Nos années St-Jo. - Anciens de Saint Joseph
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Je me souviens / <strong>de</strong>s jours anciens… (comme disait Verlaine)<br />
<strong>Nos</strong> <strong>années</strong> <strong>St</strong>-<strong>Jo</strong>.<br />
*<br />
En mai 2008, un appel à témoignages a été adressé par courriel aux <strong>Anciens</strong>. À<br />
l’occasion <strong>de</strong>s centenaires du Collège fêtés en octobre, on a voulu permettre aux élèves<br />
actuels <strong>de</strong> se rendre compte <strong>de</strong> ce qu’était la vie à <strong>Saint</strong>-<strong>Jo</strong>seph autrefois. Voici une<br />
anthologie <strong>de</strong>s textes reçus, classés chronologiquement.<br />
À leur lecture, les <strong>Anciens</strong> se souviendront et les jeunes apprendront.<br />
Années d’avant-guerre<br />
Regardant <strong>de</strong>s photos <strong>de</strong> groupes, je retrouve Pères, Professeurs et condisciples tels<br />
qu’ils sont restés dans ma mémoire.<br />
Le Père Leib qui, chaque samedi, nous remettait dans son bureau <strong>de</strong> Recteur les<br />
médailles « d’excellence, <strong>de</strong> diligence, <strong>de</strong> conduite ».<br />
Le Père Flament [l’oncle <strong>de</strong> son homonyme], notre Père Spirituel, dont je peux dire<br />
qu’il a orienté ma vie. Avec la Congrégation <strong>de</strong> la <strong>Saint</strong>e-Vierge dont il était l’aumônier, j’ai<br />
participé aux routes mariales d’Eichternack, <strong>de</strong> Notre-Dame <strong>de</strong> La Salette, <strong>de</strong> Lour<strong>de</strong>s enfin.<br />
Le Père Valton fut mon professeur <strong>de</strong> philo en Terminale. Je me rappelle que dans son<br />
premier cours il nous avait donné comme but γνωθι σεαυτον [connais-toi toi-même].<br />
Le Père Gallet, rigoureux professeur <strong>de</strong> maths, qui consacra sa première heure <strong>de</strong><br />
cours à nous apprendre à écrire correctement les chiffres.<br />
Monsieur Félix, professeur <strong>de</strong> physique et <strong>de</strong> chimie.<br />
Monsieur Smetzkoï, émigré <strong>de</strong> Russie, passait avec nous ses week-ends ; il était<br />
presque un camara<strong>de</strong>, quoique professeur <strong>de</strong> maths en 1 ère .<br />
Enfin et surtout Charles <strong>de</strong> Seze, que nous avions vu arriver en secon<strong>de</strong> et qui<br />
d’emblée était <strong>de</strong>venu un merveilleux animateur.<br />
Maurice Henry (promo 1936),<br />
frère d’André Henry (promo 1943), qui fut le premier Chef <strong>de</strong> Division.<br />
Années <strong>de</strong> guerre<br />
Sur la photo <strong>de</strong>s enseignants <strong>de</strong> <strong>St</strong>-<strong>Jo</strong>. en 1943, que <strong>de</strong> soutanes et trois pauvres petites<br />
femmes qui ne font pas le poids ! Il est vrai qu’au début nous étions tenue à l’écart avec un<br />
certain mépris.<br />
Je me souviens qu’au bout <strong>de</strong> quelques <strong>années</strong> (en pleine pénurie alimentaire, alors<br />
que les femmes étaient déjà plus nombreuses), Mlle Viance avait fait <strong>de</strong>s reproches au Père<br />
[Edouard] Lepoutre parce que nous n’étions jamais invitées aux repas festifs <strong>de</strong>s enseignants.<br />
Puis c’est venu petit à petit. On nous a invitées mais on nous a reléguées dans un coin <strong>de</strong> la<br />
salle à manger comme <strong>de</strong>s pestiférées. Enfin, un jour <strong>de</strong> <strong>St</strong> <strong>Jo</strong>seph, on m’a fait monter à la<br />
place d’honneur, à gauche <strong>de</strong> Mgr Marty, où je ne me sentais pas bien à l’aise, il est vrai. […]<br />
Pendant les alertes, lorsque la sirène se faisait entendre, nous avions l’ordre<br />
d’emmener les élèves dans les abris situés sous les cuisines en passant par les couloirs du
vieux bâtiment. Les classes étaient situées le long <strong>de</strong> la rue <strong>de</strong>s Capucins pour les classes <strong>de</strong> le<br />
6 e à la 3 e .<br />
Je me souviens du Père Duval, le célèbre guitariste qui était professeur principal dans<br />
une classe <strong>de</strong> 2 e . Il avait un réel ascendant sur les élèves et on l’aimait beaucoup, c’était un<br />
grand nerveux qui <strong>de</strong> dormait guère et passait ses nuits à réparer les montres <strong>de</strong>s pauvres qu’il<br />
visitait.<br />
Bien sûr, la création et l’évolution <strong>de</strong>s équipes me laissent bien <strong>de</strong>s souvenirs.<br />
L’équipette, cette petite voiture brinquebalante à laquelle il arrivait toujours <strong>de</strong>s aventures vu<br />
son âge, rendait quand même bien <strong>de</strong>s services.<br />
Ce sont tant <strong>de</strong> Pères et <strong>de</strong> professeurs masculins que j’ai connus, mais c’est surtout<br />
avec le Père <strong>de</strong> Seze que j’ai travaillé, une fois que l’on m’a fait enseigner en 2d cycle. Tous<br />
les ans, le 21 janvier (date anniversaire <strong>de</strong> la mort <strong>de</strong> Louis XVI), il portait une cravate noire.<br />
C’est son ancêtre qui fut l’avocat <strong>de</strong> ce roi.<br />
Je me souviens très bien du premier acci<strong>de</strong>nt du Père <strong>de</strong> Seze, en 1957 ou 58, je crois.<br />
Il avait loué une voiture pour se rendre au chevet <strong>de</strong> sa mère mourante dans les Pyrénées. Il y<br />
avait plusieurs nuits qu’il ne dormait pas suite à <strong>de</strong>s rages <strong>de</strong> <strong>de</strong>nts et, en arrivant près <strong>de</strong><br />
Troyes, il s’était endormi et la voiture s’est écrasée contre un arbre. Il a été hospitalisé à<br />
l’Hôtel-Dieu <strong>de</strong> Troyes, le bassin écrasé. On l’avait placé dans un hamac et, chaque jour, on<br />
lui déplaçait un os. […]<br />
Le Père <strong>de</strong> Seze avait <strong>de</strong> l’ascendant sur les élèves ; il les faisait réfléchir sur leur<br />
avenir, les incitant à choisir une situation où ils seraient utiles plutôt que <strong>de</strong> ne penser qu’à<br />
profiter <strong>de</strong> la vie. Beaucoup <strong>de</strong> vocation alors, et le noviciat <strong>de</strong> <strong>Saint</strong>-Martin d’Ablois <strong>de</strong><br />
remplissait.<br />
Mlle Denise Grisel, professeur d’anglais <strong>de</strong> 1942 à 1966<br />
*<br />
Mes souvenirs renvoient à cette époque un peu particulière qu’a vécue <strong>Saint</strong>-<strong>Jo</strong>seph<br />
pendant la guerre, avec un brassage social inégalé <strong>de</strong>puis. Compte tenu du petit nombre <strong>de</strong><br />
pensionnaires en 1940, le fils <strong>de</strong> paysan que j’étais, entrant en 6 e , se trouvait au réfectoire aux<br />
côtés d’un philo, Jean Mambrino (dont j’ai trouvé encore récemment les écrits dans la revue<br />
Étu<strong>de</strong>s), pour lui <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r le « baquet » qui arrivait en bout <strong>de</strong> table pour laver les couverts<br />
en fin <strong>de</strong> repas.<br />
L’hôpital civil occupait les dortoirs au-<strong>de</strong>ssus du réfectoire et nous voyions<br />
régulièrement une civière recouverte d’un linceul pour aller à la morgue qui se trouvait près<br />
<strong>de</strong> la chapelle.<br />
Cela n’altérait en rien le sérieux <strong>de</strong>s étu<strong>de</strong>s : j’entends encore résonner dans les<br />
couloirs du « Fer à cheval » les souliers à clous du Père du Parc allant le matin prendre le<br />
pouls <strong>de</strong> chaque classe et y apporter son commentaire.<br />
Un autre moment mémorable était l’énoncé <strong>de</strong>s notes le samedi à midi en salle d’étu<strong>de</strong><br />
où étaient réunis tous les élèves <strong>de</strong> la division, qui se levaient à l’appel <strong>de</strong> leur nom et<br />
recevaient les commentaires appropriés. Par exemple : « Des progrès mais encore beaucoup<br />
d’efforts à faire », ou plus tranchant pour une cause désespérée : « Vous êtes grand, vous êtes<br />
fort… Asseyez-vous. »<br />
<strong>St</strong> <strong>Jo</strong>seph était fêté royalement le 19 mars, avec grand’messe solennelle où les externes<br />
<strong>de</strong>vaient venir, les pensionnaires étant consignés au Collège, mais c’était jour <strong>de</strong> congé avec<br />
repas <strong>de</strong> fête et festivités diverses.<br />
Un autre rituel bien réglé était l’oral en fin <strong>de</strong> trimestre. Pas question <strong>de</strong> relâcher<br />
l’effort avant les vacances. L’oral se passait les <strong>de</strong>ux <strong>de</strong>rniers jours <strong>de</strong> classe et nous partions
en vacances avec les résultats. Le Frère Adam s’était activé pour compiler tous les documents<br />
avec sa ronéo.<br />
On pourrait parler du terrain <strong>de</strong> Cormontreuil qui vivait alors ses heures <strong>de</strong> gloire<br />
avec, entre autres, la fête <strong>de</strong>s anciens le jour <strong>de</strong> l’Ascension et le traditionnel match <strong>de</strong> foot<br />
anciens contre élèves.<br />
C’était l’époque où les bons Pères étaient nombreux et nous nous amusions à les voir,<br />
après le déjeuner, déambuler en allers et retours sur le jésuitodrome que constituait l’allée<br />
couverte <strong>de</strong> la cour d’honneur.<br />
Remy Dhuicq (promo 1947)<br />
*<br />
À mon entrée à <strong>Saint</strong>-<strong>Jo</strong>seph en 42, une partie du Collège servait d'hôpital et je me<br />
souviens que cela ne nous empêchait pas <strong>de</strong> jouer au ballon malgré le transport <strong>de</strong>s morts sur<br />
