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Télécharger le dossier - pierresvives - Conseil Général de l'Hérault

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TÉMOIGNAGE<br />

Février 1944 : l’arrestation d’André Dau et son transfert vers <strong>le</strong>s camps<br />

« Nous sommes alors transférés au commissariat <strong>de</strong> Police où <strong>le</strong> commissaire central, a<strong>le</strong>rté, accueil<strong>le</strong> Marty et sa ban<strong>de</strong>,<br />

et se voit prié « d’al<strong>le</strong>r s’occuper <strong>de</strong> ses affaires ». Dans <strong>le</strong> bureau du commissaire, prestement « réquisitionné », vont se<br />

dérou<strong>le</strong>r <strong>le</strong>s premiers interrogatoires…<br />

J’ai l’honneur d’ouvrir <strong>le</strong> feu. Prié <strong>de</strong> dire la vérité dans mon intérêt, je suis invité à me déshabil<strong>le</strong>r et à me mettre tout nu, à genoux<br />

sur une règ<strong>le</strong>. J’entends Marty marmonner : « Cinquante coups chacun pour commencer… ». Ils sont trois, munis <strong>de</strong> longues<br />

lanières en cuir, trois sadiques que la flagellation excite. La dou<strong>le</strong>ur atroce <strong>de</strong>s cinquante premiers coups fait place par la suite<br />

à un engourdissement progressif. Je ne sentirai pas <strong>le</strong> cent cinquantième : allongé, à <strong>de</strong>mi inconscient sur <strong>le</strong> carrelage glacé,<br />

je ne réalise pas qu’ils me sautent sur <strong>le</strong> ventre puis me traînent jusqu’aux toi<strong>le</strong>ttes où je reste pendant l’interrogatoire <strong>de</strong> mes<br />

camara<strong>de</strong>s. Revenu dans <strong>le</strong> bureau, je reprends mon petit coup<strong>le</strong>t déjà servi à Chamalières : « Je suis réfractaire au STO ;<br />

je m’appel<strong>le</strong> André Dau et je vis d’expédients. » Mon état ne me permet pas d’al<strong>le</strong>r plus loin. Marty n’insiste pas. C’est <strong>le</strong><br />

départ.<br />

Nous arriverons à l’aube à l’Intendance <strong>de</strong> Police <strong>de</strong> Montpellier et serons emprisonnés dans <strong>le</strong>s cellu<strong>le</strong>s dotées<br />

d’un bas-flanc. J’y <strong>de</strong>meurerai allongé sur <strong>le</strong> ventre, <strong>le</strong>s bras en croix, pendant trois jours, en attendant que mon maillot <strong>de</strong><br />

corps, collé à mon dos sanguino<strong>le</strong>nt, tombe en lambeaux. Nous subirons <strong>le</strong>s jours suivants, un interrogatoire <strong>de</strong> routine par<br />

<strong>le</strong>s services <strong>de</strong> Police Judiciaire ; <strong>le</strong> commissaire Jourda se contentera <strong>de</strong> nos déclarations.<br />

Nos repas, venant d’un bar restaurant voisin, sont portés par <strong>de</strong>ux hommes dont l’un a été employé à <strong>de</strong> menus<br />

travaux par mes parents. Il me procure <strong>de</strong> quoi écrire et va porter, à ma famil<strong>le</strong> qu’il a tout <strong>de</strong> suite a<strong>le</strong>rtée, <strong>le</strong> message dans<br />

<strong>le</strong>quel je préviens mes camara<strong>de</strong>s biterrois <strong>de</strong>s informations que possè<strong>de</strong> Marty et du danger encouru par la Résistance.<br />

Mes camara<strong>de</strong>s réunis, dans <strong>le</strong>ur cellu<strong>le</strong> voisine, font <strong>de</strong> même grâce à un brigadier <strong>de</strong> Police <strong>de</strong> Sète en stage à Montpellier.<br />

