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ENQUÊTE
Dans les coulisses
des « play-lists »
Pour séduire leurs auditeurs, NRJ, Skyrock, Europe 2, Fun Radio ou
Le Mouv’ établissent la liste des quarante titres qu’elles diffuseront en boucle.
Un dispositif qui ne satisfait pas pleinement les maisons de disques
CE matin-là, vendredi
3 juin, la chanson
Blue Orchid, du
groupe américain
White Stripes, joue
une petite partie de
son avenir radiophonique. Didier
Bouchend’homme, directeur de
programmation de la station musicale
Europe 2, attend les résultats
d’un « call out », sondage téléphonique
réalisé auprès d’un
panel d’auditeurs, avant de décider
d’intensifier ou non la diffusion
de cette nouveauté. Verdict ?
Sorti trop récemment pour être
bien identifié par le panel d’auditeurs,
le morceau restera dans la
« play-list » d’Europe 2, mais ne
sera diffusé que peu de fois dans
la semaine, et à des horaires très
ciblés (après 16 heures), le temps
que les auditeurs s’habituent.
Ce rituel, immuable, se répète
dans toutes les grandes stations
musicales nationales. Chaque semaine,
les responsables de programmation
font le point sur
l’« état de santé » ou la « fraîcheur
» des chansons de leur playlist
– qui regroupe, grosso modo,
les quarante ou soixante titres les
plus diffusés – au moins trois fois
par semaine. Si chaque radio
garde jalousement le secret de sa
méthodologie, la technique des tests téléphoniques
est identique : chaque soir, des
auditeurs (entre 100 et 200, selon les
radios) appelés par téléphone écoutent
dix ou vingt secondes d’une vingtaine de
titres, déjà joués sur la station ou sur des
concurrentes, et disent s’ils les reconnaissent,
les aiment ou non, etc. L’ensemble
de ces informations permet d’établir un
classement des morceaux les plus appréciés
et, surtout, de ceux qui ont été « trop
entendus ». Dans ce cas, gare à la sortie du
top 40…
A côté des morceaux appelés « gold »,
chansons de plus de trois ans, les titres
d’une play-list composent l’essentiel de la
programmation des radios musicales que
sont NRJ, Skyrock, Europe 2 ou Fun Radio
(entre 53 % et 73 %). Depuis des années, ce
fonctionnement qui conduit à restreindre
le nombre de titres diffusés pour se concentrer
sur la multidiffusion d’une quarantaine
de morceaux est décrié par les maisons de
disques. A raison. En 2004, l’institut de mesure
d’écoute Yacast a recensé 64 000 titres
différents joués sur 35 radios, au lieu de
4/LE MONDE TÉLÉVISION/DIMANCHE 12-LUNDI 13 JUIN 2005
dessin de thierry dalby
Sur Ado FM,
le titre classé
numéro un
en play-list
passe au moins
90 fois
par semaine !
66 000 l’année précédente, soit une baisse
de 3,1 %. Le recul est encore plus net au vu
du nombre de chansons nouvelles entrées
en play-list : 2 679 en 2004, soit une baisse
de 5,2 % par rapport à 2003.
« La nouveauté que les auditeurs n’aiment
pas, c’est le premier motif de zapping ! C’est
donc une prise de risque », commente
Roberto Cuirleo, directeur de programmation
de NRJ, la radio la plus écoutée en
France. L’argument est souvent repris,
pour justifier une certaine frilosité de la
part des « musicales ». « Attention, la nouveauté
est une notion à géométrie variable,
prévient cependant le directeur de Skyrock,
Pierre Bellanger. Pour nous qui sommes
le premier diffuseur de nouveautés francophones
et qui nous adressons aux
13-24 ans, ce qui n’est déjà plus une nouveauté
pourra le devenir dans une radio
dont les auditeurs sont un peu plus âgés. »
A l’antenne, la play-list a pour résultat
une rotation (ou reprise) plus ou moins
dense des chansons qui fonctionnent le
mieux. Et, pour l’auditeur, le plaisir ou le
désagrément d’écouter une même poignée
de disques. En fait, tout est
question d’âge : les adultes
n’aiment pas la répétition, les ados
l’adorent. Sur une même semaine,
le chanteur Moby est passé 2 fois
sur France-Inter, 36 fois sur NRJ et
58 fois sur Europe 2… Sur la parisienne
Ado FM, le titre classé
numéro un en play-list passe au
moins 90 fois par semaine ! Sur
Skyrock, 65 fois. Europe 2 et NRJ,
au public plus âgé, tablent pour
leur part sur une cinquantaine de
passages par semaine. « Cela peut
paraître énorme, de l’extérieur,
mais c’est adapté à la durée
d’écoute des radios musicales, inférieure
à deux heures par jour ; sept
passages par jour, ça reste raisonnable
», tempère le programmateur
d’Europe 2.
D’autant que cette durée
d’écoute ne se fait pas en continu,
mais en deux fois dans la journée
au moins : peu de chances,
donc, que l’auditeur entende deux
fois la même chanson dans la
même journée, expliquent tous les
programmateurs. «Soit on a
2 000 titres en play-list et on ne les
entend presque jamais ; soit on
limite le nombre de morceaux pour
les installer, que les auditeurs puissent
les reconnaître et éventuellement
les acheter », explique
Murielle Perez, programmatrice sur
Le Mouv’. « C’est avant tout l’industrie du
disque qui se plaint des fortes rotations d’une
même chanson, complète Philippe Gault,
président du syndicat interprofessionnel
des radios et télévisions indépendantes
(Sirti). Parce que les morceaux repris de nombreuses
fois empêchent de faire connaître
toutes les nouveautés et de les vendre ! »
Avec plusieurs dizaines de nouveaux disques
reçus chaque semaine sur leur bureau,
les programmateurs reconnaissent qu’il n’y
a pas de place pour tout le monde sur la
play-list. La thématisation des radios musicales
(le rap et R’&B’ sur Skyrock, le poprock
sur Europe 2 et RTL 2, le R’&B’ et la
dance sur Fun) resserre encore un peu plus
les mailles du filet…
Constituer une play-list hebdomadaire
obéit donc à des règles très strictes. La première
de toutes consiste bien sûr à séduire
et retenir l’auditeur. « Matraquer un titre
que les gens n’aiment pas, c’est se tirer une
balle dans le pied ! », note le directeur de
programmation de NRJ. D’où l’investissement
financier important (plusieurs