<strong>de</strong>s civières dans la cour où nous jouions et que nous cherchions à éviter, bien sûr, mais<br />
parfois sans succès.<br />
Je me souviens <strong>de</strong> l'ordination <strong>de</strong>s Pères <strong>de</strong> Seze, Reimbold et Delhaize en<br />
Belgique, journée qui est restée gravée en moi.<br />
Je me souviens avoir joué quelques scènes du Bourgeois Gentilhomme dans le rôle<br />
<strong>de</strong> Monsieur <strong>Jo</strong>urdain au grand théâtre <strong>de</strong> Reims, avec comme metteur en scène Monsieur<br />
Nicolas<br />
En 2 e Div, je me souviens d'un remarquable voyage en Auvergne en vélo<br />
sous le contrôle du Père Reimbold.<br />
Que <strong>de</strong> fois avons-nous fait en 1944 le voyage Rethel-Reims en vélo [40 km.] en<br />
partant à 6h pour prendre nos cours à 8 h. !<br />
Je me souviens <strong>de</strong> notre titre <strong>de</strong> champion <strong>de</strong> France <strong>de</strong> hand-ball que nous<br />
avions été conquérir à Lour<strong>de</strong>s en battant Bor<strong>de</strong>aux.<br />
Il faisait froid pendant ces hivers <strong>de</strong> guerre et il fallait faire <strong>de</strong>s économies d'énergie.<br />
Le Père [Edouard] Lepoutre avait eu un slogan génial, affiché sur toutes les portes du Collège:<br />
PORTE FERMEE, CHALEUR GARDEE.<br />
Je me rappelle <strong>de</strong>s longues queues à la porte du frère Adam pour la distribution <strong>de</strong>s<br />
biscuits caséinés.<br />
*<br />
Michel Bruneau (promo 1949)<br />
J’ai eu la chance <strong>de</strong> participer aux premières <strong>années</strong> du lancement <strong>de</strong>s Équipes et plus<br />
particulièrement, élève <strong>de</strong> Maths Élem (à l’époque) <strong>de</strong> me voir confier la responsabilité <strong>de</strong><br />
l’équipe 5. J’ai été le chef <strong>de</strong> cette équipe originale à <strong>de</strong>ux titres: d’une part elle choisissait,<br />
pour la première fois, comme activité, le théâtre, d’autre part elle rassemblait uniquement <strong>de</strong>s<br />
élèves externes.<br />
Nous avons donc répété et joué Le Mala<strong>de</strong> imaginaire, au sein <strong>de</strong> la troupe que nous<br />
avions promue : “Les Compagnons du Théâtre” ! Dans le même temps, le statut particulier<br />
d’externes nous a permis, toute l’année, <strong>de</strong> partager une vie d’équipe au sein du Collège mais<br />
aussi <strong>de</strong>, souvent, nous retrouver, en <strong>de</strong>hors, notamment pour <strong>de</strong>s week-ends et <strong>de</strong>s vacances<br />
conviviales et riches en amitié.<br />
Je voudrais, sur cette pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> ma vie, porter un témoignage sincère, à savoir : « Je<br />
pense, vraiment, qu’une part importante <strong>de</strong> ce que j’ai réalisé <strong>de</strong> bien dans mon existence a<br />
trouvé sa base dans ces <strong>années</strong> passées au Collège, et tout particulièrement <strong>de</strong> cycle 1946-
1947, et ceci sur les plans divers : famille, profession, engagement associatif, découverte et<br />
développement <strong>de</strong> ma Foi.<br />
S’il fallait retenir <strong>de</strong>ux figures du Collège qui m’ont ^particulièrement marqué à cette<br />
époque, je citerais le Père <strong>de</strong> Seze et le Père Colette.<br />
Père <strong>de</strong> Seze. Ceux qui l’ont connu ont dû dire tout ce dont ils lui sont re<strong>de</strong>vables. En<br />
1946-1947, il était au début <strong>de</strong> sa vie religieuse et portait totalement le projet naissant <strong>de</strong>s<br />
équipes. Chef d’une <strong>de</strong> celles-ci, je l’ai beaucoup côtoyé et nous avons eu <strong>de</strong>s dialogues,<br />
parfois difficiles, mais toujours riches d’engagement et <strong>de</strong> vérité.<br />
Son attitu<strong>de</strong> permanente vis à vis d’un jeune en quête <strong>de</strong> son <strong>de</strong>venir reste en moi :<br />
pendant toute cette année 46-47, au cours <strong>de</strong> nombreux échanges, jamais un mot <strong>de</strong> morale<br />
n’a été prononcé, jamais le permis et le défendu n’étaient abordés. Seul importait la<br />
responsabilité que je <strong>de</strong>vais prendre, moi, en regard <strong>de</strong> ce que j’étais et selon la voie que je<br />
<strong>de</strong>vais prendre pour me construire. “ Il est <strong>de</strong>s choses que tu dois faire… et tu les feras pour<br />
<strong>de</strong>venir ce que tu dois être. Il en est d’autres que tu ne peux que t’interdire”.<br />
Une telle prise <strong>de</strong> conscience a marqué toute ma carrière professionnelle. Ingénieur<br />
et directeur au sein <strong>de</strong> la sidérurgie, confronté en direct à tous les drames <strong>de</strong> la reconversion<br />
qu’a connue la profession, fidèle à notre <strong>de</strong>vise et marqué par la confiance que m’avait<br />
accordé Charles <strong>de</strong> Seze, j’ai “ lancé mon cheval”... et mon cœur a suivi.<br />
Père Colette. Outre le fait que c’est à lui que je dois d’avoir embrassé une carrière<br />
d’ingénieur, j’ai eu avec lui <strong>de</strong>s rapports plus particuliers. C’était notre professeur <strong>de</strong><br />
mathématiques, mais il était également aussi curé <strong>de</strong> trois petites paroisses dans la montagne<br />
<strong>de</strong> Reims. À <strong>de</strong> nombreuses reprises j’ai été amené à lui apporter mon concours pour faire<br />
vivre les groupes d’enfants dont il avait la charge.<br />
Un fait entre d’autres : j’avais un jeudi, tard dans la soirée, animé une fête avec ses<br />
jeunes et j’avais bénéficié d’un rudimentaire abri sur place, pour la nuit. Je me suis présenté<br />
le len<strong>de</strong>main matin en retard au cours, avec une excuse que j’estimais valable. Le père<br />
Colette, plus que sévèrement, m’a publiquement reproché mon retard, à ses yeux inexcusable,<br />
insistant sur l’obligation qui m’était faite, quelques soient les circonstances <strong>de</strong> respecter<br />
l’horaire. Quelque peu médusé, je gagnai ma place. A la sortie du cours, le Père me retint et<br />
me dit, comme si la chose était la plus naturelle : “Hier soir, bien passé ? Les enfants<br />
heureux ?” et nous avons fait un point complet <strong>de</strong> la soirée. J’ai toujours gardé ce sens <strong>de</strong>s<br />
priorités, en esprit.<br />
Pour bien situer l’homme, je dois dire aussi, passant l’oral à la Sorbonne, ma surprise<br />
<strong>de</strong> voir, au fond <strong>de</strong> la salle, le Père qui s’était spécialement déplacé pour être près <strong>de</strong> ses<br />
élèves, sans pour cela se manifester. Si j’ajoute son extrême humilité, sa rigueur <strong>de</strong> vie au<br />
seuil <strong>de</strong> la pauvreté, le Père Colette reste pour moi un maître et, je crois, l’image <strong>de</strong> ce que<br />
j’aimerais considérer comme <strong>Saint</strong>.<br />
*<br />
Jean Dupuy (promo 1947)<br />
Voici <strong>de</strong>s extraits <strong>de</strong> la lettre que j’écrivis à mes parents le mercredi 15 novembre<br />
1944 :<br />
« Chers parents, je vous écris <strong>de</strong> l’infirmerie où je suis couché à cause d’une drôle<br />
d’histoire que je vais vous raconter.<br />
En l’honneur du 11 novembre, nous avons eu congé samedi et excursion dimanche.<br />
Samedi, nous avons assisté à un défilé <strong>de</strong>s Français et Américains. L’excursion a eu lieu à<br />
Montchenot, à 11 km <strong>de</strong> Reims, sur la route d’Epernay. Nous avons bien joué et j’ai gagné<br />
une partie. Dans le bois, il y avait <strong>de</strong>s caissons d’artillerie avec <strong>de</strong>s obus et <strong>de</strong>s carcasses <strong>de</strong>
chevaux. Ce sont les Français qui les ont abandonnés en 40. Le soir, nous sommes revenus au<br />
Collège et en me déchaussant j’avais le <strong>de</strong>ssus du pied droit tout rouge et ça me piquait. Je<br />
croyais que c’était mes chaussures qui avaient fait ça, mais le len<strong>de</strong>main tout le <strong>de</strong>ssus du<br />
pied n’était qu’une cloque.<br />
Je suis monté à l’infirmerie et la Sœur m’a dit d’attendre le docteur [Jacquinet] qui <strong>de</strong>vait<br />
venir à 2h. Quand il a eu regardé mon pied, le docteur se mit à me questionner comme un<br />
vrai détective et au bout <strong>de</strong> 5 minutes il avait découvert ce que c’était. Sur le bord du fossé <strong>de</strong><br />
la route, j’avais trouvé une grosse ampoule (comme pour les piqûres, mais très grosse). Au<br />
moment où je voulais la casser par le petit bout pour sentir ou goûter ce qu’elle contenait,<br />
elle glissa <strong>de</strong>s mains d’un camara<strong>de</strong> [Michel Valton, neveu du Père préfet] qui la tenait et se<br />
cassa sur la route. Nous n’y faisons pas attention et continuons notre chemin. Mais ce flacon<br />
contenait <strong>de</strong> l’ypérite, un gaz qu’on emploie dans les guerres et qui brûle tout. Les Allemands<br />
s’en servaient pour faire <strong>de</strong>s exercices. [En fait, un véhicule transportant un chargement <strong>de</strong><br />
ces ampoules avait « pris le fossé ». L’armée avait ratissé l’endroit, mais quelques ampoules<br />
étaient restées.] Quinze jours auparavant, le Docteur avait eu le cas d’un garçon <strong>de</strong> 16 ans<br />
qui, trouvant un flacon, en avait bu : il a toute la gorge et l’œsophage brûlés, on le nourrit<br />
