Une jeune femme de la tribu Samburu, dans le Nord du ... - IRIN

Une jeune femme de la tribu Samburu, dans le Nord du Kenya, subit une excision, un rite culturel
essentiel, pratiqué avant le mariage. Des femmes lui maintiennent la bouche fermée pour étouffer
ses cris de douleur. Dans ce chapitre, les photos suivantes représentent « Juliana », une autre
membre de la tribu Samburu, au cours des différentes étapes de cette même cérémonie.
Toutes les photographies présentées dans ce chapitre ont été réalisées par Mariella Furrer.

Chapitre 4
La mutilation génitale féminine
La mutilation génitale féminine existe depuis des siècles au sein de cultures regroupées principalement en Afrique de
l’Ouest et centrale, dans la Corne de l’Afrique ainsi qu’en Égypte. Il s’agit d’un rite traditionnel auquel sont soumises,
chaque année, quelque deux millions de filles. Si la mutilation peut être pratiquée dès la petite enfance et jusqu’à
l’âge de 30 ans, la plupart des filles la subissent entre quatre et 12 ans. Au sein de la population féminine actuelle,
entre 100 et 140 millions de femmes et de filles environ ont subi une forme d’excision médicalement injustifiée. 1 Le
taux de prévalence de la mutilation varie sensiblement dans les 28 pays d’Afrique où elle est pratiquée, allant de cinq
pour cent environ en Ouganda et en République démocratique du Congo (RDC) à plus de 90 pour cent à Djibouti, en
Égypte, en Érythrée, en Éthiopie, en Guinée, au Mali, en Sierra Leone, en Somalie et au Nord-Soudan. 2 Des cas de
mutilation ont également été signalés dans certaines communautés de la péninsule arabe, en Asie du Sud, en Asie du
Sud-Est et parmi les populations africaines immigrées en Australie, en Europe et dans les Amériques. 3
Définition de la mutilation génitale féminine
Également connue sous le nom d’ablation génitale féminine ou d’excision, la
mutilation génitale féminine recouvre de manière générale « toutes les interventions
incluant l’ablation partielle ou totale des organes génitaux externes de la femme ou la
lésion des organes génitaux féminins pratiquée pour des raisons culturelles ou pour
toute autre raison non thérapeutique. » 4 La mutilation varie d’une culture à l’autre,
ainsi qu’au sein même de chaque culture : il existe en effet de nombreux types
d’interventions différents et de multiples termes pour les désigner. Cependant,
l’Organisation mondiale de la santé (OMS), le Fonds des Nations Unies pour
l’enfance (UNICEF) et le Fonds des Nations Unies pour la population (FNUAP) ont
établi une classification internationale des diverses formes de mutilation génitale.
La première méthode évoquée dans cette classification est communément désignée
sous le terme de clitoridectomie. Elle consiste à saisir le clitoris d’une enfant entre le
pouce et l’index pour l’extraire avant de procéder à son ablation totale ou partielle,
d’un coup sec, à l’aide d’une lame de rasoir, d’un couteau ou de tout autre instrument
tranchant. La seconde méthode, désignée par le terme d’excision, consiste également
à réséquer le clitoris, mais elle comprend également l’ablation totale ou partielle des
lèvres intérieures du vagin (petites lèvres).
