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PaGE 78 ¬ ArTs maGaZiNE ¬ mai 2012 pOrTraiT ALAiN pAssArD un TrOis éTOiLes au Jardin 100 % végétal. avec trois étoiles au Michelin obtenues avec une carte exclusivement légumière, alain passard fait office de pionnier de la gastronomie française. Chef, cultivateur, mais aussi plasticien à ses heures : rencontre avec un passionné de création. Isabelle Giovacchini INTERVIEW Les couleurs du colleur Véritables outils de composition culinaire, les collages de Passard traduisent sa passion du geste juste. un chef à la main verte Alain Passard est le seul chef à cuisiner les légumes de son jardin. Il en possède trois, choisis en fonction de leur terroir. Du potager à l’assiette, en passant par les collages qu’il a exposés récemment au musée Nissim de Camondo à Paris et à la chapelle Saint-Yves de Rennes, Alain Passard est un amoureux du légume. Il était donc logique qu’il préside le jury de la prochaine édition du Festival des jardins de Chaumont-sur-Loire. Et qu’on l’interroge sur son goût prononcé pour les jardins et la création en général. ArTs maGaZiNE • d’où vient ce profond intérêt pour les jardins ? ALAIN PASSARD • Dans les années 1990, L’Arpège, dont j’étais déjà le chef, était une rôtisserie qui a obtenu ses trois étoiles avec le tissu animal. En 1999, je me suis rendu compte que la cuisine animale ne me procurait plus d’émotion. J’ai alors décidé de changer tous les plats de la carte. Je ne savais pas encore que le légume allait rentrer dans ma vie de cuisinier. Avec lui, j’ai voulu mettre de la couleur dans la cuisine. Au même moment, une amie m’a demandé de reprendre
mai 2012 ¬ ArTs maGaZiNE ¬ PaGE 79 aLain CéCiLe passard Beau • portrait à Chaumont-sur-Loire, un mariage de passion Entre le cuisinier cultivateur et fameux festival de jardins, l’union allait de soi. son domaine potager situé dans la Sarthe. J’ai tout de suite accepté. J’ai donc trouvé un jardinier sur place, Sylvain. Ensemble, nous avons recréé un écosystème de dix hectares. Depuis, j’ai créé deux autres potagers. Vous êtes cette année le président du jury du Festival des jardins de Chaumont-sur-Loire. Quel a été votre rôle ? Je pense que la directrice du domaine de Chaumont, Chantal Colleu-Dumont, a été sensible à mon aventure légumière, à ma démarche associée aux saisons et à ma créativité qui est directement liée à ce que l’on peut trouver dans les jardins. Personnellement, je cultive une réelle passion pour ces espaces, même si les miens ne sont pas floraux mais exclusivement potagers. Ce festival est un bel événement et je suis très heureux que la cuisine française y soit représentée à travers moi. En tant que président, j’ai donné le tempo. Cette année, la thématique proposée était « Jardin des délices, jardin des délires ». Il fallait donc que les projets soient gourmands. J’avais envie que les saisons soient respectées, que tous les sens soient sollicités. Je tenais aussi à ce que la main, la beauté du geste, soit présente dans chaque espace. Comment avez-vous abordé cette thématique ? Par la gourmandise ! Chantal Colleu-Dumond voulait absolument mettre en avant excès et jubilation. On a toujours tendance à freiner sur la créativité au jardin, alors que c’est justement un lieu où il ne doit pas y avoir d’interdit. La nature est d’elle-même luxuriante et délirante, je suis persuadé qu’elle a tout écrit. Il suffit de la respecter, de l’écouter pour être aussi gourmand qu’elle. Personnellement, je me suis aperçu que depuis que je respecte les saisons, je n’ai plus besoin de me soucier de ma créativité. Vous privilégiez une cuisine élaborée exclusivement à partir de produits de vos jardins. Cela a-t-il influencé votre rôle au sein de ce festival ? Oui. J’ai été ravi de mettre en avant le légume, mais aussi le métier de jardinier. Ce dernier est un artiste oublié, dont on parle trop peu. Mon objectif est que, d’ici une dizaine d’années, l’on évoque ces hommes comme des créateurs à part entière. à l’inverse, est-ce que votre présence a orienté les projets des candidats ? Curieusement, aucun d’entre eux n’a proposé de jardins légumiers. Par contre, le jury a réalisé son propre jardin, qui lui sera potager, en forme d’assiette contenant une recette. Vous avez aussi une production artistique, notamment de collage. Comment vous est venue cette envie d’art ? Avec un grand-père sculpteur, un père musicien, une mère passionnée de couture et une grand-mère cuisinière, j’ai grandi avec la création. Le geste était partout. Très tôt j’ai eu envie de me servir moi aussi de mes doigts. J’ai réalisé mes collages par hasard, avant même de savoir que j’en ferai Collages & recettes, un livre de cuisine (éd. Alternatives, 2010). Ils sont inspirés des recettes que j’ai créées. Souvent, je construis mes recettes autour d’une couleur, d’une tonalité, comme mon plat Émotion pourpre, un assemblage de mûres et de betteraves. On trouve au sein de la nature des familles colorées, je tente de les respecter pour en faire des collages visuels et gustatifs. Vous exposez ces collages dans l’exposition itinérante « Le Beau Geste ». Quelle est votre définition du beau geste ? C’est une jolie main, une danse, la grâce. Un geste peut être très baroque, appuyé, ou très épuré, éthéré. C’est ce dernier qui m’inspire le plus. Il y a dix ans, je faisais certains plats avec dix ou douze gestes. Aujourd’hui, deux gestes très précis suffisent. repères 1956 Naissance à La Guerche-de-Bretagne 1980 Début de sa carrière de chef au Duc d’Enghien, où il obtient une, puis deux étoiles 1996 Obtient trois étoiles au Michelin pour L’Arpège (Paris 7 e ), ouvert dix ans plus tôt 2001 Début de son aventure légumière 2010 Parution de Collage & recettes, et montage de l’exposition « Le Beau Geste » À voir Festival international des jardins, Chaumont-sur-Loire. Jusqu’au 21 octobre. www.domaine-chaumont.fr Pus d’infos : p. 129
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