par un tube, mais le docteur a dit qu’il n’en avait plus pour longtemps. Donc, une goutte <strong>de</strong><br />
ce produit est tombée sur mon pied, a brûlé ma chaussure et ma chaussette et ensuite le pied.<br />
Enfin, il faut mieux que ce soit les chaussures que le pied condamné ou les poumons<br />
<strong>de</strong>sséchés si je l’avais respiré. Bref, tout s’est bien passé [ ! ], mais ça n’avance pas. J’en ai<br />
peut-être pour une dizaine <strong>de</strong> jours, mais après je <strong>de</strong>vrai marcher avec <strong>de</strong>s béquilles encore<br />
pendant huit jours. Je commence à travailler au lit <strong>de</strong>main. On doit me monter mes bouquins<br />
aujourd’hui. Ne vous en faites surtout pas pour moi, je n’ai mal que lorsque je bouge, alors je<br />
reste tranquille. »<br />
On imagine l’inquiétu<strong>de</strong> <strong>de</strong> mes parents à la lecture <strong>de</strong> cette lettre, qu’avait précédée<br />
un appel téléphonique du Père Valton… En réalité, je n’ai pas été handicapé pendant une<br />
quinzaine <strong>de</strong> jours, comme me l’avait sans doute dit le mé<strong>de</strong>cin, mais pendant <strong>de</strong>ux mois :<br />
trois semaines alité à l’infirmerie, et cinq à marcher avec <strong>de</strong>s béquilles et à nécessiter <strong>de</strong>s<br />
soins infirmiers. Si Michel Valton s’en tira à bon compte (« il avait marché dans l’ypérite<br />
quand la bouteille est tombée et ses chaussures nouvellement ressemelées n’ont plus <strong>de</strong><br />
semelles ! »), un autre camara<strong>de</strong>, Dominique Fouret, était venu me rejoindre à l’infirmerie :<br />
« Il a une grosse plaie à la cuisse, ce qui prouve que les habits peuvent rester longtemps<br />
imprégnés et un jour on est brûlé. […] Le docteur vient nous voir tous les <strong>de</strong>ux jours et il ne<br />
trouve pas pru<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> nous laisser sortir <strong>de</strong> l’infirmerie […] Monsieur Hébert m’apporte tous<br />
les jours <strong>de</strong>s nouvelles <strong>de</strong> la classe et me donne un <strong>de</strong>voir à faire, j’ai mes leçons par Clau<strong>de</strong><br />
Chappat. »<br />
Il y a eu quelques occasions dans ma vie où je me suis dit que je <strong>de</strong>vais avoir un bon<br />
ange gardien. Eh bien, dans ce cas, j’ai pensé que c’était à l’ange gardien <strong>de</strong> Michel Valton –<br />
qui se préparait à entrer dans les ordres – que notre trio <strong>de</strong>vait le miracle… et la vie sauve.<br />
*<br />
Paul Horguelin (promo 1949)<br />
Je suis venu faire ma terminale à <strong>St</strong> <strong>Jo</strong>. en 1944. J’habitais Melun, j’étais élève au<br />
lycée Jacques-Amyot (dont je gar<strong>de</strong> un excellent souvenir) et avais révélé à mes parents mon<br />
désir d’être prêtre. Ceux-ci ont pensé qu’il serait bon que je fasse une « bonne » philo : ils se<br />
sont renseignés et on leur a vanté <strong>Saint</strong>-<strong>Jo</strong>seph <strong>de</strong> Reims, où se mettait en place un système<br />
d’équipes tout nouveau.
Mais il fallait se renseigner s’il y avait une place, et ce n’était pas chose facile en cette<br />
pério<strong>de</strong>. J’ai donc pris mon vélo et ai filé, en une journée, <strong>de</strong> Melun à Reims, via Montmirail<br />
et Epernay, et suis allé frapper à la porte du directeur. « Mais oui, bien sûr, cher ami, nous<br />
vous accueillerons très volontiers. » Le surlen<strong>de</strong>main, je revenais à Melun, achevant mon<br />
équipée <strong>de</strong> 300 km sans une crevaison : c’était alors un exploit !<br />
Trois semaines plus tard, je partais comme élève à <strong>Saint</strong>-<strong>Jo</strong>seph. Je pris le train à la<br />
gare <strong>de</strong> l’Est un soir, et suis arrivé le len<strong>de</strong>main matin en gare <strong>de</strong> Reims. Le train s’arrêtait à<br />
tout moment pour s’assurer que la voie était « viable ». Et je suis allé me présenter au<br />
Collège. C’était la première fois que j’étais pensionnaire, et cela ne m’était pas très agréable.<br />
Le responsable <strong>de</strong>s « grands » était le Père Maurice Lesteven, qui m’a placé dans une équipe<br />
(l’équipe 4, si je ne me trompe). Nous étions une bonne dizaine d’élèves <strong>de</strong> la secon<strong>de</strong> à la<br />
terminale, moitié externes, moitié internes. Je ne me souviens plus du nom <strong>de</strong> tous mes<br />
camara<strong>de</strong>s. Le responsable d’équipe était François Totot. On m’a bombardé « second », je ne<br />
savais pas très bien ce que cela voulait dire car je ne connaissais rien <strong>de</strong> <strong>St</strong> <strong>Jo</strong>. ni <strong>de</strong>s jésuites.<br />
Il n’y avait pas, à ce moment-là, d’activités d’équipes comme maintenant : chaque<br />
équipe <strong>de</strong>vait réaliser comme un « dossier » sur un sujet précis. Nous avons choisi <strong>de</strong> faire un<br />
document sur les « maisons » <strong>de</strong>s provinces <strong>de</strong> France. Mais ce fit fort succinct et un peu<br />
folklorique…<br />
Je gar<strong>de</strong> un bon souvenir <strong>de</strong> cette année, <strong>de</strong>s cours, <strong>de</strong>s enseignants, <strong>de</strong> l’ambiance du<br />
Collège. Bon souvenir surtout <strong>de</strong> mes condisciples <strong>de</strong> philo (nous étions une quinzaine) et du<br />
« maître » qui nous initiait aux arcanes <strong>de</strong> la sagesse : Guy Khérig. Le compagnon <strong>de</strong> classe<br />
dont je gar<strong>de</strong> le souvenir le plus précis est Bernard Hanrot (le frère <strong>de</strong> Dominique), qui<br />
comme moi entra « dans les ordres ». Alors que je <strong>de</strong>vins jésuite, Bernard entra à la Mission<br />
<strong>de</strong> France. Bernard passa une bonne partie <strong>de</strong> sa vie comme ouvrier-docker à Dunkerque,<br />
vivant parmi les maghrébins du port, et mourut d’épuisement dans la force <strong>de</strong> l’âge.<br />
Cette année scolaire se passait alors que la guerre continuait aux frontières. François<br />
Totot, qui était d’Haraucourt, près <strong>de</strong> Sedan, nous raconta à un retour <strong>de</strong> vacances (celles <strong>de</strong><br />
février ?) qu’ils avaient entendu les bruits <strong>de</strong> la bataille <strong>de</strong> Bastogne, et qu’ils avaient redouté<br />
le retour <strong>de</strong>s Allemands.<br />
A cette époque également, en mars1945, nous avons vu entrer dans la cour d’honneur<br />
5 ou 6 voitures américaines arborant un drapeau français, d’où sortirent <strong>de</strong>s officiers fort<br />
galonnés : c’était le Général <strong>de</strong> Lattre <strong>de</strong> Tassigny qui venait remercier le Collège d’avoir<br />
gardé incognito son fils Bernard pendant les <strong>années</strong> noires <strong>de</strong> l’occupation.<br />
Après l’entrevue du Général avec les autorités du Collège, on réunit les « grands »<br />
pour une rencontre avec le Général. Celui-ci nous fit une harangue passionnée, vantant le<br />
courage et l’ar<strong>de</strong>ur <strong>de</strong>s soldats <strong>de</strong> la 1 ère armée française sur le front du Rhin. Un moment, le<br />
Général proclama, regardant sa montre : « Je vous signale, Messieurs, que les troupes<br />
françaises vont partir dans quelques heures à l’assaut pour libérer Colmar. »<br />
Un peu plus tard, il nous déclara quelque chose du genre : « Messieurs, vous usez vos<br />
fonds <strong>de</strong> culotte sur ces bancs d’école tandis que vos camara<strong>de</strong>s sont en train <strong>de</strong> se battre<br />
pour l’honneur <strong>de</strong> la France. Qu’atten<strong>de</strong>z-vous pour les rejoindre ? Dès <strong>de</strong>main, je peux vous<br />
emmener avec moi. Qui m’aime me suive ! »<br />
À ces mots, <strong>de</strong>ux lycéens se levèrent et se proposèrent. Le Père Recteur changea <strong>de</strong><br />
couleur et déclara qu’il ne pouvait pas les laisser partir ainsi et qu’il fallait à tout le moins<br />
l’autorisation <strong>de</strong>s parents. Celle-ci fut <strong>de</strong>mandée, et donnée : <strong>de</strong> fait, quelques jours plus tard,<br />
nos <strong>de</strong>ux compagnons furent incorporés et participèrent aux <strong>de</strong>rniers combats <strong>de</strong> la guerre.<br />
Pour nous qui restions collés sur nos bancs du Collège, nous avons terminé l’année<br />
sagement. J’étais donc à Reims au moment où fut signée la capitulation alleman<strong>de</strong> au lycée<br />
Roosevelt. Sur le moment, je ne crois pas que je réalisai réellement l’importance <strong>de</strong><br />
l’événement ; j’avais été beaucoup plus marqué par l’arrivée <strong>de</strong>s Américains à Melun, sur les
ords <strong>de</strong> la Seine, neuf mois plus tôt. En juin 1945, le passai la 2 e partie <strong>de</strong> mon bac et, en<br />
octobre, j’entrai au noviciat jésuite, à la Croix-sur-Ourcq, près d’Oulchy-le-Château.<br />
Années 1950<br />
Jean Weeger sj (promo 1945)<br />
Je suis arrivé à <strong>St</strong> <strong>Jo</strong>seph en secon<strong>de</strong> en 1953. « Les équipes » et leur système<br />
d’éducation à la responsabilité étaient encore considérés comme « révolutionnaires ». Mais il<br />
y avait cette année-là une autre révolution : l’arrivée du père <strong>de</strong> Seze, alias « le Grand<br />
Charles » – ainsi l’appelaient les élèves – comme régent <strong>de</strong> première division. Il faut dire<br />