L’infibulation, qui fait l’objet d’une troisième catégorie, consiste à exciser également
la paroi interne des lèvres extérieures du vagin (grandes lèvres). La plaie est ensuite
fermée et suturée à l’aide d’épines, de bouse de vache ou autres cataplasmes, ou de
points de suture – ce processus de cicatrisation pourra être facilité par le ligotage des
jambes de l’opérée, qui restera ainsi immobilisée jusqu’à six semaines. Les tissus
cicatriciels qui en résultent recouvrent généralement l’urètre et une partie, voire la
majeure partie du vagin. Un petit orifice est préservé pour l’écoulement d’urine et de
sang menstruel. 5 Enfin, une quatrième catégorie regroupe les mutilations génitales «
inclassables ». Ce quatrième type de mutilations génitales recouvre un vaste éventail
de pratiques préjudiciables : perforation ou incision du clitoris, grattage, brûlure ou
encore introduction de substances corrosives à l’intérieur du vagin. 6
La mutilation génitale féminine 51

On estime aujourd’hui que 85 pour cent des mutilations génitales pratiquées dans le
monde font partie des deux premières catégories. Malgré tout, entre 80 et 90 pour
cent environ des filles à Djibouti, en Somalie et au Soudan, ainsi qu’un petit
pourcentage de filles au Tchad, en Égypte, en Érythrée, en Éthiopie, en Gambie, en
Guinée, au Kenya, au Mali, au Nigeria et en Tanzanie subissent une infibulation. 7
Le débat international sur la terminologie appropriée pour désigner les mutilations
génitales est presque aussi controversé que la pratique elle-même. Le terme de «
mutilation » est actuellement employé dans tous les documents officiels des Nations
Unies, pour insister sur la gravité de cette pratique, sans légitimité médicale.
Toutefois, pour beaucoup de travailleurs présents sur le terrain, « excision » est un
terme plus neutre, et par là-même respectueux, pour qualifier une pratique à laquelle
de nombreuses cultures et de nombreuses personnes restent attachées. D’autres, qui
travaillent au niveau international ou local, utilisent le terme de « circoncision ». Bien
que ce terme soit encore couramment utilisé, son usage au sein du débat international
est réducteur. Associé à la circoncision masculine (ablation du prépuce), il minimise
la nature et les effets d’une majorité d’excisions de différents types, pratiqués sur les
femmes. Pour les hommes, une telle «
circoncision » génitale correspondrait à
l’ablation totale ou partielle du pénis, en plus de
celle du prépuce. 8
l’écoulement des menstrues et les infections des voies génitales qui y sont liées. Elle
peut également rendre stérile, provoquer des douleurs pendant l’acte sexuel et un
travail prolongé ou dystocique. 12 Outre cela, la mutilation génitale peut faciliter la
transmission du VIH, notamment si des filles ou des nourrissons infectés sont opérés
lors de cérémonies collectives où les exciseurs utilisent le même instrument pour
toutes les initiées. Même après la guérison, la vulve cicatrisée ou desséchée d’une
femme excisée ou infibulée peut être aisément déchirée pendant l’acte sexuel, ce qui
augmente la probabilité de transmission du VIH par un partenaire porteur du virus.
Outre les multiples effets physiques de la mutilation génitale, la terreur psychologique
qu’elle suscite peut également avoir un impact durable. Certaines filles, par exemple,
ont l’impression de ne plus maîtriser leur propre corps – particulièrement si elles sont
piégées et contraintes de se soumettre à cette pratique. Une jeune Burkinabée garde le
souvenir de ce qui devait être une visite ordinaire chez un parent.
Elle raconte : « Ils nous avaient demandé de passer pour chercher des bonbons et
des oeufs. Quand on est arrivé, trois femmes m’ont attrapée, m’ont ligotée aux
« Quand on excise une fille, on sait qu’elle restera pure jusqu’au mariage, et qu’après
le mariage, elle sera fidèle. […] Mais quand on laisse une fille pas excisée, elle
couche avec n’importe qui dans la communauté ».
