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STYLE, MEDIA & CREATIVE INDUSTRY
MAGAZINE
N° 5 — VOL. 2 — SEPTEMBRE, OCTOBRE, NOVEMBRE 2011
SPÉCIAL MODE & DÉFILÉS
MONDANITÉS AU CHOIX — VOUS REPRENDREZ BIEN DES ESCARPINS ?
QUE FAIRE AVEC 1 124 EUROS ? — LES OBSESSIONS DE CALVIN KLEIN — CONTRE LES PIÉTONS !
L 14709 - 4 - F: 5,00 € - RD
France 5 € |
Esp/It/Port/Bel/
Lux 6,90 € |
Suisse 12 CHF |
Maroc 65 MAD |
Canada 8,25 CAD|
De 9 € | UK 6£ |

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makeup.chanel.com La Ligne de CHANEL - Tél. : 0 800 255 005 (appel gratuit depuis un poste fixe).

ÉDITO
Une amie me raconte ses vacances. Son périple passe par
Doha, où l’une des occupations consiste à faire du shopping
dès lors que les prix y sont jusqu’à 70 % inférieurs qu’à
Paris. Mais alors pourquoi donc, demandé-je, les riches
Moyen-Orientales s’entêtent-elles à faire leurs emplettes à
Londres ou Paris ? Ce n’est pas tant que l’herbe y soit plus
verte (encore que), mais s’offrir un objet de luxe dépasse
de loin la simple possession matérielle. L’expérience doit
aussi relever du magique et de la mise en scène. Acheter
un sac à Doha, ce serait comme se faire livrer, pour le
dîner, le menu du Taillevent. Mais je crois qu’ils ne font
pas de plats à emporter.
Angelo Cirimele
MAGAZINE N O 5
5

SOMMAIRE
© Olivier Roller
P.14 — Brèves
P.18 — Magazines
VIRGINE / LOVECAT / BULLETT / THE PLANT JOURNAL
1883
P.28 — Shopping
1124 EUROS
Portfolio : Nicolas Coulomb, stylisme : Clémence Cahu
TEXTES
P.40 — Interview
ETIENNE RUSSO
par Cédric Saint André Perrin
P.44 — Images
DOUBLE JEU
Par Céline Mallet
P.46 — Biographie
CALVIN KLEIN
Par Marlène Van de Casteele
P.50 — Lexique
LE DÉFILÉ
Par Anja Aronowsky Cronberg
P.52 — Chronique
MODE ET MONDANITÉS
Par Cédric Saint André Perrin
P.56 — Off record mode
L’EXPOSITION ET LE LUXE
Par Angelo Cirimele
MODE
P.60 — Portfolio
THE INVISIBLE HAND
Photographie : Jonathan de Villiers
Stylisme : Arabella Mills
P.74 — Portfolio
IL GIARDINO
Photographie : Emanuele Fontanesi
Stylisme : June Nakamoto
P.86 — Portfolio
SECOND MOUVEMENT
Photographie : Arnaud Lajeunie
TEXTES
P.100 — Contre
LES PIÉTONS
Par Yorgo Tloupas
P.102 — Moodboard
ESCARPINS 50’S
Par Florence Tétier
P.106 — Consumer mode
ATELIER MAYER
Par Angelo Cirimele
P.108 — Art contemporain
MARIE-CLAUDE BEAUD
Par Emmanuelle Lequeux
P.112 — Consumer design
INVENTARIO
Par Angelo Cirimele
P.114 — Design
LE GÉNIE DES FINS
Par Pierre Doze
P.116 — Rétrovision
L’AUTRE JOURNAL
Par Pierre Ponant
PORTFOLIO
P.120 — Portfolio
BEIJING
Jo Metson Scott
P.130 — Abonnement
P.131 — Agenda
P.133 — Festival
20-22 sept. 2011 / automne hiver 1213 / Premier Salon Mondial des Tissus d’Habillement
Parc d’Expositions Paris-Nord Villepinte France / T. 33[0]4 72 60 65 00 / info@premierevision.com
www.premierevision.com
MAGAZINE N O 5
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CONTRIBUTEURS
EMANUELE FONTANESI
PHOTOGRAPHE
JO METSON SCOTT
PHOTOGRAPHER
ANJA ARONOWSKY CRONBERG
WRITER AND LECTURER
CLÉMENCE CAHU
STYLISTE
Votre principale occupation ces jours-ci ?
Aider ma chère épouse et mon cher ami Jeff à monter leur
agence de managing et de production photo.
Le projet qui vous tient à cœur ?
Un shooting à Megève, où j’ai passé mes vacances cet été.
Le dernier magazine que vous avez acheté ?
Art Press, auquel je suis abonné et que je viens
de recevoir.
Votre principale occupation ces jours-ci ?
Photography.
Le projet qui vous tient à cœur ?
I’ve got lots of great projects on at the moment, I’m just
back from a week away with the Great British under
14’s gymnastic squad. I’m following an 11 years old boy
who is training to be part of the 2016 Olympic squad.
He’s amazing, I’ve never seen such dedication. He trains
30 hours a week on top of school. I’m also off to New York
next week to work on another project about veterans.
Le dernier magazine que vous avez acheté ?
Time Magazine.
Votre principale occupation ces jours-ci ?
Develop the journal I publish, Vestoj, into a sort of
traveling salon-type project, with seminars, lectures,
workshops, film screenings and exhibitions…
Le projet qui vous tient à cœur ?
Vestoj has been my main preoccupation and we’re now
working on the third issue, about fashion and shame.
Le dernier magazine que vous avez acheté ?
I recently bought my mum a subscription for the
New Yorker which has the added value that every time
I go visit her I get a whole stack of magazines to take
home with me — it’s a win win situation!
Votre principale occupation ces jours-ci ?
Pas qu’une ! Trouver des vêtements pour déshabiller des
mannequins devant les objectifs de grands photographes,
répondre à tes questions et trouver une date pour aller
à Madagascar voir Que-Nenii – mon zébu !
Le projet qui vous tient cœur ?
Rencontrer Que-Nenii… C’est le cadeau d’anniversaire
de mon père, une jolie façon de soutenir l’association
Zob-madagascar.org
Le dernier magazine que vous avez acheté ?
Ils me sont offerts !
PIERRE PONANT
CRITIQUE DESIGN GRAPHIQUE
MARLÈNE VAN DE CASTEELE
HISTORIENNE DE LA MODE
ARNAUD LAJEUNIE
PHOTOGRAPHER
CHARLIE JANIAUT
DESIGNER GRAPHIQUE
Votre principale occupation ces jours-ci ?
La sieste, mais cela m’occupe toute l’année à raison de 20
à 30 minutes par jour. Et jouer aux échecs
avec ma fille. Que du zen…
Le projet qui vous tient à cœur ?
Aujourd’hui, un devoir « citoyen » s’impose à mes yeux,
pour lequel le milieu de l’art ne doit pas rester indifférent :
celui du soutien à la recherche médicale et la défense de
l’hôpital public en France.
Le dernier magazine que vous avez acheté ?
Aucun souvenir, peut-être The Drawer… enfin rien de
bien marquant.
Votre principale occupation ces jours-ci ?
Organiser un plan de rentrée stakhanoviste
pour optimiser l’année !
Le projet qui vous tient à cœur ?
Enseigner tout en retournant sur les bancs de l’université.
Le dernier magazine que vous avez acheté ?
Mum (simple curiosité sociologique).
Votre principale occupation ces jours-ci ?
Faire des cadres.
Le projet qui vous tient à cœur ?
L’Imparfaite, notre magazine.
Le dernier magazine que vous avez acheté ?
Toilet paper.
Votre principale occupation ces jours-ci ?
Terminer ce numéro en récupérant de mon week-end.
Le projet qui vous tient à cœur ?
Arrêter de sortir.
Le dernier magazine que vous avez acheté ?
Novembre Magazine.
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STYLE, MEDIA & CREATIVE INDUSTRY
MAGAZINE
N° 5 - VOL. 2 - SEPTEMBRE, OCTOBRE, NOVEMBRE 2011
Rédacteur en chef
Angelo Cirimele
—
Directeur artistique
Yorgo Tloupas
assisté de Charlie Janiaut
—
Photographes
Nicolas Coulomb, Jonathan de Villiers,
Emanuele Fontanesi, Arnaud Lajeunie, Charlie Janiaut
et Juliette “thejudge” Villard (magazines)
—
Stylistes
Arabella Mills, June Nakamoto, Clémence Cahu (accessoires)
—
Contributeurs
Anja Cronberg, Pierre Doze, Emmanuelle Lequeux,
Céline Mallet, Pierre Ponant, Cédric Saint André Perrin,
Florence Tétier, Yorgo Tloupas, Marlène Van de Casteele
—
Illustratrice
Florence Tétier,
—
Iconographe
Juliette Teste
—
Remerciements
Bruno Boizet et Clémence Vaugelade (Monoprix),
Philippine Fontanesi, Philippe Menager, Monsieur X
—
Traduction
Kate van den Boogert, Thibaut Mosneron Dupin
—
Secrétaire de rédaction
Anaïs Chourin
—
Publicité
ACP
32, boulevard de Strasbourg
75010 Paris
Tel : 06 16 399 242
contact@magazinemagazine.fr
—
Couverture
Photographie : Emanuele Fontanesi
Stylisme : June Nakamoto
Mannequin : Zippora Seven chez Viva
Maquillage : Hugo Villard
Coiffure : Mehdi R’Guiba chez Marie France
Chemise blanche en coton, jupe crocodile noir,
bottine lassée en cuir noir brillant : Azzedine Alaïa
Gros bracelet argent et pierre noir : Hermès
Collier de cœur clou : Phylea
Sac léopard : La Bagagerie
Chaussette : Falke
—
Retouches
Janvier
—
Imprimeur
SIO
94120 Fontenay-sous-Bois
—
Conseil distribution et diffusion shop
KD Presse
Éric Namont
14 rue des Messageries
75010 Paris
T 01 42 46 02 20
kdpresse.com
—
Distributeur France
MLP
—
Issn n° 1633 – 5821
CPAPP : 0413 K 90779
—
Directeur de publication
Angelo Cirimele
—
Éditeur
ACP - Angelo Cirimele
32 boulevard de Strasbourg 75010 Paris
T 06 16 399 242
—
magazinemagazine.fr
contact@magazinemagazine.fr
—
© Magazine et les auteurs, tous droits de reproduction réservés.
Magazine n’est pas responsable des textes, photos et illustrations
publiées, qui engagent la seule responsabilité de leurs auteurs.
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BRÈVES
Après un passage chez
Martine Sitbon puis chez
Sonia Rykiel, qu’elle a
quittée en 2009, la styliste
Gabrielle Greiss lancerait
sa propre marque.
After stints at Martine
Sitbon then Sonia Rykiel,
which she left in 2009, the
stylist Gabrielle Greiss is
launching her own label.
Le calendrier 2012 de
Pirelli a été shooté par
Mario Sorrenti avec, devant
l’objectif, quelques figures
montantes : Kate Moss, Lara
Stone, Milla Jovovich ou
encore Saskia de Brauw.
Rendez-vous en décembre
– pour les abonnés.
The 2012 Pirelli Calender
has been shot by Mario
Sorrenti, with, in front
of the lens, a few rising
stars, Kate Moss, Lara
Stone, Milla Jovovich and
Saskia de Brauw. See you in
December, for subscribers.
Si le bruit court d’un
Harper’s Bazaar français,
la piste d’un Vanity Fair
hexagonal se confirme
puisqu’une équipe est
constituée et qu’on parle
d’un numéro zéro en 2012.
If the word on the street
is of a French Harper’s
Bazaar, the rumor of a
local Vanity Fair has been
confirmed since the team
has been created and there’s
talk of an issue zero for
2012.
Parallèlement à une
édition de Paris Photo
rénovée – et maintenant
au Grand Palais –, les
événements photo se
multiplieront ce week-end
du 11/11/11. On retiendra
le salon d’éditeurs
indépendants Offprint
, et Chic
Photo, qui réunira galeries,
agents et éditeurs .
In parallel to an
overhauled edition of
Paris Photo now at the
Grand Palais, photo events
multiply for the weekend
of 11 November. We note
the independent publisher
fair Offprint and Chic Photo,
which will bring together
galleries, agents and editors
.
Alors qu’il se consacrait
jusqu’ici au graphisme et
à l’illustration, Mr L’Agent
a inauguré un département
photo avec, entre autres,
la représentation de
Estelle Hanania, Philippe
Jarrigeon, Mason Poole,
Ami Sioux…
Whereas it was
dedicated to graphic design
and illustration till now,
Mr L’Agent has inaugurated
a photography department
representing, among others,
Estelle Hanania, Philippe
Jarrigeon, Mason Poole,
Ami Sioux…
La scène éditoriale
française a (finalement)
enregistré une secousse
récente : Le Monde prépare
un hebdo lifestyle
qui remplacera le peu
regretté Monde magazine
et dont l’inspiration est
« T », le supplément du
New York Times. Marie-
Pierre Lannelongue en
est la rédactrice en chef,
Éric Pillault et Funny
Bones en assurent la DA,
et Alexandra Woroniecka
sera en charge de la mode.
Sortie le 23 septembre.
The French publishing
scene has at last recorded
a tremor: Le Monde is
planning a lifestyle weekly
which will replace the
hardly missed Monde
magazine, inspired by
the New York Times
supplement “ T ”. Marie-
Pierre Lannelongue is
editor in chief, Éric Pillault
and Funny Bones will take
care of the art direction, and
Alexandra Woroniecka will
be in charge of fashion. Out
the 23 September.
Malgré une atmosphère
de crise entêtante, les
projets de presse ne
semblent pas fléchir.
Fashion for Men, le
magazine que Milan
Vukmirovic (ex-L’Officiel
Hommes) prépare devrait
paraître en octobre, ainsi
que Garage, un magazine
mêlant les collaborations
d’artistes et d’acteurs de la
mode, que Dasha Zhukova
(ex-Pop) doit lancer pendant
la fashion week newyorkaise
; sinon on parle
aussi de déclinaisons russes
et allemandes d’Interview.
Despite a stubborn
atmosphere of crisis,
publishing projects
don’t appear to be
falling off. Fashion
for Men, the magazine
that Milan Vukmirovic
(ex-L’Officiel Hommes) is
preparing should launch
in October, as well as
Garage, a magazine
mixing collaborations
with artists and fashion
personalities that Dasha
Zhukova (ex-Pop)
will launch during
New York fashion week;
otherwise, there’s
also talk of Russian
and German versions of
Interview magazine.
Miuccia Prada et
Elsa Schiaparelli sont les
deux invitées majeures de
l’exposition du Costume
Institute du Metropolitan
Museum de New York.
Ouverture début mai.
Miuccia Prada and
Elsa Schiaparelli are
the two major guests
of the exhibition at the
Metropolitan Museum’s
Costume Institute in New
York, opening early May
Un documentaire sur
le photographe anglais des
années 60 David Bailey,
réalisé par Jérôme de
Missolz (Des jeunes gens
modernes), sera édité par
Arte et sera disponible le
19 octobre. David Bailey
semble attirer toutes les
attentions, puisqu’un biopic
sur sa personne est en
préparation à la BBC4.
A documentary about
the English photographer
from the 60s David Bailey,
directed by Jérôme de
Missolz (Des jeunes gens
modernes), will be released
by Arte and available
19 October. David Bailey
seems to be attracting much
attention as a biopic about
him is also in preparation
for BBC4.
Sur le modèle de Art
Now ou Fashion Now,
l’éditeur Taschen va publier
Cars Now, en association
avec le magazine
Intersection.
Following the model of
Art Now or Fashion Now,
the publisher Taschen
will publish Cars Now
in association with the
magazine Intersection.
Mercedes, qui
sponsorise déjà la fashion
week allemande, continue
de faire du pied au marché
du luxe puisque la marque
à l’étoile prévoit de lancer
un parfum début 2012.
Attention, toutefois, le
précédent Porsche n’a pas
eu la réussite escomptée…
Mercedes, who already
sponsors New York Fashion
Week, continues to flirt
with the luxury market and
is planning to launch a
perfume early 2012. Beware,
as the last Porsche did
not have the success it
anticipated.
Après dix ans de
suprématie, le site
américain style.com
lance une version papier,
puisqu’il est maintenant
acquis que les médias
se complètent et non se
concurrencent. Semestriel et
abordable ($5), le magazine
se veut une vitrine sur les
défilés et les acteurs de
la mode. Reste à être plus
inventif que le britannique
Elle Collections . Vérification
fin octobre.
After 10 years of preeminence,
the American
site style.com launches
a paper version, since
it’s now established that
medias complement each
other rather than compete.
Biannual and affordable
(5$), the magazine claims to
be a window on the shows
and the fashion players. It
remains to be seen if it will
be more inventive than
the UK’s Elle Collections.
Confirmation late October.
La galerie Baudoin
Lebon déménage, mais
pas trop loin puisqu’elle
s’installera rue Charles-
François Dupuis (3 e )
et accueillera Alinka
Echeverria et Xiao Zhang,
les lauréats du prix HSBC,
jusqu’au 24 septembre.
The gallery Baudoin
Lebon is moving, but not
far, just to Rue Charles-
François Dupuis (3 rd )
and will welcome
Alinka Echeverria and Xiao
Zhang, the winners of the
HSBC prize,
until 24 September.
20 ans c’est l’âge de
L’Insensé, magazine de
photographie,
qui publie en octobre
un numéro consacré à
la Suisse avec près de
50 photographes, dont
beaucoup appartiennent
à la scène émergente.
L’Insensé photography
magazine is 20 years old
and will publish an
issue dedicated to
Switzerland in October, with
almost 50 photographers
most of whom belong to
emerging scene.
20 ans c’est aussi l’âge
anniversaire de Dazed &
Confused, qui fêtera
l’événement avec un livre
chez Rizzoli et une expo
chez Colette pendant la
fashion week.
Dazed & Confused are
also turning 20 and will
celebrate the event with a
book with Rizzoli and an
exhibition at Colette during
Fashion Week.
Après quelque dix ans,
on enregistre le retour
de Michel Mallard à
Jalouse, en tant que
directeur de création.
After ten years or so,
we note Michel Mallard’s
return to Jalouse as creative
director.
Après une durée de
trois ans, l’association
entre Uniqlo et Jil Sander
a pris fin, nous privant de
produits et d’un logo très
réussis. Mais la marque
japonaise a laissé la
porte ouverte à de futures
collaborations avec d’autres
designers. À suivre…
After three years, the
collaboration between
Uniqlo and Jil Sander
has ended, depriving us
of an accomplished logo
and products. But the
Japanese brand has left
the door open to future
collaborations with other
designers. To be continued…
Puisque les couvertures
de magazine font les yeux
doux aux actrices de cinéma,
les mannequins ont décidé
de passer par la case grand
écran (à moins que tout soit
devenu interchangeable…).
Ainsi, Natalia Vodianova
revient au cinéma avec le
premier rôle de Belle du
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MAGAZINE N O 5
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Seigneur (sortie prévue en
2012) et Agyness Deyn s’y
essaye dans un remake du
film Pusher.
Since the magazine
covers court film stars,
models have decided to
make a stop by the big
screen (unless everything’s
become interchangeable…).
So Natalia Vodianova
returns to cinema with
the starring role in Belle du
Seigneur (release planned
for 2012) and Agyness Deyn
gives it a go in a remake of
the film Pusher.
À rebours de l’image
glamour, la marque de
cosmétique Mac a choisi
Cindy Sherman comme
égérie. Trois personnages
ont été créés pour l’occasion
par l’artiste américaine.
Contrary to its
glam image, the cosmetics
brand Mac has chosen
Cindy Sherman as muse.
The American artist created
three special characters.
Artligue est une
nouvelle structure d’édition
de photographies et d’objets
à tirage limité qui devrait
voir le jour cet automne.
Inspirée du modèle des
multiples, elle s’appuiera
sur un site Internet
et une galerie
physique au 9 rue des
Arquebusiers (3 e ). Artligue a
été imaginée par Christophe
Eon, qui dirige par ailleurs
Janvier.
Artligue is a new
publishing organisation
specializing in photography
and limited-edition objects
which should launch
this autumn. Inspired by
the model of multiples, it
will depend on its internet
site and a
physical gallery at 9 rue
des Arquebusiers (3 rd ).
Artligue is the brainchild
of Christophe Eon, who also
runs Janvier.
Vous avez aimé les
chaises désignées par
Pharrell Williams ?
Vous adorerez les vêtements
Kanye West ! Le rappeur
américain projetterait
ainsi une diversification
côté mode avec sa propre
marque.
You liked the chairs
designed by Pharrell
Williams? You’re going
to love the clothes Kanye
West! The American rapper
plans to expand into
fashion by launching his
own brand.
La 2 e édition de
Planche(s) Contact, le
festival de photographie
de Deauville, se tiendra du
29/10 au 30/11. Invités : David
Armstrong, Massimo Vitali,
Marchand & Meffre, plus des
résidences d’étudiants de l’Ecal
et du Royal College of Art.
The 2 nd edition of
Planche(s) Contact,
Deauville’s photography
festival, will take place from
29/10 to 30/11. Guests include
David Armstrong, Massimo
Vitali, Marchand & Meffre,
plus residencies from
students from the ECAL and
the Royal College of Art.
The Good Life, un bon
titre pour un masculin
hybride, news et lifestyle,
prévu pour le 19 octobre.
C’est l’équipe d’Idéat qui
a initié le projet de ce
nouveau trimestriel.
The Good Life, a good
name for a hybrid news and
lifestyle men’s magazine,
is planned for the 19
October. It’s the Idéa team
who are behind this new
quarterly project.
La nouvelle identité de
Paris Photo a été confiée
à Cléo Charuet. La foire
fera par ailleurs paraître
Plateforme (Éd. Steidl), un
livre en forme d’état des
lieux de la photographie.
Paris Photo’s new identity
has been entrusted to
Cléo Charuet. In addition, the
fair will launch Plateforme
(Éd. Steidl), an inventory of
contemporary photography.
Sans cesser sa
collaboration avec Mugler,
son directeur artistique
Nicola Formichetti devrait
lancer sa propre marque
l’année prochaine, même
si quelques pop-up stores
devraient en dévoiler
l’esprit dès cet automne
à New York.
Without ceasing his
collaboration with Mugler,
its creative director Nicola
Formichetti will launch his
own label next year, though
some pop-up stores should
reveal its spirit from this
autumn in New York.
La marque parisienne
Surface to Air a inauguré
une boutique new-yorkaise
sur Mercer Street.
The Parisian brand
Surface to Air has
inaugurated a store in New
York, on Mercer Street.
Les Arts décoratifs
présenteront une
rétrospective de l’un des
photographes phare des
années 80 : Jean-Paul
Goude. Également DA,
Goude a investi autant la
mode, la publicité et les
arts vivants. À partir du
11 novembre.
The Decorative Arts
Museum will present
a retrospective of Jean-
Paul Goude, one of the
leading photographers of
the 80s. Also an artistic
director, Goude worked
across fashion, publicity
and the performing arts.
From 11 November.
Le succès des boutiques
et produits Monocle fait
réfléchir et le fanzine
berlinois Mono Kultur
relance son site marchand
,
s’ouvrant ainsi à de
nouvelles collaborations.
The success of the
Monocle shops and products
gives food for thought and
the Berlin fanzine Mono
Kultur has relaunched its
online shop , paving the way for
new collaborations.
La marque Look, plus
connue dans le monde du
vélo et du ski, prépare un
repositionnement sport et
mode avec une ouverture de
boutique prévue à quelques
encablures de Colette, suivie
d’autres à Gstaadt, Crans
Montana ou Megève.
Look, the brand best
known in the worlds of
cycling and skiing, are
preparing to reposition the
brand as sport and fashion,
opening a store a few
hundred yards away from
Colette, followed by others
in Gstaadt, Crans Montana
and Megève
Fontanesi + Lee,
un nouvel agent de
photographes voit le
jour à Paris, représentant
Emanuele Fontanesi,
Matteo Montanari, Quentin
de Briey, Elle Hagay.
Fontanesi + Lee, a new
photographers agency,
opens in Paris, representing
Emanuele Fontanesi,
Matteo Montanari, Quentin
de Briey, Elle Hagay.
Les noms de parfum
indiquent-ils quelque
chose de l’esprit du
temps ? Coup d’œil aux
nouveautés de cette rentrée :
du romantique Madly
de Kenzo ou Candy de
Prada, on passe aux fleurs
intenses : Dahlia noir de
Givenchy ou carrément
le Vitriol d’œillet de
Serge Lutens, pour croiser
l’oblong Body de Burberry
et le cœur à facettes
Loverdose de Diesel.
Do perfume names
reveal something about
the spirit of the times? Let’s
take a look at this season’s
new releases: the romantic
Madly from Kenzo, or
Candy from Prada, moving
on to the intense florals
Dahlia Noir from Givenchy
or Vitriol d’œillet by Serge
Lutens, or the oblong Body
by Burberry and Diesel’s
faceted heart Loverdose.
Une regrettable erreur
s’est glissée dans notre
dernier numéro et nous
prions nos chers lecteurs
de bien vouloir nous en
excuser. Contrairement à ce
que nous avions indiqué,
la collaboration entre
Bruno Collin et Diesel à
la direction artistique n’a
jamais cessé et se poursuit
maintenant depuis plus
d’une année. Bruno Collin
collabore toujours au sein
du magazine Wad, dont il
est l’un des fondateurs.
An unfortunate error
appeared in our last issue
and we ask our dear
readers to please excuse
us. Contrary to what we
published, the collaboration
between Bruno Collin
and Diesel on the artistic
direction has never ceased
and continues today for
more than a year. Bruno
Collin is still part of the
team at Wad, of which he is
one of the founders.
MAGAZINE N O 5
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MAGAZINE N O 5
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MAGAZINES
VIRGINE
États-Unis, semestriel, 196 p., n o 1, 230 x 300 mm, 15 €
virginemag.com
Oui, Virgine avec un « e » ; c’est-à-dire que sans « e », c’était déjà déposé par une marque
qui multiplie les produits dérivés, dont une publication. Donc un nouveau magazine,
sous le signe de la virginité et plein de bonnes résolutions : mêler les acteurs
reconnus de la profession et les talents émergents (les deux étant interviewés et portraiturés),
avec une pointe de caritatif et même une fenêtre pour quelques blogueurs
des cinq continents – enfin, quatre. Au fait, je précise : « la profession », c’est la photo
de mode, vu que Virgine est édité par un agent de photographes, studio, producteur,
etc. Mais rien d’étonnant jusque-là : le magazine est de bonne facture, un peu
lisse mais parfaitement maîtrisé ; les choix sont justes et le casting intéressant – John
Baldessari, Azzedine Alaïa, entre autres. Ce que Virgine a de nouveau c’est qu’il ne
fait plus semblant : c’est un magazine « B to B ». Pas une page de pub sinon pour une
association caritative qui récolte des fonds après le tremblement de terre japonais. Pas
d’idée de papier, pas d’angle ; juste quelques idées de séries mode, s’effaçant devant un
goût prononcé pour le remake ; une longue série sur Madonna mixant ses différentes
périodes, des portraits mythiques réinterprétés avec de jeunes mannequins… Virgine
fait montre de son savoir-faire, comme un book le ferait. Cela peut-il intéresser au-delà
de la profession ? Probablement pas, mais le titre s’inscrit dans la lignée d’un Industrie
magazine ou Contributors… c’est qu’une tendance se dessine.
EXTRAIT
AZZEDINE ALAÏA’S
Azzedine Alaïa’s showroom/shop/workshop/office feels time less. The flow
is covered in parquet; the rooms are filled with natural daylight from the
large window. The walls and brick towers supporting the ceiling are a dazzling
red. Neither too retro no too futuristic, the creations of the Tunisianborn
designer are set out in harmony with the design of the room.
Holder of two fashion Oscars, Alaïa doesn’t have to worry about his place
as one of the greatest in the history of fashion. But skills come with hardships,
patience, and enduring passion. Since a young age, he was fascinated
by the creations he discovered in the copies of Vogue. At Guy
Laroche, Alaïa launched his first collection of ready-to-wear for Charles
Jourdan in the ‘70s. It was in the ‘80s that Alaïa impressed the fashion
world by focusing on perfectly fitted fabrics that embraced the shape of
bodies and exposed the chic and sensuality of this subjects.The creator is
seen as both a designer and an architect.
He created innovative and amazing outfits and developed a strong clientele:
Grace Jones (with whom he still works closely), Madonna, Naomi
Campbell (who became his muse), and more recently, Michelle Obama.
What struck me first and most about him was his radiant personality
and energetic character; he invited me to join him at the table along with
his team. Azzedine Alaïa loves to laugh. He challenged one of this team
members to eat a dangerously spicy sauce and proved that he could eat
large amounts of it himself. I was having breakfast with a legend of fashion,
yet I witnessed his respectful humanity.
What triggered you to get into fashion?
I was helping Madame Pinot, a midwife that helped in giving birth to
my whole family. I told her that I liked to draw. She gave me books, pamphlets
to art exhibitions, and my first book of Picasso. She registered me at
the School of Fine Arts against my father’s will. I passed the exam and got
accepted. My father was a wheat farmer and lived far from Tunis, where
I lived. My father didn’t give us children money to live, so very soon I
found a job in a very small shop, 5 square meters. The owner was looking
for someone to finish up the dresses.
[…] Eric Waroll p. 134
EDITOR IN CHIEF :
Ryan Yoon
CREATIVE DIRECTOR :
Hissa Igarashi
ART & PHOTO DIRECTOR :
Seiji Fujimori
PUBLISHER:
Artistic cube inc.
MAGAZINE N O 5
18

