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[…] Les supermodels<br />

de la période Naomi Campbell,<br />

Christy Turlington et Linda<br />

Evangelista jouaient, j’ai envie<br />

de dire, sur scène. Les filles<br />

d’aujourd’hui ne jouent pas,<br />

elles marchent<br />

Paris, elles sont déjà très fatiguées. Chaque nuit, elles<br />

effectuent leurs essayages dans les Maisons jusqu’à<br />

trois heures du matin ; elles se lèvent aux aurores pour<br />

les préparatifs des premiers shows – qui débutent à<br />

9 h 30 : comment exiger d’elles de la concentration ? ce<br />

n’est humainement pas possible.<br />

Quel regard portez-vous sur la nouvelle génération de<br />

mannequins ?<br />

Les stéréotypes physiques, féminins comme<br />

masculins, sont calés depuis le milieu des années 90.<br />

Quize ans, c’est assez long quand on y pense ! On ne<br />

voit plus de filles avec des seins, ni de mecs baraqués ;<br />

dans les deux cas, les corps sont assez androgynes. Les<br />

physiques sont très formatés dans la mode ; on trouve<br />

plus de variétés morphologiques dans le cinéma ou la<br />

musique. Un créateur, qui a une plus grande proximité<br />

avec le corps et le vêtement, vous en parlerait sans<br />

doute mieux que moi, mais il me semble que les corps<br />

actuels, assez stylisés, servent davantage le vêtement.<br />

Des corps plus formés et donc plus présents, voire plus<br />

sexuels, détourneraient l’attention.<br />

Les podiums appartiennent au passé…<br />

Si on en fait, ils ont tout au plus 7 cm de haut.<br />

La façon de voir la mode a changé. Le podium, c’était<br />

un truc des années 70 et 80 ; période où les stylistes<br />

ont été déifiés créateurs. Le podium crée une distance.<br />

Aujourd’hui, l’idée serait plutôt de mettre la mode dans la<br />

rue, on défile donc au ras du sol pour plus de proximité.<br />

Percevez-vous, entre New York, Milan et Paris, une<br />

grande différence dans la façon de défiler ?<br />

Paris ! Paris ! Paris ! Je suis fan de cette ville<br />

pour mille raisons. D’abord parce qu’y défilent des collections<br />

de stylistes venant du monde entier, d’où une<br />

grande diversité de façons de présenter entre recueillement<br />

à la japonaise et shows à l’anglaise. À Paris,<br />

chaque talent développe son univers propre, d’où des<br />

prises de risque scénographiques. À Milan – où 90 %<br />

des marques qui défilent sont italiennes –, l’approche<br />

est plus commerciale ; les shows se cantonnent le plus<br />

souvent à des allers et retours sur podium. Tout est plus<br />

standardisé : les choix musicaux, la lumière, les décors…<br />

New York, hormis quelques talents qui se comptent<br />

sur les doigts de la main : Thom Browne, Marc Jacobs,<br />

Proenza Schouler, les sœurs Rodarte…<br />

Nombreux sont ceux qui tentent des expériences<br />

autres que le défilé pour présenter leurs collections,<br />

comme des courts métrages. Pensez-vous que ces films<br />

de mode puissent à terme remplacer les shows ?<br />

Non. Les gens qui réalisent des films, souvent<br />

très beaux d’ailleurs, sont pour beaucoup, avec tout<br />

le respect que je leur dois, de jeunes créateurs dotés<br />

de petits budgets ne leur permettant pas de défiler.<br />

Le phénomène des films de mode est apparu avec la<br />

crise et rencontre un succès via Internet. On assiste<br />

aujourd’hui à une démultiplication des médias, en<br />

plus des magazines traditionnels et de la télévision, il<br />

faut désormais compter avec les blogs, les vidéos en<br />

streaming, Twitter… Les films de mode ont leur place<br />

dans ce contexte. Ils permettent de communiquer différemment<br />

dans le cadre d’un marketing mix, mais ils<br />

ne peuvent en aucun cas se substituer aux défilés, car<br />

personne n’envisage sérieusement de ne présenter les<br />

collections que sur le Net. Un défilé va au-delà d’une<br />

simple présentation de vêtements, c’est un moment de<br />

socialisation et une formidable machine à rêve. Sans<br />

premier rang, Anna Wintour ne sera plus ce qu’elle est,<br />

et Suzie Menkes, isolée derrière un ordinateur… Quand<br />

on se rend à un show qui compte, il y a de l’électricité<br />

dans l’air ! Rien ne remplacera jamais le plaisir de<br />

voir une robe sur une fille évoluant devant vous. Un<br />

modèle qui défile, c’est comme un plat qui passe dans<br />

un restaurant, on sent l’odeur – l’air du temps –, cela<br />

vous donne envie, vous ouvre l’appétit.<br />

Quels sont les enjeux d’un show pour les marques ?<br />

On est clairement dans le cadre d’une compétition<br />

de haut niveau. Chaque créateur dispose de<br />

huit à quatorze minutes pour marquer le plus profondément<br />

possible son empreinte sur la saison. Il<br />

faut que les journalistes aient envie de s’étendre sur<br />

la collection dès le lendemain dans les quotidiens et<br />

sur le Net – de façon positive si possible. Mais plus<br />

que tout, il s’agit de marquer les esprits pour que<br />