Si certains activistes considèrent la circoncision masculine comme une violation
majeure du droit des garçons à leur intégrité corporelle, l’impact de cette pratique sur
la santé fait aujourd’hui l’objet d’une vive controverse. Les adversaires de la
circoncision masculine affirment qu’elle a des effets négatifs sur la santé et la sexualité
des hommes. De plus, selon certaines données, la circoncision masculine pourrait
causer des infections ou des lésions et même entraîner la mort, lorsqu’elle est pratiquée
dans de mauvaises conditions d’hygiène. 9 Toutefois, selon les conclusions d’une étude
menée récemment en Afrique du Sud, la circoncision pourrait avoir des effets positifs
pour les hommes : elle pourrait en effet réduire le risque de transmission du VIH. 10
Pour les femmes, en revanche, le constat est sans appel : même la mutilation génitale
la plus bénigne peut affecter les fonctions sexuelles de l’opérée et entraîner toutes
sortes de conséquences négatives sur sa santé. 11
Les effets de la mutilation génitale féminine sur la santé
Parmi ses effets immédiats sur la santé physique des femmes, la mutilation génitale
peut causer des douleurs intenses, un choc et une hémorragie. Elle comporte
également un risque important d’infections locales et systémiques (abcès, ulcères,
processus de guérison ralenti, septicémie, tétanos ou gangrène…). Parmi les
complications physiques à long terme, la mutilation génitale peut causer de la
rétention urinaire et les infections urinaires qui en découlent ou l’obstruction de
toilettes, m’ont clouée au sol et déshabillée […] J’ai vu le couteau et j’ai su ce qui
allait se passer. J’ai crié, mais je n’ai pas pu trouver les mots ». 13
Médicalisation de la mutilation génitale féminine
Dans certaines régions, la sensibilisation accrue aux conséquences négatives de la
mutilation génitale sur la santé des femmes et des filles a suscité une hausse de l’offre
et de la demande en excisions pratiquées par des professionnels de la santé agréés.
Selon une enquête Démographie et Santé (EDS) réalisée en Égypte en 1995, les
jeunes Égyptiennes sont trois fois plus susceptibles que leurs mères d’être excisées
par un professionnel de la santé. 14 En Égypte, selon des statistiques obtenues en
2000, plus de la moitié des excisions seraient pratiquées par des médecins et des
infirmières. En pratiquant les excisions, les professionnels de la santé réduisent
indéniablement certains des risques immédiats que comporte la mutilation génitale
féminine. Pourtant, l’Organisation mondiale de la santé ainsi que d’autres entités
internationales s’opposent radicalement à cette médicalisation de la mutilation
génitale féminine. Pour ces organismes, pratiquer des interventions inutiles sur des
enfants constitue une violation de l’éthique médicale. Ce phénomène de
médicalisation est également observé en dehors des infrastructures sanitaires. Au
Kenya, par exemple, les exciseurs achètent parfois des antiseptiques et de l’anatoxine
tétanique pour empêcher les infections. Il est bien plus difficile de lutter contre ce
type d’activité que contre celle des professionnels qualifiés. 15
52 La mutilation génitale féminine

La cérémonie de mariage de « Juliana », une
fille de la tribu Samburu, dans le Nord du
Kenya, se déroule sur une période de trois
jours et comprend le rituel de l’excision. La
fillette est sur le point de devenir la seconde
épouse d’un homme plus âgé qu’elle, qui vit à
130 kilomètres de son village. Juliana sera
chargée de garder le bétail de son époux. Des
membres de la communauté ont déclaré à la
photographe qui a réalisé cette série de
clichés que Juliana avait 16 ou 17 ans.
Le premier jour, on rase la tête de Juliana en
vue de la préparer pour l’excision. On bénit les
peaux de bêtes sur lesquelles elle sera assise
pendant le rituel, et on dispose ses colliers de
perles.

