Nicoletta Diasio (dir.) - Caf.fr
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ainsi déceler un certain manque de cohérence<br />
dans les mesures familialistes. Par ailleurs, au sein<br />
de l’appareil d’État, les dissensions sont prégnantes,<br />
notamment parce que les ministères sont, sous<br />
l’occupation allemande, des structures publiques<br />
faiblement dotées. Un certain nombre de lois n’ont<br />
pas été adoptées en raison des restrictions budgétaires<br />
: par exemple, le salaire familial ou encore le<br />
prêt aux jeunes ménages. Le recours à des organisations<br />
extra-étatiques pour relayer la politique<br />
familiale a été ainsi d’autant plus significatif. Mais<br />
le plus intéressant sans doute est que C. Capuano<br />
s’intéresse aux stratégies individuelles des acteurs<br />
de l’action sociale. Il a cherché à retracer comment<br />
certaines politiques ou choix peuvent relever d’une<br />
mobilisation collective de réseaux familialistes<br />
mais également d’intérêts personnels. Avec force<br />
de recours aux documents des archives, l’auteur<br />
montre à quel point les associations étaient bien<br />
plus répressives et prescriptives que les administrations<br />
elles-mêmes et ont encouragé les appels à<br />
la délation et au contrôle des mœurs par l’intermédiaire<br />
notamment des CCAF.<br />
Chaque acteur a concouru à son niveau à l’avènement<br />
de la politique familiale pétainiste, dont de<br />
nombreuses caractéristiques se retrouvent encore<br />
dans notre politique familiale actuelle. Ainsi, la<br />
propagande familialiste de l’État a donné l’idée<br />
qu’il existait une question familiale spécifique.<br />
Cette illusion a marqué les historiens. Mais l’État a<br />
utilisé avec opportunisme la mouvance familialiste<br />
en récupérant les actions menées sur le<br />
terrain par cette dernière. Les réalisations sont<br />
davantage le <strong>fr</strong>uit de dynamiques locales et des<br />
associations en lien avec des organisations socioéconomiques.<br />
Les inégalités territoriales sont, de<br />
fait, nombreuses et importantes. Le modèle pétainiste,<br />
encore privilégié aujourd’hui, est donc<br />
celui d’articulation d’institutions parapubliques et<br />
privées (dont les caisses d’Allocations familiales)<br />
pour mettre en œuvre la politique familiale. Au<br />
bout du compte, en matière d’action publique, a<br />
prévalu – et prévaut encore – un modèle partenarial<br />
qui privilégie le pragmatisme plutôt que<br />
l’idéologie. Vichy constitue une étape majeure<br />
dans le processus de familialisation des politiques<br />
publiques, en faisant – pour la première fois – du<br />
familial le référentiel d’une politique publique à<br />
finalités sociale et démographique. La politique<br />
de la famille devient une politique sociale, spécifique,<br />
détachée de l’action sociale. Dès les prémices<br />
de la mise en œuvre de cette politique, la<br />
difficulté – on le comprend bien – a été de définir<br />
un périmètre d’action familiale, c’est-à-<strong>dir</strong>e de le<br />
délimiter dans le champ sanitaire et social.<br />
Sandrine Dauphin<br />
CNAF – Rédactrice en chef<br />
de Politiques sociales et familiales<br />
<strong>Nicoletta</strong> <strong>Diasio</strong> (<strong>dir</strong>.)<br />
Désirs de famille, désirs d’enfant<br />
2009, Revue des sciences sociales, n° 41, université de Strasbourg, 203 p.<br />
Loin de signifier la mort de la famille comme cela<br />
a parfois été craint, la multiplicité des formes familiales<br />
depuis les années 1970 témoigne plutôt<br />
de transformations de la famille, parallèlement à<br />
celles de la société dans son ensemble. Depuis, les<br />
chercheurs analysent souvent des situations particulières,<br />
tant pour les comprendre que pour montrer<br />
la porosité des <strong>fr</strong>ontières que ces situations<br />
révèlent entre différentes dimensions de la famille.<br />
C’est en partie le cas des contributions réunies par<br />
<strong>Nicoletta</strong> <strong>Diasio</strong> dans ce numéro thématique de la<br />
Revue des sciences sociales : homoparentalité,<br />
recours à l’assistance médicale à la procréation et à<br />
l’adoption, adoparentalité, enfants adultérins dans<br />
les procédures de divorce. Au-delà des cas atypiques,<br />
