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LEXIQUE<br />
LE DÉFILÉ<br />
Mise en scène commerciale, preview pour les journalistes, événement<br />
spectaculaire… le statut du défilé a évolué en un siècle et demi, mais tout semblait<br />
déjà présent aux balbutiements. Démonstration en dix points.<br />
1 : Comme il se doit, pour un phénomène typiquement<br />
parisien, les premiers balbutiements du podium datent<br />
du XIX e siècle. En 1848, le couturier Charles Frederick<br />
Worth paya Marie Vernet, une employée de boutique,<br />
pour présenter ses créations ; il inventait ainsi le mannequin<br />
vivant – et le modèle allait plus tard devenir<br />
Madame Worth.<br />
2 : À la fin du XIX e siècle, des « parades de mode » sont<br />
régulièrement mises en scène par les maisons de<br />
couture de Paris et, en 1885, un livre illustré intitulé<br />
L’Art et la mode est imprimé, qui montre quatre vraies<br />
femmes présentant des vêtements. Pour préserver leur<br />
pudeur, elles portaient des sous-vêtements, noirs ou<br />
blancs, à col montant, manches longues et couvrant<br />
leurs jambes jusqu’en bas.<br />
3 : En 1903, Ehrich Brothers, une boutique de New York,<br />
mettait en scène la toute première parade de mode aux<br />
États-Unis et, dans la première partie du XX e siècle, le<br />
concept du défilé de mode allait se répandre dans le<br />
pays. Les grands magasins réalisaient son potentiel<br />
commercial et, dès les années 20, le défilé s’ouvrait à<br />
un plus grand public. Il s’agissait de séduire la clientèle<br />
féminine de la moyenne bourgeoisie. Mais le défilé<br />
de mode était aussi une bonne façon de présenter les<br />
produits et de rehausser le statut d’un magasin. Il se<br />
tenait en général dans le restaurant au moment du<br />
déjeuner ou du dîner, et son thème était souvent « exotique<br />
». Une cliente pouvait se délecter devant un défilé<br />
parisien, persan, mexicain, russe ou chinois, dont le<br />
commentaire allait l’inviter à visiter les étalages.<br />
4 : Les défilés de mode des grands magasins sont restés<br />
longtemps une bonne manière d’attirer le client. Leur<br />
succès était tel qu’ils perturbaient la vie urbaine au<br />
point que la police menaça de les interdire. Mais elle mit<br />
plutôt en place un système d’autorisation d’utiliser des<br />
modèles vivants, afin de contrôler le phénomène.<br />
5 : Les photographes n’étaient pas autorisés à assister<br />
aux défilés, et ce jusqu’aux années 40, avec la première<br />
fashion week de New York. L’objectif de cette manifestation<br />
était de mettre fin à la domination française en<br />
matière de mode.<br />
.6 : Intitulée « Semaine de la Presse », et imaginée par<br />
Eleanor Lambert, génie des relations publiques, la<br />
toute première fashion week vit le jour en 1943, date<br />
à laquelle les Français étaient sous joug nazi. Lambert<br />
avait compris que les circonstances historiques<br />
étaient propices à l’avènement espéré de l’industrie de<br />
la mode américaine, qui avait jusque-là souffert de<br />
cet apanage français.<br />
[…] Dans les années 70, un défilé<br />
pouvait encore durer jusque près<br />
d’une heure, les modèles prenant<br />
le temps de tournoyer, de se<br />
pavaner, de minauder et de poser<br />
pour les photographes.<br />
7 : Alors que les acheteurs, les rédacteurs et les créateurs<br />
étaient empêchés de se rendre à Paris, Lambert<br />
fit en sorte qu’ils viennent voir ce dont les talents du<br />
cru étaient capables, loin de l’influence française. La<br />
Semaine était hébergée alternativement par les hôtels<br />
Pierre et Plaza. Les journalistes venaient admirer les<br />
innovations américaines défiler sur le podium et les<br />
clients les voyaient ensuite dans les showrooms.<br />
8 : La Semaine de la Presse a persisté sous cette<br />
forme tout au long des années 50. C’est au cours des<br />
années 60 puis 70 que les créateurs de mode américains<br />
ont de plus en plus fréquemment tenu leurs<br />
défilés dans des lofts, des clubs ou des restaurants de<br />
Manhattan et alentour. Les lieux se révélant de moins<br />
en moins sûrs, il y eut des pressions pour un retour à<br />
des manifestations plus réglementées et, en 1994, apparurent<br />
les premiers défilés sur podium, sous des tentes,<br />
à Bryant Park.<br />
9 : Dans les années 70, un défilé de podium pouvait<br />
encore durer jusque près d’une heure, les modèles<br />
prenant le temps de tournoyer, se pavaner, minauder,<br />
poser pour les photographes.<br />
10 : À présent, les défilés de podium se tiennent consécutivement,<br />
et deux fois par an, à New York, Londres,<br />
Milan et Paris. Bien que des esquisses de fashion<br />
week soient déjà repérables dans ces villes au milieu<br />
du XX e siècle, les fashion weeks telles que nous les<br />
connaissons ont débuté en 1973 à Paris. Six ans plus<br />
tard, Milan suivait le modèle et, en 1984, la première<br />
fashion week de Londres fut organisée sur un site<br />
central avec des expositions attenantes. Aujourd’hui,<br />
la fashion week est un concept très couru pour promouvoir<br />
un pays, et il en émerge un peu partout ; de<br />
l’Est à l’Ouest, du Nord au Sud ; à Cali, Delhi, Johannesburg,<br />
Téhéran et São Paolo, à Reykjavik, Tokyo, Moscou,<br />
Miami et Stockholm – les fashion weeks se répandent<br />
et cette expansion ne connaît pas de déclin.<br />
Anja Aronowsky Cronberg<br />
Traduit de l’anglais par<br />
Thibaut Mosneron Dupin<br />
Défilé Dior automne-hiver 2011-2012 ©DR<br />
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