qu’avec lui « Ça ne rigolait pas » et qu’il ne faisait pas bon être dans sa ligne <strong>de</strong> mire lors <strong>de</strong>s<br />
rassemblements. Certains en catimini regrettaient l’époque du père Lesteven que<br />
personnellement je n’avais pas connu. Dur (je l’ai vu se traiter publiquement « <strong>de</strong> peau <strong>de</strong><br />
vache ») pour les élèves mais aussi pour lui-même. Au cours <strong>de</strong>s heures <strong>de</strong> terrassement à<br />
Cormontreuil, à titre <strong>de</strong> punition, il arrivait qu’il participe activement au travail. Il a sûrement<br />
dû avoir quelques courbatures le len<strong>de</strong>main. Il ne laissait rien passer, mais il y avait <strong>Jo</strong>seph<br />
Ségard, père spirituel, qui <strong>de</strong>vait sans doute faire le modérateur <strong>de</strong> temps en temps. Les<br />
« punis » dont j’ai été (pas trop souvent) ont quand même mené ensuite leur vie sans<br />
traumatismes. Certains sont même <strong>de</strong>venus jésuites…<br />
Il y avait dans la journée un « grand moment » : celui <strong>de</strong> la lecture du journal pendant<br />
le repas <strong>de</strong> midi au réfectoire. Les commentaires du père <strong>de</strong> Sèze étaient pour le moins<br />
critiques à l’égard du « chaste Figaro » (sic). En effet, ce n’était pas La Croix, comme on<br />
pouvait s’y attendre, qu’il nous lisait. L’actualité du moment était assez dramatique (fin <strong>de</strong> la<br />
guerre d’Indochine, début <strong>de</strong> la guerre d’Algérie) et ses commentaires seraient considérés<br />
maintenant comme plutôt d’extrême droite, mais c’était une autre époque. Et dire qu’on nous<br />
parlait déjà <strong>de</strong> Monsieur Le Pen, étudiant en droit qui a abandonné ses étu<strong>de</strong>s pour se faire<br />
élire député, ainsi que le présentait « le Grand Charles » !<br />
J’ai fait partie <strong>de</strong> l’équipe bâtiment et, à ce titre, j’ai participé à la démolition du mur<br />
du couvent <strong>de</strong> « nos voisines les Visitandines » (dixit le Père Corset, recteur) qui jouxtait le<br />
Collège. Il y avait en effet un projet d’agrandissement. Un mur <strong>de</strong> couvent c’est très haut<br />
(j’avais même un peu le vertige) et le Père Edouard Lepoutre, ministre, en plaisantant, nous<br />
avait recommandé <strong>de</strong> tomber du bon côté car, si on tombait côté couvent, c’était « clôture »<br />
et on risquait l’excommunication. J’ai aussi participé à la construction <strong>de</strong> la maison <strong>de</strong><br />
Monsieur Félix notre professeur <strong>de</strong> sciences. Je me souviens notamment <strong>de</strong> la coulée <strong>de</strong> la<br />
dalle du <strong>de</strong>rnier étage. Nous tirions une certaine fierté <strong>de</strong> voir la maison terminée. Existe-telle<br />
encore ? [oui]<br />
Un <strong>de</strong>rnier point : la misère était très présente à Reims et la Conférence <strong>St</strong> Vincent <strong>de</strong><br />
Paul très active. Sans doute l’est-elle encore. Il y avait notamment la « rue d’oseille » (sic)<br />
bordée <strong>de</strong> maisons qui étaient <strong>de</strong> véritables taudis occupés par <strong>de</strong>s familles très pauvres que<br />
nous visitions. Les logements ont certainement été démolis <strong>de</strong>puis longtemps. Le nom même<br />
<strong>de</strong> la rue existe-t-il encore ? [oui, elle est proche du Centre <strong>de</strong>s Impôts…]<br />
En me relisant, je m’aperçois que je n’ai pas parlé <strong>de</strong> l’essentiel, à savoir le<br />
déroulement <strong>de</strong>s étu<strong>de</strong>s. C’est que leur importance va <strong>de</strong> soi. En fait, ce qui fait vraiment un<br />
homme ou une femme, c’est peut-être « tout le reste »…<br />
Laurent Moyne (Promo 1956)
N'ayant été qu'en 6 e au Collège après avoir fait l'entier Petit Collège, mes souvenirs<br />
sont rares.<br />
J'étais interne dans ces grands dortoirs <strong>de</strong> 4 e Div.<br />
Alors que beaucoup n'acceptaient pas les pois-cassés, j'en avais à volonté, par contre je<br />
boudais l'huile <strong>de</strong> foie <strong>de</strong> morue.<br />
Je me rappelle <strong>de</strong>s Tintin et Milou que le Père Bernamont nous passait au 2 e étage<br />
près <strong>de</strong> la chapelle. Grands moments !<br />
Prémices <strong>de</strong> mon métier futur ? je me suis retrouvé chef-questeur <strong>de</strong> la 4 e .<br />
Ayant un grand frère qui servait la messe, je me suis porté volontaire pour la servir<br />
également, entre autres en pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> vacances à Noël. Et très souvent le matin, car cela<br />
permettait d'avoir un petit déjeuner après les autres, et surtout <strong>de</strong> rentrer en retard en classe !<br />
Déçu quand le Père Valton disait l'office en 18 minutes, montre en main !<br />
*<br />
Guy Régnier (Promo 1957)<br />
En 5 ème , j’étais tellement sage que le Père Waltz, trouvant sans doute cela anormal,<br />
m’avait pris à part une fois pour me dire qu’il ne me punirait pas, même si je chahutais un<br />
peu : je ne crois même pas en avoir profité !...<br />
Les innombrables allers et retours pé<strong>de</strong>stres entre la rue <strong>de</strong> Venise et Cormontreuil<br />
durent-ils encore ? [oui, mais moins souvent]<br />
En "1 ère Division" (il ne s’agissait pas alors <strong>de</strong> lycée), je me souviens <strong>de</strong>s levers<br />
matinaux dynamiques : réveil par une sonnerie <strong>de</strong> trompe dans le dortoir même, secon<strong>de</strong><br />
sonnerie <strong>de</strong> trompe après 2 ou 3 minutes, <strong>de</strong>scente dans la cour pour un bol d’air énergique,<br />
puis remontée pour la toilette : pas question <strong>de</strong> lézar<strong>de</strong>r au lit !<br />
Étant en 2 n<strong>de</strong> , je suis entré dans l’équipe X (Bâtiment) pour l’année 48-49. Nous<br />
participions à <strong>de</strong>s chantiers <strong>de</strong> "Castors" qui s’entraidaient pour construire leurs maisons, dont<br />
la maison "Dony", sise rue <strong>de</strong>s Coutures, en 1949.<br />
Nous avions aussi construit dans la cour du Collège l’atelier <strong>de</strong> l’équipe "Menuiserie"<br />
(qui réalisait entre autres <strong>de</strong>s tables pour le réfectoire). C’est d’ailleurs moi qui avais gravé<br />
"Equipe X - 1949" sur une pierre enchâssée dans un <strong>de</strong>s murs extérieurs lors <strong>de</strong> la<br />
construction.<br />
J’ai terminé mon séjour à <strong>St</strong>-<strong>Jo</strong> dans l’équipe I (Electricité). Notre moniteur était<br />
Monsieur Pierre Félix, professeur <strong>de</strong> physique-chimie : l’année 50-51 a vu la réalisation d’un<br />
oscilloscope, peut-être pas très professionnel, mais qui fonctionnait ! Peut-être est-ce grâce à<br />
cela que je suis <strong>de</strong>venu électronicien (après être passé par Ginette, puis Supelec, quand<br />
même) ?<br />
*<br />
Gérard Clerc (Promo 1951)<br />
Ce que j'ai commencé à découvrir à la fin <strong>de</strong>s <strong>années</strong> 1952-1955, c'est qu'on ne<br />
parvient à un résultat qu'en fournissant un effort continu d'application; cet effort est d'autant
mieux fourni qu'on a pris du goût au travail. Globalement, mon intérêt a grandi dans les<br />
matières littéraires tandis que je restais bloqué pour tout usage <strong>de</strong>s mathématiques.<br />
Mais je retiens surtout <strong>de</strong> ces <strong>années</strong> <strong>de</strong>ux types <strong>de</strong> travaux pratiques qui ont contribué<br />
à mon éveil. L'initiation à la menuiserie et au travail du fer, peut-être en classe <strong>de</strong> 4 e : je<br />
compris que le matériau résiste et ne prend les formes voulues qu'en suivant rigoureusement<br />
les techniques recommandées et en apprenant à se servir <strong>de</strong>s outils adéquats. Un atelier<br />
d'apprentissage à la machine à écrire, dans mon année <strong>de</strong> redoublement <strong>de</strong> la 3 e , m'aida<br />
beaucoup à prendre confiance en moi.<br />
Les trois <strong>années</strong> <strong>de</strong> lycée furent évi<strong>de</strong>mment marquées par la vie dans les équipes. Cet<br />
apprentissage à la co-responsabilité et à l'entrai<strong>de</strong> m'a paru d'une certaine manière aller <strong>de</strong> soi;<br />
elles faisaient presque disparaître tout esprit potache. Je retiens toutefois <strong>de</strong> cette pério<strong>de</strong> –<br />
très marquées par l'énergie et l'attention que nous portaient les Pères Charles <strong>de</strong> Seze et René<br />
Flament -, que nous vivions, les pensionnaires surtout, comme dans un cocon, même si les<br />
activités d'équipe mettaient en contact avec l'extérieur.<br />
*<br />
Bernard Chandon-Moët sj (Promo 1958)<br />
Je suis sorti <strong>de</strong> <strong>St</strong> <strong>Jo</strong> en 1959 après quatre ans <strong>de</strong> 1 ère Div .<br />
Ce qui m'a toujours beaucoup plu, c'est d'y trouver cette diversité géographique et<br />
culturelle chez mes congénères, qu'ils soient <strong>de</strong> Paris, <strong>de</strong> Reims, <strong>de</strong> l'Aisne et la Champagne<br />
agricoles, <strong>de</strong> l'Est et <strong>de</strong>s Ar<strong>de</strong>nnes, et du Nord profond; il y avait aussi quelques Français <strong>de</strong><br />
l'étranger. Cela a été une occasion d'enrichissement et <strong>de</strong> compréhension <strong>de</strong>s activités <strong>de</strong>s<br />
familles, et … <strong>de</strong> cas sociaux. Les sorties d'équipe le week-end , à vélo, dans les propriétés<br />