Malgré certaines tendances à la médicalisation, la mutilation génitale est le plus
souvent pratiquée par des exciseurs traditionnels, dans des conditions d’hygiène
déplorables et sans anesthésie. En tant qu’initiées, de nombreuses filles n’ont pas le
droit d’évoquer l’intervention ni son impact, particulièrement avec les femmes non
excisées. 16 Le secret du rituel, l’absence d’infrastructures sanitaires adéquates dans de
nombreux pays où la mutilation génitale est pratiquée et l’acceptation des
complications et des risques liés à cette pratique se conjuguent sans doute pour
empêcher les femmes de recevoir des soins appropriés, destinés à traiter les
problèmes de santé causés par l’intervention. Près de 84 pour cent des femmes
infibulées d’Érythrée, par exemple, ont déclaré n’avoir reçu aucune assistance
médicale pour soigner les troubles causés par leur excision. 17
Les attitudes qui perpétuent la pratique
La mutilation génitale est perpétuée par des coutumes, des croyances religieuses et,
au centre de celles-ci, le désir de préserver la pureté de la femme en maîtrisant sa
sexualité, qui l’emportent tous trois sur l’impact médical de cette pratique. Selon une
exciseuse originaire du Kenya, ce rituel est une manière d’assurer pureté et fidélité :
« Quand on excise une fille, on sait qu’elle restera pure jusqu’au mariage, et qu’après
le mariage, elle sera fidèle. […] Mais quand on laisse une fille pas excisée, elle
couche avec n’importe qui dans la communauté ». 18
Rien ne permet de déterminer de manière irréfutable les raisons qui ont donné lieu à
une telle pratique, ni à quelle époque elle est apparue. Néanmoins, nombreux sont
ceux qui émettent la théorie suivante : la mutilation génitale était un moyen pour les
familles d’assurer la virginité des intéressées avant leur mariage. L’infibulation, en
particulier, laisse des cicatrices qui forment un « sceau », lequel garantit et confirme
la chasteté de la future mariée. Même les formes de mutilation génitale plus bénignes
peuvent réduire le désir sexuel des femmes et des filles. Celles-ci sont ainsi moins
susceptibles d’avoir des relations préconjugales. 19
l’Ouest, une fille peut être tenue d’avoir un enfant avant le mariage pour prouver
qu’elle est féconde. Si elle réussit à avoir un bébé, elle subira une mutilation génitale,
avant d’être mariée. 21 Dans ces cas atypiques, la mutilation génitale féminine est
pratiquée sur des femmes ou des filles plus âgées.
Hommes ou femmes, les adeptes de cette pratique affirment qu’elle favorise la
propreté, l’attrait de la femme et la bonne santé. Ce point de vue traduit
implicitement l’idée selon laquelle les parties génitales de la femme sont sales et
laides ; laissées dans leur état naturel, elles pourraient provoquer des maladies ou être
prédisposées à d’autres affections. En outre, cette tradition rend les femmes plus
épousables. En effet, cette tradition procurerait aux initiées une sensation globale de
calme et, en réduisant leur désir sexuel, limiterait le risque de relations
extraconjugales. Comme l’explique l’un des aînés d’une tribu kényane, « Une femme
excisée choisira un partenaire par amour, pas pour le sexe ». 22
Dans certaines communautés, la mutilation génitale féminine est même une
condition préalable au mariage. Les femmes qui ne respectent pas la tradition
s’exposent à un divorce ou à une excision forcée. 23 Dans d’autres communautés, le
prix de la fiancée peut être bien moins élevé pour une femme non excisée. Par
ailleurs, un orifice vaginal plus étroit augmenterait le plaisir sexuel de l’époux. Malgré
tout, les hommes ne sauraient être considérés comme responsables à eux seuls, ni
même en majeure partie, de la pratique des mutilations génitales féminines. Certains
hommes reconnaissent aujourd’hui l’impact négatif de la mutilation génitale et
s’opposent ouvertement à cette pratique, alors même que des sociétés de femmes
continuent d’affirmer qu’elle constitue un rite de passage crucial pour les filles.
Pratiquée par les fidèles du christianisme, de l’islam et de confessions traditionnelles
ou animistes, ainsi que par certaines communautés juives d’Éthiopie, la mutilation
génitale féminine transcende les croyances religieuses. Néanmoins, même si la
mutilation génitale préexistait à l’islam, plusieurs recherches suggèrent que les
musulmans, en particulier, associent la mutilation génitale à la Sunna, pratique requise.
54 La mutilation génitale féminine
« J’ai été excisée à 13 ans et j’ai moi-même excisé 23 filles depuis lors. C’est mon seul moyen de
gagner de l’argent pour nourrir mes enfants. J’étais encore à l’école quand mes parents ont été
tués – je n’avais personne pour s’occuper de moi, alors je suis entrée dans la société secrète ».