il s’agit bien de voir comment « le désir d’enfant<br />
prend forme alors au croisement des exigences de<br />
réalisation personnelle, des souhaits de consolidation<br />
du couple, du besoin de conformité aux modèles<br />
culturels de fécondité, des volontés de transmission<br />
» (p. 9). L’originalité de cet opus repose<br />
sans doute dans l’intérêt porté à comprendre le<br />
désir d’enfant (ses fondements, les conditions de sa<br />
réalisation, etc.) et à considérer le point de vue des<br />
enfants en tant qu’acteurs au sein de la famille<br />
(dans la veine de la sociologie de l’enfance).<br />
Le numéro est organisé en trois parties. La première<br />
est consacrée aux prémices de la famille, le désir<br />
d’enfant dont la concrétisation peut être retardée<br />
par les conditions matérielles, les normes sociales,<br />
Politiques sociales et familiales n° 100 - juin 2010<br />
126 Comptes rendus de lectures
ou encore les problèmes physiologiques. Commençant<br />
par un texte analysant le regard des médias<br />
italiens sur la figure de l’enfant victime, la deuxième<br />
partie aborde plus précisément les relations familiales<br />
du point de vue des enfants : enfant négociant<br />
avec ses parents en utilisant les interstices, les<br />
contradictions entre les messages qui leur sont<br />
adressés ; enfant réagissant à l’arrivée de beauxparents<br />
manifestant une distance à leur égard à<br />
travers la nourriture (1) ; enfant sélectionnant et<br />
interprétant l’histoire et les valeurs des lignées<br />
paternelle et maternelle pour construire leur identité.<br />
La dernière partie s’intéresse à l’articulation<br />
entre lien de sang et lien social dans la parenté, à la<br />
résidence alternée des enfants après la séparation<br />
conjugale d’un point de vue pratique et symbolique,<br />
et s’achève par les représentations bipolarisées<br />
des femmes vivant seules ; cette dernière partie<br />
effectue ainsi un retour sur l’éloignement à la<br />
norme procréative abordée dans le premier article.<br />
L’ensemble est agrémenté de dessins d’enfants,<br />
pour lesquels l’absence d’informations rend l’interprétation<br />
difficile.<br />
On s’intéresse dans ce compte rendu de lecture<br />
plus précisément à la première partie et au désir<br />
d’enfant. À partir du fort contraste en matière de<br />
fécondité en France et en Italie (2), Arnaud Régnier-<br />
Loilier et Daniele Vignoli évaluent l’influence des<br />
caractéristiques macrosociales des couples (âge,<br />
situation conjugale, diplôme, catégorie sociale,<br />
nombre de <strong>fr</strong>ères et sœurs, pratique religieuse…)<br />
sur le désir d’enfant. L’analyse présente l’intérêt<br />
d’intégrer le désir d’enfant à la descendance finale,<br />
ce qui permet d’inscrire le comportement des<br />
générations les plus jeunes dans celui des plus<br />
anciennes. Finalement, les souhaits de procréation<br />
semblent identiques dans les deux pays, ainsi que<br />
les caractéristiques des femmes s’éloignant de la<br />
norme de deux enfants (la mise en couple après<br />
l’âge de 24 ans diminue la probabilité de souhaiter<br />
une famille nombreuse, tandis qu’être femme au<br />
foyer ou ne pas être enfant unique l’augmente). On<br />
pourra regretter que l’article ne mentionne pas les<br />
différences entre les deux pays (3) et qu’il explique<br />
peu pourquoi les souhaits ne se traduisent pas de la<br />
même manière dans les deux pays, attendant pour<br />
cela la seconde vague de l’« Étude des relations<br />
familiales et intergénérationnelles » alors que des<br />
études qualitatives précisent l’influence des politiques<br />
sociales en Italie (ou de leur faiblesse) sur la<br />
fécondité et suggèrent d’autres explications.<br />
Différentes études ont déjà montré que l’arrivée<br />
d’un enfant est aujourd’hui largement désirée, voire<br />
programmée. Magali Mazuy poursuit le chemin<br />
démographique entamé précédemment, cette fois à<br />
partir de l’enquête « Intentions de fécondité ». La<br />
chercheuse aborde ainsi les conditions à réunir<br />
pour mettre en œuvre un projet d’enfant – est-ce ici<br />
que le désir se fait programmation ? – dans une<br />
approche tenant compte des effets de genre. C’est<br />
finalement moins dans la comparaison des points<br />