MAGAZINES
LOVECAT
États-Unis, semestriel, 80 p., n o 1, 270 x 420 mm, 8 €
lovecatmag.com
Puisque le propos d’un magazine de mode est d’attraper l’air du temps, Lovecat a
choisi de se concentrer sur les mannequins, premiers ambassadeurs du vêtement. Le
magazine se présente donc comme une galerie de portraits – avec questions courtes
et factuelles – de mannequins jeunes ou plus expérimentées, girly ou plus femme. La
sélection elle-même nous informe sur l’époque, mais les situations des shoots aussi :
de la série de polaroïds au go-see en passant par la série plus posée. Pensé comme
un multibook, Lovecat adopte un papier de fanzine, léger, un peu gris, qui l’éloigne
du glamour de la mode pour le replonger dans le brut du making of qui précède.
Quelques noms émaillent l’ours, Ellen Von Unwerth, Kate Moss… mais ce sont les
inconnues qui offrent ce sentiment de réalité et d’artificiel si proche. Maquetté comme
un fanzine grand format, avec typo peinte et pages déchirées/collées, Lovecat se situe
donc dans un avant de la mode, qui s’adresse plus aux faiseurs et aux initiés, et que
l’apparente absence de mise en scène interpelle.
EXTRAIT
MODEL VS ROCKSTAR
Kid Cudi interview top Jessica Gomes
I always wanted to know, what’s a day in the life like for a super model?
It all depends on where I am in the world. But a basic day is: I get up,
brush my teeth and go to training for an hour. If I’m shooting ill head
to my job and shoot all day…usually sometimes after a job ill have to fly
overseas, most of my time is spent on planes, airports and cars! I travel a
lot so I never have a specific schedule! My days are always different, nothing
is ever the same! I’m always on my phone or on my computer taking
care of business.
As a model you’ve been killing it for years. From elegant runways to
major ad campaigns to some of the world’s biggest magazines. Your very
prolific with your life as a model, but I know you have other interest. What
are some of you other goals you wish to accomplish in the near future?
I really want to create a product that represents me, that people can enjoy.
Whether it’s perfume, or a denim jeans line or a label. I love fashion and I
love the creative process of it all. Right now I’m working on a fragrance, so
it’s exciting because I get to be the director/boss of my own bran! There’s
so much I want to do! I want to travel more, I want to eat amazing food an
explore more of New York city and I want to document everything. I want
to have a family with an amazing man and I really want to be a great
mother that my children can look up and I can be there best friend. I want
to build my dream home and just be really happy and healthy!
I noticed you travel a lot, where’s your favorite place to go on this planet
when you wanna just chill out and take a break?
I always love going to Miami and chilling on the beach with my girlfriends.
Or I love just going home to Perth where my whole family lives
and chill there. Because it’s s quiet and away from the rest of the world
one of my favourite beaches is Cottesloe beach in Perth! So beautiful
and remote.
It seems really intense on those runway shows,what was your first experience
like? Were you nervous?
Yes! I always get nervous before a show, but as soon as I step out on the
catwalk, I enjoy it so much! I love fashion shows, and I love walking to
the music and looking all sexy walking down the runway.
[…] Jessica Gomes p. 79
EDITOR IN CHIEF :
Marie Birde
ART DIRECTION :
Sandberg & Timonen
EDITOR :
Marie Jobelius
CONTRIBUTING EDITOR :
Anja Cronberg
PUBLISHER :
Livraison
MAGAZINE N O 5
20

MAGAZINES
BULLETT
États-Unis, trimestriel, 228 p., n o 3, 230 x 175 mm, 10 €
bullett.tv
Ce qu’il y a de bien avec la presse de style, c’est qu’elle est capable de toujours inventer
de nouvelles règles du jeu. Ce troisième numéro de Bullett, new-yorkais de son état,
est comme une succession de rencontres, à la manière d’un Interview magazine. Mais
la galerie de portraits dénote : pas de people avec un P majuscule, beaucoup d’acteurs
et de réalisateurs du cinéma indépendant américain, donc des visages peu connus…
et ça change tout. Structuré comme une machine à promo, Bullett se mue en fenêtre
sur une partie de la création contemporaine, puisqu’on y croise aussi des musiciens
et des plasticiens. Et ces entretiens sonnent comme des récits d’expériences, des trajectoires
qui ont provoqué des possibles, qui ont fait quelque chose à partir de rien ou de
peu. On sent d’ailleurs dans ce magazine l’état d’esprit new-yorkais du moment : assez
affecté par la récente crise, par une sorte de rétractation, et contraint de provoquer le
réel pour que les choses adviennent. L’habileté formelle de Bullett est de traiter d’art et
de culture dans ses textes en les juxtaposant à des images de mode ; il signe ainsi que
l’imagerie dominante n’est plus l’esthétique des magazines de musique ou de cinéma
mais le langage visuel de la mode, qui a envahi toutes les scènes. Dernière curiosité,
enfin : pas une page de publicité dans ce 3 e numéro, pas plus que sur le site du titre.
On leur souhaite un mécène, mais on pense plus probablement que leurs activités
annexes ont à voir avec la production d’images, fixes ou animées.
EXTRAIT
EDITORS LETTER
I a genuinely concerned about Generation Next. Recently, it seems
that the early stages of life have been expedited an kids have been
cartwheeling before they can walk, skipping essential steps on the empirical
hike to adulthood. There is a natural course of progression that
takes place between each rite of passage, a series of events that happen
between two crucial turning points in life. This natural stage of adolescence,
marked mainly by unyielding questioning, contemplating an
fantasizing through previously inevitable sequences of growing pains,
is now waived by the shrewdness of today’s over-informed and misguided
youth. This generation is inevitably writing its own history, but
the chapters they skip leave them unprepared for the challenges ahead.
When experiences are being force-fed with a cyber spoon, one doesn’t
feel the need to go out there and look for a tangible one. Dating is almost
extinct. Relationships are defined as two people getting entertained together.
In the absence of self-preservation, the excitement of getting
to know someone fails to last, as most relationships are characterized
by being temporarily inseparable. They leave no room to miss,
dream and wish.
I distinctly remember the intensity of first love. Though we never spoke,
I spent the better part of my adolescence thinking about it. What is there
to think about when you know nothing? You assume. You pick a body
and make up the rest; give him a personality. You fill in the blanks –his
thoughts, his voice, and his habits and then you obsess. Investigating
his availability, figuring out his schedule, planning accidentally on
purpose run-ins, unashamedly stalking him these are all fixations
that made adolescence bearable. Platonic love is an individualistic experience,
as the relationship solely exists in the mind of the dreamer.
Unlike real relationships, no one can take it away from you. Fueled by
adolescent hormones, a love junkie’s target of affection is almost unimportant.
It is the high that matters.
The high comes to a climax when the wish unfolds into reality. When
the accelerating fantasy materializes, you feel the ultimate power of
wishful thinking. (2197 caractères). Extrait
[…] Idil Tabanca p. 11
EDITOR IN CHIEF :
Idil Tabanca
CREATIVE DIRECTION :
Sah D’Simone
ART DIRECTOR :
James Orlando
FASHION EDITOR :
Evren Catlin & Julianne Lehmann
PUBLISHER :
Bullett
MAGAZINE N O 5
22

MAGAZINES
THE PLANT
JOURNAL
Espagne, semestriel, 124 p., n o 1, 200 x 270 mm, 12 €
theplantjournal.info
L’écologiquement correct agace depuis un certain temps déjà, notamment l’urbain, qui
n’a avec la nature que des rapports assez aseptisés. Mais presque à l’opposé des différents
diktats environnementaux, il y a les rencontres quotidiennes avec la nature :
un légume, une fleur, un arbre, fût-ce sur un marché, dans un jardin public ou un
livre. Par un effet de contraste, la vertu d’une plante verte se trouve augmentée dans
un tel cadre urbain. Les trois fondatrices de The Plant Journal – toutes trois espagnoles
– ont donc consacré un magazine sur le sujet de la plante et livrent un ovni
dans le champ des magazines de style ; paysages, jardins, conseils pour ses boutures
ou son jardin domestique… Ça donne une sorte de Rustica chic, puisqu’on y croise
les plantes de Mark Borthwick, les bouquets de Scheltens & Abbenes ou encore les
Doubleplants de Bless… Des modes d’emploi, mais aussi des récits de fiction ou une
anthologie des films de Rohmer du point de vue végétal… The Plant Journal adopte un
ton léger, presque intemporel. La DA lorgne du côté de l’esthétique néerlandaise d’un
Gentlewoman (papier gris, composition des titres), mais ça semble devenu un standard
aujourd’hui. Les natures mortes sont « naturellement » présentes, tout comme les illustrations,
qui donnent un relief irréel et imaginaire au magazine, un peu trop réaliste
sinon. The Plant Journal s’inscrit dans la lignée d’un Apartamento, aujourd’hui devenu
un succès, mais il n’est pas qu’un magazine de passionnés de jardinage urbain et il
devra le confirmer pour son deuxième numéro.
EXTRAIT
MY STAGHORN STOY
This first time I came into contact with this plant as after my boyfriend’s
mother moved out of her office space. She decided to give her plant
to me. I was very pleased and immediately took joy in hanging the
new staghorn fern abovemy, at thetime dreary-looking, dining table.
My housemates and my boyfriend all benefitted from a daily glimpse
of the tropics. As a confessed Wikipedia addict, I didn’t hesitate to look
up, however to my dismay there was little information. Thus I began
scrawling around for more info elsewhere. Discovering that the species
was native to tropical and temperate zones including Australia, I felt
instantly at home. A little green goes a long way. After getting used to
the hint of colour, we decided we wanted more life surrounding us; so
went hunting for more. It was the beginning of our little rainforest in
amidst an industrial city littered with grey concrete slabs and unforgiving
metal constructions. The plants provided a sanctuary and coming
home was exactly the thing I needed to unwind. As the months went
on, something quite curious happened to me. Though I’d heard about it
happening before, I was oddly surprised –I started to talk to the plants,
treating them like pets. It must be common among gardeners and plantloved,
I reminded myself.
The down fall of the staghorn fern started when my boyfriend and I
went on vacation. We gave precise instructions to our housemate to take
care of all our plants, hoping that upon arrival they would still be alive.
Normally these plants need a semi-lit place in the house –direct light
is not recommended. We usually water them every one and half to two
weeks with one cup of water. So inevitably, after one month away, the
plant had suffered and welcomed us home with droopy, lifeless tentacles.
I was super sad, not to mention annoyed t my careless housemate.
Anyway, we thought we’d try a rescue plan! Again, consulting the digital
realm, I read other testimonials for advice: reports, articles, etc. But to
no avail. We stumbled across a plant shop quite close to our house selling
the exact same plant only much healthier and happier.
[…] Amy Wu p. 54
DIRECTION :
Cristina Merino, Isabel Merino
& Carol Montpart
EDITOR IN CHIEF :
Cristina Merino
ART DIRECTION:
Isabel Merino & Carol Montpart
PUBLISHER:
The Plant Journal
MAGAZINE N O 5
24

MAGAZINES
1883
Angleterre, semestriel, 256 p., n o 2, 230 x 300 mm, 14,50 €
1883magazine.com
En général, un magazine de mode combine deux démarches : des séries mode et des
rencontres (entretiens, portraits…). Mais ce nouveau magazine de mode, dont c’est le
2 e numéro, a opté pour le deux-en-un : chaque série mode donne lieu à l’interview du
photographe, de la styliste ainsi que du mannequin, même si elle a 14 ans. Au moins,
on ne peut pas se méprendre sur le projet éditorial : la promotion des différents intervenants
des séries. Et 1883 ne s’en cache pas : il cherche à découvrir les nouvelles têtes,
les nouveaux photographes et designers. Bon, c’est un peu hermétique, alors on peut
aussi lire un long entretien avec Wendy Dagworthy, professeur et responsable de la
mode au Royal College of Art, ou encore une rencontre avec les responsables mode
d’Harrods, qui inaugure un espace jeunes créateurs. L’ensemble reste assez lisse, et la
DA qui zoome dans les textes ou les interviews en une colonne peu lisibles ne font
pas un style. Dirigé par une styliste, 1883 est donc un nouveau venu, décomplexé et
pratique pour qui évolue déjà dans le domaine de la mode.
EXTRAIT
WENDY DAGWORTHY.
An OBE winner, a founder of London Fashion Week, and a crucial member
of the British Fashion Council – you name it she’s done it, and probably
even designed the t-shirt !
From label to legacy if you have any interest in pursuing a career in
fashion you need to soak this up PRONTO. Wendy Dagworthy takes
times out to chat to me about her collections, her up and coming graduates
and how to pack the perfect weekend bag. Check this out, it’s a blinder!
Wendy, congratulations on your OBE? How does that feel?
Good, feels really great I’m absolutely thrilled. I got a letter just before
Christmas; it was this form you had to fill in, if you were proposed would
you accept it? So of course I said yes. I would! You don’t hear anything
else from until it’s published in the paper New Years Eve s that’s a bit
scary. You just never know! “did they forget me, say, they don’t get the
letter back? But I don’t think that happens a lot. “The post was awful at
the time so I called them to make sure. The woman was like “Yes we
have received it don’t worry”. I’m over the moon. “It’s so nice to heve
recognition of that scale.”
Wow, that sounds amazing Wendy, what is the dress code then?
It’s day dress for women, preferably with a hat and smart trouser suits
may be worn! I’m wore a hat one of our graduates made from last year,
she’s so great, it’s black plastic, and a Betty Jackson dress.
So let’s take it all the way back, when you were a nipper at school. Did you
do domestic science at school? What was the first thing you ever made?
Yeah we did do domestic science at school, but that was more cooking
which I was pretty hopeless at. We were taught things like how to make
a bed properly, how to iron, (with a flat iron I might add,) which we
heated up on the cooker! It was so archaic it was unbelievable. We had
a really scary teacher and that never encourages anyone. We did needle
work, which I don’t think they do anymore, but yes we made things and
were taught embroidery. My father built me a dolls house and I used to
play with it endlessly and make clothes for the little dolls and curtains
for the house. You know those washing up bowls?
[…] Elle Loveday Rose Lockhart p. 114
EDITORS IN CHIEF :
Alicia Tomlison
CREATIVE DIRECTOR :
Jay Mitchell
FASHION EDITOR :
Filippo Giuliani
FEATURES EDITOR :
Julie Slavin
PUBLISHER :
1883 publishing ltd.
MAGAZINE N O 5
26

SEAU À CHAMPAGNE
MOCASSINS
CRÈME
BOUGIES
PARFUM
BARRETTE
PLANTE
290 €
580 €
62 €
55 €
82 €
50 €
5 €
1 124 €
SHOPPING
1124 e
Photographie : Nicolas Coulomb
Direction artistique : Florence Tétier
Stylisme : Clémence Cahu
Assistance styliste : Emma Jeanmaire
Le noir et le blanc sont vos amis, ainsi que ces mocassins
pointus (580 € chez Céline) et aussi cette crème riche pour
le corps (62 € chez Dyptique). Cet automne, vous optez pour
la queue de cheval et ne quittez plus cette barrette (50 €
chez Sylvain Le Hen). À la maison, ce sera cosy, grâce à la
lumière chaude des bougies camées (55 € chez Cire Trudon),
mais le seau à champagne (290 € chez Maison Martin
Margiela) singera le bricolage et non le trois étoiles. Un peu
de nature vous sauvera, peut-être, avec cette mini plante (5 €
au Bon Jardinier) ou encore cette Black Orchid de Tom Ford
(82 € chez Séphora).
MAGAZINE N O 5
28
MAGAZINE N O 5
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STYLO MONTBLANC
MASCARA
POT À LAIT
CRÈME
BOUGIES
CHOCOLAT BLANC
MANUCURE
DÉFENSES
720€
23 €
17 €
70 €
30 €
3 €
15 €
246 €
1 124 €
Autre mot d’ordre : prendre soin de soi. Une crème pour le corps (70 € chez Balenciaga), une
manucure (15 € à l’Onglerie) et une touche de mascara (23 € chez Clarins) pour le contraste.
Vous avez décidé de le faire savoir et ce stylo Ingrid Bergman (720 € chez Montblanc) vous sera
précieux dans cette entreprise, puisque les occasions de lire une calligraphie à la plume se
font rares. Un caprice : votre pot à lait (17 € chez Merci) doit être transparent et ressembler à
une brique ouverte. Vous êtes prévoyante et pensez à un futur dîner aux chandelles (30 € chez
Cire Trudon) dont vous ne connaissez pas encore l’invité, et vous imaginez l’histoire que vous
raconterez à propos de ces défenses d’éléphanteau, achetées au marché noir (246 €) dans un
pays mystérieux, le tout en dégustant du chocolat blanc (3 € chez Monoprix).