Aujourd’hui encore, le
contrôle social des
femmes et des filles
demeure un argument
de premier ordre en
faveur de la mutilation génitale féminine. Selon un démographe érythréen,
spécialiste des questions de santé, tel était l’argument le plus communément invoqué
par les personnes interrogées, pour défendre la mutilation génitale : « La chasteté est
l’unique vertu de la femme. Il faut prendre toutes les mesures nécessaires pour la
préserver. […] Les femmes doivent être protégées, et l’infibulation est un mécanisme
de défense. » 20 Pourtant, la chasteté n’est pas un objectif universel. Dans certaines
communautés du Kenya et de l’Ouganda ainsi que dans certains pays d’Afrique de
D’ailleurs, en arabe, la clitoridectomie est connue sous le nom de circoncision
sunnite. 24 Certes, la plupart des religieux musulmans déconseillent activement
l’infibulation et de plus en plus d’imams s’opposent ouvertement à toutes les formes de
MGF. Toutefois, certains d’entre eux maintiennent que certaines formes, plus
bénignes, de mutilation génitale sont acceptables. Ainsi s’était exprimé un religieux
originaire d’Éthiopie, lors d’une conférence régionale sur la mutilation génitale
féminine : « Cette conférence et les recherches médicales qui lui sont associées ne

Le deuxième jour, Juliana est conduite jusqu’à
la porte de la hutte où elle sera excisée. Elle
retire ses vêtements, et on lui verse du lait de
vache sur la tête, en guise de bénédiction.
Assise, elle est maintenue fermement par
d’autres femmes, tandis que l’exciseuse, elle
aussi membre de la tribu Samburu, se prépare
pour le rituel.

démontrent pas que la circoncision sunnite – qui consiste à exciser uniquement la
partie externe du clitoris – soit à l’origine d’aucune complication médicale. […] Je
crois que l’islam cautionne la circoncision sunnite ; elle est acceptable ». 25
La mutilation génitale féminine présente une caractéristique commune quels que
soient la culture, la religion et le continent où elle est pratiquée : il s’agit du
conditionnement social des femmes et des filles à l’accepter et à la défendre. 26
Diverses traditions et normes sociales anciennes ont élevé d’office la mutilation
génitale féminine au rang d’impératif social favorisant le bien-être à venir des filles.
La plupart des communautés se servent de chansons et de poèmes pour se moquer
des filles non excisées. De même, plusieurs légendes contribuent, elles aussi, à
assurer la perpétuation de la mutilation génitale : certaines communautés du Nigeria
croient, par exemple, qu’un bébé est condamné à mourir si, pendant l’accouchement,
sa tête touche le clitoris de sa mère. 27 En outre, les mères comme les filles sont
soumises à de fortes pressions de la part de la famille et de la communauté, qui les
poussent à se conformer aux pratiques traditionnelles. D’ailleurs, les mères sont
souvent les principales responsables de la mutilation de leurs filles. « La pratique
rehausse le prestige de la famille au sein de la communauté. Quelle fille ne voudrait
pas faire honneur à sa famille ? », avait déclaré une mère, interrogée dans un camp
de réfugiés du Kenya. 28
La mutilation génitale féminine comporte également une dimension économique.
Cette pratique est en effet une source de revenus importante pour les exciseurs, qui
sont le plus souvent des exciseuses. Dans certaines régions, frappées par la pauvreté,
la motivation financière peut être particulièrement forte. Le soutien social des sociétés
secrètes peut également être très persuasif, comme l’explique cette exciseuse de 26 ans
: « J’ai été excisée à 13 ans et j’ai moi-même excisé 23 filles depuis lors. C’est mon seul
moyen de gagner de l’argent pour nourrir mes enfants. J’étais encore à l’école quand
mes parents ont été tués – je n’avais personne pour s’occuper de moi, alors je suis
entrée dans la société secrète. C’est à partir de là que je me suis mariée. » 29
Les mesures de lutte : de la législation à la prévention
locales et internationales, l’OMS a lancé, en 1997, un programme destiné à accélérer
l’élimination de la mutilation génitale féminine, et réalisable sur une période de 20 ans.
Depuis sa mise en place, l’initiative de l’OMS sert de source d’information pour la mise
en oeuvre de plans nationaux visant à éradiquer cette pratique.
