Catherine Monnot, Petites filles d'aujourd'hui. L ... - Caf.fr
Catherine Monnot, Petites filles d'aujourd'hui. L ... - Caf.fr
Catherine Monnot, Petites filles d'aujourd'hui. L ... - Caf.fr
Create successful ePaper yourself
Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.
et des échecs qui émaillent la relation entre<br />
institutions et acteurs faibles ? Quelles formes<br />
typiques cette communication asymétrique<br />
emprunte-t-elle ? Quelles ressources, quelles<br />
compétences, quels cadres sont-ils nécessaires<br />
pour la construction d’une réciprocité des perspectives,<br />
tant du côté des institutions que de celui<br />
des acteurs disqualifiés ? Quelles sont les condi-<br />
Trente ans après l’ouvrage de référence d’Elena<br />
Gianini Belotti (1), Du côté des petites <strong>filles</strong>, l’anthropologue<br />
<strong>Catherine</strong> <strong>Monnot</strong> plonge dans l’univers<br />
des préadolescentes (9-11 ans) afin de savoir<br />
dans quelle mesure la division traditionnelle des<br />
rôles sexués reste conditionnée par leurs activités<br />
de loisirs. E. G. Belotti avait montré le poids des<br />
stéréotypes : on prête aux <strong>filles</strong> et aux garçons des<br />
aptitudes et des qualités différentes. Les rôles<br />
sociaux dévolus aux hommes et aux femmes sont<br />
ainsi intériorisés dès la prime enfance. Les jeux,<br />
les jouets et la littérature enfantine conditionnent<br />
les petites <strong>filles</strong>, tout comme les petits garçons<br />
d’ailleurs. Cet ouvrage « fondateur » se voulait<br />
également une critique assez vive du rôle joué par<br />
les enseignants dans ce processus de reproduction<br />
des stéréotypes. En 2007 (2), les sociologues<br />
Christian Baudelot et Roger Establet ont tenté de<br />
dresser un bilan des évolutions depuis le livre<br />
d’E. G. Belotti, notamment du fait que le niveau<br />
global de scolarisation des <strong>filles</strong> dépasse celui<br />
des garçons. Ils montrent que, dès la naissance,<br />
l’éducation des <strong>filles</strong> – y compris les activités de<br />
loisirs qui leur sont proposées – continue encore à<br />
différer de celle des garçons, alimentant les inégalités<br />
entre les sexes.<br />
C. <strong>Monnot</strong> est enseignante dans le secondaire et<br />
actuellement doctorante en anthropologie. Son<br />
terrain est ainsi alimenté par l’observation quotidienne<br />
des préadolescents. Elle part du constat<br />
que, malgré la mixité scolaire, l’occupation des<br />
<strong>Catherine</strong> <strong>Monnot</strong><br />
<strong>Petites</strong> <strong>filles</strong> d’aujourd’hui<br />
L’apprentissage de la féminité<br />
Politiques sociales et familiales n° 97 - septembre 2009<br />
98 Comptes rendus de lectures<br />
tions du passage de l’indignité à la reconnaissance<br />
de la parole des acteurs faibles ? Autant de<br />
questions qui traversent l’ouvrage et où le concept<br />
d’« acteur faible » prend véritablement chair à<br />
travers la variété des cadres institutionnels.<br />
<strong>Catherine</strong> Vérité<br />
CNAF – Département de l’animation<br />
de la recherche et du réseau des chargés d’études.<br />
2009, Paris, Autrement, collection Mutations, n° 251, 172 pages.<br />
(1) Belotti E. G., 1973, Du côté des petites <strong>filles</strong>, traduit de l’italien, Paris, éditions Des Femmes.<br />
(2) Baudelot C. et Establet R., 2007, Quoi de neuf chez les <strong>filles</strong> ?, Paris, Nathan.<br />
espaces, par exemple des cours de récréation,<br />
montre une ségrégation spontanée entre <strong>filles</strong> et<br />
garçons, les unes et les autres jouant avec des<br />
enfants de même sexe. Elle souhaite ainsi interroger<br />
la construction d’un modèle identitaire de<br />
groupe chez les petites <strong>filles</strong> en s’intéressant à<br />
leurs loisirs : sur quelles pratiques repose-t-il ? En<br />
quoi contribue-t-il à l’intégration d’une identité<br />
sexuée ? L’auteure s’intéresse plus spécifiquement<br />