Vous aimez les animaux mais, comment dire,
ça se manifeste par ce genre d’idées : une
bague hérisson (4 090 € chez Boucheron), et
même quand vous choisissez une plante (7 €
au Bon Jardinier), elle doit être carnivore. L’été
se termine et vous regardez vos lunettes de
soleil (165 € chez Persol) plus que vous ne les
portez. La rentrée se profile : avec ses carnets
(14 € chez Astier de Villatte), ses stylos à bille…
et même votre parfum est une réminiscence
de l’école (Encre Noire Lalique, 65 € chez
Séphora). Vous dépensez sans compter mais
avez la chance du débutant ; dans votre étui
de poche (234 € chez Maison Martin Margiela),
un ticket de loterie vous gratifie de 3 466 €.
BAGUE HÉRISSON
LUNETTES DE SOLEIL
PARFUM
CARNET
ÉTUI CUIR
STYLO
PLANTE
JEUX
4 090 €
165 €
65 €
14 €
234 €
15 €
7 €
-3 466 €
1 124 €
MAGAZINE N O 5
32

Pour cette rentrée, vos bonnes résolutions riment avec retour à
la ferme ; enfin… tout en restant en ville. D’abord bien manger,
avec un panier bio (33 € sur panier-bio-paris.fr) par semaine
pendant quatre mois. On dirait que le végétal attire l’animal ;
heureusement, le lapin s’est métamorphosé en lampe (45 € chez
Bonton). Enfin, à la nuit tombée, c’est ingénument accompagné
de cette brique de lait (sac Milk Box Olympia Le Tan, 750 €
chez Colette) que le clubbing peut reprendre ses droits.
SAC
LAMPE
PANIER BIO
750 €
45 €
329 €
1 124 €

Vous ne trouvez plus vos sandales (800 € chez
Dior) ? Elles sont peut-être derrière la porte,
que cet œuf d’autruche (230 € chez Maison
Martin Margiela) cale maintenant fermement.
Vous auriez pu ranger vos pastels (9 € chez
Rougier et Plé) ou votre boule d’élastiques
(5 € chez Muji), mais vous aviez rendezvous
chez le coiffeur (80 € chez Sylvain Le
Hen) et plus rien ne compte alors pour vous.
ŒUF CALE-PORTE
SANDALES
COUPE DE CHEVEUX
ÉLASTIQUES
PASTELS
230 €
800 €
80 €
5 €
9 €
1 124 €
MAGAZINE N O 5
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WWW.PARISPHOTO.FR
PHOTO VIVIANE SASSEN. COURTESY STEVENSON, CAPE TOWN AND MOTIVE GALLERY, AMSTERDAM. — ART DIRECTION CLÉO CHARUET
TEXTES
P.40 : INTERVIEW
ÉTIENNE RUSSO
P.44 : IMAGES
DOUBLE JEU
P.46 : BIOGRAPHIE
CALVIN KLEIN
P.50 : LEXIQUE
LE DÉFILÉ
P.54 : CHRONIQUE
MODE ET MONDANITÉS
P.56 : OFF RECORD MODE
L’EXPOSITION ET LE LUXE
10 . 13 NOV 2011
GRAND PALAIS
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MAGAZINE N O 5
39