La mutilation génitale est implicitement dénoncée par plusieurs conventions et
traités internationaux condamnant les pratiques traditionnelles préjudiciables : entre
autres, la Convention sur l'elimination de toutes les formes de discrimination à
l'égard des femmes (1979), la Convention relative aux droits de l’enfant (1989), la
Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant (1990). Elle est aussi
explicitement condamnée par la Déclaration des Nations Unies sur l’élimination de
la violence à l’égard des femmes (1993), la Déclaration et le Programme d’action
adoptés à l’issue de la Quatrième Conférence mondiale sur les femmes (1995), ainsi
que la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples et son Protocole relatif
aux droits de la femme (2003).
Parmi les pays occidentaux qui accueillent des populations immigrées originaires de
régions où la mutilation génitale est une coutume, nombreux sont ceux qui ont
adopté des lois pour interdire cette pratique : l’Australie, la Belgique, le Canada, le
Danemark, l’Espagne, les États-Unis, la Norvège, la Nouvelle-Zélande, le Royaume-
Uni et la Suède. La France se fonde sur la législation existante pour porter devant la
justice les cas de mutilation génitale féminine. 30
À l’échelle nationale, 14 des 28 pays d’Afrique où la mutilation génitale féminine est
une pratique culturelle ont adopté une législation prohibitive, pour la plupart au cours
des dix dernières années – le Bénin (promulguée en 2003), le Burkina Faso (1996), la
Côte d’Ivoire (1998), Djibouti (1994), l’Éthiopie (2004), le Ghana (1994), la Guinée
(1965), le Kenya (2001), le Niger (2003), la République Centrafricaine (1966), le
Sénégal (1999), la Tanzanie (1998), le Tchad (2003) et le Togo (1998). Le Nigeria a
mis en place des lois étatiques pour interdire la mutilation génitale féminine (1999-
2002) et le ministère égyptien de la Santé a déclaré cette pratique illégale et passible
de sanctions, conformément aux dispositions du code pénal (1996).
Dans les années 1970 et 1980, la mutilation génitale féminine est devenue, auprès de
la communauté internationale, une question cruciale pour la santé des femmes et des
filles. Dans le cadre du débat sur la mutilation génitale féminine, les défenseurs des
droits de la femme se sont également
penchés sur les questions de
subordination et d’oppression des
femmes, en intégrant une démarche
soucieuse de l’égalité entre les sexes. Pour eux, la mutilation génitale constitue une
violation des droits de la personne reconnus par la communauté internationale, dont
le droit à la vie et à la liberté, et celui d’être à l’abri de la torture. En grande partie pour
faire écho aux actions entreprises, dans le monde, par un grand nombre d’organisations
56 La mutilation génitale féminine
L’infibulation a été interdite au Soudan en 1946, puis une nouvelle fois en 1956,
après l’indépendance, mais le code pénal de 1993 ne condamne pas explicitement la
mutilation génitale. De même, dans plusieurs autres pays présentant une forte
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prévalence de la MGF, la loi ne proscrit pas une telle pratique – l’Érythrée
(prévalence de 95 pour cent), la Gambie (entre 60 et 90 pour cent), la Guinée-Bissau
(50 pour cent), le Liberia (50 à 60 pour cent), la Sierra Leone (90 pour cent) et le
Mali (90 pour cent). Bien qu’aucune loi n’interdise la mutilation génitale au Mali, le

Le reste de la deuxième journée, les festivités
se poursuivent par des danses et des chants,
en vue du mariage proprement dit, qui aura
lieu le lendemain. Juliana a été emmenée
dans sa hutte pour se reposer après l’excision.
Le jour de son mariage, Juliana était trop
faible pour se tenir debout sans être soutenue.
Elle avait saigné toute la nuit et ressentait de
terribles douleurs. Des femmes lui ont fait
boire un mélange de lait et de sang de vache,
un breuvage Samburu traditionnel qui
permettrait de compenser la perte de sang.