<strong>de</strong>s parents <strong>de</strong>s équipiers, étaient également un temps fort entre nous. Et c'est ce qui nous<br />
rapproche encore cinquante ans après.<br />
Un autre souvenir frappant et permanent est cette ouverture intellectuelle au mon<strong>de</strong><br />
extérieur pratiquée par le Père Charles <strong>de</strong> Seze, par la lecture du Figaro à la fin <strong>de</strong>s déjeuners<br />
<strong>de</strong>s pensionnaires, avec, bien sûr, ses commentaires acidulés sur <strong>de</strong>s évènements <strong>de</strong> peu<br />
d'importance. "Vanitas vanitatum et omnia vanitas" aimait-il parfois rappeler.<br />
Et puis ... l'heure musicale du samedi en fin <strong>de</strong> matinée par le Père Couvreur : quel<br />
plaisir <strong>de</strong> découvrir certains morceaux classiques au travers <strong>de</strong> ses introductions aux oeuvres<br />
écoutées et <strong>de</strong> leur écoute !<br />
Années 1960<br />
Édouard Motte (Promo 1959)<br />
Plutôt que <strong>de</strong> raviver <strong>de</strong>s souvenirs sur la vie pratique au Collège, je voudrais insister<br />
sur les moments ou les paroles qui, à l'usage <strong>de</strong> la vie (et parfois après <strong>de</strong> nombreuses<br />
<strong>années</strong>), sont apparus comme "fondateurs":<br />
- telle attitu<strong>de</strong> d'un professeur <strong>de</strong> maths (le P. Ghesquières ?) qui réussissait à nous rendre<br />
sensibles à la beauté d'une démonstration (et pas seulement à sa justesse ou sa rigueur);<br />
- ce même professeur, cette fois-ci en histoire, qui nous rendait sensibles à la longueur <strong>de</strong>s<br />
mouvements historiques (à la façon d'un Fernand Brau<strong>de</strong>l), à un moment où l'enseignement <strong>de</strong><br />
l'histoire était centré sur la transmission d' événements et <strong>de</strong> dates;
- surtout : la vie en équipe. Respect <strong>de</strong>s dons et capacités <strong>de</strong> chacun. Rapports <strong>de</strong> vie fondés<br />
sur un travail ou une "œuvre", et non sur la pure affectivité. Accepter <strong>de</strong>s responsabilités que<br />
l'on n'a pas forcément choisies. Apprentissage du maniement <strong>de</strong> l'autorité, sur base <strong>de</strong><br />
connivence plutôt que <strong>de</strong> hiérarchie. Inutile <strong>de</strong> dire les retombées <strong>de</strong> cette approche dans le<br />
reste <strong>de</strong> la vie...<br />
- influence prépondérante du P. <strong>de</strong> Seze ! Il y aurait ici trop à dire... Disons simplement que<br />
beaucoup d'entre nous lui doivent une gran<strong>de</strong> partie du meilleur qu'ils portent en eux.<br />
-sur le plan spirituel, <strong>de</strong>ux conversations qui ont traversé les <strong>années</strong> :<br />
L'une avec le P. Flament : "De même que toute lumière disparaîtrait si le soleil<br />
disparaissait, <strong>de</strong> même toute réalité matérielle disparaîtrait si Dieu n'existait pas". Vécue<br />
comme un véritable scandale, cette affirmation a mis 20 ans avant <strong>de</strong> <strong>de</strong>venir nourriture pour<br />
moi.<br />
L'autre avec le P. Baratchart : "Chaque matin, lorsque j'ouvre mes volets, je me dis et je sais<br />
que l'Esprit est déjà à l'œuvre dans le mon<strong>de</strong> et dans ma vie". Sans commentaire !<br />
*<br />
Luc Trouillard (Promo 1960)<br />
Ce sont d'abord les hommes qui m'ont marqué, tous en raison <strong>de</strong> leur droiture et <strong>de</strong><br />
leur fidélité dans l'amitié et <strong>de</strong> la qualité <strong>de</strong> leur accueil pour moi. En dépit <strong>de</strong> mes<br />
insuffisances multiples et d'un travail inexistant, l'accueil d'André Valton, <strong>de</strong> Charles <strong>de</strong> Seze,<br />
<strong>de</strong> Francis [Laloux], <strong>de</strong> René [Flament], a toujours été bienveillant et confiant, sans oublier<br />
les Frères Adam et Bourse, les Pères Waltz, Couvreur, et d'autres plus jeunes avec qui la vie<br />
n'a pas été ennuyeuse, même si elle fut aussi conflictuelle, Henri Lefebvre, Hubert Baratchart,<br />
Pierre Faucher, sans oublier <strong>de</strong>s laïcs formidables comme Messieurs Félix, Nicolas, Sugajski,<br />
et tant d'autres, tous et toutes donnés à la même oeuvre.<br />
Bien sûr, tout n'était pas rose tous les jours, avec les colles qui tombaient si souvent,<br />
avec ce besoin <strong>de</strong> me tirer d'affaire quand j'étais coincé pour le travail ou la discipline ! Mais<br />
le Collège était ma <strong>de</strong>uxième famille; j'y avais <strong>de</strong>s amis, <strong>de</strong> vrais amis, et j'y ai finalement<br />
trouvé le goût <strong>de</strong> la vérité et <strong>de</strong> la liberté; et j'y ai finalement découvert le Christ au cœur <strong>de</strong><br />
ma vie, et celle-ci en a été changée... Alors ont pris sens bien <strong>de</strong>s actes éducatifs jusque là<br />
incompris, dont les sanctions, mais plus encore à quel point la confiance nous était donnée<br />
dans les Equipes, à quel point nous était proposé d'entrer peu à peu dans une Parole <strong>de</strong> Vie .<br />
Oui, douze à quinze jeunes <strong>de</strong> 14 à 17 ans peuvent vivre ensemble <strong>de</strong>s choses fortes,<br />
<strong>de</strong>s choses hilarantes, <strong>de</strong>s drames aussi, et en sortir plus forts, plus gais, plus vivants ! La<br />
route était pour moi tracée... La direction montrée... Bien sûr, cela s'est enrichi ensuite, et<br />
notamment au fil <strong>de</strong> mes responsabilités dans la Compagnie, mais le lancement était bien là,<br />
dans mes <strong>de</strong>ux familles, celle <strong>de</strong> la maison et celle du Collège.<br />
*<br />
Michel Roger sj (Promo 1962)<br />
Ceci se passe en 1960 ou 1961.<br />
On avait 12 ou 13 ans, on était jeune, pleins <strong>de</strong> vie et… très gamins. L’histoire qui<br />
faisait fureur dans la cour <strong>de</strong> récréation était la suivante :
« Un oratorien et un jésuite, qui appartiennent, comme chacun sait, à <strong>de</strong>s<br />
congrégations concurrentes , se promènent dans la montagne. On discute et chacun essaie<br />
<strong>de</strong> valoriser la congrégation à laquelle il appartient, tout en dévalorisant celle <strong>de</strong> l’autre. Les<br />
<strong>de</strong>ux compères arrivent dans un décor somptueux, en un endroit réputé pour la qualité <strong>de</strong> son<br />
écho. Le jésuite s’écrie : Mais que vaut donc un oratorien ? et l’écho répond : Rien, rien,<br />
rien… . Au bout d’un moment, l’oratorien répond : Mais combien un oratorien vaut-il <strong>de</strong><br />
jésuites ? et l’écho répond: Huit, huit, huit… »<br />
Nous sommes en classe <strong>de</strong> 4 e ; le professeur principal (français, latin, géographie…<br />
entre autres), est Monsieur Jean Benoît. Il est âgé d’une trentaine d’<strong>années</strong> ; on l’apprécie<br />
énormément ; il a <strong>de</strong>s oreilles décollées, le sait et ne s’en soucie guère. Jamais on n’a songé à<br />
s’en moquer. Il nous parle parfois <strong>de</strong> sa femme et <strong>de</strong> ses enfants en bas âge, qui ont peur <strong>de</strong><br />
l’orage et, dit-il, ont les yeux abîmés par les éclairs. […]<br />
Mon voisin <strong>de</strong> classe est Guillaume <strong>de</strong> Seze. En cours <strong>de</strong> latin, on lit à haute voix les<br />
versions avant <strong>de</strong> les traduire. La disposition <strong>de</strong>s membres <strong>de</strong> phrases <strong>de</strong>vant, au milieu ou en<br />
arrière <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux traits verticaux disposés sur la gauche <strong>de</strong> la feuille, nous ai<strong>de</strong> à nous y<br />
retrouver dans l’analyse du texte. Moi qui arrive d’un Collège <strong>de</strong> Frères Maristes qui ne<br />
pratiquait pas cette technique, je trouve cela extraordinaire.<br />
Le sonneur <strong>de</strong> cloche est un Renard. […]<br />
Le préfet <strong>de</strong>s étu<strong>de</strong>s, <strong>de</strong>puis <strong>de</strong>s <strong>années</strong>, est le Père André Valton, qu’on surnomme<br />
« Bison blanc », en raison <strong>de</strong> sa chevelure d’un blanc immaculé. Certains préten<strong>de</strong>nt qu’il a<br />
blanchi brutalement à la suite d’un drame épouvantable qui s’est produit à Cormontreuil dans<br />
les <strong>années</strong> d’après-guerre : la noya<strong>de</strong> d’un lève dans la « piscine », en fait un bassin aménagé<br />
sur les bords <strong>de</strong> la Vesle. Ca bassin sera entièrement détruit.<br />
Le moniteur <strong>de</strong> travaux pratiques (menuiserie et <strong>de</strong>ssin industriel) et responsable <strong>de</strong> la<br />
« questure » est le Frère Jean Bourse.<br />
Le responsable <strong>de</strong> la division est le Père Hubert Baratchart. Le jeudi après-midi et le<br />
dimanche, pour les pensionnaires, est consacré aux promena<strong>de</strong>s à bicyclette autour <strong>de</strong> Reims ;<br />
on visite, entre autres, les forts <strong>de</strong> la guerre <strong>de</strong> 14-18, du moins ce qu’il en reste.<br />
Le responsable <strong>de</strong>s bulletins scolaires est le Frère Adam, qu’on surnomme parfois<br />
« verre à <strong>de</strong>nts ». On va le voir quand on a besoin d’un « billet <strong>de</strong> sortie ». je suis frappé par la<br />
courbure <strong>de</strong> son dos, sa tête ron<strong>de</strong>, la rareté <strong>de</strong> ses cheveux et son regard qui se veut sévère<br />
