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170 L’exemplarité auto-proclamée…
l’action politique. Si Pline conseille une veuve dans les questions d’éducation de
son fils, il le fait parce qu’un lien d’amitié politique l’attachait au mari défunt ;
les questions financières et de gestion du patrimoine sont évidemment en
étroite relation avec le statut du sénateur Pline. Bref : ce que dans mon analyse
des Lettres, je viens de distinguer, doit être recomposé pour faire apparaître l’image
des pratiques quotidiennes de l’homme exemplaire que Pline présente à son
public.
Cet homme exemplaire occupe une position sociale bien connue et bien
définie : les Lettres proposent et illustrent l’image idéale du pater familias aristocratique.
C’est le pater familias qui incarne une domus, il assume sa présence sur
le forum par sa participation aux délibérations du sénat et par ses discours
judiciaires lors de procès où l’on se rend pour écouter les orateurs 1 . C’est par de
tels engagements qu’il entretient sa propre gloire et par là, il maintient ou
augmente la gloire des ancêtres et le statut dans l’aristocratie qu’ils lui ont légué.
Le pater familias aristocratique se soucie de transmettre son nom à une
descendance légitime, il entretient le réseau des amitiés au moyen traditionnel
de l’échange de beneficia et de officia ; et il conserve ou agrandit le patrimoine,
fondement du statut social de la domus.Telles sont les obligations et les normes
sociales qui conditionnent les pratiques quotidiennes de l’homme aristocratique
romain. Ces normes correspondent exactement à celles que la culture romaine
définit comme les valeurs et les normes du masculin : comme je pus montrer
ailleurs par l’analyse de la construction du masculin et du féminin dans les textes
tacitéens 2 , les attentes envers l’homme romain et donc envers l’identité
masculine se trouvent idéalement représentées dans la position du pater familias
aristocratique 3 . Les Lettres de Pline renvoient à cet idéaltype (au sens que Max
Weber a donné à ce terme) et la figure de « Pline » esquissée dans le texte par
les pratiques décrites est largement déterminée par ces normes : l’identité
masculine est une identité aristocratique, et une identité aristocratique est une
identité politique au service de la res publica avec tout ce que cela implique
d’obligations du pater familias envers ses ancêtres, les membres de sa domus et
envers son patrimoine, du patronus envers la clientèle et les affranchis, du dominus
1. W.M. BLOOMER, Valerius Maximus and the Rhetoric of the New Nobility, Chapel Hill etc., 1992, p 1, note
2, considère l’art du discours comme un spectacle et le compare, pour le I er siècle de notre ère, aux
concerts de nos temps : « The closest analogy to declamation is the modern concert, widely attended
and with its own coterie of experts and a certain snob appeal. The concert by and large is more selfcontained:
the performer’s distinction merits advancement in the musical world. The declaimer could
aim at a career in the courts or in the emperor’s service.The political dimension of declamation is for
the most part unparalleled. »
2. Cf.Th. SPÄTH, Geschlechter, p. 306-311 ou Id., « Agrippine la Jeune ou la réalité du discours », Hypothèses.
Travaux de l’école doctorale de l’Université Paris I à Panthéon-Sorbonne 2004, 2005, p. 297-321, ici p. 309 s.
3. Ce constat conduit nécessairement à la révision du concept d’une simple dichotomie du masculin et du
féminin : si l’idéaltype du masculin est le pater familias aristocratique, un petit nombre d’hommes romains
sauraient s’adapter à une telle définition du genre; il faut donc postuler une pluralité des définitions
sociales du masculin dans la culture romaine en rapport avec le statut social : la masculinité de l’esclave
se distingue de celle du client, celle du fils d’un sénateur des normes du masculin de son père.