aux <strong>filles</strong> au CM2, âgées de 9 ans à 11 ans, c’està-dire<br />
avant leur entrée dans la cour des « grands »<br />
du collège, au moment où leurs corps commencent<br />
à se transformer et avant que les garçons<br />
soient un véritable sujet de préoccupation. Outre<br />
l’observation, un important travail de synthèse<br />
et d’exploitation de la littérature existante, tant<br />
<strong>fr</strong>ançaise qu’anglo-saxonne, a été mené. En outre,<br />
des entretiens ont été conduits auprès d’une dizaine<br />
de petites <strong>filles</strong>, interrogées en milieu scolaire et<br />
chez elles. Compte tenu de la thèse de l’auteure qui<br />
porte sur les <strong>filles</strong> et la musique, l’analyse repose<br />
essentiellement sur les stars populaires auprès de<br />
cette tranche d’âge. Dans le travail d’entretiens très<br />
approfondis auquel conduit la démarche anthropologique,<br />
il aurait néanmoins été fort intéressant<br />
de comparer éventuellement avec les garçons (ce<br />
qui est fait uniquement en termes d’observation<br />
dans l’enceinte scolaire). Dans l’exploitation qui<br />
est livrée ici, on ne sait pas grand-chose sur les<br />
parents ou la <strong>fr</strong>atrie. S’il est précisé que les<br />
différents milieux sociaux ont été pris en compte,
l’ancrage géographique dans un environnement<br />
semi-rural du sud de la France a néanmoins<br />
conduit à privilégier des milieux plutôt populaires.<br />
Il est vrai que les travaux sur la socialisation<br />
sexuée ne montrent pas de différences criantes<br />
entre origines sociales mais ceci peut constituer<br />
une limite de l’analyse.<br />
L’ouvrage est composé de quatre parties. La<br />
première, « Un devoir d’appartenance », décrit<br />
précisément ce qui semble constitutif d’une véritable<br />
culture de groupe avec des codes, des pratiques<br />
et un langage. Au-delà de la personnalité et<br />
des intérêts particuliers de chaque petite fille, il<br />
s’agit d’intégrer le groupe et d’en respecter les<br />
règles établies (échanges, dons, confidences, etc.).<br />
Le non-respect de ce qui est une norme avec ses<br />
contraintes conduit à une marginalisation difficile<br />
à assumer à ces âges où l’on ne cherche pas encore<br />
à se « distinguer ». Le collectif est basé autour de<br />
l’échange de photos de stars (chanteuses, héroïnes de<br />
séries TV essentiellement) dans ce qui peut apparaître<br />
comme une véritable « nécessité sociale du<br />
don » (p. 28), c’est-à-dire se séparer de photos<br />
auxquelles on tient. S’intéresser et collectionner<br />
tout ce qui est relatif au monde des « stars » permet<br />
de s’intégrer au groupe. Ces petites <strong>filles</strong> en groupe<br />
alimentent leurs conversations autour des émissions<br />
de télé-réalité telles que Star Academy, Nouvelle<br />
Star, Popstars. Les amourettes systématiquement<br />
présentes dans ce type d’émissions sont largement<br />
commentées. Plus globalement, celles-ci participent<br />
pour ces préadolescentes de leur rêve qui est de<br />
devenir star. Les textes des chansons des stars particulièrement<br />
appréciées, telles Jenifer, véhiculent<br />
d’ailleurs l’idée que tous les rêves sont accessibles.<br />
La télévision, remarque l’auteure, est pour elle, un<br />
sujet de conversation bien plus important que pour<br />
les petits garçons. Les séries télés qui sont également<br />
un autre thème de prédilection privilégient<br />
d’ailleurs les groupes de <strong>filles</strong> (sœurs, amies, etc.) ;<br />
à titre illustratif, la série Charmed repose sur un<br />
groupe formé par trois sœurs qui ne peuvent<br />
« vaincre » qu’ensemble. Les échanges en groupe<br />
se matérialisent également à travers les blogs de<br />
copines sur Internet qui tendent à se développer.<br />
Cette apologie du groupe et du refus de l’individualisme<br />
repose sur des activités qui sont peut-être<br />
insuffisamment commentées. Il est assez significatif,<br />