Le 14 février au soir, nous sommes tous menottés et prestement embarqués dans quatre Traction Avant qui, après<br />

un court trajet, font halte <strong>de</strong>vant un grand portail sur <strong>le</strong>quel veil<strong>le</strong> une sentinel<strong>le</strong> <strong>de</strong> la Wehrmacht ; c’est la prison al<strong>le</strong>man<strong>de</strong><br />

la 32e. Nous ne pouvons réprimer notre dégoût : « M…., ils nous ont livrés aux Boches ! » C’est là que je ferai la connaissance<br />

<strong>de</strong> Chapert, portant visib<strong>le</strong>ment <strong>de</strong>s traces <strong>de</strong> torture. Tous <strong>le</strong>s prisonniers seront détenus dans <strong>le</strong>s gran<strong>de</strong>s cellu<strong>le</strong>s<br />

du premier étage, sauf Jean Billac et moi, mis au secret dans un bloc <strong>de</strong>s cellu<strong>le</strong>s <strong>de</strong> la cour, réservé aux prisonniers dangereux.<br />

Nous occuperons la cellu<strong>le</strong> 24, équipée d’une paillasse et d’une tinette. Nous meublons nos journées à mettre au<br />

point un système <strong>de</strong> déclaration commune. Nous serons soumis à une déposition <strong>de</strong>vant <strong>le</strong>s fonctionnaires <strong>de</strong> la S.A. qui,<br />

assez curieusement, semb<strong>le</strong>nt ignorer que nous occupons <strong>le</strong> même lieu <strong>de</strong> détention. Pour me récompenser d’avoir bien<br />

répondu aux questions (!), l’on me remet un colis que mes parents me font parvenir. Je pourrai ainsi faire l’échange du<br />

linge qu’il contient, notamment ma chemise ; comme cel<strong>le</strong> que je porte habituel<strong>le</strong>ment possè<strong>de</strong> un col muni <strong>de</strong> ba<strong>le</strong>ines,<br />

sachant que ma mère ne manquera pas <strong>de</strong> <strong>le</strong>s en<strong>le</strong>ver avant <strong>le</strong> lavage, je glisse, dans l’emplacement <strong>de</strong> l’une d’el<strong>le</strong>s, un<br />

message bref sur un morceau <strong>de</strong> journal que je rou<strong>le</strong>. Conservé pieusement par sa <strong>de</strong>stinataire, il est en ma possession<br />

encore aujourd’hui…<br />

Quelques jours après notre arrivée, tard <strong>le</strong> soir, nous entendons <strong>le</strong> bruit <strong>de</strong> l’ouverture <strong>de</strong> la porte du bunker <strong>de</strong>s<br />

cellu<strong>le</strong>s. L’on ne peut s’imaginer <strong>le</strong> sentiment d’angoisse créé, dans <strong>le</strong> si<strong>le</strong>nce nocturne d’une prison, par <strong>le</strong> son d’une clé<br />

tournée dans une porte en fer, <strong>le</strong> grincement <strong>de</strong> cel<strong>le</strong>-ci s’ouvrant, <strong>de</strong>s pas martelés sur <strong>le</strong> béton et qui se rapprochent.<br />

La visite est pour nous : trois hommes en civil font irruption, une grê<strong>le</strong> <strong>de</strong> coups s’abat sur nous dans <strong>de</strong>s hur<strong>le</strong>ments en<br />

al<strong>le</strong>mand. L’un d’eux pointe <strong>le</strong> canon <strong>de</strong> son revolver sur moi, me l’enfonce dans l’œil, en criant une bordée d’injures. Nous<br />

apprendrons plus tard qu’il s’agit <strong>de</strong> Mahren, <strong>le</strong> chef <strong>de</strong> la Gestapo <strong>de</strong> Montpellier auquel Marty nous a livrés.<br />

