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INTERVIEW<br />
ÉTIENNE RUSSO<br />
Né en Belgique, de parents italiens, Étienne Russo a fait l’école hôtelière de<br />
Namur avant de devenir mannequin et barman dans la boîte de nuit bruxelloise<br />
le Mirano au début des années 80. Promu directeur artistique de ce club, il se lie<br />
avec les jeunes stylistes anversois qui posent alors les bases de la mode belge.<br />
Débute une longue collaboration avec Dries Van Noten,<br />
dont il prend en charge la production des défilés.<br />
Suivront des collaborations avec Hermès, Chanel,<br />
Hugo Boss, Céline, Sonia Rykiel… 700 défilés et événements<br />
en 22 ans de carrière, mais une constante : une<br />
touche de surréalisme en empreinte sur nombre de ses<br />
projets – esprit belge oblige.<br />
En quel sens ?<br />
La mode me passionne, car elle raconte des<br />
choses sur les gens qui la porte. On s’habille toujours<br />
pour des raisons précises : pour se faire respecter au<br />
boulot, se faire baiser, montrer sa réussite ; pas juste<br />
parce qu’il fait froid et qu’il faut bien se couvrir. Et puis<br />
cela donne de l’énergie : un T-shirt qui vous va bien, ça<br />
vous porte !<br />
[…] On pouvait autrefois<br />
faire traverser Paris aux<br />
journalistes ; il faut maintenant<br />
se coller à proximité du défilé<br />
précédent et pas loin<br />
du suivant. La presse n’a<br />
plus le temps – et ne souhaite<br />
plus se déplacer<br />
Vous avez débuté avec Dries Van Noten.<br />
Nous avons organisé son premier défilé à<br />
Paris, en 1991 dans les sous-sols de l’hôtel Saint James &<br />
Albany. On avait construit un petit théâtre à l’italienne<br />
orné d’un soleil que l’on tirait à l’aide d’une corde, une<br />
toile peinte descendait et remontait pour illustrer la tombée<br />
de la nuit ; c’était naïf et poétique. On a créé beaucoup<br />
de décors avec Dries Van Noten, même s’il préfère<br />
aujourd’hui s’inscrire dans des lieux qu’il met en valeur<br />
à travers un travail de lumière, un parcours spécifique<br />
des mannequins et un placement du public déstructuré.<br />
Quelles activités recouvre votre métier ?<br />
C’est à géométrie variable ; cela va du choix de<br />
la salle à la conception d’un décor en passant par la<br />
chorégraphie des mannequins. Cela concerne tout ce<br />
qui touche l’organisation des shows ; disons que c’est<br />
un mélange entre production, scénographie et direction<br />
artistique. À mes débuts, je faisais même la cuisine<br />
pour Dries !<br />
En vingt-deux ans de carrière, qu’est-ce qui vous<br />
semble avoir le plus évolué ?<br />
Le temps. L’accélération du temps. À tous les<br />
niveaux. Les défilés duraient 30 minutes à la fin des<br />
années 80, ils sont aujourd’hui expédiés en moins d’un<br />
quart d’heure. Je passais à mes débuts quatre jours à<br />
Paris et je visitais 80 lieux pour en proposer 20 à mes<br />
clients. Aujourd’hui, quand j’en ai trois à recommander<br />
c’est extraordinaire. Les raisons sont multiples, mais la<br />
principale difficulté réside en un calendrier de présentations<br />
surchargé : 10 à 12 shows par jour ! On pouvait<br />
autrefois faire traverser Paris d’un bout à l’autre aux<br />
journalistes, il faut maintenant se coller à proximité du<br />
défilé précédent et pas loin du suivant. La presse n’a<br />
plus le temps – et ne souhaite plus se déplacer. Et si on<br />
l’y oblige, mieux vaut avoir de bonnes raisons de le faire,<br />
au risque de voir débarquer un public énervé… et encore<br />
plus remonté à la sortie si la collection n’a pas plu.<br />
Dans les années 90, mouvance grunge oblige, la<br />
vogue était aux défilés dans des entrepôts désaffectés,<br />
des salles de concerts et autres terrains vagues. Plus<br />
franchement l’humeur du moment…<br />
Il y avait une forme de légèreté dans la première<br />
partie des années 90 ; les créateurs étaient à la<br />
recherche d’endroits atypiques et pleins de charme pour<br />
présenter des collections assez arty. Dans la seconde<br />
partie de la décennie, avec l’arrivée de gens comme Tom<br />
Ford chez Yves Saint Laurent, les défilés sont devenus<br />
des grosses productions. C’était à qui ferait le plus<br />