INTERVIEW
ÉTIENNE RUSSO
Né en Belgique, de parents italiens, Étienne Russo a fait l’école hôtelière de
Namur avant de devenir mannequin et barman dans la boîte de nuit bruxelloise
le Mirano au début des années 80. Promu directeur artistique de ce club, il se lie
avec les jeunes stylistes anversois qui posent alors les bases de la mode belge.
Débute une longue collaboration avec Dries Van Noten,
dont il prend en charge la production des défilés.
Suivront des collaborations avec Hermès, Chanel,
Hugo Boss, Céline, Sonia Rykiel… 700 défilés et événements
en 22 ans de carrière, mais une constante : une
touche de surréalisme en empreinte sur nombre de ses
projets – esprit belge oblige.
En quel sens ?
La mode me passionne, car elle raconte des
choses sur les gens qui la porte. On s’habille toujours
pour des raisons précises : pour se faire respecter au
boulot, se faire baiser, montrer sa réussite ; pas juste
parce qu’il fait froid et qu’il faut bien se couvrir. Et puis
cela donne de l’énergie : un T-shirt qui vous va bien, ça
vous porte !
[…] On pouvait autrefois
faire traverser Paris aux
journalistes ; il faut maintenant
se coller à proximité du défilé
précédent et pas loin
du suivant. La presse n’a
plus le temps – et ne souhaite
plus se déplacer
Vous avez débuté avec Dries Van Noten.
Nous avons organisé son premier défilé à
Paris, en 1991 dans les sous-sols de l’hôtel Saint James &
Albany. On avait construit un petit théâtre à l’italienne
orné d’un soleil que l’on tirait à l’aide d’une corde, une
toile peinte descendait et remontait pour illustrer la tombée
de la nuit ; c’était naïf et poétique. On a créé beaucoup
de décors avec Dries Van Noten, même s’il préfère
aujourd’hui s’inscrire dans des lieux qu’il met en valeur
à travers un travail de lumière, un parcours spécifique
des mannequins et un placement du public déstructuré.
Quelles activités recouvre votre métier ?
C’est à géométrie variable ; cela va du choix de
la salle à la conception d’un décor en passant par la
chorégraphie des mannequins. Cela concerne tout ce
qui touche l’organisation des shows ; disons que c’est
un mélange entre production, scénographie et direction
artistique. À mes débuts, je faisais même la cuisine
pour Dries !
En vingt-deux ans de carrière, qu’est-ce qui vous
semble avoir le plus évolué ?
Le temps. L’accélération du temps. À tous les
niveaux. Les défilés duraient 30 minutes à la fin des
années 80, ils sont aujourd’hui expédiés en moins d’un
quart d’heure. Je passais à mes débuts quatre jours à
Paris et je visitais 80 lieux pour en proposer 20 à mes
clients. Aujourd’hui, quand j’en ai trois à recommander
c’est extraordinaire. Les raisons sont multiples, mais la
principale difficulté réside en un calendrier de présentations
surchargé : 10 à 12 shows par jour ! On pouvait
autrefois faire traverser Paris d’un bout à l’autre aux
journalistes, il faut maintenant se coller à proximité du
défilé précédent et pas loin du suivant. La presse n’a
plus le temps – et ne souhaite plus se déplacer. Et si on
l’y oblige, mieux vaut avoir de bonnes raisons de le faire,
au risque de voir débarquer un public énervé… et encore
plus remonté à la sortie si la collection n’a pas plu.
Dans les années 90, mouvance grunge oblige, la
vogue était aux défilés dans des entrepôts désaffectés,
des salles de concerts et autres terrains vagues. Plus
franchement l’humeur du moment…
Il y avait une forme de légèreté dans la première
partie des années 90 ; les créateurs étaient à la
recherche d’endroits atypiques et pleins de charme pour
présenter des collections assez arty. Dans la seconde
partie de la décennie, avec l’arrivée de gens comme Tom
Ford chez Yves Saint Laurent, les défilés sont devenus
des grosses productions. C’était à qui ferait le plus
grand, le plus fort, le plus cher… La crise de 2008 nous
a ramenés à des choses plus parcimonieuses.
On a connu l’engouement des présentations « séances
de travail » réservées à quelques happy few, les
mégas shows des géants du luxe, comment défile-ton
aujourd’hui ?
L’important, c’est d’être au plus
près de l’univers du créateur. Avec
Phoebe Philo, pour les décors de Céline,
on recentre au maximum. Le résultat a
souvent l’air extrêmement simple, mais
cette simplicité découle d’une multitude
de pistes ; parfois jusqu’à 40 propositions
différentes, rien que pour le
choix d’un sol qui colle parfaitement
aux murs et prenne bien la lumière. Il
y a des gens plus expansifs, comme Karl
Lagerfeld, qui ont des visions de décors
narratifs. Pour Chanel, il peut décider de
transformer le Grand Palais en jardin à
la française ou d’y reproduire la Place
Vendôme. Mais d’une façon générale, les
choses demeurent assez allusives.
Les passages des défilés sont aujourd’hui relayés dans
la presse et sur Internet par des photographies frontales
prises en bout de podium, hormis dans quelques
quotidiens et de rares retransmissions télévisées, on
perçoit moins l’ampleur des décors.
Il ne faut pas oublier que dans les années 80,
quand les défilés se déroulaient sous des tentes à la
cour carrée du Louvre, les photographes se plaçaient
tout autour du podium, on bénéficiait donc d’une plus
grande diversité d’images. Les photographes faisaient
d’ailleurs partie du show, on les voyait circuler, interpeller
les mannequins. Les filles posaient pour eux,
effectuant des arrêts sur le catwalk. Tout cela avait un
côté bon enfant. Les défilés étaient un peu improvisés :
on montait un podium, on fixait trois spots, on branchait
la musique et on lançait les filles ! Le métier s’est
depuis beaucoup professionnalisé et plus rien n’est
laissé au hasard.
Les mannequins ne prennent d’ailleurs plus vraiment
de poses sur les podiums…
La manière même de défiler a changé. À
l’époque, c’étaient des femmes – et je dis bien des
femmes – qui défilaient. Aujourd’hui, ce sont des filles
entre 16 et 20 ans. L’attitude ne peut pas être la même.
Les supermodels de la période Naomi Campbell, Christy
Turlington et Linda Evangelista jouaient, j’ai envie de
dire, sur scène. Les filles d’aujourd’hui ne jouent pas,
elles marchent. L’idée même de scénographier les
shows est devenue compliquée. D’abord parce que les
filles elles-mêmes ne sont pas là-dedans ; jouer ne les
intéresse pas, cela ne vient pas naturellement. Et puis
pour développer des scénographies, il faut du temps.
Et le problème, une fois encore, c’est qu’en raison de
ce calendrier ultra chargé, les mannequins sont peu
disponibles. On pouvait autrefois négocier de les faire
venir cinq heures avant le show pour organiser des
répétitions, aujourd’hui c’est trois heures grand maximum.
Dans ce laps de temps, elles doivent se faire
coiffer, maquiller, habiller… Mais bon, j’ai trouvé la
solution ; quand le show prévoit des déambulations
compliquées, je fais appel, non pas pour l’attitude mais
pour construire le déroulé, à des figurants. Nous répétons
avec eux quatre heures la veille pour être parfaitement
calés. Le jour du show, quand elles arrivent, je
fais asseoir les mannequins à la place du public et les
figurants défilent pour leur indiquer le parcours. Dans
un premier temps, elles regardent, puis les figurants
les prennent par la main et ils font une fois le parcours
ensemble. Au troisième filage, les mannequins défilent
seules. C’est ce que j’ai trouvé de plus rapide !
C’est délirant !
Oui, mais indispensable. Et puis cela sécurise
les filles. Il faut bien comprendre qu’elles ont enchaîné
New York, Londres et Milan. Lorsqu’elles arrivent à
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[…] Les supermodels
de la période Naomi Campbell,
Christy Turlington et Linda
Evangelista jouaient, j’ai envie
de dire, sur scène. Les filles
d’aujourd’hui ne jouent pas,
elles marchent
Paris, elles sont déjà très fatiguées. Chaque nuit, elles
effectuent leurs essayages dans les Maisons jusqu’à
trois heures du matin ; elles se lèvent aux aurores pour
les préparatifs des premiers shows – qui débutent à
9 h 30 : comment exiger d’elles de la concentration ? ce
n’est humainement pas possible.
Quel regard portez-vous sur la nouvelle génération de
mannequins ?
Les stéréotypes physiques, féminins comme
masculins, sont calés depuis le milieu des années 90.
Quize ans, c’est assez long quand on y pense ! On ne
voit plus de filles avec des seins, ni de mecs baraqués ;
dans les deux cas, les corps sont assez androgynes. Les
physiques sont très formatés dans la mode ; on trouve
plus de variétés morphologiques dans le cinéma ou la
musique. Un créateur, qui a une plus grande proximité
avec le corps et le vêtement, vous en parlerait sans
doute mieux que moi, mais il me semble que les corps
actuels, assez stylisés, servent davantage le vêtement.
Des corps plus formés et donc plus présents, voire plus
sexuels, détourneraient l’attention.
Les podiums appartiennent au passé…
Si on en fait, ils ont tout au plus 7 cm de haut.
La façon de voir la mode a changé. Le podium, c’était
un truc des années 70 et 80 ; période où les stylistes
ont été déifiés créateurs. Le podium crée une distance.
Aujourd’hui, l’idée serait plutôt de mettre la mode dans la
rue, on défile donc au ras du sol pour plus de proximité.
Percevez-vous, entre New York, Milan et Paris, une
grande différence dans la façon de défiler ?
Paris ! Paris ! Paris ! Je suis fan de cette ville
pour mille raisons. D’abord parce qu’y défilent des collections
de stylistes venant du monde entier, d’où une
grande diversité de façons de présenter entre recueillement
à la japonaise et shows à l’anglaise. À Paris,
chaque talent développe son univers propre, d’où des
prises de risque scénographiques. À Milan – où 90 %
des marques qui défilent sont italiennes –, l’approche
est plus commerciale ; les shows se cantonnent le plus
souvent à des allers et retours sur podium. Tout est plus
standardisé : les choix musicaux, la lumière, les décors…
New York, hormis quelques talents qui se comptent
sur les doigts de la main : Thom Browne, Marc Jacobs,
Proenza Schouler, les sœurs Rodarte…
Nombreux sont ceux qui tentent des expériences
autres que le défilé pour présenter leurs collections,
comme des courts métrages. Pensez-vous que ces films
de mode puissent à terme remplacer les shows ?
Non. Les gens qui réalisent des films, souvent
très beaux d’ailleurs, sont pour beaucoup, avec tout
le respect que je leur dois, de jeunes créateurs dotés
de petits budgets ne leur permettant pas de défiler.
Le phénomène des films de mode est apparu avec la
crise et rencontre un succès via Internet. On assiste
aujourd’hui à une démultiplication des médias, en
plus des magazines traditionnels et de la télévision, il
faut désormais compter avec les blogs, les vidéos en
streaming, Twitter… Les films de mode ont leur place
dans ce contexte. Ils permettent de communiquer différemment
dans le cadre d’un marketing mix, mais ils
ne peuvent en aucun cas se substituer aux défilés, car
personne n’envisage sérieusement de ne présenter les
collections que sur le Net. Un défilé va au-delà d’une
simple présentation de vêtements, c’est un moment de
socialisation et une formidable machine à rêve. Sans
premier rang, Anna Wintour ne sera plus ce qu’elle est,
et Suzie Menkes, isolée derrière un ordinateur… Quand
on se rend à un show qui compte, il y a de l’électricité
dans l’air ! Rien ne remplacera jamais le plaisir de
voir une robe sur une fille évoluant devant vous. Un
modèle qui défile, c’est comme un plat qui passe dans
un restaurant, on sent l’odeur – l’air du temps –, cela
vous donne envie, vous ouvre l’appétit.
Quels sont les enjeux d’un show pour les marques ?
On est clairement dans le cadre d’une compétition
de haut niveau. Chaque créateur dispose de
huit à quatorze minutes pour marquer le plus profondément
possible son empreinte sur la saison. Il
faut que les journalistes aient envie de s’étendre sur
la collection dès le lendemain dans les quotidiens et
sur le Net – de façon positive si possible. Mais plus
que tout, il s’agit de marquer les esprits pour que
trois mois plus tard les rédactrices se souviennent de
vos pièces et les photographient. Il est donc important
de communiquer un message clair. Pour une
griffe, un défilé réussi repose sur la parfaite combinaison
entre make-up, musique, lumière, décor, scénographie,
attitude des mannequins et collection. Un
subtil mélange d’informations.
Et pour vous, c’est quoi un défilé réussi ?
Un moment suspendu.
Parallèlement aux shows, vous organisez de plus en
plus d’événements, quelles différences voyez-vous
entre ces deux activités ?
Un défilé, c’est cadré : on arrive, on s’assied, on
regarde, on applaudi et on file au prochain show. Même
s’il y a des moments de poésie dans la scénographie, de
la folie dans les passages, on ne prend pas son temps. Un
événement s’étale sur plusieurs heures. On communique
tout autant, mais il y a une partie de détente, on
joue avec le temps. Il faut donc développer des histoires
ponctuées de rebondissements. Cela passe par des décors,
des attractions, des buffets, de la musique…
La fête que vous avez organisée pour célébrer le lancement
de la collection de Sonia Rykiel pour H&M, sous
la verrière du Grand Palais, en 2009, reste culte.
C’était la crise. On allumait la radio dans la
voiture et ça déblatérait sur la crise. Au café, on ne parlait
que de ça ! En rentrant à la maison, à la télé : encore
la crise ! À un moment, j’ai dit stop : il faut retrouver un
peu de légèreté ! Et la mode est là pour ça ; pour apporter
du positivisme ! Je voulais que les gens retrouvent
cet émerveillement propre aux enfants. Qu’ils redeviennent
des enfants le temps d’un soir. Mon inspiration
résultait d’une escapade, quelques mois auparavant, à
Disneyland, avec mes enfants. J’avais adoré l’attraction
« It’s a small world » : tu pars en barque visiter les pays
du monde entier stylisés par des décors naïfs. Il y a
plein de petites lumières, des gens qui dansent, des
couleurs vives. Le travail fut de retranscrire cet esprit
dans le style Sonia Rykiel, six mois de travail… Mais,
l’inspiration, c’est toujours un peu ta vie.
Crise ou pas crise, on assiste à une démultiplication
des mondanités liées à la mode. Comment expliquer
ce phénomène ?
Les événements permettent d’inviter des gens
bien souvent négligés par le système de la mode, mais
pourtant importants, car faisant fonctionner toute la
machine, à savoir les consommateurs. Les défilés sont
réservés aux professionnels et à quelques « socialites »,
les fêtes permettent aux clients de participer au rêve.
Certaines Maisons invitent désormais leurs meilleurs
clients à voir leur show en streaming en temps réel
dans leurs boutiques, d’autres donnent des soirées à
tout casser. Je rentre de Chine, et là-bas les fêtes sont
démesurées. De ma vie, je n’ai jamais vu autant d’argent
dépensé, ni en Europe, ni aux États-Unis.
Qui se rend dans ces fêtes ?
Comme partout, des gens qui viennent asseoir
ou faire progresser leur image.
Vous organisez des événements dans les grandes capitales
de la mode, quelles différences percevez-vous ?
Il faut s’adapter à chaque ville. À New York,
mieux vaut être certain que sa manifestation se déroule
à proximité des autres soirées – surtout pendant une
fashion week –, car les Américains passent d’une fête à
l’autre. À Berlin, les endroits sont immenses, les gens
hauts en couleur. Paris, ce n’est jamais gagné d’avance.
On en a vu des fêtes dotées de gros moyens où, la sauce
ne prenant pas, les gens partaient vite fait… Paris, c’est
un public éduqué et, avouons-le, un brin snob. Mais
quand ça part, ça monte en flèche. Pour cela, il faut
savoir mixer les publics.
Vous développez également des décors pérennes.
Je ne suis pas architecte, mais j’ai réalisé un
concept store de 500 mètres carrés à Berlin, pour Hugo.
Ces rois du merchandising, capables d’ouvrir au doigt et
l’œil des boutiques ultraperformantes aux quatre coins
du globe, souhaitaient une approche plus conceptuelle.
Je viens également de terminer un musée d’histoire naturelle
dans une université à Manchester. Travailler avec
des scientifiques sur une exposition permanente, soulevant
des questions environnementales, programmée
pour durer quinze ans, m’a passionné. Dans la mode, mes
gestes architecturaux ne perdurent que le temps d’un
show, disons que je fais des polaroïds de l’air du temps…
Propos recueillis par
Cédric Saint André Perrin
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Thom Browne Fall-Winter 2011, ©B2 photographers pour Villa Eugénie
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IMAGES
DOUBLE JEU
Un défilé de mode et la campagne publicitaire qui l’accompagne se doivent
aujourd’hui de frapper toujours plus vite et plus fort ; il s’agit d’émettre
une image, une personnalité, une silhouette manifeste, suffisamment percutante
pour marquer le coup face à la concurrence.
[…] dans ce mouvement qui
va de l’église gothique au white
cube moderne, c’est peut-être
la volonté d’une création
qui soit capable de se mesurer
au temps qu’il faut lire
Or, ici, le cortège des campagnes publicitaires de cette
rentrée laisse apparaître une stratégie de communication
singulière : celle de la maison Balenciaga. À
rebours de l’efficacité promue par la plupart des grandes
marques, cette dernière multiplie les signes en ne proposant
pas une mais deux images dans les doubles
pages des magazines.
Faisons le point. À l’été 2011, le top Gisèle
Bundchen se dédouble pour deux photographies sensiblement
différentes l’une de l’autre. Sur la page de
gauche, c’est en couleur que le mannequin brésilien
apparaît, garçonne et méconnaissable, l’androgynie de
ses traits comme révélée par les blousons de cuir et une
mauvaise perruque ; sur la page de droite, elle pose à
nouveau dans une autre tenue, cette fois dans le cadre
arty d’un 6/6 en noir et blanc, en étrange et galante compagnie
dans les sous-bois, pour une atmosphère plus
surréalisante et sombre… La direction artistique auraitelle
refusé de choisir ? Le logo de la marque lui-même
se dédouble, pour se déployer sur la figure d’un origami.
Hiver 2011 et c’est un autre diptyque que Balenciaga
propose, en confrontant cette fois deux architectures : à
gauche, la pierre et le clair-obscur d’une église gothique
accueillent plusieurs mannequins, tandis qu’à droite,
un unique modèle pose en compagnie du logo dans la
lumière immaculée d’un espace à la trame moderniste ;
le carrelage blanc à joints noirs évoque d’ailleurs la
maison tombeau de Jean-Pierre Raynaud.
Ces dialogues d’images que la marque met ainsi
en place construisent une narration complexe, à la hauteur
des ambitions affichées par Nicolas Ghesquière et
son studio. Les différentes qualités d’image, d’univers et
de lumière peuvent entrer en résonance avec la grande
variété des matières textiles et graphiques développée
par la marque et l’audace avec laquelle elle les associe ;
la référence à l’architecture et la présence symbolique
de l’origami invoquent, elles, la sophistication de la
coupe, tout en ruptures et subtiles asymétries, opérée
par la Maison ; et, dans ce mouvement qui va de l’église
gothique au white cube moderne, c’est peut-être la
volonté d’une création qui soit capable de se mesurer
au temps qu’il faut lire.
En cette saison, toujours, l’équipe de Louis
Vuitton emmenée par Marc Jacobs aura maquillé un
vestiaire classique et bourgeois d’un vernis vaguement
SM afin de pimenter l’affaire ; ce sont en conséquence
des beautés oisives qui s’étalent à l’arrière de voitures
de luxe en doubles pages des magazines, femmes objets
accompagnées de petits chiens en guise d’accessoires. Le
choix de deux images de la part de Balenciaga indique
le refus hautain d’un scénario caricatural ou simpliste :
ce n’est pas tant l’érection d’un personnage féminin,
d’un fantasme forcément réducteur qu’avancent les
deux dernières campagnes que des indices quant aux
tenants et aboutissants de la prospective vestimentaire
dont les femmes sont l’objet. L’option est certes plus
abstraite, mais les femmes ont tout à gagner de cette abstraction,
lorsqu’à l’image de Gisèle Bundchen, elles regagnent
un peu de densité en se dérobant dans le mystère
d’un entre-images, ou dans les plis savants de l’origami.
Céline Mallet
Campagne Balenciaga Printemps-Été 2011, Automne-Hiver 2011/2012
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BIOGRAPHIE
CALVIN KLEIN
On peut bien résumer son nom à un slip, l’homme qui a bâti sa fortune
sur le modèle kangourou ne saurait s’en plaindre. Avoir ses initiales gravées sur
les hanches de milliers d’hommes, être un nom avant d’être une célébrité, tel est
le tour de force réussi par Calvin Klein, le Coca Cola de la mode.
[…] le hasard voulut qu’un
jour le vice-président de Bonwitt
Teller, l’un des plus grands
magasins new-yorkais, se
trompe d’étage et tombe sur ses
créations, commandant sur le
champ pour plus de 50000 $
1942 Naissance à Brooklyn dans les
quartiers populaires du Bronx, au sein
d’une famille juive moyenne, logée dans
un appartement moyen, d’un quartier
très moyen. Un passé de banlieusard dont il cherchera
à se débarrasser – en prenant des cours de diction pour
anéantir les dernières traces d’accent ou en s’injectant
du collagène pour lisser son visage grêlé par une maladie
d’enfance.
1962 Fasciné par l’élégance discrète de sa mère, qui
n’aimait que la fourrure en doublure, et obsédé par son
envie de lui dessiner des vêtements, il convainc ses
parents de faire une école de mode. « Mon père ne comprenait
absolument rien à cette vocation. Mais eut le
courage de me dire : si c’est ça que tu veux faire, alors,
vas-y, fonce ! » Au Fashion Institute of Technology,
il a deux coups de foudre, Jane Centre, qui deviendra
sa femme, et Manhattan, dont il voudra entreprendre
l’ascension, dans sa volonté d’incarner « the
American dream ».
1968 Après avoir collaboré avec diverses marques de
prêt-à-porter sur la 7 e Avenue, il crée son entreprise
de manteaux et de prêt-à-porter féminin, soutenu
financièrement par son ami d’enfance, Barry Schwartz.
Installé dans une petite chambre d’hôtel minable pour
monter sa première collection, le hasard voulut qu’un
jour le vice-président de Bonwitt Teller, l’un des plus
grands magasins new-yorkais, se trompe d’étage et
tombe sur ses créations, commandant sur le champ
pour plus de 50 000 $.
1975 Diversifiant son offre en introduisant du
sportswear, Calvin Klein travaille sans compter pour
assouvir sa soif de
réussite. Le soir, il
part décompresser au
Studio 54 pour finir
sa nuit sur l’épaule de Mick Jagger ou d’Andy Warhol.
Enrôlé dans la « Velvet mafia », ce club de noceurs
richissimes dont Bianca Jagger, Roy Halston ou David
Geffen, le milliardaire de Seattle et associé du patron
de Microsoft, comptent parmi les membres, les tabloïds
traquent au flash leurs incartades et font courir les
rumeurs. On prête bientôt à Calvin Klein, l’homme
marié body-buildé roulant en Rolls-Royce, des aventures
avec des femmes, puis des hommes. Il nie,
l’époque n’est pas encore prête pour son coming out.
Un jour, on le fait disparaître et on annonce sa mort
par radio. Motif : sida.
1978 Un autre jour, c’est sa fille, Marci, qui, en chemin
vers la Dalton School, l’école des enfants des stars,
disparaît à son tour, victime d’un rapt. Elle retrouvera
le chemin de sa maison contre une rançon de 100 000 $.
Calvin Klein se retrouve en héros à la une de tous les
quotidiens. Hasard ou coïncidence, la semaine qui suit,
l’Amérique lui achète 200 000 « Calvins », ces jeans moulant
dont il a redessiné l’entrejambe et la hauteur de
la taille, osant détrôner de son piedestal le cow-boy de
Marlboro. À moins que ce ne soit la réplique culte de la
nymphette Brook Shields qui, sous l’objectif de Richard
Avedon, susurre à la caméra : « Savez-vous ce qu’il y a
entre mes Calvins et moi ? Rien » qui ait fait décoller
les ventes…
1982 Première campagne (orgasmique) de sous-vêtements
masculins projetée dans les airs de Times Square,
« ce ciel légendaire où seuls s’affichent, au-dessus de la
mêlée, les quelques élus du rêve américain ». Le mannequin
Tom Hintaus et son slip blanc saillant, miroir
luminescent de sa peau mordorée, ainsi érotisé en
Adonis par Bruce Weber, provoque des torticolis aux
passants. « À Times Square, Calvin Klein nous a offert
le corps des années 80, athlétique, vigoureux, pétant
de santé et bronzé, bref l’American boy dans toute sa
splendeur qui éclipse aujourd’hui ce corps européen
chic et élégant, mais par trop malingre », témoigne le
New York Times. Pour ne pas choquer l’Amérique puritaine,
les journaux et stations de télé ont quant à eux
refusé dans un premier temps de diffuser cette publicité,
transposition de la culture gay dans la conscience
hétérosexuelle, avant de se raviser… Conquis, les
hommes ont compris depuis ce qu’ils doivent au gourou
du slip. Sans lui, ils n’en seraient pas là aujourd’hui,
êtres érotisés tombés sous le joug de la métrosexualité.
Avant 1980, ils n’étaient que des machines de travail
dissimulant leur outil de reproduction dans des slips
abominables aux élastiques distendus ; produits de
consommation basiques et apparemment peu exaltants
pour les designers, puisqu’ils continuaient de réserver
leurs créations aux sages épouses. En deux coups de
ciseaux ajustés et deux coups de griffe, Calvin Klein
renouvelle la gamme des sous-vêtements masculins
pour les ériger en objets de désir. Ajouter à cela un
marketing répondant aux rêves érotiques de tout un
chacun – Apollons aux abdos et pectoraux luisants
alanguis contre un rocher blanc sous un ciel azuré,
ou idole des jeunes, le rappeur Marky Mark (alias
Mark Walhberg) se tenant le paquet – et vous vendrez
des slips moulants à gogo. « Impossible de passer un
moment d’intimité avec un boy-friend sans découvrir
les initiales de mon père sur ses sous-vêtements…» finit
par se lamenter sa fille.
1986 Comprenez bien, Calvin Klein ne vend pas des
vêtements mais « une conception de la vie moderne »,
clame à qui veut l’entendre ce « génie du marketing »
qui préfère s’en défendre mais qui a tout de même souhaité
intégrer une agence de publicité interne à l’entreprise.
« Je n’ai jamais eu de conseil en communication,
ni appliqué comme on le croit si souvent des règles
de marketing dans lesquelles, d’ailleurs, je n’ai aucune
confiance. Dans toutes les formes de mon travail, je
fonctionne toujours à l’instinct et sur l’instant. » Ainsi,
pas une prise de vue à laquelle n’assiste le designer,
pas un mannequin, pas un maquilleur, pas une assistante
(dont la pretty Kelly qui finira par lui donner sa
main) qu’il n’ait choisi. « Dans les boîtes de nuit où il
a passé une bonne partie des années 80, on le voyait
s’amuser avec des garçons et des filles qu’on retrouvait
ensuite sur ses affiches » ou dans ses clips publicitaires,
à l’atmosphère durassienne, débitant de longs
monologues existentiels, qui parlent de tout (surtout
de ses propres angoisses) sauf de l’article à promouvoir…
Des publicités qui donnent bientôt lieu à des
parodies désopilantes.
1988 Après avoir envahi le monde avec ses jeans et ses
sous-vêtements sous licence, Calvin Klein lance enfin
sa collection de prêt-à-porter de luxe, pénétrant le marché
à revers, pour ne jamais faire comme tout le monde.
Exaspéré par les robes meringues portées par les égéries
de sitcom, il martèle son nouveau concept : la
sobriété dans le luxe, partant du postulat que « le vêtement
le plus modeste peut entrer au panthéon du chic ».
Lorsqu’il conçoit ses modèles épurés, confortables aussi
bien qu’interchangeables, c’est à la femme active et au
cadre dynamique qu’il veut penser : « Une femme ou un
homme doit pouvoir travailler et sortir le soir sans être
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« Je n’ai jamais eu de conseil
en communication, ni appliqué,
comme on le croit si souvent,
des règles de marketing dans
lesquelles, d’ailleurs,
je n’ai aucune confiance »
absolument obligé de rentrer chez soi pour se changer. »
Dès lors, les careerwomen américaines ne se sentent
plus obligées d’assumer leur féminité par des talons
aiguilles et des chemisiers à jabot, elles dégainent le
blazer ou le tailleur-pantalon. « Quand je crée, je n’ai
jamais recours à des abstractions, à l’art pour l’art. Je
colle à la période d’aujourd’hui, ressentant les envies
et besoins des gens qui comme moi travaillent. Ils
veulent être relax et moins formels. Le style, d’accord,
mais ici on a besoin de l’utilitaire, du rapport qualité/
prix. La femme américaine aime porter des vêtements
respectables et raisonnables, sans paraître pour autant
mémère. » Son idéal féminin ? « Élancée, volontaire,
et surtout mince... » L’exemple type ? « Faye Dunaway
dans le film Network, une femme qui travaille mais
reste sexy, Ali McGraw ou Jackie Kennedy. » De l’autre
côté de l’Atlantique, on compare sa mode à « un grand
verre d’eau glacée », critiquant le côté clinique, minimal
et androgyne de ses créations. Lui se sent flatté,
ou presque : « Je suis un Américain sans complexe qui
fait des modèles qui doivent se vendre. Les créateurs
américains, que ce soit Bill Blass, Perry Ellis ou Ralph
Lauren, s’adressent au plus grand nombre, en fabriquant
des vêtements de grande consommation. Les
Européens préfèrent s’occuper des “happy few”, d’une
clientèle triée sur le volet. Ça ne marche pas ici. La
frime et l’esbrouffe ne remplissent pas le tiroir-caisse… »
1993 Passé maître dans l’art de la provocation, il peut
sans complexe mettre Kate Moss cul nu sur un canapé
(après l’avoir laissée en tête-à-tête sur une île déserte
avec son fiancé photographe) et encenser les bienfaits
de son extrême minceur. « Pour porter mes créations,
il ne faut pas de kilos superflus. L’âge n’a pas
d’importance, mais je ne veux pas de grosses poitrines,
de larges hanches, de rondeurs… La silhouette doit
révéler le corps. Je ne travaille pas pour des obèses. »
Une silhouette famélique qui devient tendance et
qui, accompagnée du spectre de la drogue, des cernes
et du mouvement grunge, embarrasse les autorités
publiques à mesure que se placardent dans la ville les
affiches de la campagne « Obsession ». Accusé de vanter
les mérites de l’anorexie, de la toxicomanie et d’inciter
à la consommation de stupéfiants, le président Bill
Clinton l’enjoint d’enrayer cette endémie, baptisée par
la presse « Héroïne chic ». « Pour moi, la publicité, le
message, l’image sont partie intégrante d’une création
dont le but est d’entrer en contact avec le public. Quand
on accuse mes images de faire l’apologie du sexe, de la
drogue, bref du vice… je crois que tout cela n’existe que
dans la tête de mes détracteurs. » La preuve, le chiffre
d’affaires, passé dans le rouge (avant que le magnat
David Geffen ne le sauve in extremis de la banqueroute),
remonte en flèche.
1995 Il ravive alors l’odeur de souffre lors de la campagne
pour son nouveau concept de parfum « partagé »,
CK One. « Mon inspiration ? Ma fille, toujours, qui
porte des eaux de toilette masculines. » Évoquant les
photos de Richard Avedon immortalisant les membres
de la Factory, Steven Meisel met en scène des groupes
d’adolescentes au visage d’enfant, dénudées et lascives,
adoptant des poses sexuellement suggestives. Cette fois,
c’en est trop. Une levée de boucliers d’associations familiales
dénoncent le caractère pédophile de cette campagne,
les groupes de pression et pétitions appellent au
boycottage des produits. Quand le président Clinton s’y
met – « Il n’est pas bon de manipuler ces enfants, de les
utiliser pour un bénéfice commercial » –, Calvin Klein
se voit bien obligé de retirer ses spots publicitaires.
Sommé de s’excuser publiquement, Calvin se sent trahi.
« Tantôt on m’accuse d’être glacial, minimaliste, abstrait.
Tantôt, il paraît que j’en fais trop. Il y a encore beaucoup
de gens en Amérique qui n’hésitent toujours pas
à brûler les sorcières. » Et les rumeurs enflent de plus
belle dans la mégalopole. On apprend que Calvin est
entré en clinique (désintoxication ?) et qu’il divorce
une seconde fois. « La presse aujourd’hui, je n’y accorde
pas vraiment d’importance. Qui lit vraiment leurs critiques
? Ces gens écrivent plus sur eux que sur vous ! »
En attendant, son parfum explose le « fragrance box
office ». Le chiffre d’affaires bat des records, passant de
12 à 35 milliards de francs de 1994 à 1997.
2003 Après avoir une nouvelle fois scandalisé le
maire de New York avec sa campagne pour sa première
ligne de sous-vêtements enfant, Calvin ne s’amuse plus
et pense à la retraite. « Le principe des collections multiples,
à la chaîne, était devenu trop répétitif, pour ne
pas dire rasoir. Et ne comptez pas sur moi pour pousser
les sacs ou les accessoires ! […] J’ai toujours fait ce
que j’ai voulu et, même si parfois mes actes ont eu des
conséquences décevantes, je ne regrette rien. » Sans
se retourner, il cède sa marque au groupe Philips-
Van-Heusen Corporation pour 450 millions de dollars
(315 millions d’euros) et passe le flambeau. Chaque
ligne aura désormais son designer. « Pour les griffes,
la modestie retrouvée des couturiers est une bonne
affaire » ; pour la griffe C.K., c’est un mauvais coup. En
