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« Je n’ai jamais eu de conseil<br />
en communication, ni appliqué,<br />
comme on le croit si souvent,<br />
des règles de marketing dans<br />
lesquelles, d’ailleurs,<br />
je n’ai aucune confiance »<br />
absolument obligé de rentrer chez soi pour se changer. »<br />
Dès lors, les careerwomen américaines ne se sentent<br />
plus obligées d’assumer leur féminité par des talons<br />
aiguilles et des chemisiers à jabot, elles dégainent le<br />
blazer ou le tailleur-pantalon. « Quand je crée, je n’ai<br />
jamais recours à des abstractions, à l’art pour l’art. Je<br />
colle à la période d’aujourd’hui, ressentant les envies<br />
et besoins des gens qui comme moi travaillent. Ils<br />
veulent être relax et moins formels. Le style, d’accord,<br />
mais ici on a besoin de l’utilitaire, du rapport qualité/<br />
prix. La femme américaine aime porter des vêtements<br />
respectables et raisonnables, sans paraître pour autant<br />
mémère. » Son idéal féminin ? « Élancée, volontaire,<br />
et surtout mince... » L’exemple type ? « Faye Dunaway<br />
dans le film Network, une femme qui travaille mais<br />
reste sexy, Ali McGraw ou Jackie Kennedy. » De l’autre<br />
côté de l’Atlantique, on compare sa mode à « un grand<br />
verre d’eau glacée », critiquant le côté clinique, minimal<br />
et androgyne de ses créations. Lui se sent flatté,<br />
ou presque : « Je suis un Américain sans complexe qui<br />
fait des modèles qui doivent se vendre. Les créateurs<br />
américains, que ce soit Bill Blass, Perry Ellis ou Ralph<br />
Lauren, s’adressent au plus grand nombre, en fabriquant<br />
des vêtements de grande consommation. Les<br />
Européens préfèrent s’occuper des “happy few”, d’une<br />
clientèle triée sur le volet. Ça ne marche pas ici. La<br />
frime et l’esbrouffe ne remplissent pas le tiroir-caisse… »<br />
1993 Passé maître dans l’art de la provocation, il peut<br />
sans complexe mettre Kate Moss cul nu sur un canapé<br />
(après l’avoir laissée en tête-à-tête sur une île déserte<br />
avec son fiancé photographe) et encenser les bienfaits<br />
de son extrême minceur. « Pour porter mes créations,<br />
il ne faut pas de kilos superflus. L’âge n’a pas<br />
d’importance, mais je ne veux pas de grosses poitrines,<br />
de larges hanches, de rondeurs… La silhouette doit<br />
révéler le corps. Je ne travaille pas pour des obèses. »<br />
Une silhouette famélique qui devient tendance et<br />
qui, accompagnée du spectre de la drogue, des cernes<br />
et du mouvement grunge, embarrasse les autorités<br />
publiques à mesure que se placardent dans la ville les<br />
affiches de la campagne « Obsession ». Accusé de vanter<br />
les mérites de l’anorexie, de la toxicomanie et d’inciter<br />
à la consommation de stupéfiants, le président Bill<br />
Clinton l’enjoint d’enrayer cette endémie, baptisée par<br />
la presse « Héroïne chic ». « Pour moi, la publicité, le<br />
message, l’image sont partie intégrante d’une création<br />
dont le but est d’entrer en contact avec le public. Quand<br />
on accuse mes images de faire l’apologie du sexe, de la<br />
drogue, bref du vice… je crois que tout cela n’existe que<br />
dans la tête de mes détracteurs. » La preuve, le chiffre<br />
d’affaires, passé dans le rouge (avant que le magnat<br />
David Geffen ne le sauve in extremis de la banqueroute),<br />
remonte en flèche.<br />
1995 Il ravive alors l’odeur de souffre lors de la campagne<br />
pour son nouveau concept de parfum « partagé »,<br />
CK One. « Mon inspiration ? Ma fille, toujours, qui<br />
porte des eaux de toilette masculines. » Évoquant les<br />
photos de Richard Avedon immortalisant les membres<br />
de la Factory, Steven Meisel met en scène des groupes<br />
d’adolescentes au visage d’enfant, dénudées et lascives,<br />