nous semble-t-il, qu’il s’agisse principalement<br />
de regarder, contempler, s’identifier par l’imitation<br />
de ces « stars ». Autant d’attributs qui relèvent plutôt<br />
d’une passivité. De plus, des qualités privilégiées<br />
au sein du groupe comme celle du don peuvent<br />
renvoyer, et donc préparer en quelque sorte, les<br />
petites <strong>filles</strong> aux tâches de care, c’est-à-dire<br />
d’attention aux autres.<br />
Politiques sociales et familiales n° 97 - septembre 2009<br />
99 Comptes rendus de lectures<br />
La deuxième partie « Apprenties jeunes <strong>filles</strong> »<br />
montre comment ces activités et ces centres d’intérêt<br />
issus du groupe constituent en quelque sorte ce<br />
que l’on nommerait des « rites de passage » entre<br />
la « petite » et la « jeune » fille : « le monde des<br />
stars est donc avant tout recherché pour servir de<br />
tremplin, de “courte échelle” afin d’explorer<br />
précocement l’univers de la féminité » (p. 86). En<br />
effet, cette passion des petites <strong>filles</strong> pour la musique<br />
et les stars les conduit à intégrer une identité<br />
sexuée qui passe notamment par l’importance<br />
accordée à l’apparence et au jeu de séduction. À<br />
cet égard, l’utilisation assidue du karaoké où elles<br />
apprennent à chanter et à danser les initie à se<br />
mettre en scène et à plaire à autrui. Cette féminisation<br />
du corps peut aller jusqu’à une érotisation<br />
(maquillage, port de vêtements moulants et<br />
laissant apparaître ventre et jambes, strings, etc.)<br />
qui semble être encore plus prégnante qu’il y a<br />
quelques années pour ces tranches d’âge (3). Un<br />
joli visage, la minceur, des cheveux longs et des<br />
vêtements à la mode sont ainsi privilégiés. Ces<br />
« qualités » incarnées dans les stars font de ces<br />
dernières, selon C. <strong>Monnot</strong>, de nouvelles poupées<br />
dans lesquelles les petites <strong>filles</strong> se projettent.<br />
À quoi sert cette féminisation si ce n’est à préparer<br />
les petites <strong>filles</strong> aux « choses de l’amour », troisième<br />
partie de l’ouvrage ? Les chanteuses appréciées<br />
sont elles-mêmes très érotisées et les clips vidéo<br />
peuvent être particulièrement suggestifs. La chanteuse<br />
Britney Spears en est une parfaite illustration.<br />
Les messages sont parfois ambigus, voire contradictoires,<br />
entre le texte de la chanson et le clip ou<br />
encore entre les déclarations dans les interviews<br />
et la « vraie » vie de ces stars. La valorisation de<br />
l’autonomie, la « conquête » de soi, une sexualité<br />
assumée sont autant d’éléments qui plaideraient<br />
en faveur d’acquis, autant d’échos aux avancées<br />
et aux transformations des rapports entre les sexes<br />
ces dernières décennies. Toutefois, une forme de<br />
dépendance, affective et physique, reste prégnante<br />
dans les rapports avec les hommes : des « je suis<br />
ton esclave », re<strong>fr</strong>ain chanté, aux interviews centrées<br />
sur la vie amoureuse (prêtes à tout abandonner<br />
pour l’homme qu’elles aiment ; leur objectif est<br />
bien de se marier et de fonder une famille…). Les<br />
jeux de société qui sont clairement destinés aux<br />
<strong>filles</strong> par les publicitaires comme « Secret girls »,<br />
« Le téléphone secret », « Mon agenda secret » constituent<br />
également des manières de s’initier aux règles<br />
du jeu amoureux avec les garçons en se projetant<br />
dans diverses situations des jeux de séduction aux<br />
premiers baisers et séparations. Il en est de même<br />
du rôle joué par les stars masculines : « ce temps de<br />
cristallisation sur les chanteurs constitue souvent chez<br />
les préadolescentes une phase de transition avant<br />
(3) Cette érotisation des petites <strong>filles</strong> est notamment dénoncée par Valérie Walkerdine dans Daddy’s girl : young girls and<br />
popular culture (1997, Harvard University Press).