de vue masculins et féminins que les différences<br />
se manifestent (ils convergent généralement) mais<br />
plutôt dans les conditions à réunir par les hommes,<br />
d’une part, par les femmes, d’autre part, pour devenir<br />
parent. En effet, si les deux premières raisons<br />
invoquées sont identiques pour les hommes et les<br />
femmes (sans doute parce que envie d’avoir un<br />
enfant et sentiment d’être prêt à l’avoir renvoient<br />
justement à la maîtrise de la fécondité et à la planification<br />
des naissances), les conditions mentionnées<br />
par la suite révèlent la persistance de rôles parentaux<br />
différenciés (et semblent préciser ce que « se<br />
sentir prêt » recouvre pour les uns et les autres).<br />
Ainsi, pour devenir père, un homme doit également<br />
avoir achevé ses études (réponses des hommes) ou<br />
avoir un emploi stable (réponses des femmes), ce<br />
qui renvoie dans les deux cas à la figure du père<br />
pourvoyeur de revenus, responsable du bien-être<br />
matériel de la famille. Parallèlement, pour devenir<br />
mère, une femme doit disposer de temps (réponses<br />
masculines et féminines), ce qui fait référence à la<br />
mère pourvoyeuse de soins, responsable du bienêtre<br />
sanitaire et psychologique de l’enfant.<br />
À partir de situations spécifiques, l’homoparentalité<br />
ou l’adoption, les articles de Cathy Herbrand et de<br />
Sophie Nizard affinent la question du désir d’enfant,<br />
abordée à l’échelle macrosociale dans les textes<br />
précédents, et rendent compte de l’ancienneté du<br />
désir d’enfant chez les parents interviewés. Les<br />
difficultés rencontrées pour voir se concrétiser le<br />
désir d’enfant s’accompagnent d’une réflexivité<br />
accrue de la part des acteurs, d’un désir d’enfant<br />
d’autant plus ardent que son arrivée est longue et<br />
« interrogent le réagencement des dimensions<br />
conjugale, parentale, procréative et sexuelle » (p. 43).<br />
Particularités et difficultés mettent en exergue le<br />
hiatus entre faire un enfant et avoir un enfant et<br />
montrent les différences d’attitudes entre les hommes<br />
et les femmes. Ces dernières impulsent une coparentalité<br />
homosexuelle et mettent souvent en<br />
avant leur couple comme condition de sa réalisation<br />
(en ce sens, il s’agit d’un projet conjugal)<br />
tandis que, pour les hommes vivant en couple, les<br />
(1) Le recours à la théorie du don par Louis Mathiot permet de bien comprendre la manière dont le repas ou, plus largement,<br />
le rapport à la nourriture traduisent un refus de la relation avec l’enfant de l’autre, tant à travers le refus de donner de la part<br />
des beaux-parents que le refus d’accepter de la part des beaux-enfants (ou de leur parent en couple).<br />
(2) L’indice conjoncturel de fécondité de la France est parmi les plus élevés de l’Union européenne, alors qu’il est parmi les<br />
plus faibles en Italie.<br />
(3) La taille de la <strong>fr</strong>atrie, l’activité à temps plein de la femme, le faible niveau d’instruction des conjoints se répercutent sur<br />
le souhait de l’enfant unique en Italie, mais pas en France ; le statut d’occupation du logement, le niveau d’instruction élevé<br />
et l’inactivité du conjoint influencent le désir d’une famille nombreuse uniquement en Italie.<br />
Politiques sociales et familiales n° 100 - juin 2010<br />
127 Comptes rendus de lectures
pères biologiques semblent avoir un désir davantage<br />
ancré que leur conjoint et une position privilégiée<br />
auprès de l’enfant (le projet est alors plus<br />
individuel). De son côté, l’article de Sophie Nizard<br />
sur l’adoption souligne que, lorsque les conjoints<br />
ne conçoivent pas tous les deux en même temps<br />
d’adopter un enfant, les femmes envisagent souvent<br />
avant les hommes d’arrêter le recours à l’assistance<br />
médicale à la procréation (AMP). L’auteure avance<br />
l’hypothèse selon laquelle ce décalage tient à une<br />
expérience différente de l’AMP, les femmes supportant<br />
avec difficulté les traitements particulièrement<br />
douloureux. À la lecture d’autres contributions<br />
(<strong>Nicoletta</strong> <strong>Diasio</strong>, Magali Mazuy, Veronika Nagy),<br />
on peut se demander si ne s’ajoute pas à cela une<br />
valorisation plus importante de la dimension biologique<br />