grand, le plus fort, le plus cher… La crise de 2008 nous<br />
a ramenés à des choses plus parcimonieuses.<br />
On a connu l’engouement des présentations « séances<br />
de travail » réservées à quelques happy few, les<br />
mégas shows des géants du luxe, comment défile-ton<br />
aujourd’hui ?<br />
L’important, c’est d’être au plus<br />
près de l’univers du créateur. Avec<br />
Phoebe Philo, pour les décors de Céline,<br />
on recentre au maximum. Le résultat a<br />
souvent l’air extrêmement simple, mais<br />
cette simplicité découle d’une multitude<br />
de pistes ; parfois jusqu’à 40 propositions<br />
différentes, rien que pour le<br />
choix d’un sol qui colle parfaitement<br />
aux murs et prenne bien la lumière. Il<br />
y a des gens plus expansifs, comme Karl<br />
Lagerfeld, qui ont des visions de décors<br />
narratifs. Pour Chanel, il peut décider de<br />
transformer le Grand Palais en jardin à<br />
la française ou d’y reproduire la Place<br />
Vendôme. Mais d’une façon générale, les<br />
choses demeurent assez allusives.<br />
Les passages des défilés sont aujourd’hui relayés dans<br />
la presse et sur Internet par des photographies frontales<br />
prises en bout de podium, hormis dans quelques<br />
quotidiens et de rares retransmissions télévisées, on<br />
perçoit moins l’ampleur des décors.<br />
Il ne faut pas oublier que dans les années 80,<br />
quand les défilés se déroulaient sous des tentes à la<br />
cour carrée du Louvre, les photographes se plaçaient<br />
tout autour du podium, on bénéficiait donc d’une plus<br />
grande diversité d’images. Les photographes faisaient<br />
d’ailleurs partie du show, on les voyait circuler, interpeller<br />
les mannequins. Les filles posaient pour eux,<br />
effectuant des arrêts sur le catwalk. Tout cela avait un<br />
côté bon enfant. Les défilés étaient un peu improvisés :<br />
on montait un podium, on fixait trois spots, on branchait<br />
la musique et on lançait les filles ! Le métier s’est<br />
depuis beaucoup professionnalisé et plus rien n’est<br />
laissé au hasard.<br />
Les mannequins ne prennent d’ailleurs plus vraiment<br />
de poses sur les podiums…<br />
La manière même de défiler a changé. À<br />
l’époque, c’étaient des femmes – et je dis bien des<br />
femmes – qui défilaient. Aujourd’hui, ce sont des filles<br />
entre 16 et 20 ans. L’attitude ne peut pas être la même.<br />
Les supermodels de la période Naomi Campbell, Christy<br />
Turlington et Linda Evangelista jouaient, j’ai envie de<br />
dire, sur scène. Les filles d’aujourd’hui ne jouent pas,<br />
elles marchent. L’idée même de scénographier les<br />
shows est devenue compliquée. D’abord parce que les<br />
filles elles-mêmes ne sont pas là-dedans ; jouer ne les<br />
intéresse pas, cela ne vient pas naturellement. Et puis<br />
pour développer des scénographies, il faut du temps.<br />
Et le problème, une fois encore, c’est qu’en raison de<br />
ce calendrier ultra chargé, les mannequins sont peu<br />
disponibles. On pouvait autrefois négocier de les faire<br />
venir cinq heures avant le show pour organiser des<br />
répétitions, aujourd’hui c’est trois heures grand maximum.<br />
Dans ce laps de temps, elles doivent se faire<br />
coiffer, maquiller, habiller… Mais bon, j’ai trouvé la<br />
solution ; quand le show prévoit des déambulations<br />
compliquées, je fais appel, non pas pour l’attitude mais<br />
pour construire le déroulé, à des figurants. Nous répétons<br />
avec eux quatre heures la veille pour être parfaitement<br />
calés. Le jour du show, quand elles arrivent, je<br />
fais asseoir les mannequins à la place du public et les<br />
figurants défilent pour leur indiquer le parcours. Dans<br />
un premier temps, elles regardent, puis les figurants<br />
les prennent par la main et ils font une fois le parcours<br />
ensemble. Au troisième filage, les mannequins défilent<br />
seules. C’est ce que j’ai trouvé de plus rapide !<br />
C’est délirant !<br />
Oui, mais indispensable. Et puis cela sécurise<br />
les filles. Il faut bien comprendre qu’elles ont enchaîné<br />
New York, Londres et Milan. Lorsqu’elles arrivent à<br />
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