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Chimie pour le nucléaire - CEA

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4<br />

CLEFS <strong>CEA</strong> - N° 60 - ÉTÉ 2011


Vue dans la Chaîne Blindée Procédé (CBP) d’ATALANTE d’appareils de type mélangeurs-décanteurs utilisés<br />

<strong>pour</strong> <strong>le</strong>s tests de séparation et de purification des actinides par un procédé d’extraction liquide-liquide.<br />

Sébastien Le Couster/TroisTiers Photographie<br />

I. CHIMIE POUR<br />

LE NUCLÉAIRE<br />

L’Énergie <strong>nucléaire</strong> et la <strong>Chimie</strong> sont depuis toujours intimement liées.<br />

Des physiciens renommés ont majoritairement contribué au développement<br />

de l’énergie <strong>nucléaire</strong>. Pourtant, à l’heure où nous célébrons <strong>le</strong> centième<br />

anniversaire du prix Nobel de chimie de Marie Curie, il ne faut pas oublier que<br />

c’est grâce à Otto Hahn, prix Nobel de chimie en 1944 et à Fritz Strassmann<br />

que nous devons la validation de la découverte de la fission <strong>nucléaire</strong>. Ils ont<br />

en effet identifié dans <strong>le</strong> tab<strong>le</strong>au de Mende<strong>le</strong>ïev que <strong>le</strong>s produits obtenus après<br />

<strong>le</strong> bombardement d’uranium par des neutrons correspondaient à du baryum,<br />

montrant ainsi que l’uranium s’était cassé en deux morceaux équiva<strong>le</strong>nts.<br />

Maîtriser la fission <strong>nucléaire</strong> rendait donc possib<strong>le</strong> la libération d’énergies<br />

considérab<strong>le</strong>s et ouvrait de nouvel<strong>le</strong>s perspectives.<br />

Plus proche de nous, la recherche et développement en chimie reste au cœur<br />

du cyc<strong>le</strong> du combustib<strong>le</strong>. Celui-ci commence par l’extraction minière de<br />

l’uranium qui se réalise avec des outils chimiques devenus de moins en moins<br />

« impactants » <strong>pour</strong> l’environnement. Après des premières étapes de purification<br />

et de conversion, l’enrichissement de l’uranium est effectué avec des facteurs<br />

de séparation isotopique de plus en plus optimisés.<br />

Mis sous forme d’un combustib<strong>le</strong>, l’uranium est maintenant intimement lié<br />

au plutonium dans <strong>le</strong>s combustib<strong>le</strong>s MOX <strong>pour</strong> être utilisé dans un réacteur<br />

<strong>nucléaire</strong>. C’est la maîtrise de la chimie des matériaux, céramiques et<br />

métalliques, qui participe au développement de combustib<strong>le</strong>s plus performants<br />

et plus sûrs. De plus, la caractérisation de la corrosion dans un réacteur<br />

<strong>nucléaire</strong> couplée à la connaissance aboutie des phénomènes de radiolyse<br />

de l’eau ou de molécu<strong>le</strong>s organiques conduisent à une meil<strong>le</strong>ure prévision du<br />

comportement des structures et assurent un fonctionnement pérenne.<br />

Grâce à la chimie, <strong>le</strong> traitement des combustib<strong>le</strong>s usés est une étape stratégique<br />

du cyc<strong>le</strong> du combustib<strong>le</strong>. Des procédés de plus en plus sé<strong>le</strong>ctifs impliquent un<br />

recyclage accru des matières fissi<strong>le</strong>s, débarrassées des produits de fission<br />

qui vont devenir des déchets ultimes. Le traitement et <strong>le</strong> conditionnement<br />

des déchets <strong>nucléaire</strong>s, par cimentation ou vitrification, ont conduit à des<br />

formulations optimisées de matrices stab<strong>le</strong>s, offrant des performances<br />

de confinement durab<strong>le</strong> compatib<strong>le</strong>s avec <strong>le</strong>s enjeux du stockage.<br />

Les développements constants en chimie analytique rendent possib<strong>le</strong> de<br />

qualifier et de quantifier des radionucléides, dans <strong>le</strong>s phases liquides, solides<br />

ou gazeuses, à tous <strong>le</strong>s stades du cyc<strong>le</strong> du combustib<strong>le</strong>, même sous forme de<br />

traces, <strong>pour</strong> maîtriser <strong>le</strong>s interactions avec <strong>le</strong>s opérateurs et l’environnement.<br />