Malgré l’état de Juliana, le mariage a bel et
bien eu lieu ; la jeune fille a été portée sur les
lieux de la cérémonie.

ministère des Femmes, des Enfants et de la Famille a mis en place un programme
national visant à l’élimination de cette pratique d’ici à l’an 2007. 31
Malgré les progrès en matière de législation, les lois anti- mutilation génitale
féminine, quand elles existent, sont loin d’être strictement appliquées. 32 Fait plus
important encore, selon la présidente de Research, Action and Information Network
for the Bodily Integrity of Women (RAINBO – Réseau de recherche, d’action et
d’information pour l’intégrité corporelle des femmes), « Le changement social ne
saurait être accompli uniquement par le biais d’actions juridiques ou répressives ». 33
Selon de nombreux experts, les lois contre la mutilation génitale sont utiles pour
appuyer les efforts en matière d’éducation et donner une crédibilité aux personnes
qui oeuvrent à éradiquer les pratiques préjudiciables. Toutefois, criminaliser ceux qui
pratiquent la mutilation génitale féminine risque d’entraver le débat critique et
d’encourager les personnes concernées à « entrer dans la clandestinité » pour
continuer à la pratiquer. Cette intervention deviendrait alors encore plus dangereuse
qu’elle ne l’est déjà. 34
Affronter les traditions culturelles
Selon les experts, pour éradiquer la mutilation génitale féminine, la véritable
difficulté consiste à affronter des traditions culturelles profondément ancrées.
L’histoire a déjà montré qu’en interdisant la mutilation génitale sans sensibiliser la
communauté en parallèle, l’on pouvait provoquer
une recrudescence de la pratique. Lorsque la
mutilation génitale a été interdite au Soudan, à la
fin des années 1940, des milliers de personnes se
d’inscrire les programmes éducatifs dans un contexte plus vaste de bien-être social
des femmes et des filles, pour encourager les communautés à abandonner la
mutilation génitale féminine, sans leur ordonner d’y renoncer. 38
Presque partout, les initiatives de sensibilisation anti- mutilation génitale féminine
les plus efficaces à l’échelle communautaire sont le résultat de mouvements
autochtones visant à supprimer cette pratique. Citons, par exemple, les initiatives de
l’organisation non gouvernementale TOSTAN, au Sénégal. 39
En outre, de nombreux activistes s’accordent à le dire : pour mettre un terme à la
mutilation génitale féminine, il faut avant tout promouvoir l’émancipation des
femmes. Dans cette optique, un certain nombre de programmes comprennent : des
initiatives destinées à aider les exciseuses à trouver d’autres moyens de subsistance,
des volets éducatifs pour les femmes et les filles, ainsi que des « rites alternatifs »,
qui remplacent la mutilation génitale par des pratiques d’initiation plus positives. 40
L’un de ces programmes, mis en place dans le Nord du Kenya, a pour but de
promouvoir l’alphabétisation des femmes et des filles, avec le soutien du Haut
Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés. L’un des volets de ce programme
a pour vocation d’enseigner aux femmes et aux filles réfugiées l’intégrité et la valeur
de leur corps. 41 D’autres programmes ont mis au point des stratégies centrées sur les
hommes, et notamment sur les dignitaires religieux et communautaires. Ces
stratégies, d’une importance cruciale, visent à inciter les hommes à débattre des
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sont hâtées de faire exciser leurs filles avant l’entrée en vigueur de la loi. 35 Bien plus
récemment, des réfugiés somaliens bantous, qui souhaitaient être réinstallés aux
États-Unis, se sont empressés de faire exciser leurs filles – certaines tout juste âgées
d’un an – lorsqu’ils ont appris que la mutilation génitale féminine était une infraction
pénale dans ce pays. 36
D’après les conclusions d’enquêtes Démographie et Santé réalisées à l’échelle
nationale, les habitantes des régions où la mutilation génitale est pratiquée
cautionnent, le plus souvent, les campagnes éducatives ; il s’agit, selon elles, du