perdant son prénom, elle perd son identité et entre
pleinement dans une logique industrielle. P-VH
Corporation se serre la ceinture et doit congédier une
grande partie du personnel.
2010 Vendus à la chaîne en supermarché, les slips
boxer et sous-vêtements « pocket » en tous genres sont
devenus terriblement banals. Et les collections minimales,
terriblement classiques, bien qu’onéreuses et de
qualité « luxe » douteuse. Les héritiers peinent à redorer
le blason de la marque sérieusement racorni. Ne reste
plus qu’à appliquer la bonne vieille recette de l’interdit
qui fait vendre, le scandale restant encore un tant soit
peu profitable : censuré le spot voyeuriste filmant une
Eva Mendès brûlante dans ses draps ; censurée l’affiche
mettant en scène le top Lara Stone échevelée au milieu
de trois hommes simulant, selon le Bureau des normes
de publicité, « la violence et le viol ». Mais il faut bien se
rendre à l’évidence : la marque au logotype obsessionnel
n’est plus à la mode. « Les marques de mode sont
devenues à la merci de la mode. Elles ont beau investir
en publicité, se réclamer de la grande tradition du luxe,
elles doivent composer avec la part la plus mouvante
de nos sociétés : les tendances. »
Marlène Van de Casteele
Dans l’ordre : Calvin Klein par Irving Penn, 1981
Calvin Klein, Brooke Shield, Richard Avedon, 1980
Calvin Klein, Kate Moss, David Sims, 1993
Portrait Calvin Klein ©DR
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LEXIQUE
LE DÉFILÉ
Mise en scène commerciale, preview pour les journalistes, événement
spectaculaire… le statut du défilé a évolué en un siècle et demi, mais tout semblait
déjà présent aux balbutiements. Démonstration en dix points.
1 : Comme il se doit, pour un phénomène typiquement
parisien, les premiers balbutiements du podium datent
du XIX e siècle. En 1848, le couturier Charles Frederick
Worth paya Marie Vernet, une employée de boutique,
pour présenter ses créations ; il inventait ainsi le mannequin
vivant – et le modèle allait plus tard devenir
Madame Worth.
2 : À la fin du XIX e siècle, des « parades de mode » sont
régulièrement mises en scène par les maisons de
couture de Paris et, en 1885, un livre illustré intitulé
L’Art et la mode est imprimé, qui montre quatre vraies
femmes présentant des vêtements. Pour préserver leur
pudeur, elles portaient des sous-vêtements, noirs ou
blancs, à col montant, manches longues et couvrant
leurs jambes jusqu’en bas.
3 : En 1903, Ehrich Brothers, une boutique de New York,
mettait en scène la toute première parade de mode aux
États-Unis et, dans la première partie du XX e siècle, le
concept du défilé de mode allait se répandre dans le
pays. Les grands magasins réalisaient son potentiel
commercial et, dès les années 20, le défilé s’ouvrait à
un plus grand public. Il s’agissait de séduire la clientèle
féminine de la moyenne bourgeoisie. Mais le défilé
de mode était aussi une bonne façon de présenter les
produits et de rehausser le statut d’un magasin. Il se
tenait en général dans le restaurant au moment du
déjeuner ou du dîner, et son thème était souvent « exotique
». Une cliente pouvait se délecter devant un défilé
parisien, persan, mexicain, russe ou chinois, dont le
commentaire allait l’inviter à visiter les étalages.
4 : Les défilés de mode des grands magasins sont restés
longtemps une bonne manière d’attirer le client. Leur
succès était tel qu’ils perturbaient la vie urbaine au
point que la police menaça de les interdire. Mais elle mit
plutôt en place un système d’autorisation d’utiliser des
modèles vivants, afin de contrôler le phénomène.
5 : Les photographes n’étaient pas autorisés à assister
aux défilés, et ce jusqu’aux années 40, avec la première
fashion week de New York. L’objectif de cette manifestation
était de mettre fin à la domination française en
matière de mode.
.6 : Intitulée « Semaine de la Presse », et imaginée par
Eleanor Lambert, génie des relations publiques, la
toute première fashion week vit le jour en 1943, date
à laquelle les Français étaient sous joug nazi. Lambert
avait compris que les circonstances historiques
étaient propices à l’avènement espéré de l’industrie de
la mode américaine, qui avait jusque-là souffert de
cet apanage français.
[…] Dans les années 70, un défilé
pouvait encore durer jusque près
d’une heure, les modèles prenant
le temps de tournoyer, de se
pavaner, de minauder et de poser
pour les photographes.
7 : Alors que les acheteurs, les rédacteurs et les créateurs
étaient empêchés de se rendre à Paris, Lambert
fit en sorte qu’ils viennent voir ce dont les talents du
cru étaient capables, loin de l’influence française. La
Semaine était hébergée alternativement par les hôtels
Pierre et Plaza. Les journalistes venaient admirer les
innovations américaines défiler sur le podium et les
clients les voyaient ensuite dans les showrooms.
8 : La Semaine de la Presse a persisté sous cette
forme tout au long des années 50. C’est au cours des
années 60 puis 70 que les créateurs de mode américains
ont de plus en plus fréquemment tenu leurs
défilés dans des lofts, des clubs ou des restaurants de
Manhattan et alentour. Les lieux se révélant de moins
en moins sûrs, il y eut des pressions pour un retour à
des manifestations plus réglementées et, en 1994, apparurent
les premiers défilés sur podium, sous des tentes,
à Bryant Park.
9 : Dans les années 70, un défilé de podium pouvait
encore durer jusque près d’une heure, les modèles
prenant le temps de tournoyer, se pavaner, minauder,
poser pour les photographes.
10 : À présent, les défilés de podium se tiennent consécutivement,
et deux fois par an, à New York, Londres,
Milan et Paris. Bien que des esquisses de fashion
week soient déjà repérables dans ces villes au milieu
du XX e siècle, les fashion weeks telles que nous les
connaissons ont débuté en 1973 à Paris. Six ans plus
tard, Milan suivait le modèle et, en 1984, la première
fashion week de Londres fut organisée sur un site
central avec des expositions attenantes. Aujourd’hui,
la fashion week est un concept très couru pour promouvoir
un pays, et il en émerge un peu partout ; de
l’Est à l’Ouest, du Nord au Sud ; à Cali, Delhi, Johannesburg,
Téhéran et São Paolo, à Reykjavik, Tokyo, Moscou,
Miami et Stockholm – les fashion weeks se répandent
et cette expansion ne connaît pas de déclin.
Anja Aronowsky Cronberg
Traduit de l’anglais par
Thibaut Mosneron Dupin
Défilé Dior automne-hiver 2011-2012 ©DR
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CHRONIQUE
MODE ET
MONDANITÉS
Paris est une fête. La capitale de la mode. Et la mode, un métier on ne peut plus
social. Pour communiquer, générer du rêve et asseoir leur puissance, les griffes
développent moult événements. Revue de détail de ces manifestations qui relèvent
de l’obligation professionnelle autant que de la partie de plaisir.
LES VERNISSAGES
Qu’il s’agisse d’une rétrospective, de la publication d’un
ouvrage autofinancé ou du lancement d’une nouvelle
ligne, toutes les raisons sont bonnes pour faire péter
le champagne. Le public : journalistes en représentation,
employés de la griffe, amis de la Maison, piqueassiettes
: ça brasse large… L’intérêt : croiser du monde,
échanger quelques informations et se tenir au courant
des bruits de la ville. Les désagréments : piétiner dans
des espaces confinés, cerné par un public aviné, n’est
pas des plus relaxant en fin de journée.
LES DÉFILÉS
Incontournables rendez-vous biannuels, les défilés
symbolisent les rapports de force entre industrie du
luxe et médias. Le public : au premier rang s’affichent
PDG, journalistes en vue, rédactrices en chef, actrices
apprêtées, galeristes mondains, petit ami en date du
créateur – voire sa maman. Debout au fond, les « standings
», vagues connaissances de l’attaché de presse,
étudiants en école de style lookés et correspondants
de la presse quotidienne slovaque sont invités à remplir
les places libres en cas de désistements. Entre ces
deux extrêmes, agglutinées sur des bancs en fonction
de leur rang, les rédactrices affichent des mines blasées.
L’intérêt : on s’y rend pour se faire voir davantage
que pour admirer des collections en ligne le soir même
sur le Net. Les désagréments : invité au-delà du troisième
rang, autant se faire porter pâle ; cela reviendrait
à assumer sa disgrâce. Un suicide mondain.
LES AFTER-SHOWS
Pour décompresser après le rush du défilé, les grandes
Maisons privatisent le soir-même un club à la mode,
trop heureux de pouvoir faire salle comble en semaine.
Un open bar, le DJ underground du moment, et l’affaire
est dans le sac. Le public : le studio de création au grand
complet, le service de presse, les journalistes et rédactrices
amies de la Maison et une nuée de stagiaires.
L’intérêt : l’occasion de voir guincher les jeunots permet
de découvrir les derniers pas à la mode et discerner
à leur look les tendances de la prochaine saison. Les
désagréments : réservé aux kids.
LES FÊTES
Qu’il s’agisse du lancement d’une bouteille de soda
customisée par un créateur traversant une passe difficile
ou de célébrer les 40 ans de carrière d’un talent
plus fortuné, la méthode demeure toujours la même.
Les griffes convient la presse à se dandiner au mix d’un
DJ superstar dans une salle louée et redécorée à grands
frais. Buffets généreux et champagne à flots, rien ne
manque, mais… Le public : strictement « modeux » – le
temps des brassages sociaux festifs remonte maintenant
à loin, aux années 80. L’intérêt : se montrer. Les
VIP prennent la pose pour les besoins des rubriques
people des magazines, quand le gros des convives,
invités à faire de la figuration, pratiquent la fricassée
de museaux. Les désagréments : ce n’est pas franchement
entre collègues que l’on risque de se lâcher. Faute
de s’amuser, on passe donc dans ces fêtes comme aux
vernissages, sans trop s’y attarder.
LES BALS
Conscientes de la perte de lustre de leurs événements
trop marketés, les marques cherchent à renouer avec
la féerie des bals Rothschild ou Beistegui. Smoking et
robe longue de rigueur pour célébrer la paëlla géante
organisée à l’Orangerie de Versailles pour les 60 ans de
Dior ; masque requis à l’Opéra de Paris pour le premier
anniversaire du magazine Grazia. Le public : trié sur le
volet. L’intérêt : plaisir des yeux, drôlerie des costumes
et snobisme d’en être. Désagréments : ces dames n’ayant
pas toutes une robe à traîne dans leur dressing et ces
messieurs une chemise propre dans leur placard, se
rendre à un bal requiert l’emprunt de vêtements auprès
des Maisons. Mais pas toujours évident de se faufiler
dans une taille mannequin…
LES REMISES DE PRIX
En quête de sérieux et de respectabilité, par goût du
pouvoir aussi, le petit monde de la mode aime parfois
se frotter aux politiques. Pour se donner bonne
conscience, industriels et pouvoirs publics glissent
donc des enveloppes à de jeunes talents aux abois
quand il ne s’agit pas de s’autoglorifier en remettant
des médailles saluant leur brillante carrière au service
de l’élégance bleu blanc rouge. Une fois de plus : champagne
! Le public : des créateurs, leurs équipes, quelques
politiques, deux, trois grands patrons et une poignée de
journalistes. L’intérêt : l’occasion n’est pas si commune
d’aller vider un godet sous les lambris d’un ministère.
Les désagréments : pour attaquer les réjouissances, les
officiels enchaînent les discours fleuves. Le buffet ne
sert pas l’ombre d’une « coupette » tant que pérorent ces
messieurs. Prévoir d’arriver avec trois quarts d’heure
de retard.
LES SOIRÉES CARITATIVES
La vogue nous vient des États-Unis. Pour les besoins
d’une bonne cause chère à son cœur, une mondaine
(actrice, aristocrate ou rédactrice en chef) invite les
maisons de mode à acheter une table lors d’un dîner de
gala. Le public : chaque griffe convie actrices, galeristes
en vue, écrivains dandy, présentatrices télé et surtout
rédactrices à sa table. L’intérêt : une tombola permet de
remporter des invendus offerts par les griffes transmutés
en lots. Les désagréments : médecins, chercheurs,
vedettes – rarement inspirés – enchaînent les discours
culpabilisant dans l’espoir de faire casquer des tablées
de journalistes dans la dèche, quand ce n’est pas une
vente aux enchères qui requiert l’attention… Difficile
d’en placer une à table, ce qui offre tout de même
l’avantage de ne pas avoir à soutenir la conversation
avec la voisine.
LES OUVERTURES DE BOUTIQUE
Afin de médiatiser l’ouverture avenue Montaigne,
sur le Faubourg, voire dans le Haut Marais, de leur
flagship store développé par une star du design, les
griffes poussent les murs afin de faire rentrer dans le
lieu dit moult listings (presse, clients, VIP, amis, etc.)
au chausse-pied. Le public : disparate. Les professionnels
passent en coup de vent et en début de soirée, les
soiffards s’incrustent à la fermeture. L’intérêt : permet
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[…] Debout au fond, les "standings",
vagues connaissances de l’attaché de
presse, étudiants en école de style lookés
et correspondants de la presse quotidienne
slovaque sont invités à remplir les places
libres en cas de désistements.
d’admirer l’architecture intérieure d’espaces dans lesquels
rien ne prédestine à revenir. Les désagréments :
risques de suffocation et de claustrophobie. Prix du
mètre carré parisien oblige, les agencements relèvent
davantage l’esprit boudoir que la carte du mégastore.
LES TRUNK-SHOWS
Autre pince-fesse nous venant d’outre-Atlantique qui
tente, péniblement, de s’imposer en nos contrées. Le
concept : rameuter sur le stand d’un grand magasin les
meilleures clientes auprès desquelles le créateur assure
lui-même les ventes une coupe à la main. Le public : si
les milliardaires se pressent à Dallas et Dubaï, ça rame
sec boulevard des Italiens. Vedettes habillées à l’œil,
mondaines habituées aux ventes de presse, présentatrices
télé rodées aux emprunts et rédactrices gavées
de cadeaux ayant du mal à dégainer la CB. L’intérêt :
demeurer en bons termes avec le service de presse. Les
désagréments : le charme d’une séance shopping un
soir de nocturne.
LES VISITES PRIVÉES
Sponsors des grandes expositions, les groupes de luxe
organisent des visites privées en soirée. Le public :
financiers à gogo, collectionneurs d’art médiatiques,
intellectuels de service, patrons de presse. Le gratin !
L’intérêt : visiter tranquillement, sans faire la queue.
Les désagréments : devoir saluer tous les trois mètres
des relations professionnelles ne permet pas toujours
d’admirer les œuvres en toute quiétude, mais la visite
s’avère toujours plus sereine que lors d’un bain de
foule un jour ouvrable.
LES DÉJEUNERS DE PRESSE
Pour marquer un lancement, s’assurer que les journalistes
qui lisent en diagonale les dossiers de presse
comprennent l’intérêt majeur (sociologique, esthétique
autant que technologique) de l’arrivée d’une nouvelle
ligne de briquets ou de lingerie sur le marché, il est
de rigueur de louer un salon privé dans un restaurant
à la mode. Le public : essentiellement des journalistes
spécialisés. L’intérêt : bonnes tables. Les désagréments :
présence requise à 12 h 30 ; on passe à table vers 13 h 15 ;
le discours du PDG traîne en longueur ; l’entrée est servie
à 14 h et le dessert se pointe vers 15 h 15 – la convenance
permet alors de s’éclipser en douce. Retour donc
au bureau vers 16 h. Une après-midi de foutue !
LES DÉJEUNERS EN TÊTE-À-TÊTE
Aux lancements de presse en tir groupé, certains attachés
de presse préfèrent le sur mesure et prennent le
temps d’un déjeuner en tête-à-tête avec chaque journaliste,
leur permettant de s’assurer précisément des
retombées de leur nouveau lancement. Il est donc
question entre deux sushis de savoir si le nouveau
sac aura droit à une pleine page plutôt qu’une brève
dans les pages news. Le public : tête-à-tête entre attaché
de presse et journaliste. L’intérêt : s’informer audelà
du lancement en cours des projets à venir. Les
désagréments : une fois réglés les détails du traitement
de l’information à relayer reste à alimenter la conversation.
Projets de vacances, scolarité des enfants, évocation
des grandes heures de la mode et bons plans restos,
tout est bon pour combler le vide.
LES JOURNÉES PORTES OUVERTES
Un mois après les défilés débutent les journées portes
ouvertes, présentations de presse en showroom sur une
journée des lignes commerciales avec buffet à volonté.
Micro-pains au chocolat le matin, verrines au déjeuner,
macarons pour le goûter et mini-burgers au cocktailtime,
les mises en bouche sont simplifiées. Le public :
très couru par les rédactrices cantonnées aux pages
petits prix, par les assistantes désireuses de faire leur
trou dans le milieu et par une horde de pigistes en
manque de cadeaux. L’intérêt : en guise de gratification
pour le déplacement, les services de presse se fendent
de menus présents : porte-clef logo, paréo chamarré aux
tonalités de la saison... Des produits « collectors » mis
en vente le soir-même sur Ebay par des pigistes dans
le besoin. Les désagréments : obligation est tenue aux
journalistes de remuer quelques cintres en se pâmant
devant la collection.
LES VOYAGES DE PRESSE
Il est indispensable d’aller en Asie humer l’odeur de la
végétation après la mousson pour comprendre l’inspiration
d’un futur best-seller de la parfumerie, de même
qu’il est crucial d’admirer les vibrations du rose d’un sari
dans le Rajasthan pour relayer la tonalité d’un bâtonnet
de rouge à lèvres. Tel est le dessein d’un voyage de
presse : permettre aux journalistes de com muniquer au
plus juste sur les nouveautés – et surtout sur un maximum
de pages. Le public : rédactrices en chef, chefs de
rubrique beauté et bonnes plumes. L’intérêt : voyager
dans des conditions que ne permettent pas les congés
payés ; palace, business class et menus gastronomiques
au programme. Les désagréments : quelques piqûres
d’insectes, deux ou trois jours de jet lag… Rien de bien
grave en somme.
LES ÉVÉNEMENTS SPORTIFS
Soutenir tournois de tennis, matchs de polo ou régates
– mieux, recourir à un sportif comme égérie – procure
une aura masculine à toute griffe de luxe. Pour célébrer
le dynamisme et l’esprit de compétition cher à l’ADN
de leur marque, elles organisent donc moult déjeuners,
soi-disant décontractés, en bordure des courts, des buffets
dans les loges des stades, quand il ne s’agit pas
d’affréter un jet pour aller voir une finale. Bienvenu au
village VIP ! Le public : PDG, financiers, directeurs marketing
et chefs de rubrique des news magazines. Rien
que des chefs… L’intérêt : permet de sécher le bureau
les après-midi de grand beau temps. Les désagréments :
ambiance mecs lourds…
Cédric Sant André Perrin
Toutes les images : David Burton pour Vogue Paris
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OFF RECORD
L’EXPOSITION
ET LE LUXE
L’industrie du luxe a fait de l’exposition un système de communication très
sophistiqué. De la marque comme valeur culturelle à la mise en avant
de produits, les possibles sont multiples. Tour d’horizon des enjeux et stratégies
avec un expert, et à visage couvert.
[…] La marque est abstraction,
un récit qui peut être puissant et
parfois bouleverser le sort d’une
génération. Et l’exposition permet
de parler de ça : un récit et un
point de vue sur un moment, sur
la société, sur le monde
L’exposition semble devenue un mode de communication
privilégié par les marques de luxe, aussi bien en
France qu’à l’étranger. Comment cette pratique a pris
forme ?
Il y a toujours eu des expositions : pour l’anniversaire
d’une marque, ou parce que son créateur
a une vocation artistique qu’il n’a pas pu exprimer
dans son travail de styliste ; c’était le cas de Doucet ou
de Poiret, qui ont tous deux fini en Provence comme
mécènes des Impressionnistes. Ils avaient vraiment
une envie d’art mais se sont retrouvés à faire de la
mode, dans laquelle ils ont mis un peu d’art d’ailleurs.
Aujourd’hui, l’exposition devient une manière un peu
systématique de mettre en avant la valeur ajoutée
artistique et créative de la marque. Étant donné que la
mode s’étend maintenant à tout et n’importe quoi, les
produits se diversifient, les collaborations ponctuelles
se multiplient (on a vu une Fiat 500 Gucci cet été), la
seule manière de dire nous sommes aussi autre chose,
c’est de travailler sur l’intangible, sur quelque chose
qui est de l’ordre du magique, de la croyance.
Et donc le luxe s’est mis en scène en écho avec l’art…
Oui, parce que l’art est très proche du magique
et de la croyance. L’idée de la valeur de l’art est acquise,
mais en même temps, elle tient à quoi ? Un peu de
mystère, un peu de signature d’artiste, d’ambiguïté,
d’étrangeté, de spectacle… un mix d’ingrédients qui
génère cette idée de valeur ajoutée, qui ne dépend pas
de l’objet mais de l’aura que l’on crée autour de l’objet.
Cette composition devient une sorte de systématique,
on reproduit ces événements pour marquer le fait
qu’en tant que marque de luxe, on a une part créative
singulière ou plus présente que les autres, qu’on est
« du luxe », voire la forme la plus extrême du luxe, parce
qu’on intègre cette valeur intangible apportée par l’art.
Quels en sont les bénéfices ?
Il y a des bénéfices que je qualifierais de sincères
et honnêtes, qui consistent à faire passer la vision
du monde et de la mode que ne véhicule pas naturellement
l’accessoire ou le parfum ; l’exposition est un espace
de liberté dans lequel on peut transmettre cette vision.
Ce rôle n’était pas dévolu à la boutique et à l’expérience
qu’elle proposait ?
C’est vrai, mais la boutique est un territoire
qui a été investi tardivement. Il y a une quinzaine
d’années, on a commencé à imaginer des flagship
stores pour les grandes marques avec des points de vue
et des aspérités très intéressantes – même s’il y avait eu
une phase pionnière dans les années 1910 et 1920 avec
Mallet-Stevens pour Bally ou Peugeot. Il y a donc eu,
milieu des années 90, le projet de voir dans les boutiques
une expression de la marque en 3D, qui s’accompagnait
de beaucoup de liberté et de tentatives audacieuses.
Prada avait donné l’exemple avec sa boutique
new-yorkaise, montrant qu’on pouvait aller très loin ;
on parle de 50 millions de dollars dépensés et d’une
vingtaine d’autres pour des recherches en technologie
et design, jusqu’à ce qu’on s’aperçoive que certains de
ces développements ne fonctionnaient pas. Du coup,
on continue à concevoir des flagships, mais dans une
démarche plus assagie, avec des espaces systématisables
et déclinables aux quatre coins du monde. Dans
ce contexte, l’exposition et l’association avec le monde
artistique renouent avec cette liberté dans la conception
de l’espace : on repart d’une feuille blanche, on
tente des choses, on s’associe avec des artistes, parfois
c’est le DA de la marque qui imagine l’exposition…
Vous venez de décrire les bénéfices « sincères et honnêtes
», il y en aurait donc d’autres…
Effectivement, car avec ce travail sur la valeur
ajoutée, une marque peut valoriser un produit au-delà
de ce qu’il est en réalité : ce n’est plus un (beau) morceau
de cuir ou de tissu, c’est aussi une aura particulière
qui explique son prix si élevé. Il y a quelque chose que
vous, consommateur, ne comprenez pas forcément, qui
relève de l’artistique – et cette aura, ce concept, on les
paye au prix fort. […] C’est difficile de chiffrer l’apport
d’un artiste comme Murakami dans la valeur ajoutée
de Vuitton ; à quoi tient son travail ? un motif ? Et c’est
aussi un cas intéressant parce qu’il propose une multiplication
des couches de sens. Dans une exposition
au Brooklyn Museum, Murakami installe une boutique
Vuitton dans l’exposition avec, à l’intérieur, des
produits qu’il a designés pour la marque. La boutique
deviendrait alors une œuvre d’art ? comme les autres
boutiques de la marque ? qui dit oui, qui dit non ?
les produits vendus dans la boutique deviendraientils
donc à leur tour des œuvres d’art ? On voit que ce
système complexe tend à brouiller les frontières entre
art et luxe, et à conforter le sentiment d’une aura des
accessoires-œuvres.
Une exposition liée au luxe, c’est souvent la combinaison
d’un micro-phénomène et d’un effet de loupe grossissante
des médias. Ce qui en fait une opération très
rentable du point de vue de l’image et de la présence
récurrente que doit avoir une marque dans les médias.
Le « plus » d’une exposition réside là : la valeur
ajoutée de l’art donne à la marque une légitimité pour
entrer dans les médias d’une manière plus noble et
moins matérialiste. Car les produits sont bien sûr présents
dans les médias, mais dans un système aussi formaté
et embouteillé, le public perçoit l’objet de mode
comme un énième produit. Il n’y a pas de légitimité
pour qu’un magazine fasse un papier sur un nouveau
produit – enfin, normalement… –, car pourquoi parlerait-on
en long et en large d’un nouveau sac ? On
dira qu’il est beau, qu’il est rouge, qu’il est dessiné par
untel et basta. Il n’y a pas de quoi développer des analyses
et des opinions. Mais l’exposition, c’est différent :
c’est une manifestation culturelle. […] Mais la marque
est aussi un phénomène culturel, ce n’est pas que du
business et du marketing.
C’est une réalité récente ?
Les universitaires auraient pu le dire il y a
trente ou quarante ans ; pour le grand public, c’est plus
récent… Car même si le public n’identifie pas forcément
un style, on pouvait dire il y a déjà quelques décennies
que Chanel était un pilier de la culture française, une
cristallisation des valeurs esthétiques et d’une conception
de la féminité qui sont constitutives de la France,
comme la tour Eiffel l’est à sa manière.
Peu de spectateurs effectifs, beaucoup de retombées
média ; les expositions des marques de luxe
reprennent-elles le même dispositif que les collections
capsules, dont le nombre d’unités produites est souvent
minuscule ?
En dehors de l’aspect marketing, oui, c’est le
même principe. Mais l’exposition concerne potentiellement
un public plus large, car elle est plus visible
et, surtout, ne parle plus de produit. Les expositions
parlent des marques, j’entends par là ce qu’il reste
d’une marque une fois que son fondateur est mort.
Par exemple, ce qu’il reste de la marque Saint Laurent,
c’est la cristallisation d’une esthétique, d’un point de
vue, d’une gestuelle, d’une identité de la femme, donc
un noyau de valeurs abstraites qui peuvent se décliner
en toutes sortes de choses : en produits, bien sûr, mais
aussi en personnages, en films, en campagnes publicitaires,
en architecture… On pourrait jouer au portrait
chinois ; si Saint Laurent était une ville, une personne,
un politique… La marque est abstraction, c’est un récit,
qui peut être puissant et parfois bouleverser le sort
d’une génération. Et l’exposition permet de parler de
ça, du récit et du point de vue sur un moment, sur
la société, sur le monde à travers de la lumière, des
vidéos, des performances, un artiste, des installations,
des objets, un texte, un livre…
Le principe d’une exposition est de faire événement, et
on pourrait aussi relever le devenir « événement » des
défilés, où le vêtement n’est plus tant la star…
Absolument, au point que c’est le même mot,
devenu galvaudé, qui est employé pour décrire les
deux : « expérience ». Et effectivement, à la multitude
des objets répond cette recherche d’autre chose que la
matérialité et la finitude, quelque chose de rassurant,
qui nous dépasse aussi, bref, un peu d’âme. […] Parce
que le signe lui-même n’apporte plus rien. Quand on
voit Versace et H&M travailler avec les mêmes photographes
et développer les mêmes esthétiques, seuls des
spécialistes peuvent les distinguer, alors que le public
lambda voit la même fille blonde, avec la même attitude,
le même style, et conclut que H&M c’est comme
Versace. Le signe visuel (le visage de Daria ou le style
de Meisel) ne dit plus rien de sûr. Dès lors, que reste-til
aux marques pour générer un autre type de valeur ?
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[…] Étant donné que la mode
s’étend maintenant à tout et
n’importe quoi […] la seule
manière de dire nous sommes
aussi autre chose, c’est de
travailler sur l’intangible, sur
quelque chose de l’ordre du
magique, de la croyance
L’expérience. Un événement a sa propre temporalité, il
réunit des gens choisis, où l’on reçoit et échange d’une
certaine manière, ça permet de communiquer de façon
beaucoup plus sophistiquée une valeur qui ne tient
pas simplement à un signe. Et l’exposition ou le défilé
ne font pas autre chose ; c’est un moment de vie, audelà
de ce qu’on donne à consommer.
On peut aussi avoir le sentiment que les arrière-pensées
commerciales ne sont pas loin et qu’il y a toujours
le risque d’un manque de sincérité dans une exposition
sur une marque de luxe.
Il y a un manque de sincérité lorsque les propos
sont détournés. On peut faire une exposition sur
une marque dès l’instant qu’on assume que la marque
est un élément culturel et un pilier de la culture d’un
pays – Chanel, Dior en France ; Prada en Italie –, et
qu’elle cristallise autre chose que des vêtements et
des bénéfices. Pourquoi peut-on dire que Prada c’est
Milan ? Parce qu’avec sa sensibilité, son approche
design, sa référence au rétro-futurisme, Prada véhicule
des valeurs culturelles qui parlent d’une population,
d’un pays, de traditions et d’une culture. Si l’exposition
porte sur ces sujets, elle fonctionnera et sera sincère
et honnête. En revanche, lorsque l’exposition se
veut « artistique » et n’est qu’une mise en scène des
produits de la marque étoffée par des collaborations
d’artistes, ça peut poser des questions éthiques, et y
compris le grand public venu pour se distraire peut
rester perplexe. […] Il faut aussi ajouter qu’on évoque
cette question de la sincérité des marques dans une
exposition d’un point de vue français. Si on se déplace
au Japon, par exemple, où l’art n’est pas un parti pris
d’artiste démiurge mais est plus proche d’un artisanat
éclairé, informé des grandes visions esthétiques, alors
cette question de la sincérité disparaît puisqu’on ne
considère plus que l’art est la vérité absolue.
Que dire de la récente exposition « Madame Grès » au
musée Bourdelle qui met en regard les robes de la
créatrice et les sculptures de Rodin ?
C’était très réussi et largement salué, mais c’est
une exposition sur le vêtement, pas sur la mode. La
marque n’existe plus et d’ailleurs n’est pas présente
dans l’exposition : pas de logo, pas d’invitation, pas de
trace de l’impact qu’elle a eu sur son époque. C’est une
exposition sur des objets magnifiques (les robes), à
côté d’autres objets magnifiques (les sculptures), pour
en révéler les qualités plastiques : la technicité, les
références… toutes choses qui donnent de la valeur
à l’objet. Par exemple, et à l’opposé, il y a eu l’exposition
« Margiela » au MoMu d’Anvers, dans laquelle le
vêtement était noyé dans une série de supports qui
n’avaient rien à voir avec les collections : des photos,
des vidéos, des interviews, etc., ça traitait de communication,
de stratégie, de mise en scène par la Maison
Margiela sur vingt ans.
L’exposition d’Hussein Chalayan aux Arts décoratifs
vient d’ouvrir ; cette fois, c’est le travail du styliste qui
a quelques similitudes avec la démarche artistique…
Effectivement, c’est l’un des rares cas de designers
de vêtements qui ont une double carrière : créateurs
de vêtements et artistes plasticiens, dont les
œuvres sont présentées dans une galerie d’art contemporain
qui n’a rien à voir avec le circuit de la mode. On
peut considérer qu’il y a là de la schizophrénie, mais
ça met aussi en lumière un point de départ créatif chez
Chalayan, qui peut s’exprimer soit dans des produits
de mode, soit dans des œuvres. […] J’ai beaucoup d’estime
pour les rares créateurs, dont fait partie Chalayan,
qui choisissent leur échelle. Il n’a pas envie d’être un
Galliano ou un Tom Ford, ni d’avoir une marque à
l’échelle planétaire qui générerait des milliards, il se
contente de millions et souvent bien moins que ça. Ce
positionnement est trop souvent considéré par le marché
comme un échec, alors qu’on peut faire des bénéfices
intéressants, on peut produire, gagner sa vie et
payer dignement ses employés sans chercher toujours
à être le plus grand.
C’est aussi ce qu’a su réaliser un Margiela…
Martin Margiela a maintenu un modèle de
développement maîtrisé pendant vingt ans, mais
depuis son rachat, les perspectives semblent être différentes
et en tout cas plus ambitieuses – et c’est le droit
des nouveaux propriétaires. Depuis, le fondateur a pris
quelques distances avec la Maison. […] Je n’arrive pas
à me résoudre à cette situation : pourquoi n’est-il pas
possible de bien s’entendre ? pourquoi l’argent tuerait
la création et la création négligerait l’argent ? Ce n’est
pas pour être écologiquement correct, mais je crois au
développement raisonné…
Propos recueillis par
Angelo Cirimele
MODE
P.60 : THE INVISIBLE HAND
PHOTOGRAPHIE JONATHAN DE VILLIERS, STYLISME ARABELLA MILLS
P.74 : IL GIARDINO
PHOTOGRAPHIE EMANUELE FONTANESI, STYLISME JUNE NAKAMOTO
P.86 : SECOND MOUVEMENT
PHOTOGRAPHIE ARNAUD LAJEUNIE
MAGAZINE N O 5
58