par-<strong>de</strong>ssus ses lunettes quand on a fait <strong>de</strong>s bêtises et qu’on est collé ou quand on est en retard<br />
et qu’on vient <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r un « admittatur ». Mais en fait il respire la gentillesse. Il tape sur sa<br />
vielle machine à écrire avec <strong>de</strong>ux doigts. Il nous connaît tous par nos noms. Lors <strong>de</strong>s<br />
récréations, son bureau en face <strong>de</strong>s réfectoires fait office <strong>de</strong> « salle <strong>de</strong>s professeurs ». Tous les<br />
enseignants s’y retrouvent, y compris Monsieur Cozeret, notre futur prof d’histoire-géo en 3 e ,<br />
2 e et 1 e . On sent une atmosphère <strong>de</strong> détente.<br />
Monsieur Sugajski – son accent polonais ! – est notre professeur d’anglais. Sa classe<br />
est au 2 e étage ; on doit former les rangs et monter les escaliers en silence, sinon la sanction<br />
tombe : « Dix lignes <strong>de</strong> Reading » ; à la moindre récidive, ce sera « une heure <strong>de</strong> colle ». Il a<br />
une façon particulière <strong>de</strong> détruire les admittatur en les déchirant d’une seule main, entre les<br />
trois premiers doigts <strong>de</strong> la main droite. On apprend la langue <strong>de</strong> Shakespeare en lisant les<br />
aventures <strong>de</strong> Fatty et Longlegs dans nos manuels. On le surnomme « le bœuf » : quand on a<br />
fait une faute, il nous dit qu’on est « comme un bœuf qui renverse sa charrue et qui pisse<br />
<strong>de</strong>ssus »… Il nous donne <strong>de</strong>s surnoms : l’élève Vert sera évi<strong>de</strong>mment surnommé Green.<br />
Le Père Francis Laloux nous fait les cours d’instruction religieuse ; on révise les<br />
sacrements ; on apprend à s’y retrouver dans l’Ancien Testament. Le Père Laloux nous<br />
interroge parfois par récitations écrites ; dans ces cas-là, dès son arrivée, il pose ses livres sur<br />
le bureau du professeur en disant « Prenez un quart <strong>de</strong> copie ». On sait ce que ça veut dire. La<br />
semaine suivante, le Père Laloux nous rend les notes oralement, avec un petit commentaire
pour chaque copie. Un jour, par pure coïnci<strong>de</strong>nce, plusieurs d’entre nous eurent 6 / 10 ; ça a<br />
donné un résultat surprenant avec <strong>de</strong>ux d’entre nous : « Doussot : 6. Oh pardon… » Rires.<br />
Juste après : « Tassot : 6 ». Là ce fut du délire !<br />
Parallèlement à cela, le Père Laloux dirigeait aussi une sorte d’atelier d’astronomie.<br />
Avec lui, certains élèves ont construit une machine reproduisant le mouvement <strong>de</strong> la terre<br />
autour du soleil, et celui <strong>de</strong> la lune autour <strong>de</strong> la terre. Il nous permit d’observer pendant dix<br />
minutes une éclipse <strong>de</strong> soleil au printemps 1961, en prenant chacune <strong>de</strong>s classe l’une après<br />
l’autre. On regardait le soleil au travers d’un morceau <strong>de</strong> cliché radiologique.<br />
Mais les cours qui me passionnaient le plus étaient ceux <strong>de</strong> Sciences Naturelles, avec<br />
le Père Munch, dans sa classe située au-<strong>de</strong>ssus du bureau du Père Valton. Le Père Munch et<br />
son accent… alsacien ?<br />
Etant pensionnaire, et donc présent au Collège les jeudis après-midi, je me portai<br />
volontaire pour aller faire <strong>de</strong>s « fouilles archéologiques » dans une carrière <strong>de</strong> sable située à<br />
Berru, à environ 10 km <strong>de</strong> Reims. Je n’ai jamais su comment le Père Munch avait eu<br />
connaissance <strong>de</strong> l’existence <strong>de</strong> cette carrière <strong>de</strong> sable ni <strong>de</strong>s « trésors archéologiques » qu’elle<br />
contenait. La première surprise en arrivant fut <strong>de</strong> voir le Père Munch en bleu <strong>de</strong> travail (ça<br />
changeait <strong>de</strong> la soutane) et une bouteille <strong>de</strong> vin à la main. Pour ce qui est <strong>de</strong> la tenue, cet<br />
équipement s’avérait indispensable, le sable que nous « triions » étant particulièrement gras et<br />
salissant. Quant à la bouteille <strong>de</strong> vin, elle ne nous était pas <strong>de</strong>stinée naturellement ; il<br />
s’agissait <strong>de</strong> s’attirer les bons offices <strong>de</strong>s ouvriers exploitant la carrière, conducteurs <strong>de</strong><br />
pelleteuses et autres engins, ceci afin <strong>de</strong> pouvoir effectuer nos fouilles en toute tranquillité.<br />
Or, un jour, ce fut la découverte du siècle ! Je n’ai pas assisté à l’événement, qui doit<br />
se situer avant mon arrivée au Collège, mais certains s’en souviennent sûrement : un élève, ou<br />
le Père Munch lui-même, mit à jour un os préhistorique ! Après enquête et recherche dans les<br />
livres, le Père Munch annonça qu’il s’agissait d’un tibia <strong>de</strong> gastornis ! Pendant <strong>de</strong>s mois, le<br />
Père Munch nous a rebattu les oreilles avec son tibia <strong>de</strong> gastornis, mais on lui pardonnait<br />
volontiers car on l’aimait bien. Nous en avons fait <strong>de</strong>s gorges chau<strong>de</strong>s à la récré, du tibia <strong>de</strong><br />
gastornis. Et puis le temps a passé et je n’ai plus jamais entendu parler du gastornis, ni <strong>de</strong> son<br />
tibia. Je n’en ai jamais parlé à personne ; j’en venais même à me <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r si je n’avais pas<br />
rêvé.<br />
Quarante-huit ans plus tard, d’un clic <strong>de</strong> souris, je vais sur internet. Je tape gastornis et<br />
je découvre que cet animal extraordinaire, énorme oiseau incapable <strong>de</strong> voler, pouvant peser<br />
jusqu’à une <strong>de</strong>mi-tonne, a bien existé durant l’ère tertiaire ; il a succédé aux dinosaures : peutêtre<br />
était-il leur <strong>de</strong>scendant ? C’était un redoutable carnivore muni d’un bec extrêmement<br />
puissant et qui dévorait les premiers mammifères, animaux <strong>de</strong> taille minuscule à l’époque ;<br />
Je n’avais pas rêvé. Cette découverte n’aurait-elle pas mérité le prix Nobel ?…<br />
Par contre, ma passion pour les Sciences Naturelles, elle, ne s’est pas éteinte. Elle<br />
persista l’année suivante, en 3 e (professeur principal : Monsieur Graveron) avec les cours <strong>de</strong><br />
Madame Félix, professeur <strong>de</strong> mathématiques et <strong>de</strong> Sciences Naturelles, épouse du seul<br />
professeur <strong>de</strong> Physique-Chimie <strong>de</strong>s classes <strong>de</strong> 2 e , 1 e et terminales. Je la revois nous faisant<br />
une démonstration du réflexe rotulien en percutant le genou d’un élève sur son bureau, jambes<br />
pendantes, à l’ai<strong>de</strong> d’un livre <strong>de</strong> géographie : « Le Pinar<strong>de</strong>l s’il vous plaît ». Elle nous parlait<br />
<strong>de</strong>s microbes, <strong>de</strong>s amibes présentes, paraît-il, dans l’eau croupissante, ou dans un vase <strong>de</strong><br />
fleurs. Elle nous faisait le schéma <strong>de</strong> l’autoclave et nous apprenait aussi le corps et ses<br />
organes. Un exemple d’organe : « La peau ». Nous, on avait quatorze ans, on aurait voulu<br />
entendre parler d’un autre organe…<br />
Un autre fois, Madame Félix nous présenta une partie du squelette <strong>de</strong> l’avant-bras,<br />
avec le cubitus et le radius qui « tourne autour » . Je buvais ses paroles.<br />
Hélas ! Madame Félix <strong>de</strong>vait nous quitter après avoir été atteinte d’une tumeur<br />
cérébrale dont elle décéda quelques mois plus tard, et ce malgré <strong>de</strong>s soins douloureux mais
attentifs, <strong>de</strong>s interventions etc. Elle avait repris ses cours pendant peu <strong>de</strong> temps, coiffée d’une<br />
perruque un peu <strong>de</strong> travers, car elle avait eu le crâne rasé pour son intervention et avait<br />
probablement subi <strong>de</strong>s séances <strong>de</strong> radiothérapie. Sa disparition coïncida <strong>de</strong> façon dramatique<br />
avec celle d’un neveu du Père Charles <strong>de</strong> Seze, lui aussi atteint d’une tumeur cérébrale. Je me<br />
souviens d’une cérémonie émouvante dans la chapelle du Collège, le Père <strong>de</strong> Seze réunissant<br />
dans une même prière l’enseignante te l’élève.<br />
Mon intérêt pour les Sciences Naturelles ne s’éteignit pas avec les cours <strong>de</strong> Jacques<br />
Elaerts (lui-même étudiant en mé<strong>de</strong>cine) en terminale D, quelques <strong>années</strong> plus tard. Je<br />
connaissais la leçon par cœur à la sortie <strong>de</strong> son cours. Et je réalisai mon rêve en commençant<br />
<strong>de</strong>s étu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> mé<strong>de</strong>cine l’année suivante.<br />
Mais qui se souvient du tibia <strong>de</strong> gastornis du Père Munch ?<br />
*<br />
Pierre-Marie Moyne (Promo 1966)<br />
Les meilleurs souvenirs tiennent en la gran<strong>de</strong> pério<strong>de</strong> du Père Charles <strong>de</strong> Seze qui<br />
était aux comman<strong>de</strong>s <strong>de</strong> <strong>Saint</strong> <strong>Jo</strong>...! Sans oublier le Père Baratchart et son attachement très<br />
fort à la discipline <strong>de</strong> la pelote basque !<br />
Ayant eu la gran<strong>de</strong> chance <strong>de</strong> partager une situation peu ordinaire, à savoir, élève <strong>de</strong><br />