Ils ont aussi donné <strong>le</strong>s moyens de caractériser <strong>le</strong>s phénomènes de radiolyse,<br />

de rétention, ou de migration à travers différentes barrières de confinement et<br />

de définir ainsi des scénarios de stockage pérenne.<br />

La modélisation en chimie ouvre un champ des possib<strong>le</strong>s infini. El<strong>le</strong> est<br />

devenue <strong>le</strong> complément indispensab<strong>le</strong> de l’expérimentation et va contribuer<br />

largement dans un futur proche à rendre l’énergie <strong>nucléaire</strong> encore plus<br />

durab<strong>le</strong> et plus sûre.<br />

Avec une contribution majeure de la <strong>Chimie</strong>, l’Énergie <strong>nucléaire</strong> reste toujours<br />

présente <strong>pour</strong> répondre aux enjeux énergétiques du XXI e sièc<strong>le</strong>.<br />

Stéphane Sarrade<br />

Département de physico-chimie<br />

Direction de l’énergie <strong>nucléaire</strong><br />

<strong>CEA</strong> Centre de Saclay<br />

CLEFS <strong>CEA</strong> - N° 60 - ÉTÉ 2011<br />

5


<strong>Chimie</strong> <strong>pour</strong> <strong>le</strong> <strong>nucléaire</strong><br />

Les progrès de la chimie<br />

séparative des actinides<br />

Le développement d’une énergie <strong>nucléaire</strong> durab<strong>le</strong> induit une gestion rigoureuse<br />

des matières qu’el<strong>le</strong> utilise tant <strong>pour</strong> la préservation des ressources naturel<strong>le</strong>s que <strong>pour</strong><br />

minimiser l’impact des déchets produits sur l’environnement. La chimie séparative des<br />

actinides se situe au cœur des procédés permettant la récupération des matières valorisab<strong>le</strong>s<br />

du combustib<strong>le</strong> usé et <strong>le</strong> conditionnement des déchets ultimes.<br />

aptes à réduire la quantité et la nocivité des déchets<br />

radioactifs de haute activité et à vie longue, quels que<br />

soient <strong>le</strong>s différents scénarios de recyclage envisagés.<br />

L’axe 1 de la loi de 1991, relative à la gestion de ces<br />

déchets, demandait ainsi aux chercheurs d’étudier<br />

« […] la séparation, en vue de <strong>le</strong>ur transmutation,<br />

des éléments radioactifs à vie longue contenus dans <strong>le</strong>s<br />

déchets radioactifs ». Le Département radiochimie<br />

et procédés (DRCP) du <strong>CEA</strong> a joué un rô<strong>le</strong> majeur<br />

dans ces études, véritab<strong>le</strong>s clés du développement<br />

<strong>nucléaire</strong> dans <strong>le</strong> futur.<br />

inventaire radiotoxique (Sv/tmli)<br />

Vue de la cellu<strong>le</strong> blindée du procédé CBP (Chaîne Blindée Procédé) de l’installation ATALANTE<br />

du <strong>CEA</strong>/Marcou<strong>le</strong>, où sont menés <strong>le</strong>s expérimentations et <strong>le</strong>s essais de démonstration<br />

de faisabilité technique des différents concepts de séparation des actinides développés.<br />

A<br />

vec <strong>le</strong>s lois du 30 décembre 1991 puis cel<strong>le</strong> du<br />

28 juin 2006, <strong>le</strong> législateur a lancé aux chimistes<br />

plusieurs défis majeurs concernant la chimie séparative<br />

des actinides (An). Au premier rang figure<br />

la mise au point de procédés « industrialisab<strong>le</strong>s »<br />

10 9<br />

10 8<br />

10 7<br />

10 6<br />

10 5<br />

10 4<br />

10 3<br />

10 2<br />

10 1<br />

10 100 1000 10000 100000 1000000<br />

temps (années)<br />

combustib<strong>le</strong> usé<br />

plutonium<br />

actinides mineurs<br />

uranium<br />

produits de fission<br />

césium<br />

technétium<br />

iode<br />

produits<br />

d’activation des<br />

structures<br />

Figure 1.<br />

Évolution de l’inventaire radiotoxique, exprimé en sievert par tonne de métal lourd (uranium)<br />

initial (Sv/tmli), d’un combustib<strong>le</strong> usé UOX (à base d’OXyde d’Uranium) déchargé à 60 GW·j/t.<br />

<strong>CEA</strong><br />

Quels éléments séparer et avec<br />

quel type de procédé ?<br />

Cette mission appelait l’évaluation de la faisabilité<br />

et du bénéfice potentiel d’une gestion particulière,<br />

différenciée, de certains radionucléides à vie<br />

longue présents dans <strong>le</strong> combustib<strong>le</strong> usé, actuel<strong>le</strong>ment<br />

laissés dans <strong>le</strong>s déchets vitrifiés. Une fois <strong>le</strong><br />