pour les hommes, en référence à l’inscription<br />
générationnelle que représente l’enfant. Par<br />
ailleurs, l’article de S. Nizard montre comment,<br />
loin de s’opposer, le deuil de l’enfant biologique et<br />
le projet d’adoption vont de pair, l’arrivée de l’enfant<br />
dans le foyer adoptif convainquant « littéralement<br />
ses parents qu’ils sont devenus parents, et que cette<br />
filiation-là en vaut n’importe quelle autre, et bien<br />
souvent que c’est cet enfant-là et pas un autre qui<br />
devait arriver là, dans ce foyer, et pas autre part »<br />
(p. 57).<br />
Objet du désir, acteur d’un dialogue avec les adultes<br />
et pris dans un ensemble de relations familiales ou<br />
affinitaires, l’enfant apparaît comme la figure centraledecenumérodelaRevue<br />
des sciences sociales.<br />
Le titre aurait pu être plus explicite car il s’agit<br />
bien ici de voir – comme le rappelle l’introduction<br />
– comment l’enfant fait la famille : par la<br />
transformation du couple en famille, par la projection<br />
dans le temps qu’il permet, par son usage<br />
de l’histoire des générations antérieures, par la<br />
redéfinition des relations familiales à laquelle il<br />
participe.<br />
Benoît Céroux<br />
CNAF – Département de l’Animation de la Recherche<br />
et du Réseau des chargés d’études<br />
François Héran<br />
Figures de la parenté<br />
2009, Paris, PUF, collection Sociologies, 644 pages.<br />
Cet ouvrage très volumineux a pour enjeu, comme<br />
le souligne le titre, de réaliser une histoire critique<br />
de la raison structurale ; il traite ainsi des théories<br />
de l’anthropologie structurale de la parenté,<br />
science qui a pour objet la détermination des lois<br />
régissant les configurations familiales, notamment<br />
les stratégies d’alliance, qui fondent les sociétés. Le<br />
point de départ de cette contribution est de proposer<br />
une nouvelle façon de représenter les diagrammes<br />
de parenté en proposant de substituer à<br />
la représentation classique des individus (ronds et<br />
triangles) des lignes (obliques ou verticales). Les<br />
alliances sont alors symbolisées par l’intersection<br />
de deux lignes, alors qu’une <strong>fr</strong>atrie est représentée<br />
par des lignes partant de ladite intersection. Les diagrammes<br />
peuvent ensuite être repliés (sans représentation<br />
des segments parallèles) ou dépliés.<br />
Cette nouvelle représentation est mise à l’épreuve<br />
des structures traditionnelles de parenté afin que<br />
soit testée sa faculté à of<strong>fr</strong>ir de nouveaux éléments<br />
explicatifs en permutant les différents éléments<br />
(sexe, filiation et alliance…). Ainsi, on peut représenter,<br />
par des graphes aux formes géométriques<br />
simples, les quatre modalités de l’alliance (liens<br />
réciproques ou asymétriques, dans un sens reconduit<br />
ou alterné) : le transfert exclusif, le transfert alterné,<br />
l’échange exclusif et l’échange alterné. Ainsi, ce qui<br />
fait la structure est la régularité du type d’union ; le<br />
type d’acteurs ensuite considéré n’a pas d’influence<br />
sur le diagramme de structure. La déconstruction<br />
des schémas traditionnels montre qu’aucune norme,<br />
et aucun contenu de la parenté, ne sont liés à la<br />
structure. Ainsi l’inégalité entre les sexes n’est en<br />
aucune manière liée à la forme structurelle de la<br />
parenté, contrairement à ce qui était professé<br />
jusqu’alors, qui postulait que les règles de l’alliance<br />
avaient pour enjeu l’échange – passif – des femmes :<br />
la nouvelle représentation répond à la nécessité de<br />
distinguer les sexes (représentés indifféremment par<br />
des lignes obliques ou verticales), sans les hiérarchiser.<br />
En revanche, François Héran voit dans la<br />
différence structurale d’âge entre les deux conjoints<br />
une source possible de la domination d’un sexe (les<br />
hommes en général) sur l’autre. Dans un tel système,<br />
dit « oblique », les hommes ne circulent pas au sein<br />
du réseau des alliances comme les femmes.<br />
À la suite de ces propositions méthodologiques et<br />
leurs conséquences, l’auteur retrace l’histoire de la<br />
Politiques sociales et familiales n° 100 - juin 2010<br />
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