Que vaut l'expression : « chacun a sa vérité » ? - lycée Roland Garros
Que vaut l'expression : « chacun a sa vérité » ? - lycée Roland Garros
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Cours de philosophie/M. Mohandi <strong>Que</strong> <strong>vaut</strong> l’expression : « à <strong>chacun</strong> <strong>sa</strong> vérité » ?<br />
<strong>Que</strong> <strong>vaut</strong> l’expression : « <strong>chacun</strong> a <strong>sa</strong> vérité » ?<br />
Analyse du relativisme<br />
Le relativisme est un rapport à la vérité différent du scepticisme mais proche du<br />
dogmatisme.<br />
Il existe plusieurs types de relativisme :<br />
• Le relativisme moral : les valeurs morales, le bien, le juste… dépendent de<br />
chaque personne, de chaque culture, de chaque moment historique, etc. Il<br />
n’existe pas de valeur universelle (pour tout être humain) et absolue.<br />
• Le relativisme esthétique : le beau, le laid, le sublime… sont relatifs à <strong>chacun</strong>.<br />
Il n’existe pas de beauté universelle et absolue.<br />
• Le relativisme de la connais<strong>sa</strong>nce : la vérité n’est pas objective et universelle,<br />
mais subjective et particulière.<br />
Pour comprendre en quoi consiste le relativisme de la connais<strong>sa</strong>nce, il est utile<br />
d’analyser l’expression « à <strong>chacun</strong> <strong>sa</strong> vérité », qui en est la formule emblématique.<br />
« A <strong>chacun</strong> <strong>sa</strong> vérité » est une expression commune, censée rappeler une parole de<br />
bon sens. Elle est employée le plus souvent pour mettre un terme de façon nonviolente<br />
à un échange verbal conflictuel. C’est une sorte signal d’arrêt des hostilités et<br />
un appel lancé à la tolérance. Car si <strong>chacun</strong> a <strong>sa</strong> vérité à quoi bon s’entêter à chercher<br />
à imposer la sienne ? <strong>Que</strong> <strong>chacun</strong> apprenne à accepter la vérité des autres et le monde<br />
s’en portera mieux. Pour éviter les conflits idéologiques on lancera un « de toute<br />
façon <strong>chacun</strong> a <strong>sa</strong> vérité ! ». Ainsi on renonce à imposer son opinion et on accepte<br />
celles des autres.<br />
- Mais au-delà de l’effet rhétorique et apai<strong>sa</strong>nt, est-ce que la formule a vraiment<br />
un sens ? Est-elle cohérente ? Car à y regarder de plus près on s’aperçoit assez vite<br />
qu’il est absurde et contradictoire de soutenir que chaque individu détient Sa Vérité à<br />
Lui. Car si c’était vraiment le cas il nous faudrait accepter que tout le monde a raison,<br />
que personne n’a tort et qu’au fond il n’existe tout simplement pas de vérité valant<br />
pour tout le monde. Adieu les énoncés vrais pour tous, du type : « l’eau bout à 100°C<br />
au niveau de la mer » ; « 100-20=80 » ; « les animaux deviennent agressifs lorsque<br />
l’un de leurs besoins fondamentaux n’est pas <strong>sa</strong>tisfait » ; « La France est une<br />
République » ; « Le soleil échauffe la pierre », etc. Tous ces énoncés ne seraient pas<br />
des vérités absolues et communes car <strong>chacun</strong> a <strong>sa</strong> vérité. Chacun est donc libre de<br />
penser à l’encontre de ces vérités évidentes ?<br />
- Si la vérité est relative à <strong>chacun</strong>, cela implique que la vérité est différente<br />
d’une personne à une autre, mais également pour la même personne selon les<br />
moments où elle la considère ( car les états physiques et psychologiques d’une<br />
personne varient <strong>sa</strong>ns cesse). Ce que je jugeais vrai hier peut me sembler faux<br />
aujourd’hui. Voilà une des conséquences de l’idée que la vérité est subjective et<br />
variable en fonction de nos états personnels. Certes mon point de vue peut changer,<br />
certes mes sen<strong>sa</strong>tions varient <strong>sa</strong>ns cesse mais ce n’est pas parce que j’ai une<br />
impression ou une sen<strong>sa</strong>tion qu’elles sont pour autant vraies. Ce que je ressens est<br />
toujours réel, effectif mais pas néces<strong>sa</strong>irement vrai ! Il n’est qu’à penser aux illusions<br />
des sens, à la façon dont mes perceptions peuvent être fausses (rêves, mirages,<br />
hallucinations, sens du goût altéré par la maladie, etc.)<br />
- En di<strong>sa</strong>nt « à <strong>chacun</strong> <strong>sa</strong> vérité » nous confondons plusieurs choses. Tout<br />
d’abord nous pensons que « notre » soi-di<strong>sa</strong>nt vérité nous est personnelle alors qu’elle<br />
n’est souvent que le reflet de notre entourage, de notre milieu socioculturel, de nos<br />
groupes d’appartenance (politique, culture, sport, art…) Il faut reconnaître que<br />
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Cours de philosophie/M. Mohandi <strong>Que</strong> <strong>vaut</strong> l’expression : « à <strong>chacun</strong> <strong>sa</strong> vérité » ?<br />
souvent nous véhiculons les préjugés, les lieux communs, les stéréotypes, les idées<br />
fausses et les valeurs de notre entourage. Tout cela appartient à la sphère de<br />
l’OPINION et donc celle de la VERITE. Nous prenons nos goûts, nos préférences et<br />