THE INSIVIBLE
HAND
Photographie : Jonathan de Villiers
Stylisme : Arabella Mills assistée de Frederic Chane-sy
Mannequin : Alys chez Next
Coiffure : Tomoko Ohama chez Calliste
Maquillage : Eny WhiteHead chez Calliste
Casting : Zo’Estica Paris
ROBE EN VELOURS,
POULAIN ET AGNEAU DE MONGOLIE :
AZZEDINE ALAÏA COUTURE
CUISSARDES LACÉES EN CUIR :
TRUSSARDI
COLLANTS EN LUREX :
GASPARD YURKIEVICH

VESTE EN CUIR :
VIKTOR & ROLF
ROBE EN NÉOPRÈNE ET VOILE :
MUGLER
SANDALES EN CUIR ET POULAIN,
IMPRIMÉ LÉOPARD :
PIERRE HARDY

ROBE CHEMISE EN PATCHWORK
D’ÉCHARPES VINTAGE :
COMME DES GARÇONS

VESTE EN CUIR EFFET MIROIR :
BALMAIN
CHEMISE EN LUREX :
BALMAIN
PANTALON EN LATEX :
MUGLER
SANDALES EN CUIR :
MARNI
ESCARPINS EN CUIR STRASSÉ ET CLOUTÉ :
CHRISTIAN LOUBOUTIN

MANTEAU EN FAUSSE
FOURRURE IMPRIMÉE LÉOPARD :
JUNYA WATANABE
ROBE EN TULLE ET VELOURS REBRODÉ :
EMILIO PUCCI
BOTTES PAILLETÉES :
VIVIENNE WESTWOOD GOLD LABEL

VESTE EN CUIR VERNIS ET RENARD :
MARC JACOBS
JUPE CLOQUÉE :
MARC JACOBS
SANDALES EN CUIR ET POULAIN :
PIERRE HARDY

VESTE ENA CUIR VERNIS ET RENARD :
MARC JACOBS
JUPE CLOQUÉE :
MARC JACOBS
SANDALES EN CUIR ET POULAIN :
PIERRE HARDY

IL GIARDINO
Photographie : Emanuele Fontanesi assisté de Naia Lassus
Stylisme : June Nakamoto chez Shotview, assistée de Naoko Soeya
Mannequin : Zippora Seven chez Viva
Coiffure : Mehdi R'Guiba chez Marie-France
Maquillage : Hugo Villard chez Fontanesi + Lee
MANTEAU DRAP COL COURT :
AZZEDINE ALAÏA
GROS BRACELET ARGENT ET PIERRE NOIRE :
HERMÈS
CHAUSSURE TALON HAUT,
CARREAUX DE DIAMANT EN CUIR :
CHRISTIAN LOUBOUTIN

BOLÉRO MONGOLIE GRIS,
CHEMISE BLANCHE EN COTON,
JUPE MONGOLIE GRIS,
BOTTES MIROIR EN SUÈDE GRIS :
AZZEDINE ALAÏA
CEINTURE NŒUD :
LA BAGAGERIE

ROBE BLEU MARINE COL ROULÉ,
BÉRET LÉOPARD :
AZZEDINE ALAÏA
BOTTES EN CUIR BORDEAUX :
SHELLYS
MANTEAU BOULE DRAP SEPT BOUTONS :
AZZEDINE ALAÏA

BOLÉRO MOUTON MONGOLIE VERT ET DRAP,
CHEMISE BLANCHE EN COTON,
JUPE BOULE DRAP VERT, ZIP DEVANT,
SAC CROCO NOIR, BOTTES MIROIR EN SUÈDE GRIS :
AZZEDINE ALAÏA

BODY LAINE NOIR
COL ROULÉ,
CORSET CUIR NOIR,
LEGGING LAINE NOIR :
AZZEDINE ALAÏA
CHAPEAU :
MURMURE BY SPIRIT
PAR ARTNUPTIA
MANTEAU POULAIN LÉOPARD GRIS,
LEGGING LAINE NOIR,
BOTTINES CROCO LASSE
EN CUIR NOIR BRILLANT :
AZZEDINE ALAÏA
SAC LÉOPARD :
LA BAGAGERIE

ROBE LONGUE BEIGE 5 VOLANTS,
BOTTINES CROCO
LACÉES CUIR NOIR BRILLANT :
AZZEDINE ALAÏA
GANT VELOURS ROUGE :
LA BAGAGERIE
COLLIER
PHYLEA

SECOND
MOUVEMENT
Photographie : Arnaud Lajeunie

TEXTES
P.100 : CONTRE
LES PIÉTONS
P.102 : MOODBOARD
ESCARPINS 50’S
P.106 : CONSUMER MODE
ATELIER MAYER
P.108 : ART CONTEMPORAIN
MARIE-CLAUDE BEAUD
P.112 : CONSUMER DESIGN
INVENTARIO
P.114 : DESIGN
LE GÉNIE DES FINS
P.116 : RÉTROVISION
L’AUTRE JOURNAL
MAGAZINE N O 5
99

