09.02.2014 Views

Télécharger - Magazine

Télécharger - Magazine

Télécharger - Magazine

SHOW MORE
SHOW LESS

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

voulons que dire un doute. Doute sur la fonction d’un<br />

journal. » Cette voix différente se mue en silence pendant<br />

quatre ans, où son créateur, en forcené des mots<br />

imprimés, tente d’autres aventures qui avortent.<br />

Entretemps le monde bouge et beaucoup de<br />

certitudes (et de repères) se brouillent avec l’effondrement<br />

plus que symbolique d’un mur. Seul, peutêtre,<br />

avec les siennes, Michel Butel – plus à gauche<br />

que la gauche extrême qu’il considère comme vide<br />

de « pensée » – excelle dans l’art du laisser-paraître<br />

et embrouille la compagnie d’assurances Gan qui le<br />

pense proche de Mitterrand et lui alloue un budget<br />

quasi illimité. Ces fonds servent à la renaissance de<br />

l’Autre journal. Mai 1990, le magazine est disponible<br />

dans les kiosques : 156 pages, dos carré collé, un objet<br />

à collectionner qui trouve un peu plus de 100 000 lecteurs.<br />

L’équipe rédactionnelle s’étoffe avec l’arrivée de<br />

nouveaux chroniqueurs comme Jean-Christophe Bailly,<br />

Jean Hatzfeld, Delfeil de Ton, Michel Cressole, et les<br />

dessinateurs Gébé, Cancel, Pascal, Muzo… La direction<br />

artistique est confiée à Xavier Barral, qui dessine une<br />

maquette intemporelle et hors tendance. Le mélange<br />

des photographies, des illustrations, de la typographie<br />

de titre forme comme un collage dadaïste qui traverse<br />

et transgresse les 21 parties – qui ne se définissent pas<br />

vraiment comme des rubriques – aux titres évocateurs :<br />

contes, carte de presse, vies, mémoire, voix, destin…<br />

Annoncées dans le sommaire, celles-ci sont soutenues<br />

par une colonne d’exergues sur laquelle s’appuient<br />

les mots. La couverture, divisée en trois parties autour<br />

des portraits de Nelson Mandela, Federico Fellini<br />

et quelques drapeaux rouges siglés du logo de la<br />

4 e Internationale trotskiste, nous rappelle l’esthétique<br />

révolutionnaire d’un Rotchenko. Le titre, en impression<br />

noir au blanc, enfermé dans un rectangle, où apparaît<br />

un fanion noir sur fond rouge qui nous fait penser<br />

à celui de Neville Brody pour The Face, renvoie plus<br />

certainement aux foulard portés par les combattants de<br />

la colonne Durruti lors de la guerre civile espagnole.<br />

L’Autre journal est conçu pour interpeller son lecteur.<br />

Dans le chemin de fer, on connaissait l’édito, ici, avec<br />

les mots de l’édition, Butel invente l’épilogue et se<br />

réserve les mots de la fin : « […] Toutes ces pages pour<br />

en arriver là, dialogue avec les morts, très peu de mots,<br />

toutes ces phrases pour en arriver là, plus rien à dire,<br />

journal qui se défait, je me tourne vers vous, je vous<br />

tends ce carton : la vie encore. »<br />

1990-1991, la première guerre du Golfe et l’engagement<br />

de la France aux cotés des États-Unis, la<br />

prise de position anti-guerre de Michel Butel et son<br />

opposition ouverte à François Mitterrand provoquent<br />

un conflit avec sa source de financement, le Gan. Fin<br />

1991, sans en dire un mot, la compagnie d’assurances,<br />

en association avec le groupe Matra-Hachette, prépare<br />

une autre formule et le remplacement de Michel Butel<br />

et son équipe par celle d’Alain Kruger, journaliste et<br />

producteur, fondateur de 7àParis. Butel négocie une<br />

clause de conscience pour son équipe et vend le titre<br />

un peu moins d’un million de francs (env. 150 000 €).<br />

Dans son dernier épilogue, en janvier 1992, il laisse<br />

pudiquement filtrer son amertume, sous la forme d’un<br />

poème : « Hier encore nous étions, paroles simples, dans<br />

un livre cailloux, au fond du fleuve. Mais la pensée en<br />

crue, était-ce une pensée, a charrié la boue, le limon<br />

les mots. C’est pourquoi semble-t-il, nous manque, le<br />

silence une phrase ou une page ou le temps. » Quelques<br />

semaines plus tard, une affiche reprenant la une de la<br />

nouvelle formule – où le graphiste, Roman Cieslewicz,<br />

opère un montage avec une croix gammée éclatée avec<br />

le titre Quoi de neuf ? – envahit les devantures des<br />

kiosques… Changement de ton, changement d’époque,<br />

c’était encore au siècle dernier.<br />

Pierre Ponant<br />

PORTFOLIO<br />

P.116 : BEIJING<br />

PHOTOGRAPHIE : JO METSON SCOTT<br />

MAGAZINE N O 5<br />

118

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!