Après qu’on nous ait fait baisser notre pantalon, une chaîne est introduite par <strong>le</strong>s jambes, ca<strong>de</strong>nassée aux pieds puis reliée,<br />

par l’ouverture <strong>de</strong> la braguette, à une paire <strong>de</strong> menottes. Nous resterons ainsi jusqu’au jour du départ. Mais <strong>le</strong> génie du<br />

bout <strong>de</strong> ficel<strong>le</strong> et du fil <strong>de</strong> fer ne perd jamais ses droits. Mon pantalon est muni <strong>de</strong> passants, au niveau <strong>de</strong> la ceinture qui se<br />

déplace dans une bouc<strong>le</strong> <strong>de</strong> métal ; vient l’idée <strong>de</strong> couper cel<strong>le</strong>-ci en <strong>de</strong>ux pour en faire une c<strong>le</strong>f pour <strong>le</strong>s menottes. Nous<br />

nous y employons, limant l’objet sur <strong>le</strong> béton du sol, et cela marche : ainsi, tous <strong>le</strong>s jours, après <strong>le</strong> couvre-feu, nous pourrons<br />

ôter la menotte reliée à la chaîne et nous pourrons dormir allongés sur notre paillasse. Nous arriverons ainsi au 8 mars<br />

1944. Le matin, nous faisons une toi<strong>le</strong>tte sommaire, nos cheveux sont coupés et notre barbe <strong>de</strong> trois semaines rasée. Nos<br />

chaînes ont été ôtées, mais <strong>le</strong>s menottes sont maintenues ; nous sommes seuls, parmi nos camara<strong>de</strong>s que nous voyons<br />

pour la première fois. Impression curieuse <strong>de</strong> voir <strong>de</strong>s visages humains et amis, <strong>le</strong> sentiment <strong>de</strong> revenir dans un mon<strong>de</strong><br />

habité d’êtres civilisés… A la gar<strong>de</strong> <strong>de</strong> Montpellier, nous montons dans un wagon <strong>de</strong> troisième classe dont <strong>le</strong>s compartiments<br />

sont gardés par une sentinel<strong>le</strong> al<strong>le</strong>man<strong>de</strong>. Nous arrivons ainsi, <strong>le</strong> 9, au camp <strong>de</strong> transit <strong>de</strong> Compiègne et sommes<br />

affectés, menottes en<strong>le</strong>vées, à un bâtiment <strong>de</strong> l’ancienne caserne. Nous pouvons circu<strong>le</strong>r dans la journée pour rechercher<br />

<strong>de</strong>s figures connues. Je tombe nez à nez sur « Rex », l’agent <strong>de</strong> police arrêté à C<strong>le</strong>rmont-Ferrand ; il possè<strong>de</strong> sur lui une<br />

importante somme d’argent et m’en donne une partie. Je fais la connaissance d’un responsab<strong>le</strong> <strong>de</strong> bâtiment, un avocat <strong>de</strong><br />

Montpellier, Vincent Badie. Nous pouvons écrire à nos famil<strong>le</strong>s, recevoir <strong>de</strong>s colis, supputer <strong>le</strong>s chances d’évasion. La vie<br />

s’écou<strong>le</strong>, rythmée par <strong>le</strong>s horaires et la discipline du camp. Jeannot et moi sommes toujours ensemb<strong>le</strong>, et je partage avec<br />

lui <strong>le</strong> seul colis <strong>de</strong> victuail<strong>le</strong>s que je reçois, car il est coupé <strong>de</strong> tout <strong>de</strong>puis son départ du maquis <strong>de</strong> Saint-Junien.<br />

Le 20 avril, nous sommes près <strong>de</strong> 1700 détenus appelés sur l’esplana<strong>de</strong> du camp où nous <strong>de</strong>vons remettre un colis<br />

contenant nos affaires qui seront expédiés à nos famil<strong>le</strong>s, puis, après une fouil<strong>le</strong> minutieuse, repartir dans <strong>de</strong>s bâtiments<br />

qui paraissent être d’anciennes écuries et appelés camps C1, C5 et D. Là, sur la pail<strong>le</strong>, nous passerons la nuit. Mon voisin<br />

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