CONTRE
LES PIÉTONS
Impossible de mettre le nez dehors sans les voir. Utopique de circuler
sans les rencontrer déambuler, hagards, le téléphone collé à l’oreille, dessinant
des cercles irréguliers ; le piéton reste une curiosité dont on pourrait se passer.
[…] L’homme a inventé la roue,
mais le piéton a décidé
d’oublier ça ; il a décidé de faire
abstraction de la plus grande
invention humaine
Je suis contre les piétons. Les piétons, ça me fait toujours
penser au schéma de l’évolution de l’homme en
cinq stades, dont le dernier est l’homo erectus, en train
de marcher. Mais pour moi, l’étape suivante c’est le vélo.
Le piéton, c’est revenir en arrière. L’homme a inventé la
roue, mais le piéton a décidé d’oublier ça ; il a décidé de
faire abstraction de la plus grande invention humaine.
[…]
Selon moi, il n’y a quasiment aucune justification à
être piéton en ville. Au-delà d’être une nuisance pour
le cycliste, le piéton c’est aussi une forme d’abdication
face au progrès ; pourquoi décider que n’importe quel
déplacement va prendre 45 minutes, alors que le même
trajet en vélo n’en demande que 10 à 15 ? Quelle en est
la raison ? Mon sac est trop lourd ? Évidemment, je compatis
pour les handicapés ou les gens trop vieux, mais
toute personne physiquement capable de marcher et
de soulever un sac à main est capable de faire du vélo.
[…]
Alors, on pourrait m’objecter l’idée du promeneur, de
la flânerie… Mais le cycliste a un avantage indéniable
sur le promeneur : il donne un coup de pédale et n’a
d’autre effort à faire que de regarder autour ; bon, ça
peut aussi être dangereux…
[…]
Il y a aussi que le piéton est exempt de toute responsabilité
dans ses déambulations ; il n’a pas à être attentif,
il peut flâner le nez en l’air, d’autant plus qu’il a
souvent son téléphone collé à l’oreille. À Londres, les
cyclistes disent des piétons au téléphone qu’ils ont « a
shield », c’est-à-dire une sorte d’armure invisible autour
d’eux, comme une bulle qui les isole et les protégerait ;
ce qui est évidemment faux.
Parfois je suis tellement remonté que je pense qu’il faudrait
créer un permis piéton, comme une sorte de petit
examen : pouvez-vous marcher dans la ville ?
[…]
On dit souvent que le piéton est le plus vulnérable sur
la route, mais pas plus que le cycliste ; la carrosserie du
piéton est la même que celle du cycliste. Le piéton est le
seul sur la route qui a le droit de ne pas faire attention et
qui se met parfois dans des situations absurdes : traverser
sans regarder ou avec la poussette en avant (il faudra
faire un « contre les poussettes » ; j’ai plein de trucs à dire !
J’ai grandi sans poussette, dans les bras, puis en marchant
dès que j’ai su ; marche ou crève…)
[…]
À Paris, les pistes cyclables sont une vaste rigolade ; le
boulevard Magenta, c’est plutôt une course d’obstacles !
Ça peut d’ailleurs être assez drôle car, pour peu que tu
saches piloter ton vélo, tu peux t’amuser à fondre sur
les gens, les frôler ou carrément, quand ils marchent
au milieu de la piste cyclable, leur mettre une petite
tapette sur la tête. Ça donne de drôles de réactions : des
cris des femmes, les offuscations des racailles : « Quoi,
qu’est-ce tu fais là ! », alors qu’ils ne peuvent rien faire
puisque tu es déjà loin… Quand les taxis me disent
que je n’ai rien à faire dans le couloir de bus et que je
me dois d’être sur la piste cyclable, je leur demande si
ils aimeraient conduire sur une autoroute à une seule
voie, avec des troupeaux de vaches folles égarées dessus.
[…]
Ça me paraît une étrange décision de décider d’aller
marcher. Je connais quelques personnes qui ne
« volent » pas, comme Cédric Buchet, qui prenait le
bateau pour traverser l’Atlantique… Pour moi, piéton à
Paris, c’est un peu l’équivalent ; mais ça correspond au
bateau à vapeur, au steamer…
[…]
Le sentiment d’être à vélo en ville, si on le compare à
la chaîne alimentaire dans la savane, donne vraiment
l’impression d’être le lion, qui est agile, rapide, fort ; et
ensuite ça descend dans cette chaîne, jusqu’au camion,
ou au bus. Et le piéton est quelque part entre tout ça,
avec les scooters pour papys.
[…]
À New York, il y a une notion qui est le « bike time »,
qui te permet de partir 10 minutes avant ton rendezvous,
contrairement au « normal time », celui de la voiture,
par exemple, qui te demande une heure. Être piéton,
c’est être tributaire des autres moyens de transport :
le taxi qui n’arrive pas, le métro qui est bondé…
[…]
En même temps, voir tous ces piétons dans la journée
me remplit de satisfaction, car je sais que je suis d’une
efficacité immensément supérieure à eux : je vais plus
vite, je fais du sport, je suis libre, je ne paie ni essence
ni pass Navigo. Tu n’es pas concerné par la promiscuité
que tu peux avoir dans les transports en commun ; c’est
assez solitaire en apparence, mais on peut très bien
ramener quelqu’un sur son guidon, j’en témoigne.
[…]
À Londres, il y a une très forte animosité entre les piétons
et les cyclistes, qu’on n’a pas à Paris, heureusement.
Dès qu’un article paraît sur le cyclisme dans un
quotidien, il y a une meute non cycliste très virulente
qui s’exprime et demande à ce qu’ils soient immatriculés,
qu’ils payent les taxes routières, ou alors qui est
outragée par le fait que les cyclistes grillent les feux
rouges. Quand un piéton me reproche de brûler un feu
rouge en vélo, j’ai envie de lui répondre : ok, j’arrête
si à chaque feu rouge, vous, piétons, vous asseyez par
terre en tailleur et vous relevez ensuite pour traverser ;
c’est l’effort équivalent qu’un cycliste doit fournir pour
s’arrêter et repartir. À vélo, le meilleur moyen de ne pas
se faire écraser c’est d’être en mouvement permanent.
C’est la théorie du « moving target » contre le « sitting
duck ». À Londres, en 2009, sur 13 morts à vélo, 9 étaient
des femmes arrêtées au feu rouge et écrasées par des
camions qui démarrent.
[…]
En tant que cycliste, je me sens une responsabilité
envers cette communauté. Je sais que si je grille un
feu en passant juste devant une grand-mère, je ne vais
pas aider la cause de ma passion. Donc j’essaye d’être
le plus civilisé possible. Parce qu’à la fin, l’ennemi, ce
n’est pas le piéton, c’est la voiture. C’est avec eux que j’ai
des combats quotidiens, c’est pour eux que j’ai le plus
de mépris ; sauf évidemment quand je suis en voiture…
© DR
Yorgo Tloupas
Propos recueillis par
Angelo Cirimele
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MOODBOARD
ESCARPINS 50’S
ILLUSTRATIONS FLORENCE TÉTIER
2. Vintage Catalog, women’s shoes
from the 1955 Aldens Catalog
4. 1950’s fetish
1. Nina Leen, 1950
3. Vintage Catalog, women’s shoes
from the 1955 Aldens Catalog
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5. Vogue, 1951 Photo Constantin Joffe
7. Bentalls shoes, 1949
6. Model Elsa Martinelli in
‘Evening Red’ for Vogue, 1955.
Photo by Clifford Coffin
MAGAZINE N O 5
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CONSUMER MODE
ATELIER MAYER
Angleterre, semestriel, 96 p., n° 1, 215 x 260 mm, 12 €
Editor & creative director : Madame Mayer
Graphic design : Matteo Piccolomini & Piquel Polidano / Organism
Publisher : Atelier Mayer
atelier-mayer.com
On peut essayer de courir après la fast fashion et multiplier
ainsi collections, lignes et séries limitées, en
s’aidant des sites, blogs et autres tweets pour en faire
la publicité. On peut aussi, et sans esprit de contradiction,
ralentir le pas et sélectionner dans l’histoire ce qui
reste intemporel ou au contraire capture l’esprit d’une
époque. L’Atelier Mayer s’est donc spécialisé en vintage.
Petit rappel : à Vienne, dans les années 1930, Klaudia
Mayer conçoit des robes de soirée pour la haute société,
avec un certain succès. En 2007, sa petite fille ressuscite
l’entreprise sous une autre forme : pas en ouvrant
une boutique comme au siècle passé, mais en inaugurant
un showroom privé et un site Internet – assez bien
conçu par ailleurs. Mais pour le faire connaître et pour
nourrir l’univers de la Maison, rien de tel qu’un magazine,
qui offrira un écho matériel à ces objets ayant
déjà eu une vie.
La couverture de ce premier numéro est toilée
et sans image, mais enserrée dans une bande de papier
peint d’époque, aux motifs années 30, variant donc
selon chaque exemplaire, de même que chaque pièce
vintage est unique. Mélange de séries mode et de textes
s’interrogeant sur la notion de créativité ou de vintage,
Atelier Mayer se présente comme un « vrai » magazine,
avec une proposition stylistique forte. Pour ce numéro,
deux collectionneurs d’uniformes d’hôtesses de l’air ont
été mis à contribution, aussi bien pour évoquer l’évolution
des vols aériens que pour prêter leur collection.
Le sentiment qui se dégage de ce consumer
magazine est assez étrange : il ne traite en rien de la
mode dans l’acception classique et contemporaine des
magazines de mode, mais il respire la mode comme
un connaisseur, voire un amoureux. L’Atelier Mayer a
aussi intégré que le raffinement et la rareté relèvent
d’une expérience et d’un moment privilégié, qui ne
peut pas se résumer à un clic de souris.
Angelo Cirimele
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ART CONTEMPORAIN
MARIE-CLAUDE
BEAUD
Réputée pour sa force de caractère, Marie-Claude Beaud a participé à la naissance
de nombreuses institutions culturelles, de la Fondation Cartier au Mudam
du Luxembourg. Elle dirige aujourd’hui le Nouveau musée national de Monaco.
Vous avez passé votre vie dans de grandes institutions,
à parcourir le monde, et vous voilà depuis 2009, à
l’aboutissement de votre carrière, à la tête du Nouveau
musée national de Monaco (NMNM), qui n’est pas
réputé comme une grande capitale de l’art. Qu’y trouvez-vous,
comment y travaillez-vous ?
Ce qui fascine à Monaco, c’est la Méditerranée,
qui rend le rapport à l’autre très visible. Ce qu’on comprend
quand on y habite vraiment, c’est que l’on est
dans le monde autant que dans un spectacle éphémère,
voire bling-bling : je m’attache donc d’autant plus à la
lenteur et à la profondeur des projets. Je me sens obligée
de m’impliquer dans une ville quand j’y travaille.
J’ai besoin d’y faire mon marché, d’y prendre un café
afin de développer un programme sur mesure pour
les habitants : je veux faire de la haute-couture, pas
du prêt-à-porter. C’est pourquoi j’accompagne tous les
projets d’un important programme de transmission du
savoir et que je développe tous les rapports possibles
au public. Je considère qu’il faut dépenser autant pour
les publications et les workshops que pour l’exposition
elle-même. Je suis très exigeante sur le rapport à l’art
et aux artistes, je veux servir leur présence au monde
pour dire autrement les choses de la vie. Je vais vent
contraire par rapport à cette civilisation de la « reality » :
je n’attends pas d’un artiste qu’il me donne le réel, mais
qu’il me fasse aller plus loin que le réel. Durant ma
formation, j’ai été très marquée par la personnalité
hors norme de Maurice Besset, qui a dirigé le musée
de Grenoble, et ma découverte sur le terrain, dans cette
ville, du rôle de la culture et de la création comme outil
exceptionnel de développement humain quand le politique
le veut et le décide.
Comment définiriez-vous le public monégasque auquel
vous cherchez à vous adresser ?
Il y a 8 000 vrais Monégasques pour 25 000 résidents.
Beaucoup de gens travaillent ici, en dehors de
ce que j’appellerais un second milieu de gens très
internationaux qui passent ici de trois à six mois par
an, notamment de vieilles familles britanniques, des
vieilles dames mignonnes qui se prennent pour des
princesses, et énormément d’Italiens. Je commence tout
juste à connaître ces gens – après avoir fait beaucoup
d’entrisme pour découvrir leurs secrets –, et j’ai rencontré
des collectionneurs incroyables, des gens que l’on
ne voit jamais. C’est passionnant d’étudier toute cette
apparence, tout en creusant son chemin.
Vous dirigiez auparavant le Mudam au Luxembourg,
pays qui semble lui aussi à la marge des grandes
scènes artistiques. Pourquoi ce choix ? une attirance
particulière pour les paradis fiscaux ?
Je ne vois pas pourquoi telle banque ne serait
pas bien dans tel pays et parfaite à Paris. On est tous
dans le même bateau. J’ai simplement un rapport à
l’argent particulier, car je n’ai jamais fait de dettes. La
réalité, c’est que j’aime ce rapport à l’autre, celui qui est
de passage. D’où mon attirance pour les lieux frontières,
où beaucoup de gens sont dans la fragilité. La découverte
des autres, c’est quelque chose que ma famille
m’a léguée. Dans mon enfance, en montagne, il y avait
toujours une assiette à table pour les gens de passage
et les portes n’étaient jamais fermées à clef. Je suis
encore dans ce monde paysan. En outre, je ne me suis
jamais vraiment sentie parisienne, je n’ai jamais vraiment
compris comment cette ville fonctionnait, même
si je l’adore. Le racisme naturel des Parisiens veut que
rien ne soit mieux que Paris. Dans les dix ans passés
au Luxembourg, cela m’a intéressée de me retrouver
dans un contexte culturel différent, très mêlé. De
France, on ne le voit pas, mais ce petit pays subit les
influences de la Belgique, de l’Allemagne, il est proche
de la Suisse, où j’allais souvent. Et tout cela construit
une autre pensée, portée par la langue germanique. Le
rapport au temps est un peu différent, et j’y ai paradoxalement
retrouvé quelque chose de mon enfance en
Franche-Comté.
Depuis une dizaine d’années, vous avez abandonné la
France. Est-ce à dire que vous pensez que l’Hexagone
soit aujourd’hui dans une impasse, ou simplement
que vous répondez à des opportunités ?
Dès mon expérience à la fondation Cartier, j’ai
beaucoup travaillé à l’international, avec la quinzaine
de filiales qui se trouvaient partout dans le monde.
Et déjà cette ouverture me passionnait. J’ai aussi étudié
et travaillé beaucoup avec les États-Unis, lors de
mon expérience à l’American Center de Paris : j’étais
constamment entre New York et Paris. Puis j’ai dirigé
les Arts déco à Paris, et pour moi cela a été un échec.
La collection me passionnait, mais au bout d’un an,
je voulais partir. Je n’ai pas su m’adapter à l’administration
parisienne. Je ne suis pas capable de gérer
un très gros équipement, je ne sais pas être dans un
pouvoir hiérarchisé très défini, j’ai besoin de travailler
en équipe restreinte, d’être dans un rapport vraiment
humain : c’est pour cela que j’ai refusé notamment de
diriger le Centre Pompidou. Mon père me disait toujours
que c’est important de se rendre compte de ses
limites et incompétences.
Une de vos compétences, justement, c’est de favoriser
l’émergence de nouveaux lieux, de la fondation
Cartier au Mudam. Qu’est-ce qui vous excite dans ces
moments de naissance ?
Je ne sais faire que ça. Après, je m’ennuie très
vite. Je suis une impatiente ; de tous les lieux, j’ai envie
de partir très vite. Et j’aime les lieux qui ont un fort
potentiel. Monaco est de ceux-là, même si comme les
marins, il faut faire attention aux rochers.
Monaco avait, avant la crise, un grand projet de musée,
à la Bilbao, qui aurait été construit sur un polder. Tout
a été abandonné ?
Quand je suis arrivée, tout était déjà abandonné.
J’ai donc ouvert la villa Paloma, même si j’aurais
préféré une extension. Nos bureaux sont loin du musée
et c’est très dommage, car j’adore regarder la manière
dont les gens regardent les œuvres. Ce n’est pas évident
de communiquer sur un musée qui se déploie sur
deux lieux. Au final, je me bagarre beaucoup. On ne
peut parler ici de crise, mais il y a une diminution du
budget de la culture pour faire des économies, et je ne
trouve pas cela très amusant. Par exemple, pour l’exposition
de Thomas Demand en 2010, on a produit des
œuvres magnifiques, mais on n’a pas été capable de les
acheter. C’est dommage, car il faut comprendre qu’un
musée, c’est un patrimoine, et que si l’on veut susciter
des donations comme c’est notre cas, il faut créer
un cercle vertueux. Les collectionneurs nous offriront
d’autant plus de pièces que nous-mêmes achetons. En
plus, à force de ne pas pouvoir acheter, on perd sa
crédibilité vis-à-vis des galeries. Moi je suis en fin de
carrière, je n’ai rien à perdre. Mais on ne me fera pas
changer mon degré d’exigence ni ma déontologie. Bref,
mon contrat doit être renouvelé en avril 2012, je verrai
quelle est ma décision.
Votre collection est très hétéroclite, et recèle peu
d’œuvres majeures. Comment construire un musée à
partir de cela ?
Les gens pensent qu’un musée, c’est forcément
une collection permanente. Nous continuons à travailler
sur les deux grands axes pour la collection : les arts
du spectacle et le paysage. Mais nous voulons surtout
montrer au public qu’un musée peut être autre chose.
C’est difficile de changer cette vision, tout comme
d’imposer l’art contemporain : l’exposition Van Dongen
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[…] Je vais vent contraire par
rapport à cette civilisation
de la « reality »: je n’attends pas
d’un artiste qu’il me donne
le réel, mais qu’il me fasse aller
plus loin que le réel.
[…] Après le « tout show »,
on doit revenir à une définition
du rôle du musée
comme une banque de données,
où recherche et développement
sont indispensables
a accueilli dix fois plus de public que n’importe quel
artiste vivant. Les musées doivent aujourd’hui accepter
de changer si nous voulons rester les derniers lieux
ouverts à tous. Après le « tout show », on doit revenir à
une définition du rôle du musée comme une banque
de données, où recherche et développement sont
indispensables ; en faire un laboratoire doublé d’un
showroom propice au partage des connaissances, aux
échanges des émotions esthétiques et aux différents
rôles de l’art dans notre monde ! L’effet Bilbao a été très
important à la fin du XX e , tout comme le Schaulager,
qui a révolutionné le rapport entre art et musée, ou
le musée de Kanazawa construit au Japon par Sanaa,
où la ville s’intègre si bien au musée qu’elle le traverse.
Mais on ne peut reproduire partout l’effet Bilbao :
dans le cas du Guggenheim, ce musée était porté par le
maire et l’élite de la ville autant que par la fondation ;
il y avait un vrai lobbying, toute une conjonction de
choses extraordinaires, qu’on ne retrouve pas souvent.
À Monaco, nous n’avons ni collection ni lobby. Et finalement
l’architecture importe peu : le Mudam construit
par Pei était très « fin d’époque », mais j’ai essayé de
le transformer. À Monaco, on est dans une villa 1900,
mais je m’en fiche. Comme dit Jean-Louis Froment, l’ancien
directeur du CAPC de Bordeaux, finalement c’est
un bon observatoire.
Évoquons une de vos premières expériences, celle de
la fondation Cartier quand elle a été créée en 1984, à
Jouy-en-Josas. Qu’en retenez-vous ?
Cette expérience nous a tous marqués fondamentalement.
Ce que j’ai surtout apprécié, c’est
qu’Alain-Dominique Perrin, le PDG de Cartier, m’a toujours
rassurée en me disant que les produits et la fondation
étaient deux choses radicalement différentes. Il
n’était pas question de demander à des artistes de faire
des bagues ou de suivre la fantaisie de la femme du
président. Il me considérait comme un vrai outil de
gestion d’un organisme qui se devait d’avoir un rôle
citoyen. Perrin m’avait notamment demandé d’aider les
managers du Groupe à comprendre l’art contemporain,
et certains sont devenus de très bons collectionneurs.
Tous les cadeaux de Noël étaient faits par des artistes.
Tout ce qu’il m’a demandé, c’était de faire une exposition
plus généraliste par an. Pour le reste, j’étais libre.
C’est ainsi que j’ai pu demander par exemple à Andrée
Putman de mettre en scène l’exposition Ferrari et, par
miracle, elle a accepté, alors qu’elle trouvait le rouge
si vulgaire !
Comment considérez-vous l’évolution de la fondation
Cartier ?
Alors que nous avions la chance à Jouy-en-
Josas de ne pas être dans une architecture démonstrative,
le bâtiment de Nouvel a beaucoup de contraintes,
et il y manque un café. Mais leur projet d’aller s’installer
sur l’île Seguin à Boulogne peut être très positif : ils
pourraient y montrer leur collection. Même si certaines
œuvres orphelines ont été vendues, toute l’histoire de
la relation particulière de la Fondation aux artistes a
été préservée. Ce serait génial de pouvoir montrer cela.
Quant au Groupe, il a énormément évolué, et Perrin
n’en est plus que l’exécutif. Hervé Chandès, le directeur
actuel de la Fondation, s’en sort pas mal, tout
comme l’avait fait Jean de Loisy : tous deux sont de très
bons curateurs, bien meilleurs que moi, qui ai plus
de capacités de management que de commissariat.
J’ai d’ailleurs toujours fait appel à d’autres gens pour
mettre en scène et en espace.
Vous avez travaillé récemment pour la marque Puma
afin de développer un projet autour des artistes
africains que la marque voulait défendre, intitulé
« Creative Africa ». Qu’êtes-vous allée chercher dans
cette expérience ?
Jochen Zeitz, le PDG de Puma quand je collaborais
avec eux, a une vraie vision pour cette énorme
entreprise, et un vrai rapport à l’Afrique, du Nord au
Sud. Du fait de cette affinité personnelle, il a créé une
fondation au Kenya et se montre vraiment désireux
d’aider ce pays au développement total de son histoire.
Mais j’ai quitté ce projet, car Jochen a été de plus en
plus entouré de gens qui se prenaient pour des gourous,
et en tant que laïque pratiquante je déteste les
gourous. C’est le problème de ces gens puissants, leur
fragilité : comme Perrin, ils ont besoin de gens qui les
flattent, et je suis très mauvaise pour ça. Surtout, Puma
Creative a été repris par un Sud-Africain blanc, qui a
commencé à virer tous les Blacks de l’équipe. Tout le
monde est alors parti. Je n’ai aucun regret d’avoir arrêté,
j’ai découvert une autre façon de voir une entreprise.
Ne voyez-vous pas un danger dans cette récupération
de l’art par de grandes marques ?
Un danger de manipulation ? Et le château
de Versailles, il ne manipule personne ? Les artistes
sont grands, ils peuvent tirer les choses vers le haut.
Ni Cartier ni Puma n’ont demandé aux artistes de
créer des produits. Mais on ne peut nier qu’il y ait
instrumentalisation. Cela a toujours existé, depuis les
Médicis : on transforme les artistes en décorateurs, ce
qu’ils ne sont pas, et ce que j’essaie de faire comprendre
ici, à Monaco. Le cabinet de curiosités de Mark Dion,
que nous avons produit pour son exposition cet été
au musée océanographique de Monaco, a servi de
décor au repas du mariage d’Albert, mais cela ne me
ravit pas. Il y a des moments où je souffre, où je suis
furieuse, où je me traite de conne car moi aussi je n’ai
pas compris que j’étais instrumentalisée. Mais je mets
mon amour propre dans ma poche. Et je me dis que
small is beautiful.
Propos recueillis par
Emmanuelle Lequeux
Page précédente : ©NMNM/Adrien Missika, 2010
Portrait : ©NMNM
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CONSUMER DESIGN
INVENTARIO
Italie, semestriel, 160 p., n° 2, 210 x 270 mm, 10 €
Editor : Beppe Finessi, Art director : Artemio Croatto/Designwork,
Publisher : Corraini Edizioni avec le soutien de Foscarini.
inventario-bookzine.com
[…] rassembler les connaissances
actuelles, les organiser et les
nourrir de regards critiques ; ça
ressemble à de la recherche mais
c’est aussi une méthode pour
faire un magazine
C’est presque une obligation pour les métiers de la création
d’investir dans la recherche et le développement
– R&D pour les intimes. De là, plusieurs écoles possibles
: embaucher des professionnels de la recherche,
renouveler un volant de stagiaires mal payés et dont
on pompera sans vergogne les idées prometteuses, en
espérant que ladite jeune garde se paye d’expérience en
retour. Il existe aussi un autre chemin, paradoxal en
apparence mais assez productif in fine : rassembler les
connaissances actuelles pour un état de l’art, les organiser
et les nourrir de regards critiques pour se mettre
en position de penser ; ça ressemble à de la recherche
mais c’est aussi une méthode pour faire un magazine.
Et Foscarini, fabricant italien de luminaires, a opté
pour cette dernière piste.
Engageant le critique et journaliste d’Abitare,
Beppe Finessi, pour développer un projet éditorial non
pas autour de la marque mais de « valeurs » proches
de son univers : innovation et création en art, design
et architecture. Tour à tour technique, poétique, historique
ou prospectif, Inventario s’attache avant tout
à l’idée de projet, jusqu’à en faire sa baseline (tutto è
progetto / everything is a project). L’idée d’inventaire est
d’ailleurs intéressante en tant que démarche scientifique,
puisque si la liste suppose un cadre, elle intègre
aussi tout projet qui de près ou de loin s’y rattache.
Ce deuxième numéro, par exemple, présente
des projets qui s’articulent autour du vent, qu’ils
appartiennent au mode de l’art, de l’architecture ou
du design ; il inventorie différentes utilisations de la
fenêtre dans des réalisations architecturales, et compile
des idées de designers internationaux encore à l’état
de projet. Le graphisme d’Inventario, assez inspiré de
l’école néerlandaise, fait coexister les différents sujets
sans jamais prendre le dessus sur eux. L’énergie du
magazine s’appuie davantage sur les objets et projets
que sur les visages de ceux qui les portent, enfin, on
sent le magazine dégagé des obligations commerciales
et de visibilité de la profession.
C’est un paradoxe en apparence, mais un
magazine financé par une marque ne peut longtemps
en faire l’éloge sans devenir un catalogue voire une
brochure promotionnelle. Inventario, bien que s’ouvrant
et se refermant sur une publicité Foscarini, vise
plutôt le statut de magazine indépendant qui apporte
idées, informations et intuitions aux professionnels
auxquels il s’adresse. Le tour de force est que les premiers
bénéficiaires de la gymnastique intellectuelle
que suppose Inventario sont ses auteurs et les responsables
du projet au sein de la marque. Car, au-delà du
bénéfice « image », il existe bien un gain créatif et productif
pour les designers de la marque.
Angelo Cirimele
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DESIGN
UN GÉNIE
DES FINS
L’année s’éclaire d’une publication de nature à enchanter les pessimismes
enthousiastes : une collection de textes d’Alessandro Mendini, écrits entre 1971 et
2011 1 . Très largement inédits en français, mille merveilles légères et graves, où se
confondent les caresses et les coups de marteau dans une même délicatesse.
Lire Mendini, pour soi, pour se rassurer et confirmer
qu’il se passe bien ici quelque chose d’importance, ou
que cela a pu s’y dérouler, ou trouvera là bientôt un
lieu d’expansion. Mendini est ce messager, pas toujours
heureux, ou jamais béat – c’est souvent très noir
derrière –, mais d’une énergie plus vigoureuse que
toutes les forces entropiques. En vieux sage qu’il est
(né en 1931), il convoque plutôt des milliers de masques,
le vulgaire, le subtil, l’archaïque et les plastiques. Il
réconcilie avec un possible foisonnement décoratif l’assemblage
et les citations, tout en refusant l’arbitraire
du faiseur. Rigoureux fantaisiste. On le comprend tout
de suite : heureusement qu’il est là parce qu’on étouffe
dans ces foires, parce qu’on crève de honte à célébrer
des boutiques et des marchands de rien, parce que
les expositions du design présent ou passé n’ouvrent
jamais plus autant de portes qu’elles ne paraissent
accélérer encore le tourbillon d’une matière sans joie
et sans esprit 2 .
C’est le temps des queues de comète, bien sûr.
Nous n’attrapons que les traînées de ce qui a cessé d’être,
en dépit de tous nos efforts. C’est quelquefois brillant,
mais c’est déjà mort. Ou il faut même que ce soit mort
pour qu’on le voie, puisque seul le cadavre luit, indiscutablement.
Projetant les ombres pour aménager nos
caveaux, le paysage d’ectoplasmes pour magazines de
déco, ces grimaces de fantômes précieux. Un écho et des
reflets, le souvenir d’une vibration ancienne comme
Saint-Germain-des-Prés, le rock’n’roll et l’amour fou. Ce
qui est supposé être une entrée en matière est d’emblée
indication de la porte de sortie. Seulement, le corridor
qui y conduit est long comme une vie, souvent bien
capitonné, alors c’est suffisant pour faire semblant. Et
comme il faut éviter qu’une trop grande complaisance
à l’égard des états vaseux s’installe ici, nous fleurissons
la tombe et dansons sur les brèches. L’esprit de
Mendini va nous animer, ça durera un peu.
J’ai cent pages de textes entre les mains, extrait
partiel du gros livre à venir (textes des années 1980
et 1990 en attendant, pas de morceaux du Casabella
vertigineux des années de plomb). Elles m’ont été
gracieusement confiées par Catherine Geel, à l’origine
de ce projet et l’une des rares personnes à trouver ici,
dans le design, un terrain de réflexion digne. Tout fait
envie dès le début : « Maison non-maison » ? « La maison
a le sol visqueux comme le miel, les pieds s’y attachent
et on n’arrive plus à en sortir. La maison est un sac à
dos si énorme et gonflé sur nos épaules que tout mouvement
est impossible […] La maison est un entrepôt
où s’accumulent des meubles et des résidus inutiles. La
maison est un diagramme qui représente l’état de notre
léthargie. La maison est la fiction d’une idylle perdue
qui ne se répète pas [...] » 3 Ou ce « Manifeste des adieux » :
« Adieu projet rhétorique : parce que la vie s’écoule de
manière anti-héroïque et amorale / Adieu projet de
[…] La maison est un entrepôt
où s’accumulent des meubles
et des résidus inutiles. La maison
est la fiction d’une idylle perdue
qui ne se répète pas...
goût : parce que la qualité s’obtient seulement par son
envers / Adieu projet intellectuel : parce que la raison
est vaincue et que la révolution est dans la banalité
de la fantaisie / Adieu projet d’élite : parce que le quotidien
appartient au petit-bourgeois […] » 4 Le trouble
s’installe, évidemment.
Alessandro Mendini est incroyablement actif,
productif comme un diable. Le pessimisme dont il est
atteint, celui qu’il écrit souvent, ne cesse de s’équilibrer
dans cette pensée généreuse et dans une industrie
allègre. Le doute guette, mais l’action sauve, lui et cet
autre auquel il destine son travail. Il aime le cadeau.
Une illustration précise de la citation de Gramsci (ou
Romain Rolland) qui propose de tempérer le pessimisme
de la raison par l’optimisme de la volonté. Il n’y a
décidément pas d’autre
issue. Mendini décrit luimême
son travail comme
cette « œuvre continue,
sans finalité, sans fin,
sans justification, un filet
formel et interminable de
stylèmes et de références
visuelles […] » 5 Quelques
énormes succès à son
actif, comme la redoutable
Anna G., tire-bouchon
Alessi à frimousse féminine mondialement célèbre. Ou
le fauteuil Proust, bergère qui croise le pointillisme de
Signac et le mauvais goût XIX e triomphant. Qu’est-ce
qu’il fait ? « Je ne travaille pas pour des motifs directement
idéologiques, ni pour créer des objets fonctionnels.
Ma vocation est un instinct : celui de chercher
à l’intérieur et à l’extérieur de moi (dans la mémoire,
dans l’histoire, dans les lieux, dans les personnes, rarement
dans la nature) des signaux visuels ; et de les élaborer
et de les restituer selon une certaine logique, de
les transformer en réalité. Ceci est mon unique et labyrinthique
travail. Je suis un projeteur qui applique à
l’architecture et au design certaines méthodes typiques
du comportement de l’artiste ; et vice-versa, je suis un
peintre qui pour peindre emploie certaines méthodes
typiques du projet. La mienne est une activité hybride,
en équilibre instable entre celle-ci et d’autres disciplines
(graphisme, sculpture, mode, performance, critique),
qui trouve entre elles non pas une ligne exiguë
de démarquement, mais des grands espaces libres où
opérer. M’intéressent les nœuds les plus délicats de la
créativité individuelle et collective, l’action de montage
et de démontage de tels mécanismes qui m’induisent à
formuler des slogans : robot sentimental, design banal,
architecture hermaphrodite, cosmétologie universelle,
artisanat informatique, design pictural, etc. Projet des
“choses” comme messages fuyants […] » 6
Italien, architecte et designer, patron de magazines
(Casabella, Modo, Domus…), vertèbre de la pensée radicale,
Mendini se montre aussi un écrivain remarquable.
Notamment dans ces
textes comparables à des
poèmes, les plus énergiques
(la violence y est
toujours gracieuse) supposant
une scansion semblable
à celle d’un message
électronique, tout
à fait adaptée à ce robot
sentimental qu’il évoque
sans cesse, à nous-mêmes.
Il ne restera peut-être rien
du tout, l’inutile et le gadget ont tout pollué, mais à la
possible vanité de la création répond encore un sens : à
la suite d’une métaphore horticole vis-à-vis de son travail,
il propose : « […] Puis passe un camion qui emporte
nos mystiques et exotiques fleurs au marché. Je crois
fermement que cet inutile kaléidoscope de formes et
d’espaces, cette présence légère trouve son juste sens
dans l’actuelle et terrible violence du monde […] » 7 Le
design, métaphore de la vie et de l’humanité, l’esthétique
comme une forme morale, l’humanité comme
espèce esthétique. Mendini apporterait une réponse
satisfaisante à cette jolie adresse de Lacan : « Vous avez
bien raison de croire que vous allez mourir, ça vous
soutient. Si vous ne croyez pas que vous allez mourir,
pourriez-vous supporter la vie que vous avez ? Si on
n’était pas solidement appuyé sur cette certitude que
ça finira, est-ce que vous pourriez supporter cette histoire
? » 8 Peut-être bien, après tout. Mendini propose un
grand sursis.
« Anna G. » par Alessandro Mendini
Pierre Doze
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RÉTROVISION
L’AUTRE
JOURNAL
Rares sont les magazines qui laissent une trace dans la mémoire de leurs lecteurs
bien après le dernier numéro ; « l’Autre journal » est de ceux-là. Et, de manière
souterraine, le titre aura aussi inspiré quelques aventures éditoriales des années 90.
Laboratoire d’idées et de mots, c’est très certainement
ce concept qui donne aujourd’hui à l’Autre journal ce
statut d’objet culte. Car à l’heure d’une extrême paupérisation
du débat d’idées, où toutes les classes sociales
à l’instar des politiques censés les représenter, se
confondent dans une psalmodie stérile, en ânonnant,
de préférence trois fois de suite, la première lettre de
l’alphabet afin, dit-on, de repousser la « dette » immonde,
un regain de nostalgie s’invite et cet ovni éditorial
marque encore sa différence et les esprits. Un magazine
né au siècle dernier, mort au siècle dernier, qui
appartient à la mémoire d’une génération militante et
engagée qui porte néanmoins la responsabilité d’avoir
lâché, en cours de route, bon nombre de ses idéaux et
utopies au profit d’une construction sociétale égotique.
Comme toute aventure de presse, celle de
l’Autre journal se confond avec la personnalité et le
charisme de son fondateur, Michel Butel. Militant au
sein de l’extrême gauche révolutionnaire au début
des années 1970, Michel Butel cherche à assouvir un
rêve d’enfant, celui de créer un journal. « […] Il y a des
gens qui veulent être
cinéaste, des gens qui
veulent être peintre,
et carrément dans
l’enfance, j’ai décidé
que j’écrirais – des
livres – et que je ferais
un journal. » En 1975,
il édite avec Bernard-
Henri Lévy l’Imprévu,
un quotidien qui voit
seulement onze numéros.
Suit un parcours
d’écrivain couronné par un prix Médicis en 1977, pour
son roman L’Autre Amour. Au début des années 80, il
rejoint l’équipe des Nouvelles littéraires dans le cadre
d’une nouvelle formule. Il prend en charge la rédaction
en chef d’un supplément culture intégré à l’hebdomadaire.
La publication périclite et, en 1984, les actionnaires
décident d’arrêter. Michel Butel rencontre l’un
d’entre eux, Max Théret, militant de gauche atypique
(ancien des Brigades internationales en Espagne, résistant)
et homme d’affaires cofondateur de la Fnac, et le
convainc de la création d’un nouveau mensuel. La proposition
est acceptée. Le numéro un de l’Autre journal
paraît en décembre 1984. Le rêve d’enfant prend corps.
Michel Butel « invente » l’Autre journal, son
format et ses rubriques, sa formule, en constituant
une équipe qui ne compte pas que des journalistes. Il
s’entoure d’une « garde rapprochée » avec Claire Pernet,
Catherine Cot, Antoine Dulaure et Nadia Tazi. Marquer
sa différence, imposer un ton, prendre le lecteur au
sérieux, l’entraîner vers le haut, ne pas prêcher à des
convaincus, refuser la facilité et les sujets attendus…
Prendre le contrepied de ces années 80 installées dans
un confort de superficialité où le zapping informatif
domine, les certitudes politiques vacillent et bon
nombre d’intellectuels disparaissent volontairement
du débat laissant s’instaurer un brouillage de signes.
L’heure est au « look » dans la presse, où fleurissent
autant de titres que de « nouvelles » formules, souvent
sans lendemain. La postmodernité graphique, imposée
de Londres par de jeunes DA comme Neville Brody et
The Face, commence à s’essouffler et la new wave se
brise sur les récifs d’une contre-révolution néoclassique.
Les prémisses d’un nouvel ordre mondial avec l’uniformisation
des contenus et des formules s’imposent
progressivement à une
presse en mal de lectorat,
refermant une décennie
d’innovations et de
recherches. La finance
prend le pouvoir sur la
création, aidée dans la
tâche avec l’apparition
des premiers ordinateurs
graphiques qui facilitent
le formatage et les
nouvelles normes. Seuls,
dans un premier temps,
en démiurges visionnaires,
à San Francisco
et à Sacramento, David Carson, Rudy Vanderlans et
Suzanna Licko projettent ces nouveaux outils vers des
usages graphiques et typographiques renouant avec
les avant-gardes.
Dans ce contexte, l’Autre journal entre en résistance,
car qui peut croire en la vertu d’une publication
considérée par son concepteur à l’égal d’une œuvre
d’art. Michel Butel veut de l’élégance et du beau pour
la mise en forme des textes et des mots. Il confie la
direction artistique du magazine à Antonio Bellavita.
Ce dernier, fondateur de l’agence Totem A, est l’une
des trois ou quatre personnalités du club très fermé
des stylistes de la presse française. Réfugié politique,
fuyant les premières années de plomb en Italie (il
organisera la venue en France de quelques centaines
de militants italiens qui bénéficieront de la « parole »
donnée par François Mitterrand de ne pas les extrader
en contrepartie de l’abandon de la lutte armée),
Antonio Bellavita a travaillé à Libération en tant que
directeur artistique, où il a insufflé, jusqu’en 1980, une
nouvelle mise en scène de l’information. Inclassable
et inspiré, prônant un esprit « ligne claire » en matière
graphique et typographique, il a suscité, guidé ou
accompagné quelques-unes des aventures graphiques
et rédactionnelles les plus stimulantes de la nouvelle
presse des années 80 : Lettres internationales, Baraka,
hebdomadaire de la France pluriculturelle, Passages,
magazine d’expression juive… sans oublier la rénovation
de quelques titres de la presse quotidienne
comme La Tribune de l’Expansion ou Le Provençal,
aujourd’hui remplacé par La Provence. Pour Bellavita,
la maîtrise d’un concept n’est jamais tout à fait acquise ;
c’est parce que la presse est périssable qu’elle peut être
constamment réinventée. Un principe qu’il applique à
l’Autre journal, soutenant la démarche conceptuelle de
Butel, qui ne veut éditer un journal que s’il est animé,
écrit par des artistes, des écrivains et parfois des philosophes.
On y trouve ainsi les signatures de Marguerite
Duras et Gilles Deleuze entre autres invités. Le premier
numéro se vend à 100 000 exemplaires. Un succès
mais aussi un différend qui oppose Michel Butel à son
financeur : Théret réduit son apport au minimum. La
« réconciliation » de la gauche avec l’argent a peut-être
trouvé ses limites avec les mots. Privilégiant le texte et
le fond, l’Autre journal poursuit sa parution au rythme
mensuel et souvent de manière thématique. Jusqu’en
février 1986, où l’équipe rédactionnelle décide de faire
du magazine un hebdomadaire. Ce changement ne
dure que quelques mois. Le 2 juillet de la même année,
l’Autre journal cesse de paraître. Dans son édito, Michel
Butel exprime en toute lucidité une réalité qu’aucun
rédacteur ne veut avouer : « […] Au fond, il ne s’agit que
d’une chose simple : nous ne prétendons ni informer,
ni révéler, ni même formuler des opinions. Nous ne
« Au fond, il ne s’agit que
d’une chose simple : nous ne
prétendons ni informer,
ni révéler, ni même formuler
des opinions. Nous ne voulons
que dire un doute. Doute sur
la fonction d’un journal »
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voulons que dire un doute. Doute sur la fonction d’un
journal. » Cette voix différente se mue en silence pendant
quatre ans, où son créateur, en forcené des mots
imprimés, tente d’autres aventures qui avortent.
Entretemps le monde bouge et beaucoup de
certitudes (et de repères) se brouillent avec l’effondrement
plus que symbolique d’un mur. Seul, peutêtre,
avec les siennes, Michel Butel – plus à gauche
que la gauche extrême qu’il considère comme vide
de « pensée » – excelle dans l’art du laisser-paraître
et embrouille la compagnie d’assurances Gan qui le
pense proche de Mitterrand et lui alloue un budget
quasi illimité. Ces fonds servent à la renaissance de
l’Autre journal. Mai 1990, le magazine est disponible
dans les kiosques : 156 pages, dos carré collé, un objet
à collectionner qui trouve un peu plus de 100 000 lecteurs.
L’équipe rédactionnelle s’étoffe avec l’arrivée de
nouveaux chroniqueurs comme Jean-Christophe Bailly,
Jean Hatzfeld, Delfeil de Ton, Michel Cressole, et les
dessinateurs Gébé, Cancel, Pascal, Muzo… La direction
artistique est confiée à Xavier Barral, qui dessine une
maquette intemporelle et hors tendance. Le mélange
des photographies, des illustrations, de la typographie
de titre forme comme un collage dadaïste qui traverse
et transgresse les 21 parties – qui ne se définissent pas
vraiment comme des rubriques – aux titres évocateurs :
contes, carte de presse, vies, mémoire, voix, destin…
Annoncées dans le sommaire, celles-ci sont soutenues
par une colonne d’exergues sur laquelle s’appuient
les mots. La couverture, divisée en trois parties autour
des portraits de Nelson Mandela, Federico Fellini
et quelques drapeaux rouges siglés du logo de la
4 e Internationale trotskiste, nous rappelle l’esthétique
révolutionnaire d’un Rotchenko. Le titre, en impression
noir au blanc, enfermé dans un rectangle, où apparaît
un fanion noir sur fond rouge qui nous fait penser
à celui de Neville Brody pour The Face, renvoie plus
certainement aux foulard portés par les combattants de
la colonne Durruti lors de la guerre civile espagnole.
L’Autre journal est conçu pour interpeller son lecteur.
Dans le chemin de fer, on connaissait l’édito, ici, avec
les mots de l’édition, Butel invente l’épilogue et se
réserve les mots de la fin : « […] Toutes ces pages pour
en arriver là, dialogue avec les morts, très peu de mots,
toutes ces phrases pour en arriver là, plus rien à dire,
journal qui se défait, je me tourne vers vous, je vous
tends ce carton : la vie encore. »
1990-1991, la première guerre du Golfe et l’engagement
de la France aux cotés des États-Unis, la
prise de position anti-guerre de Michel Butel et son
opposition ouverte à François Mitterrand provoquent
un conflit avec sa source de financement, le Gan. Fin
1991, sans en dire un mot, la compagnie d’assurances,
en association avec le groupe Matra-Hachette, prépare
une autre formule et le remplacement de Michel Butel
et son équipe par celle d’Alain Kruger, journaliste et
producteur, fondateur de 7àParis. Butel négocie une
clause de conscience pour son équipe et vend le titre
un peu moins d’un million de francs (env. 150 000 €).
Dans son dernier épilogue, en janvier 1992, il laisse
pudiquement filtrer son amertume, sous la forme d’un
poème : « Hier encore nous étions, paroles simples, dans
un livre cailloux, au fond du fleuve. Mais la pensée en
crue, était-ce une pensée, a charrié la boue, le limon
les mots. C’est pourquoi semble-t-il, nous manque, le
silence une phrase ou une page ou le temps. » Quelques
semaines plus tard, une affiche reprenant la une de la
nouvelle formule – où le graphiste, Roman Cieslewicz,
opère un montage avec une croix gammée éclatée avec
le titre Quoi de neuf ? – envahit les devantures des
kiosques… Changement de ton, changement d’époque,
c’était encore au siècle dernier.
Pierre Ponant
PORTFOLIO
P.116 : BEIJING
PHOTOGRAPHIE : JO METSON SCOTT
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BEIJING
Photographie : JO METSON SCOTT
jometsonscott.co.uk