trois mois plus tard les rédactrices se souviennent de<br />

vos pièces et les photographient. Il est donc important<br />

de communiquer un message clair. Pour une<br />

griffe, un défilé réussi repose sur la parfaite combinaison<br />

entre make-up, musique, lumière, décor, scénographie,<br />

attitude des mannequins et collection. Un<br />

subtil mélange d’informations.<br />

Et pour vous, c’est quoi un défilé réussi ?<br />

Un moment suspendu.<br />

Parallèlement aux shows, vous organisez de plus en<br />

plus d’événements, quelles différences voyez-vous<br />

entre ces deux activités ?<br />

Un défilé, c’est cadré : on arrive, on s’assied, on<br />

regarde, on applaudi et on file au prochain show. Même<br />

s’il y a des moments de poésie dans la scénographie, de<br />

la folie dans les passages, on ne prend pas son temps. Un<br />

événement s’étale sur plusieurs heures. On communique<br />

tout autant, mais il y a une partie de détente, on<br />

joue avec le temps. Il faut donc développer des histoires<br />

ponctuées de rebondissements. Cela passe par des décors,<br />

des attractions, des buffets, de la musique…<br />

La fête que vous avez organisée pour célébrer le lancement<br />

de la collection de Sonia Rykiel pour H&M, sous<br />

la verrière du Grand Palais, en 2009, reste culte.<br />

C’était la crise. On allumait la radio dans la<br />

voiture et ça déblatérait sur la crise. Au café, on ne parlait<br />

que de ça ! En rentrant à la maison, à la télé : encore<br />

la crise ! À un moment, j’ai dit stop : il faut retrouver un<br />

peu de légèreté ! Et la mode est là pour ça ; pour apporter<br />

du positivisme ! Je voulais que les gens retrouvent<br />

cet émerveillement propre aux enfants. Qu’ils redeviennent<br />

des enfants le temps d’un soir. Mon inspiration<br />

résultait d’une escapade, quelques mois auparavant, à<br />

Disneyland, avec mes enfants. J’avais adoré l’attraction<br />

« It’s a small world » : tu pars en barque visiter les pays<br />

du monde entier stylisés par des décors naïfs. Il y a<br />

plein de petites lumières, des gens qui dansent, des<br />

couleurs vives. Le travail fut de retranscrire cet esprit<br />

dans le style Sonia Rykiel, six mois de travail… Mais,<br />

l’inspiration, c’est toujours un peu ta vie.<br />

Crise ou pas crise, on assiste à une démultiplication<br />

des mondanités liées à la mode. Comment expliquer<br />

ce phénomène ?<br />

Les événements permettent d’inviter des gens<br />

bien souvent négligés par le système de la mode, mais<br />

pourtant importants, car faisant fonctionner toute la<br />

machine, à savoir les consommateurs. Les défilés sont<br />

réservés aux professionnels et à quelques « socialites »,<br />

les fêtes permettent aux clients de participer au rêve.<br />

Certaines Maisons invitent désormais leurs meilleurs<br />

clients à voir leur show en streaming en temps réel<br />

dans leurs boutiques, d’autres donnent des soirées à<br />

tout casser. Je rentre de Chine, et là-bas les fêtes sont<br />

démesurées. De ma vie, je n’ai jamais vu autant d’argent<br />

dépensé, ni en Europe, ni aux États-Unis.<br />

Qui se rend dans ces fêtes ?<br />

Comme partout, des gens qui viennent asseoir<br />

ou faire progresser leur image.<br />

Vous organisez des événements dans les grandes capitales<br />

de la mode, quelles différences percevez-vous ?<br />

Il faut s’adapter à chaque ville. À New York,<br />

mieux vaut être certain que sa manifestation se déroule<br />

à proximité des autres soirées – surtout pendant une<br />

fashion week –, car les Américains passent d’une fête à<br />

l’autre. À Berlin, les endroits sont immenses, les gens<br />

hauts en couleur. Paris, ce n’est jamais gagné d’avance.<br />

On en a vu des fêtes dotées de gros moyens où, la sauce<br />

ne prenant pas, les gens partaient vite fait… Paris, c’est<br />

un public éduqué et, avouons-le, un brin snob. Mais<br />

quand ça part, ça monte en flèche. Pour cela, il faut<br />

savoir mixer les publics.<br />

Vous développez également des décors pérennes.<br />

Je ne suis pas architecte, mais j’ai réalisé un<br />

concept store de 500 mètres carrés à Berlin, pour Hugo.<br />

Ces rois du merchandising, capables d’ouvrir au doigt et<br />

l’œil des boutiques ultraperformantes aux quatre coins<br />

du globe, souhaitaient une approche plus conceptuelle.<br />

Je viens également de terminer un musée d’histoire naturelle<br />

dans une université à Manchester. Travailler avec<br />

des scientifiques sur une exposition permanente, soulevant<br />

des questions environnementales, programmée<br />

pour durer quinze ans, m’a passionné. Dans la mode, mes<br />

gestes architecturaux ne perdurent que le temps d’un<br />

show, disons que je fais des polaroïds de l’air du temps…<br />

Propos recueillis par<br />

Cédric Saint André Perrin<br />

Page précédente : Céline Spring-Summer 2011<br />

Thom Browne Fall-Winter 2011, ©B2 photographers pour Villa Eugénie<br />

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