Terminale C à <strong>Saint</strong> <strong>Jo</strong> (1968-1969), mais déjà bachelier <strong>de</strong> Terminale D, j' ai été chargé par<br />
le Père <strong>de</strong> Seze <strong>de</strong> superviser une division d' élèves <strong>de</strong> 2 e (externes et internes) ainsi que<br />
l'ensemble d'un dortoir (2 e , 1 ère , Terminale).<br />
J' ai donc pu gar<strong>de</strong>r <strong>de</strong> nombreux contacts avec les élèves <strong>de</strong>venus <strong>Anciens</strong>, et leurs<br />
familles.<br />
*<br />
Le goûter <strong>de</strong> la X à Cormontreuil.<br />
Bertrand Sabatié-Garat (Promo 1969)<br />
En 1967, <strong>de</strong>ux fois par semaine, la 10 allait entretenir la propriété <strong>de</strong> <strong>St</strong> <strong>Jo</strong> à<br />
Cormontreuil, propriété qui s’étendait jusqu’à l’école missionnaire, avec trois terrains <strong>de</strong> foot,<br />
un circuit pé<strong>de</strong>stre etc. J’ai eu la chance d’être <strong>de</strong>ux ans <strong>de</strong> suite responsable <strong>de</strong> la 10, d’abord<br />
sous-chef en 1 e avec Franz Van Waesberghe puis chef avec Nicolas Vivant<br />
Nous arrivions pour 14h et revenions pour reprendre les cours ou les étu<strong>de</strong>s à 16h 30.<br />
Mais souvent trop tard pour manger le fameux petit pain, passage à la douche oblige.<br />
Alors, nous avons négocié avec le Père Baratchart l’obtention d’un goûter. Goûter<br />
obtenu. Avant notre départ pour Cormontreuil juchés sur nos vélos, l’un d’entre nous se<br />
rendait aux cuisines où le Frère Jeandin avait donné les instructions pour nous préparer pain,<br />
saucisson, fromage. Après avoir dépensé moult calories à Cormon, nous nous octroyions une<br />
pause avant <strong>de</strong> repartir.<br />
Pourquoi nous avoir si généreusement offert <strong>de</strong> telles agapes ? Quelle raison cachée ?<br />
Celle du ventre ? Un peu. Mais surtout celle du partage en commun après une activité intense,<br />
un <strong>de</strong>s piliers <strong>de</strong> la cohésion.<br />
.<br />
Jean-Paul Brulé (Promo 1969)
Je ressens encore aujourd'hui la chaleur et l'o<strong>de</strong>ur du bitume <strong>de</strong> la cour <strong>de</strong> récréation,<br />
je revois le préau, planté comme un vaisseau au milieu <strong>de</strong>s bâtiments…<br />
Je revois, par la fenêtre <strong>de</strong> la salle <strong>de</strong> cours, les voitures <strong>de</strong>s parents qui s'y garent, les<br />
samedis peu avant seize heures, vision concrète d'une liberté toute proche pour un week-end<br />
plein <strong>de</strong> rêves et d'aventures.<br />
C'était du temps où les élèves avaient cours le samedi, du temps où nous allions le<br />
jeudi après-midi chez Michaud, papeterie "prétexte" à traîner dans le centre <strong>de</strong> Reims.<br />
Combien <strong>de</strong> crayons avons-nous pu acheter, au rythme d'un par semaine, les "admittatur" ne<br />
nécessitant heureusement pas <strong>de</strong> justificatifs ! Mais nous étions pensionnaires, et les jupons<br />
étaient absents le long <strong>de</strong>s murs gris <strong>de</strong> la rue <strong>de</strong> Venise…<br />
Les trajets en vélo vers Cormontreuil <strong>de</strong>ux après-midi par semaine et les trop rares<br />
sorties d'équipe n'y suffisaient pas : tous les prétextes étaient bons pour s'aérer l'esprit,<br />
s'écarquiller les yeux, se motiver le cœur.<br />
Je ressens, encore aujourd'hui, la chaleur <strong>de</strong> la cour <strong>de</strong> récréation, déserte et plombée<br />
<strong>de</strong> soleil, en ces débuts juillet, le premier jour <strong>de</strong>s vacances.<br />
Nous étions en étu<strong>de</strong>, les punis, les collés… à faire <strong>de</strong>s lignes et <strong>de</strong>s lignes d'écritures<br />
parce que nous avions rêvé, peut-être plus que les autres, à la douceur du jupon <strong>de</strong>s filles..<br />
Le cours <strong>de</strong>s ans nous a donné raison : <strong>St</strong> <strong>Jo</strong>seph s'est ouvert à la mixité, la papeterie<br />
Michaud n'existe plus, et les jupes <strong>de</strong>s filles nous font toujours tourner la tête…<br />
Années 1970<br />
Bernard Gougeon (Promo 1970)<br />
C’est un exercice sympathique que <strong>de</strong> se replonger <strong>de</strong>s <strong>années</strong> en arrière afin <strong>de</strong> se<br />
rappeler quelques épiso<strong>de</strong>s <strong>de</strong> <strong>St</strong> <strong>Jo</strong> !<br />
Les cours <strong>de</strong> latin en 6 e avec Mlle Aubert et l’apprentissage <strong>de</strong>s verbes edo, bibo…<br />
Le retour au Collège le dimanche soir quand nous prenions le train à La Ferté-Milon et<br />
que nous nous arrêtions à la cabane à frites à la sortie <strong>de</strong> la gare.<br />
Notre voyage en Tunisie avec le père Laloux au prix low cost <strong>de</strong> 500 F la quinzaine et<br />
avec seulement 2 WC pour plus <strong>de</strong> 70 personnes au départ du voyage, et ce malgré les méfaits<br />
<strong>de</strong> la turista.<br />
Le réveil à 6h du mat’ en secon<strong>de</strong> et la <strong>de</strong>scente à la gym’ ; je ne sais pas si cela se<br />
pratique encore [non], mais je suis sûr que cela rebuterait mon fils Guillaume ! [oui]<br />
Le nombre d’anciens qui ont appelé leur fils Charles en référence à Charles <strong>de</strong> Seze…<br />
*<br />
Patrick Hannedouche (Promotion 1974)<br />
Le Collège, c’est d’abord <strong>de</strong>s o<strong>de</strong>urs. L’o<strong>de</strong>ur dominante du Dunlopillo dans les<br />
immenses dortoirs austères où l’on attendait que s’allume la veilleuse rassurante quelques<br />
minutes après l’extinction <strong>de</strong> feux ou l’o<strong>de</strong>ur du linoléum dans ce qui était appelé alors le<br />
« nouveau bâtiment ». L’o<strong>de</strong>ur chlorée <strong>de</strong> la piscine Talleyrand où les internes du week-end<br />
(collés, comme moi, trop souvent à mon gré, ou élèves habitant trop loin pour un aller et<br />
retour en 24 heures) se rendaient le samedi en fin d’après-midi après les cours (eh oui, les<br />
classes se terminaient à 16 h le samedi à cette époque lointaine !). Ou encore l’o<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> soupe<br />
mêlée au fumet <strong>de</strong>s détergents dans les réfectoires, territoire bien gardé du Frère Jeandin et <strong>de</strong><br />
son inséparable béret. Ou l’o<strong>de</strong>ur <strong>de</strong>s biscottes Paquot dont l’usine située au bout <strong>de</strong> la rue <strong>de</strong>
Venise laissait transporter quelques effluves aux bons soins du vent d’ouest. L’o<strong>de</strong>ur aussi du<br />
vin chaud que le Père <strong>de</strong> Seze nous amenait après une <strong>de</strong>mi-journée <strong>de</strong> ramassage <strong>de</strong> feuilles<br />
mortes à Cormontreuil où quelques collés, bénéficiaires repentis d’un « io » ou d’un « i »,<br />
jouaient les prolongations au début <strong>de</strong>s vacances <strong>de</strong> Noël. Ou l’o<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> cire et d’encens froid<br />
dans une petite chapelle, lorsqu’il fallait servir la messe à un Père, le matin, à jeun, vers 7 h.<br />
L’o<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> tabac dans le bureau du Père Vignon, alors Préfet du Premier Cycle, lors <strong>de</strong> la<br />
réunion <strong>de</strong>s Régents, chaque matin.<br />
C’est <strong>de</strong>s rangs, <strong>de</strong>ux par <strong>de</strong>ux, guidés par <strong>de</strong>s chefs <strong>de</strong> file sur un chemin ouvert par un<br />
édile dépositaire du passe-partout, pour aller <strong>de</strong> l’étu<strong>de</strong> à la classe, <strong>de</strong> la récréation à l’étu<strong>de</strong>,<br />
ou encore pour aller aux toilettes glaciales et obscures en plein milieu <strong>de</strong> l’hiver, avant <strong>de</strong><br />
monter au dortoir, toujours en rangs et en silence. En 1 ère Div, le rang sort <strong>de</strong> nos pratiques et<br />
il est remplacé par <strong>de</strong>s meutes, <strong>de</strong>s troupes, <strong>de</strong>s escadrons, <strong>de</strong>s quarterons aux déplacements<br />
feutrés.<br />
C’est aussi <strong>de</strong>s voix : La voix du Père Baratchart nous entraînant avec puissance et talent<br />
dans le magnifique chant L16bis ( Alleluia, Gloire au Très-Haut ! ) dans la Gran<strong>de</strong> Chapelle.<br />
La voix slave et grave (c’est un pléonasme ?) <strong>de</strong> Monsieur Sugajski répondant à un élève<br />
ignare (peut-être moi-même) affirmant qu’il avait pourtant appris sa leçon : « N’apprends pas,<br />
mais sache ! ». Ou celle <strong>de</strong> Melle Aubert, aidée d’une vielle biscotte d’occasion pour nous<br />
apprendre que « edo » en latin signifie « je mange ». Ou encore, celle du Père <strong>de</strong> Seze faisant<br />
sa revue <strong>de</strong> presse, agrémentée <strong>de</strong> nombreux commentaires typiquement « caroliens », sans<br />
micro, dans le réfectoire bondé mais silencieux <strong>de</strong>s « 1ère Div ». La voix du Frère Jean<br />
Bourse, responsable notamment <strong>de</strong>s questures (cela ne s’invente pas), entonnant le Tantum<br />
Ergo le dimanche soir. Ou l’accent rocailleux, fleurant bon la lavan<strong>de</strong> et les grillons <strong>de</strong><br />
Monsieur Graveron nous entraînant en Normandie à travers les contes <strong>de</strong> Maupassant. Ou<br />
encore le français incertain mais chaleureux <strong>de</strong> nos sœurs luxembourgeoises qui s’affairaient<br />
