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New Europe College Yearbook 1997-1998 - Free

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IOANA BOTH<br />

identitaire. Les choses vont de même pour le premier livre jamais publié<br />

sur sa poésie, appartenant au chanoine Al. Grama de Blaj, qui toutefois<br />

ne le signe pas (Grama, 1891). Grama s’érige contre la littérature<br />

d’Eminescu en y voyant une menace (toujours d’immoralité et de<br />

cosmopolitisme) pour la jeune génération de la culture roumaine. “Le<br />

sens sexuel comme amour et un dégoût du monde comme pessimisme de<br />

Schopenhauer”, “maison close de la littérature”, les jugements de valeur<br />

du chanoine sur cette littérature dangereuse sont significatifs pour la<br />

manière d’écrire la critique littéraire à l’époque. En voilà un exemple<br />

concret: “Que dirait un père, par exemple, quand sa fille permettrait à<br />

Eminescu de l’emmener dans un endroit caché de la forêt, et enlèverait le<br />

voile de sa tête?/ ... / Que diraient les parents quand leurs jeunes filles leur<br />

raconteraient comment Amour vient de dormir dans leur lit, en escaladant<br />

leurs fenêtres, de nuit, comme elles l’ont appris dans les poésies<br />

d’Eminescu? /les allusions visent précisément la lyrique érotique de<br />

jeunesse de l’auteur, n.I.B./. Assez soit-il, diront les pères de familles – et<br />

surtout les pères de jeunes filles -, assez d’obscénités et de trivialités”.<br />

Voilà pour l’état des choses dans la critique littéraire roumaine de<br />

l’époque; Titu Maiorescu, le mentor de la société littéraire “Junimea” et<br />

protecteur d’Eminescu, représentait (malgré la perception que le XXe siècle<br />

a de lui) plutôt l’exception que la règle. Ce sera lui qui soutiendra la<br />

valeur exemplaire du poète, et en fera l’étoile de sa société littéraire.<br />

Mais pour lui non plus, comme le témoignent ses écrits (Bot, <strong>1997</strong>, p.<br />

104-113), expliquer l’intuition qu’il avait sur la valeur de la poésie<br />

d’Eminescu ne fut pas chose facile. Le courage avec lequel, tel un<br />

évangéliste, Maiorescu osait prôner l’institution d’un modèle poétique<br />

d’Eminescu et sa domination sur la littérature roumaine à l’aube du XXe<br />

siècle (Maiorescu, 1984, p.516), s’appuyait très peu sur le “corps de<br />

l’oeuvre”. Elogié pour la compréhension de l’art antique et pour les<br />

innovations dans le langage, sanctionné pour sa réflexivité excessive,<br />

Eminescu est – dans l’article La nouvelle direction..., par exemple – déclaré<br />

“...mais, enfin, poète, poète au sens complet de ce mot” (Maiorescu, 1984,<br />

p.138), avec un syntagme trahissant, par la répétition précipitée qu’il<br />

contient, l’attitude passionnelle, subjective de Maiorescu-l’olympien.<br />

Cliché inaugurateur de ce qui deviendra une tradition (quel “sens<br />

complet”? qu’est-ce que ça veut dire?) pour parler d’Eminescu, son<br />

exclamation pathétique est un argument beaucoup trop fragile dans une<br />

analyse, mais – efficace dans l’oeuvre de la consécration du plus important<br />

écrivain roumain...<br />

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