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ART CONTEMPORAIN<br />

MARIE-CLAUDE<br />

BEAUD<br />

Réputée pour sa force de caractère, Marie-Claude Beaud a participé à la naissance<br />

de nombreuses institutions culturelles, de la Fondation Cartier au Mudam<br />

du Luxembourg. Elle dirige aujourd’hui le Nouveau musée national de Monaco.<br />

Vous avez passé votre vie dans de grandes institutions,<br />

à parcourir le monde, et vous voilà depuis 2009, à<br />

l’aboutissement de votre carrière, à la tête du Nouveau<br />

musée national de Monaco (NMNM), qui n’est pas<br />

réputé comme une grande capitale de l’art. Qu’y trouvez-vous,<br />

comment y travaillez-vous ?<br />

Ce qui fascine à Monaco, c’est la Méditerranée,<br />

qui rend le rapport à l’autre très visible. Ce qu’on comprend<br />

quand on y habite vraiment, c’est que l’on est<br />

dans le monde autant que dans un spectacle éphémère,<br />

voire bling-bling : je m’attache donc d’autant plus à la<br />

lenteur et à la profondeur des projets. Je me sens obligée<br />

de m’impliquer dans une ville quand j’y travaille.<br />

J’ai besoin d’y faire mon marché, d’y prendre un café<br />

afin de développer un programme sur mesure pour<br />

les habitants : je veux faire de la haute-couture, pas<br />

du prêt-à-porter. C’est pourquoi j’accompagne tous les<br />

projets d’un important programme de transmission du<br />

savoir et que je développe tous les rapports possibles<br />

au public. Je considère qu’il faut dépenser autant pour<br />

les publications et les workshops que pour l’exposition<br />

elle-même. Je suis très exigeante sur le rapport à l’art<br />

et aux artistes, je veux servir leur présence au monde<br />

pour dire autrement les choses de la vie. Je vais vent<br />

contraire par rapport à cette civilisation de la « reality » :<br />

je n’attends pas d’un artiste qu’il me donne le réel, mais<br />

qu’il me fasse aller plus loin que le réel. Durant ma<br />

formation, j’ai été très marquée par la personnalité<br />

hors norme de Maurice Besset, qui a dirigé le musée<br />

de Grenoble, et ma découverte sur le terrain, dans cette<br />

ville, du rôle de la culture et de la création comme outil<br />

exceptionnel de développement humain quand le politique<br />

le veut et le décide.<br />

Comment définiriez-vous le public monégasque auquel<br />

vous cherchez à vous adresser ?<br />

Il y a 8 000 vrais Monégasques pour 25 000 résidents.<br />

Beaucoup de gens travaillent ici, en dehors de<br />

ce que j’appellerais un second milieu de gens très<br />

internationaux qui passent ici de trois à six mois par<br />

an, notamment de vieilles familles britanniques, des<br />

vieilles dames mignonnes qui se prennent pour des<br />

princesses, et énormément d’Italiens. Je commence tout<br />

juste à connaître ces gens – après avoir fait beaucoup<br />

d’entrisme pour découvrir leurs secrets –, et j’ai rencontré<br />

des collectionneurs incroyables, des gens que l’on<br />

ne voit jamais. C’est passionnant d’étudier toute cette<br />

apparence, tout en creusant son chemin.<br />

Vous dirigiez auparavant le Mudam au Luxembourg,<br />

pays qui semble lui aussi à la marge des grandes<br />

scènes artistiques. Pourquoi ce choix ? une attirance<br />

particulière pour les paradis fiscaux ?<br />

Je ne vois pas pourquoi telle banque ne serait<br />

pas bien dans tel pays et parfaite à Paris. On est tous<br />

dans le même bateau. J’ai simplement un rapport à<br />

l’argent particulier, car je n’ai jamais fait de dettes. La<br />

réalité, c’est que j’aime ce rapport à l’autre, celui qui est<br />

de passage. D’où mon attirance pour les lieux frontières,<br />

où beaucoup de gens sont dans la fragilité. La découverte<br />

des autres, c’est quelque chose que ma famille<br />

m’a léguée. Dans mon enfance, en montagne, il y avait<br />

toujours une assiette à table pour les gens de passage<br />

et les portes n’étaient jamais fermées à clef. Je suis<br />

encore dans ce monde paysan. En outre, je ne me suis<br />

jamais vraiment sentie parisienne, je n’ai jamais vraiment<br />

compris comment cette ville fonctionnait, même<br />

si je l’adore. Le racisme naturel des Parisiens veut que<br />

rien ne soit mieux que Paris. Dans les dix ans passés<br />

au Luxembourg, cela m’a intéressée de me retrouver<br />