à l’infirmerie ou à la lingerie.<br />
Le Collège, c’est aussi <strong>de</strong>s mystères : la citation latine mélangeant <strong>de</strong>s majuscules et <strong>de</strong>s<br />
minuscules sur le fronton du bâtiment <strong>de</strong>s dortoirs. Ou une inscription peinte maladroitement<br />
dans un couloir du bâtiment <strong>de</strong>s Capucins : « CAPU MARIO ». Pendant <strong>de</strong>s <strong>années</strong>, je me<br />
suis <strong>de</strong>mandé pourquoi on en voulait tellement aux o<strong>de</strong>urs dégagées par ce pauvre Mario.<br />
Avant <strong>de</strong> comprendre, bien plus tard, que ces mots mystérieux signifiaient : Capucins<br />
Marionnettes.<br />
C’est encore <strong>de</strong>s légen<strong>de</strong>s : celle d’un professeur pléonasmique tâchant vaille que vaille<br />
<strong>de</strong> contenir une classe bruyante, qui aurait dit : « Non seulement vous n’arrêtez pas, mais en<br />
plus vous continuez ! ». Ou ce même professeur d’ajouter, un tantinet ironique: « A chaque<br />
fois que j’ouvre la bouche, il y a un imbécile qui parle ! ». Ou encore, un élève rentrant<br />
précipitamment dans son local d’Equipe pour avertir ses congénères d’un « attention, vla<br />
Charles » avant <strong>de</strong> s’apercevoir, blême, que ledit Charles était déjà dans l’embrasure <strong>de</strong> la<br />
porte, lui disant : « Qu’est-ce qu’il y a ? Tu as dit un gros mos ? ». Ou ce ballon <strong>de</strong> foot<br />
atterrissant dans la soupière au milieu du dîner dans une famille riveraine du Collège. A la<br />
maîtresse <strong>de</strong> maison folle <strong>de</strong> rage et d’incompréhension, le Père Laloux , venu s’excuser et
écupérer le ballon, aurait répondu : « Et en plus, ils l’ont fait exprès ! ». La légen<strong>de</strong> ne dit pas<br />
si cet inci<strong>de</strong>nt a eu lieu à l’époque du grand sta<strong>de</strong> <strong>de</strong> Reims, mais la maison ciblée<br />
involontairement par un Zidane en herbe a été baptisée « La soupière ».<br />
C’est aussi <strong>de</strong>s couleurs : le bleu <strong>de</strong>s bulletins <strong>de</strong> notes hebdomadaires remplis à la main<br />
par le Frère Aimé (le bien nommé) Adam <strong>de</strong> chiffres et surtout <strong>de</strong> voyelles dont certaines<br />
pouvaient menacer notre bref week-end en famille, le jaune <strong>de</strong>s admittaturs (mot magique<br />
inconnu <strong>de</strong> mon correcteur d’orthographe) le rose <strong>de</strong>s billets d’appel nous invitant à venir<br />
choisir une vie <strong>de</strong> saint chez le Père Delcourt. Rose aussi la couleur <strong>de</strong> la carte <strong>de</strong> sortie. Ou<br />
encore, la couleur crasseuse – indéfinissable – <strong>de</strong>s murs <strong>de</strong> la salle <strong>de</strong>s douches, dans les basfonds<br />
du Fer à Cheval, où le Frère Adam, décidément partout, rythmait <strong>de</strong> son chapelet,<br />
l’ouverture <strong>de</strong> l’eau chau<strong>de</strong> qui nous permettait le grand lavage, par fournée, chaque jeudi<br />
après-midi, après les grands jeux. Ou encore la couleur jaunâtre du flanc au caramel qu’un<br />
professeur <strong>de</strong> lettres (PMP se reconnaîtra) avait qualifié <strong>de</strong> « cuisse <strong>de</strong> basketteuse ».<br />
C’est <strong>de</strong>s images. L’image du Père <strong>de</strong> Seze, en septembre 1965, jour <strong>de</strong> la rentrée,<br />
s’entretenant pendant <strong>de</strong>s heures, au même endroit, avec <strong>de</strong>s parents presque aussi émus que<br />
leur rejeton qui commençait une longue carrière d’interne, les glan<strong>de</strong>s lacrymales en état<br />
d’alerte maximale. L’image <strong>de</strong> files interminables <strong>de</strong> cyclistes en uniforme (short noir et<br />
maillot bleu) se rendant à Cormontreuil (en mai 68, on y allait par petits groupes, en « civil »<br />
et plus discrètement…). Ou <strong>de</strong> ces mêmes files en route vers un grand jeu dans les environs<br />
<strong>de</strong> Reims. A ce sujet, je voudrais remercier certains surveillants et leur Solex, qui, charitables,<br />
m’ont permis <strong>de</strong> gravir certaines côtes interminables en m’accrochant à leur épaule. C’est<br />
aussi l’image <strong>de</strong> filles – je dis bien filles – qui, pour la première fois en 1971, ont joué les<br />
rôles féminins <strong>de</strong> la pièce <strong>de</strong> la V au Gala. Et notre Ar<strong>de</strong>nnais préféré, Jacques Reibel,<br />
moniteur <strong>de</strong> la V à partir <strong>de</strong> cette année-là, n’y était pas allé <strong>de</strong> main morte puisqu’il avait<br />
choisi Cyrano <strong>de</strong> Bergerac pour introduire la gente féminine dans un environnement très<br />
masculin.<br />
C’est <strong>de</strong>s voitures : celle <strong>de</strong> Mme Shiffer (Rolan<strong>de</strong>, pas Claudia), dont la berline – était-ce<br />
une Trabant ? – faisait un bruit in<strong>de</strong>scriptible. Quand il faisait chaud et que les fenêtres<br />
étaient ouvertes, le ronflement caractéristique <strong>de</strong> cette voiture nous faisait pouffer <strong>de</strong> rire en<br />
étu<strong>de</strong> ou en classe (prrrrrroum peuf peuf peuf peuf, etc.) . Ta voiture, Roland, une vieille Ami<br />
6 Citroën, si me je me souviens bien, arborait l’autocollant d’une compagnie <strong>de</strong> Ferries qui<br />
l’avait amenée jusqu’en Grèce et qui nous faisait rêver. Ou le moteur <strong>de</strong> la Diane <strong>de</strong> Titus<br />
(Monsieur Bour<strong>de</strong>tte), fumant impérialement ses blon<strong>de</strong>s favorites (à l’époque où fumer<br />
n’était pas encore politiquement incorrect). Ou « l’Equipette » (une 4L fourgon) du Père<br />
Laloux, bleue puis blanche, laissant passer l’échelle qui permettrait à la VII d’aller retaper <strong>de</strong>s<br />
appartements mo<strong>de</strong>stes et parfois insalubres. Ou encore la 2CV du Collège, surnommée la<br />
« 206» (avant même que Peugeot nous prenne ce nom) en raison <strong>de</strong> son numéro<br />
minéralogique (206 MC 51) et qui a fait la fortune du garage Bidon, rue Gambetta.<br />
C’est aussi <strong>de</strong>s bruits familiers: celui la petite imprimerie du Père Waltz qui avait bon<br />
caractère et qui me laisse une bonne impression. Ou celui <strong>de</strong> la cloche. Ou celui <strong>de</strong> l’horloge<br />
du Fer à Cheval qui accompagnait nos jours et nos nuits. Ou celui, plus tard, quand on s’est
mo<strong>de</strong>rnisé, <strong>de</strong> la photocopieuse <strong>de</strong> Monsieur Cohuët. Ou encore le roucoulement <strong>de</strong>s pigeons<br />
qui annonçait la saison chau<strong>de</strong>.<br />
Le Collège, c’est aussi <strong>de</strong>s voyages qui ouvrent l’esprit et le cœur : une nuit à la belle<br />
étoile sur les pentes du Vésuve avec la baie <strong>de</strong> Naples à nos pieds ( Tu dois t’en souvenir<br />
Roland, tu y étais [oui, Roland s’en souvient] ). Ou la découverte du Mont Saine-Catherine<br />
dans le Sinaï avec le Père Laloux. Ou la Russie <strong>de</strong> Brejnev avec le même Père Laloux,<br />
décidément globe-trotter infatigable. Ou Madagascar que <strong>de</strong>s missionnaires jésuites venaient<br />
régulièrement nous présenter. J’ai eu le plaisir d’y aller cette année pour rendre visite à ma<br />
fille aînée qui y est volontaire. J’ai vu Fianarantsoa et le Collège <strong>Saint</strong>-François-Xavier et j’ai<br />
eu l’impression que ces endroits magnifiques m’étaient déjà familiers.<br />
Le Collège s’est un sentiment unique qui a marqué le jour <strong>de</strong>s résultats heureux <strong>de</strong> mon<br />
baccalauréat. Il s’agissait d’un mélange <strong>de</strong> fierté légitime, <strong>de</strong> joie partagée, d’excitation, <strong>de</strong><br />
soulagement (etc.) mais aussi la sensation d’un grand vi<strong>de</strong> au moment <strong>de</strong> ramasser mes<br />
affaires dans ma petite armoire et <strong>de</strong> saluer mes compagnons, ne sachant pas si l’occasion me<br />
serait donnée <strong>de</strong> les revoir un jour, sachant qu’un grand chapitre <strong>de</strong> ma vie venait <strong>de</strong> se<br />
terminer définitivement. <strong>Nos</strong>talgie quand tu nous tiens !<br />
Le Collège, c’est l’apprentissage <strong>de</strong> la Liberté si bien résumée dans les signets et textes<br />
imprimés avec art par le Père Valton, sage entre les sages : « En se taisant, le sage est sot et le<br />
sot est sage » ou dans le cachet tamponné au hasard <strong>de</strong>s pages <strong>de</strong>s livres <strong>de</strong> la bibliothèque<br />
nous enjoignant à lire davantage grâce à cette sagesse latine sans appel : « Timeo hominem<br />
unius libri » (Je crains l’homme d’un seul livre). Je m’en sers souvent <strong>de</strong> cette phrase : cela<br />
fait bien dans les dîners mondains…<br />
Le Collège, c’est surtout et enfin un héritage laissé par <strong>de</strong>s éducateurs avant-gardistes,<br />
<strong>de</strong>s hommes remplis d’une Foi contaminante, <strong>de</strong>s visionnaires. Revoyant le film <strong>de</strong> ma vie<br />
pendant ces <strong>années</strong> au Collège, j’ai l’impression d’avoir été un acteur mo<strong>de</strong>ste, voire un<br />
figurant, mais fier et heureux, dans « La Planète <strong>de</strong>s Sages » ou dans « La Gloire <strong>de</strong> Mon<br />
Révérend Père ».<br />
________________<br />
Michel Gaudé (Promo1973)