notre idéologie pour notre vérité alors qu’elle n’est qu’une opinion qui reflète notre<br />
façon d’être, de vivre, d’aimer et de sentir. Encore une fois nous confondons opinion<br />
personnelle ( sociale, culturelle, familiale) et vérité objective (et commune à tous).<br />
- En ce sens, nous sommes libres de cultiver les opinions que nous préférons<br />
mais nous ne sommes pas libres de refuser une vérité objective et néces<strong>sa</strong>ire. Nous<br />
sommes contraints de reconnaître que « l’eau bout à 100°C au niveau de la mer » ;<br />
« 100-20=80 » ; « les animaux deviennent agressifs lorsque l’un de leurs besoins<br />
fondamentaux n’est pas <strong>sa</strong>tisfait » ; « La France est une République » ; « Le soleil<br />
échauffe la pierre », même si cela nous déplaît !!!<br />
- La vérité n’est pas l’opinion personnelle ou le préjugé de groupe, elle est une<br />
connais<strong>sa</strong>nce objective et justifiée. Par principe, par définition, nous appelons vérité<br />
une connais<strong>sa</strong>nce qui n’est pas valable que pour une personne ou un groupe de<br />
personnes. Je peux détenir un <strong>sa</strong>voir que les autres n’ont pas et qui est vrai, mais si<br />
c’est le cas, je dois pouvoir convaincre toute personne rationnelle de la véracité (du<br />
caractère vrai) de ce <strong>sa</strong>voir. <strong>Que</strong>lque chose de vrai <strong>vaut</strong> en principe pour tout un<br />
<strong>chacun</strong> et non seulement pour un noir, un juif, un arabe, un chinois, une femme, un<br />
commerçant, un enseignant, un hétérosexuel, un Anglais, etc. La vérité a une portée<br />
universelle, elle est vérifiable car objective.<br />
- Admettons la conception du relativiste. Mais alors, sous prétexte d’être<br />
tolérant, devons-nous accepter n’importe quelle théorie, idée, idéologique ou doctrine<br />
adverse ? Tout est-il tolérable si <strong>chacun</strong> a <strong>sa</strong> vérité ? Tout se <strong>vaut</strong> ? Ce serait naïf et<br />
dangereux de penser sincèrement que celui qui pense que la Terre a 4000 ans et est<br />
plate a autant raison que celui qui soutient que la Terre a près de 5 milliards d’années<br />
et qu’elle est sphérique.<br />
Le relativiste soutient que finalement <strong>chacun</strong> est libre de défendre <strong>sa</strong> vérité contre des<br />
énoncés prouvés et démontrés comme vrais. En fait on sent bien que le relativisme ne<br />
porte pas sur les vérités scientifiques ou même empiriques, mais plutôt sur les<br />
jugements de goût, sur les opinions politiques, les croyances religieuses, les valeurs et<br />
les normes. Et dans ces domaines, il est question de préférences et de choix libres<br />
plutôt que de vérité objective.<br />
- Certes <strong>chacun</strong> est libre d’affirmer et de défendre son opinion (sous la réserve<br />
qu’elle respecte le cadre législatif portant sur la liberté de pensée et d’expression),<br />
mais l’opinion n’est pas la vérité ! C’est ce point là qui, en général, est le moins bien<br />
compris.<br />
Critique du relativisme<br />
- Le relativisme confond opinion personnelle (variable, relative) et vérité<br />
objective (universelle, absolue).<br />
- Le relativisme confond tolérance authentique et indifférence. Etre tolérant ne<br />
signifie pas accepter n’importe quelle thèse, n’importe quelle théorie, <strong>sa</strong>ns limite ni<br />
critique. Cela ressemblerait plutôt à une indifférence à la vérité (« la vérité ne<br />
m’intéresse pas ou ne me concerne pas »). La tolérance a des limites morales et<br />
intellectuelles. Doit-on tolérer ceux qui menacent la tolérance elle-même ? La<br />
démocratie peut-elle tolérer les ennemies de la démocratie (les fascistes, l’idéologie<br />
totalitaire…) ? La tolérance nécessite donc une vigilance de l’esprit, une attitude<br />
critique et alerte.<br />
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Cours de philosophie/M. Mohandi <strong>Que</strong> <strong>vaut</strong> l’expression : « à <strong>chacun</strong> <strong>sa</strong> vérité » ?<br />
- Le relativisme se contredit lui-même. Si <strong>chacun</strong> a <strong>sa</strong> vérité alors il faut<br />
reconnaître que celui qui pense que la vérité est objective et universelle est aussi dans<br />
la vérité. Du coup, le relativiste doit accepter que l’univer<strong>sa</strong>liste a aussi raison ; d’où<br />
la contradiction. De plus le relativiste doit reconnaître que <strong>sa</strong> vérité (le relativisme)<br />
n’est valable que pour lui. Par conséquent le relativisme n’est pas vrai pour tout le<br />
monde ; donc il n’est tout simplement pas vrai !<br />
- Enfin, dire que <strong>chacun</strong> a <strong>sa</strong> vérité c’est avouer un échec à argumenter et à<br />
convaincre. On se contente de laisser <strong>chacun</strong> faire passer son opinion pour une vérité.<br />
Cette attitude est passive intellectuellement. Elle peut même signifier un manque de<br />
courage et d’énergie pour défendre la vérité. On renonce alors à un éventuel conflit<br />
intellectuel au nom d’une tolérance plutôt molle.<br />
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