dans un contexte culturel différent, très mêlé. De<br />

France, on ne le voit pas, mais ce petit pays subit les<br />

influences de la Belgique, de l’Allemagne, il est proche<br />

de la Suisse, où j’allais souvent. Et tout cela construit<br />

une autre pensée, portée par la langue germanique. Le<br />

rapport au temps est un peu différent, et j’y ai paradoxalement<br />

retrouvé quelque chose de mon enfance en<br />

Franche-Comté.<br />

Depuis une dizaine d’années, vous avez abandonné la<br />

France. Est-ce à dire que vous pensez que l’Hexagone<br />

soit aujourd’hui dans une impasse, ou simplement<br />

que vous répondez à des opportunités ?<br />

Dès mon expérience à la fondation Cartier, j’ai<br />

beaucoup travaillé à l’international, avec la quinzaine<br />

de filiales qui se trouvaient partout dans le monde.<br />

Et déjà cette ouverture me passionnait. J’ai aussi étudié<br />

et travaillé beaucoup avec les États-Unis, lors de<br />

mon expérience à l’American Center de Paris : j’étais<br />

constamment entre New York et Paris. Puis j’ai dirigé<br />

les Arts déco à Paris, et pour moi cela a été un échec.<br />

La collection me passionnait, mais au bout d’un an,<br />

je voulais partir. Je n’ai pas su m’adapter à l’administration<br />

parisienne. Je ne suis pas capable de gérer<br />

un très gros équipement, je ne sais pas être dans un<br />

pouvoir hiérarchisé très défini, j’ai besoin de travailler<br />

en équipe restreinte, d’être dans un rapport vraiment<br />

humain : c’est pour cela que j’ai refusé notamment de<br />

diriger le Centre Pompidou. Mon père me disait toujours<br />

que c’est important de se rendre compte de ses<br />

limites et incompétences.<br />

Une de vos compétences, justement, c’est de favoriser<br />

l’émergence de nouveaux lieux, de la fondation<br />

Cartier au Mudam. Qu’est-ce qui vous excite dans ces<br />

moments de naissance ?<br />

Je ne sais faire que ça. Après, je m’ennuie très<br />

vite. Je suis une impatiente ; de tous les lieux, j’ai envie<br />

de partir très vite. Et j’aime les lieux qui ont un fort<br />

potentiel. Monaco est de ceux-là, même si comme les<br />

marins, il faut faire attention aux rochers.<br />

Monaco avait, avant la crise, un grand projet de musée,<br />

à la Bilbao, qui aurait été construit sur un polder. Tout<br />

a été abandonné ?<br />

Quand je suis arrivée, tout était déjà abandonné.<br />

J’ai donc ouvert la villa Paloma, même si j’aurais<br />

préféré une extension. Nos bureaux sont loin du musée<br />

et c’est très dommage, car j’adore regarder la manière<br />

dont les gens regardent les œuvres. Ce n’est pas évident<br />

de communiquer sur un musée qui se déploie sur<br />

deux lieux. Au final, je me bagarre beaucoup. On ne<br />

peut parler ici de crise, mais il y a une diminution du<br />

budget de la culture pour faire des économies, et je ne<br />

trouve pas cela très amusant. Par exemple, pour l’exposition<br />

de Thomas Demand en 2010, on a produit des<br />

œuvres magnifiques, mais on n’a pas été capable de les<br />

acheter. C’est dommage, car il faut comprendre qu’un<br />

musée, c’est un patrimoine, et que si l’on veut susciter<br />

des donations comme c’est notre cas, il faut créer<br />

un cercle vertueux. Les collectionneurs nous offriront<br />

d’autant plus de pièces que nous-mêmes achetons. En<br />

plus, à force de ne pas pouvoir acheter, on perd sa<br />

crédibilité vis-à-vis des galeries. Moi je suis en fin de<br />

carrière, je n’ai rien à perdre. Mais on ne me fera pas<br />

changer mon degré d’exigence ni ma déontologie. Bref,<br />

mon contrat doit être renouvelé en avril 2012, je verrai<br />

quelle est ma décision.<br />

Votre collection est très hétéroclite, et recèle peu<br />

d’œuvres majeures. Comment construire un musée à<br />

partir de cela ?<br />

Les gens pensent qu’un musée, c’est forcément<br />

une collection permanente. Nous continuons à travailler<br />

sur les deux grands axes pour la collection : les arts<br />

du spectacle et le paysage. Mais nous voulons surtout<br />

montrer au public qu’un musée peut être autre chose.<br />

C’est difficile de changer cette vision, tout comme<br />

d’imposer l’art contemporain : l’exposition Van Dongen<br />

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