l’entrée dans une vie amoureuse réellement<br />
active » (p. 114).<br />
Le dernier chapitre questionne la possibilité ou la<br />
manière de construire une autre identité sexuée.<br />
Quelques pages sont consacrées au rôle des<br />
parents et du monde enseignant qui apparaît<br />
plutôt résigné face à la sexualisation de ces petites<br />
<strong>filles</strong> : « le jeu du monde adulte est ici double,<br />
dans sa volonté à la fois de prolonger l’innocence<br />
et la pudeur traditionnellement dévolues aux <strong>filles</strong>,<br />
d’ignorer les réalités de leur entrée dans une vie<br />
amoureuse et/ou sexuelle active, et en même<br />
temps de les pousser vers une érotisation et des<br />
canons esthétiques adultes » (p. 130). C. <strong>Monnot</strong><br />
voit toutefois, dans les pratiques sportives, des<br />
possibilités de mettre à mal certains stéréotypes.<br />
Ainsi, le monde équestre est un univers féminin,<br />
comme les jouets et les vidéos en témoignent. Or,<br />
c’est un sport dangereux, douloureux physiquement<br />
Issu de la thèse de Cécile Van de Velde, cet<br />
ouvrage traite du passage des jeunes à l’âge<br />
adulte, de 18 ans à 30 ans. Utilisant à la fois des<br />
matériaux quantitatifs (le panel européen qui suit<br />
des ménages pendant cinq ans) et qualitatifs (cent<br />
trente-cinq entretiens auprès de jeunes dans<br />
quatre pays), il s’intéresse à la fois aux configurations<br />
des politiques publiques pour la jeunesse,<br />
aux étapes objectives d’autonomisation et au vécu<br />
des jeunes eux-mêmes. Passant rapidement outre<br />
la césure classique entre des pays nordiques où<br />
l’autonomie est rapidement acquise et où la protection<br />
sociale est universelle (plus de 80 % des<br />
jeunes décohabitants sont aidés) et les pays du<br />
Sud aux caractéristiques opposées, l’auteure propose<br />
une comparaison approfondie de différents<br />
types d’expériences de transitions personnelles,<br />
familiales et d’emploi dans quatre pays emblématiques<br />
: le Danemark, le Royaume-Uni, la France<br />
et l’Espagne.<br />
Au Danemark, le temps long de la jeunesse est<br />
vécu comme une phase de construction de soi au<br />
Cécile Van de Velde<br />
Devenir adulte<br />
Politiques sociales et familiales n° 97 - septembre 2009<br />
100 Comptes rendus de lectures<br />
et qui conduit, en outre, à accomplir toutes sortes<br />
de tâches manuelles généralement plutôt attribuées<br />
aux garçons. L’argumentaire paraît un peu<br />
court. En effet, encore très attachée à un univers<br />
féminin et basé sur le « soin » dans le rapport à<br />
l’animal, l’équitation n’est guère une manière de<br />
lutter contre les petites <strong>filles</strong> « modèles ».<br />
Ouvrage destiné à un public élargi et pas seulement<br />
au monde universitaire, il a assurément des<br />
vertus pédagogiques qui lui ont valu d’être repris<br />
dans la presse magazine féminine notamment.<br />
Basé sur un terrain plutôt exploratoire, il contribue<br />
davantage à ouvrir des pistes de recherche qu’il ne<br />
démontre le rôle joué par les loisirs dans la<br />
construction des identités sexuées.<br />
Sociologie comparée de la jeunesse en Europe<br />
2008, Paris, PUF, collection le Lien social, 278 pages.<br />
Sandrine Dauphin<br />
CNAF – Rédactrice en chef<br />
de Politiques sociales et familiales<br />
travers d’expériences : il s’agit de se trouver. La<br />
décohabitation du foyer parental est précoce : à<br />
20 ans, la moitié des jeunes Danois a <strong>fr</strong>anchi cette<br />
étape, l’autonomie étant valorisée, même en<br />
dehors de toute autre motivation (emploi, couple),<br />
dans un système familial démocratique et égalitaire.<br />
Entre cette décohabitation et l’atteinte de<br />
toutes les caractéristiques de l’âge adulte, de nombreuses<br />
étapes se succèdent : séquences alternées<br />
ou simultanées d’emploi et d’études (84 % des<br />
jeunes de 18 ans à 30 ans travaillent, et plus<br />
de la moitié sont des étudiants), constitution de<br />
couples… Dans un contexte de faible chômage<br />
des jeunes et de désirs d’expériences multiples,<br />
les jeunes font de longues études : 28 % des<br />
25-30 ans sont encore étudiants. Les politiques<br />
publiques favorisent cette autonomie en dispensant,<br />
sous condition de ressources du jeune, allocations<br />
et prêts à des niveaux élevés : ainsi, au Danemark,<br />
est en vigueur le système de 72 « bons mensuels » de<br />
financement de périodes d’études, qui peuvent être<br />
discontinues. Au global, un État social-démocrate,