meilleur moyen de mettre fin à cette pratique. 37 Toutefois, les stratégies éducatives
doivent être adaptées à chaque contexte culturel, comme l’attestent les programmes
multinationaux soutenus par l’organisation non gouvernementale CARE ou par
Promoting Women in Development (PROWID – Promouvoir les femmes dans le
développement). Ces initiatives ont en effet démontré que les stratégies éducatives
uniquement axées sur les conséquences de la mutilation génitale pour la santé,
incitaient les communautés à adopter des des formes plus bénignes d’excision, dont
les effets sont moins graves. CARE et PROWID en ont conclu qu’il était plus utile
traditions et des valeurs culturelles qui perpétuent la mutilation génitale. Pour la
plupart des activistes, les programmes qui n’abordent qu’un aspect de la mutilation
génitale, tel que le cadre juridique, ou ne s’adressent qu’à un seul groupe de
protagonistes, tels que les femmes, ne sauraient véritablement mettre fin à cette
pratique. 42
Certaines activités semblent avoir porté leurs fruits. Citons, par exemple, le
programme de rites de passage alternatifs mis en place dans sept districts du Kenya
sous l’égide de la Maendeleo Ya Wanawake Organisation (MYWO) ou encore le
Program for Appropriate Technology in Health (PATH – Programme pour une
technologie appropriée dans le domaine de la santé). Entre 1998 et 2003, le Kenya
a enregistré une diminution de six pour cent du nombre de cas de mutilation génitale
déclarés, notamment chez les femmes de moins de 25 ans. Une telle diminution doit
faire l’objet d’un contrôle attentif pour garantir qu’elle reflète véritablement un recul
de la pratique. Malgré tout, l’UNICEF soutient avec optimisme que la mutilation
génitale a presque diminué de moitié au Kenya (où elle est interdite), au cours des
vingt dernières années. 43
58 La mutilation génitale féminine

Incapable de marcher, Juliana a été vêtue de ses peaux de bêtes nuptiales et portée
jusqu’à une arche faite de bâtons, sous laquelle elle devait passer en compagnie de
son mari – un rituel qui fait partie de la cérémonie de mariage. Après le mariage,
Juliana était censée marcher aux côtés de son nouvel époux et du témoin de celui-ci
jusqu’à son nouveau village, quelque 130 kilomètres plus loin.

Compte-tenu de l’état de Juliana, la photographe a convaincu la famille que la
jeune fille nécessitait des soins médicaux. Conduite à l’hôpital à bord d’un véhicule,
Juliana a subi une opération destinée à refermer une entaille profonde dans son
muscle vaginal. Selon le médecin qui l’a opérée, il est peu probable que Juliana ait
plus de 12 ans. Le lendemain, elle a été conduite jusqu’au village de son mari pour
commencer sa vie de femme mariée.

Cependant, ces signes de recul ne sont pas observés partout ; ils sont même peu
courants. Cela est dû, en partie, au fait que les groupes actifs sur le terrain
n’atteignent qu’une faible proportion de la population. 44 En général, ces
organisations ne disposent pas de ressources suffisantes et pâtissent d’un manque
d’information, tout spécialement dans le domaine des meilleures approches pour
mettre fin à la mutilation génitale, mais aussi en matière d’évaluation des résultats
obtenus. 45 De nombreuses organisations considèrent que les ressources actuelles ne
leur fournissent pas assez d’éléments d’information et d’orientation pour lutter contre
la mutilation génitale féminine.
Dans de nombreux pays, la mutilation génitale féminine reste très pratiquée, ce qui
confirme que l’action menée pour la supprimer doit s’inscrire dans la durée et
bénéficier d’un appui important. L’année dernière, le 6 février 2004, la Journée
internationale de tolérance zéro pour les mutilations génitales féminines fêtait à
peine son premier anniversaire. Certes, un tel événement contribue à sensibiliser
l’opinion, mais il reste à savoir si la « tolérance zéro » au niveau international se
traduira par un soutien aux individus et aux organisations qui s’emploient à lutter, sur
la ligne de front, pour l’élimination de la mutilation génitale féminine. n
La mutilation génitale féminine 61