode sont ainsi privilégiés. Ces<br />

« qualités » incarnées dans les stars font de ces<br />

dernières, selon C. <strong>Monnot</strong>, de nouvelles poupées<br />

dans lesquelles les petites <strong>filles</strong> se projettent.<br />

À quoi sert cette féminisation si ce n’est à préparer<br />

les petites <strong>filles</strong> aux « choses de l’amour », troisième<br />

partie de l’ouvrage ? Les chanteuses appréciées<br />

sont elles-mêmes très érotisées et les clips vidéo<br />

peuvent être particulièrement suggestifs. La chanteuse<br />

Britney Spears en est une parfaite illustration.<br />

Les messages sont parfois ambigus, voire contradictoires,<br />

entre le texte de la chanson et le clip ou<br />

encore entre les déclarations dans les interviews<br />

et la « vraie » vie de ces stars. La valorisation de<br />

l’autonomie, la « conquête » de soi, une sexualité<br />

assumée sont autant d’éléments qui plaideraient<br />

en faveur d’acquis, autant d’échos aux avancées<br />

et aux transformations des rapports entre les sexes<br />

ces dernières décennies. Toutefois, une forme de<br />

dépendance, affective et physique, reste prégnante<br />

dans les rapports avec les hommes : des « je suis<br />

ton esclave », re<strong>fr</strong>ain chanté, aux interviews centrées<br />

sur la vie amoureuse (prêtes à tout abandonner<br />

pour l’homme qu’elles aiment ; leur objectif est<br />

bien de se marier et de fonder une famille…). Les<br />

jeux de société qui sont clairement destinés aux<br />

<strong>filles</strong> par les publicitaires comme « Secret girls »,<br />

« Le téléphone secret », « Mon agenda secret » constituent<br />

également des manières de s’initier aux règles<br />

du jeu amoureux avec les garçons en se projetant<br />

dans diverses situations des jeux de séduction aux<br />

premiers baisers et séparations. Il en est de même<br />

du rôle joué par les stars masculines : « ce temps de<br />

cristallisation sur les chanteurs constitue souvent chez<br />

les préadolescentes une phase de transition avant<br />

(3) Cette érotisation des petites <strong>filles</strong> est notamment dénoncée par Valérie Walkerdine dans Daddy’s girl : young girls and<br />

popular culture (1997, Harvard University Press).

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