adoptant des poses sexuellement suggestives. Cette fois,<br />
c’en est trop. Une levée de boucliers d’associations familiales<br />
dénoncent le caractère pédophile de cette campagne,<br />
les groupes de pression et pétitions appellent au<br />
boycottage des produits. Quand le président Clinton s’y<br />
met – « Il n’est pas bon de manipuler ces enfants, de les<br />
utiliser pour un bénéfice commercial » –, Calvin Klein<br />
se voit bien obligé de retirer ses spots publicitaires.<br />
Sommé de s’excuser publiquement, Calvin se sent trahi.<br />
« Tantôt on m’accuse d’être glacial, minimaliste, abstrait.<br />
Tantôt, il paraît que j’en fais trop. Il y a encore beaucoup<br />
de gens en Amérique qui n’hésitent toujours pas<br />
à brûler les sorcières. » Et les rumeurs enflent de plus<br />
belle dans la mégalopole. On apprend que Calvin est<br />
entré en clinique (désintoxication ?) et qu’il divorce<br />
une seconde fois. « La presse aujourd’hui, je n’y accorde<br />
pas vraiment d’importance. Qui lit vraiment leurs critiques<br />
? Ces gens écrivent plus sur eux que sur vous ! »<br />
En attendant, son parfum explose le « fragrance box<br />
office ». Le chiffre d’affaires bat des records, passant de<br />
12 à 35 milliards de francs de 1994 à 1997.<br />
2003 Après avoir une nouvelle fois scandalisé le<br />
maire de New York avec sa campagne pour sa première<br />
ligne de sous-vêtements enfant, Calvin ne s’amuse plus<br />
et pense à la retraite. « Le principe des collections multiples,<br />
à la chaîne, était devenu trop répétitif, pour ne<br />
pas dire rasoir. Et ne comptez pas sur moi pour pousser<br />
les sacs ou les accessoires ! […] J’ai toujours fait ce<br />
que j’ai voulu et, même si parfois mes actes ont eu des<br />
conséquences décevantes, je ne regrette rien. » Sans<br />
se retourner, il cède sa marque au groupe Philips-<br />
Van-Heusen Corporation pour 450 millions de dollars<br />
(315 millions d’euros) et passe le flambeau. Chaque<br />
ligne aura désormais son designer. « Pour les griffes,<br />
la modestie retrouvée des couturiers est une bonne<br />
affaire » ; pour la griffe C.K., c’est un mauvais coup. En<br />
perdant son prénom, elle perd son identité et entre<br />
pleinement dans une logique industrielle. P-VH<br />
Corporation se serre la ceinture et doit congédier une<br />
grande partie du personnel.<br />
2010 Vendus à la chaîne en supermarché, les slips<br />
boxer et sous-vêtements « pocket » en tous genres sont<br />
devenus terriblement banals. Et les collections minimales,<br />
terriblement classiques, bien qu’onéreuses et de<br />
qualité « luxe » douteuse. Les héritiers peinent à redorer<br />
le blason de la marque sérieusement racorni. Ne reste<br />
plus qu’à appliquer la bonne vieille recette de l’interdit<br />
qui fait vendre, le scandale restant encore un tant soit<br />
peu profitable : censuré le spot voyeuriste filmant une<br />
Eva Mendès brûlante dans ses draps ; censurée l’affiche<br />
mettant en scène le top Lara Stone échevelée au milieu<br />
de trois hommes simulant, selon le Bureau des normes<br />
de publicité, « la violence et le viol ». Mais il faut bien se<br />
rendre à l’évidence : la marque au logotype obsessionnel<br />
n’est plus à la mode. « Les marques de mode sont<br />
devenues à la merci de la mode. Elles ont beau investir<br />
en publicité, se réclamer de la grande tradition du luxe,<br />
elles doivent composer avec la part la plus mouvante<br />
de nos sociétés : les tendances. »<br />
Marlène Van de Casteele<br />
Dans l’ordre : Calvin Klein par Irving Penn, 1981<br />
Calvin Klein, Brooke Shield, Richard Avedon, 1980<br />
Calvin Klein, Kate Moss, David Sims, 1993<br />
Portrait Calvin Klein ©DR<br />
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