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Abonnement 1 an / 4 numéros
France 15 euros Europe 25 euros États-Unis, Asie 35 euros
En ligne sur magazinemagazine.fr
Ou par chèque, à l’ordre d’ACP à l’adresse suivante :
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Magazine n° 6, décembre, janvier, février paraîtra le 10 décembre.
SEPTEMBRE
14 septembre
au30 novembre
Des habits et des hommes,
cycle de 120 films choisis
pour l’intérêt de leurs
vêtements, du point de
vue historique, social,
provocateur…
forumdesimages.fr/
14 septembre au 19 février
Dream the world awake,
rétrospective autour du
styliste belge Walter
Van Beirendonck au musée
de la Mode d’Anvers.
momu.be/
16 septembre au
17 novembre
Je suis une
bande de jeunes investit
la galerie 12Mail avec leur
production autoéditée.
12mail.fr/
AGENDA
AUTOMNE 2011
23 septembre au 3 octobre
Tokyo Graphic Passport.
Exposition, colloque,
workshop et portfolio
autour de la jeune création
graphique japonaise.
centrepompidou.fr/
24 septembre au 15 janvier
Postmodernisme, style and
subversion 1970/1990. Mode,
graphisme, musique… au
Victoria & Albert Museum.
vam.ac.uk/
26 septembre
Conférence de l’artiste
Vito Acconci, suivie
d’un workshop avec les
étudiants de l’École spéciale
d’architecture.
esa-paris.fr/
27 septembre au 5 octobre
Défilés prêt-à-porter
parisiens. Sur invitation…
modeaparis.com/
6 au 9 octobre
Les Puces du design
déménagent à Bercy Village.
pucesdudesign.com/
6 au 16 octobre
Evento prend place dans les
rues de Bordeaux et invite
Michelangelo Pistoletto.
evento2011.com/
13 octobre au 19 février
Exposition du graphiste
autrichien Stefan
Sagmeister, dans laquelle
il présente des travaux
de commande des sept
dernières années.
lesartsdecoratifs.fr/
18 octobre au 5 février
Rétrospective du travail
de la photographe
Diane Arbus, avec près de
200 images, dont certaines
inédites en France.
jeudepaume.org/
NOVEMBRE
2 novembre
Il était une fois en Anatolie
de Nuri Bilge Ceylan, 2011,
150’. Un nouveau film du
réalisateur turc adepte de la
contemplation de la nature
et des relations humaines.
En salles.
10 au 13 novembre
Paris Photo, qui a aussi
déménagé au Grand
Palais, et qui a suscité des
vocations multiples (foires,
salons…) autour de la
photographie ce week-end.
parisphoto.fr/
11 novembre au 18 mars
Goudemalion, sa vie,
son œuvre, rétrospective
consacrée à Jean-Paul
Goude, touche-à-tout qui
a marqué les années 80.
lesartsdecoratifs.fr/
17 septembre au 18 octobre
Topographie de la guerre,
exposition des commissaires
Jean-Yves Jouannais et
Diane Dufour, dans le
nouveau lieu parisien
consacré à la photographie.
le-bal.fr/
20 septembre au 30 octobre
Le Centre culturel suisse
présente ses nouvelles
expositions des frères
Chapuisat + Silvia
Buonvicini + les plus beaux
livres suisses à la librairie.
ccsparis.com/
21 septembre au 9 janvier
Exposition consacrée à
Cyprien Gaillard, prix
Marcel Duchamp 2010,
simultanément à celle
d’Edvard Munch.
centrepompidou.fr/
OCTOBRE
1 er octobre
Nuit blanche, 10e du nom.
Où étiez-vous il y a dix
ans ?
paris.fr/
5 octobre
Logorama de H5, 60’, 2009,
animation. Sortie en salles
du film oscarisé, à la fois
spectacle et critique
de la communication par
le signe.
En salles.
6 octobre au 7 janvier
Antidote, 7e du nom,
exposition consacrée à la
création contemporaine,
qui présente des
productions inédites.
galeriedesgaleries.com/
19 octobre
Hors Satan de Bruno
Dumont, 2011, 110’. L’un des
rares réalisateurs français à
suivre, même
s’il est capable de fourvoyer
ses spectateurs.
En salles.
20 au 23 octobre
La Fiac, qui cette année
investit le jardin
des Tuileries en plus du
Grand Palais.
fiac.com/
21 au 23 octobre
Le Salon Light, 8 E du
nom, rassemble des
éditeurs indépendants
internationaux au
Point Éphémère et remettra
le prix du Publisher
de l’année.
cneai.com/
21 novembre
Une séance de Vidéo &
Après consacrée à Robert
Filliou, l’un des Fluxus.
centrepompidou.fr/
29 novembre au 3 décembre
Art Basel Miami Beach,
une bonne raison d’aller
prendre des couleurs et
d’investir en pleine crise…
artbaselmiamibeach.com/
30 novembre
A Dangerous Method de
David Cronenberg, 2011, 99’.
Le réalisateur canadien se
penche sur la psychanalyse,
à travers Jung et Freud.
En salles.
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FESTIVAL
En juillet dernier, le festival International Talent Support (ITS) de Trieste fêtait son 10 e anniversaire. La section
photographie présentait dix jeunes espoirs internationaux et le prix Disaronno a été attribué à Gerardo Vizmanos.
itsweb.org
Hannah Laycock
Yijun Liao
Nikita Pigorov
Magdalena Kmiecik
Michelle Arcila
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Nika Kupyrov
Urban poetry *
20-24 Jan. 2012
Paris Nord Villepinte, hall 8
www.nowdesignavivre.com
Salon international du design pour la maison
Salon réservé aux professionnels
International home design exhibition
Trade only. Tel. +33 (0)1 44 29 02 00
info@safisalons.fr
Takashi Kawashima
Gerardo Vizmanos
Tristan Cai
MAGAZINE N O 5
134
Thomas Rousset, Raphael Verona
* Poésie urbaine. preview, Cinna © C. Fillioux. Opinion Ciatti © Ezio Manciucca. Tacchini Italia © Andrea Ferrari. Organisation SAFI, filiale des Ateliers d’Art de France et de Reed Expositions France

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