plutonium (Pu) séparé, <strong>le</strong>s actinides mineurs (AM),<br />

l’américium (Am) tout d’abord, puis <strong>le</strong> curium (Cm)<br />

et <strong>le</strong> neptunium (Np), présentent la contribution<br />

la plus significative à l’inventaire radiotoxique du<br />

combustib<strong>le</strong> usé (figure 1). Ils apparaissent donc<br />

comme <strong>le</strong>s radioéléments à gérer prioritairement<br />

par séparation-transmutation afin de réduire uti<strong>le</strong>ment<br />

et efficacement l’inventaire radiotoxique des<br />

déchets à long terme. Leur situation particulière <strong>le</strong>s<br />

place ainsi au cœur des recherches menées sur la<br />

séparation-transmutation.<br />

Pour résumer, l’enjeu de ces études vise à apporter<br />

<strong>le</strong>s éléments permettant l’évaluation des perspectives<br />

de mise en œuvre industriel<strong>le</strong> des procédés de<br />

séparation des An, et cela <strong>pour</strong> <strong>le</strong>s deux modes de<br />

transmutation en réacteur à neutrons rapides (RNR)<br />

envisagés, à savoir :<br />

•<br />

la transmutation en mode hétérogène reposant sur<br />

une gestion différenciée de l’uranium (U) et du Pu<br />

vis-à-vis des AM (Am, Cm et Np), ces derniers étant<br />

recyclés sous la forme de cib<strong>le</strong>s ou de couvertures<br />

à base d’U. Il s’agit ici du concept dit « de séparation<br />

poussée » visant à produire des déchets « plus<br />

propres » ;<br />

•<br />

la transmutation en mode homogène, au cours de<br />

laquel<strong>le</strong> <strong>le</strong>s AM sont recyclés en dilution dans<br />

l’ensemb<strong>le</strong> du combustib<strong>le</strong> avec l’U et <strong>le</strong> Pu. Dans <strong>le</strong><br />

cas des RNR, la gestion des cœurs implique notamment<br />

un enrichissement U/An différent suivant la<br />

position du combustib<strong>le</strong> dans <strong>le</strong> cœur, d’où l’intégration<br />

dans <strong>le</strong> concept de séparation groupée dit<br />

6 CLEFS <strong>CEA</strong> - N° 60 - ÉTÉ 2011


GANEX (Global ActiNides EXtraction) d’une étape<br />

de séparation de l’U en amont. GANEX présente <strong>le</strong><br />

doub<strong>le</strong> avantage de réduire <strong>le</strong> caractère proliférant<br />

du procédé et des produits finis tout en maintenant<br />

l’objectif de déchets « plus propres ».<br />

En cohérence avec ces deux modes de transmutation,<br />

différents scénarios sont étudiés (figure 2).<br />

Très rapidement, <strong>le</strong>s chercheurs vont privilégier <strong>le</strong>s<br />

procédés de séparation par solvant, compte tenu<br />

du retour d’expérience positif du procédé PUREX<br />

mis en œuvre dans <strong>le</strong>s usines de La Hague (Manche)<br />

<strong>pour</strong> la récupération de l’U et du Pu. En effet, seul ce<br />

type de procédé a pu atteindre l’échel<strong>le</strong> industriel<strong>le</strong><br />

en démontrant des performances de séparation très<br />

é<strong>le</strong>vées, à la fois en termes de taux de récupération<br />

mais aussi de purification de l’U et du Pu, tout en<br />

produisant des quantités extrêmement limitées de<br />

déchets technologiques.<br />

Une démarche scientifique résolument<br />

basée sur la modélisation<br />

Concernant <strong>le</strong> choix des molécu<strong>le</strong>s et <strong>le</strong> développement<br />

des procédés, la démarche scientifique des<br />

chercheurs a été la suivante :<br />

•<br />

une conception de nouvel<strong>le</strong>s molécu<strong>le</strong>s basée sur<br />

des études bibliographiques, complétées à l’aide<br />

d’outils de modélisation à l’échel<strong>le</strong> moléculaire ;<br />

•<br />

une grande compréhension des mécanismes de<br />

comp<strong>le</strong>xation et d’extraction des An(III) au travers<br />

d’études thermodynamiques et cinétiques à l’échel<strong>le</strong><br />

moléculaire et/ou supramoléculaire. À cette étape,<br />

l’utilisation des outils de modélisation à l’échel<strong>le</strong><br />

moléculaire s’avère une aide précieuse <strong>pour</strong> l’interprétation<br />

des phénomènes observés (Mémo A, Les<br />

progrès de la modélisation en chimie, p. 17) ;<br />

•<br />

une étude de la dégradation des molécu<strong>le</strong>s extractantes<br />

sous l’effet de l’hydrolyse acide et de la radiolyse,<br />

associée au développement de traitements de<br />

régénération des solvants dégradés (voir Comprendre<br />

<strong>le</strong>s mécanismes chimiques de la radiolyse, p. 21) ;<br />

• séparation U+Pu (+Np)<br />

• séparation Am+Cm<br />

• séparation Am seul<br />

• séparation U seul<br />

• séparation groupée<br />

des actinides<br />

(Np, Pu, Am, Cm)<br />

recyclage<br />

hétérogène<br />

recyclage<br />

homogène<br />

Figure 2.<br />

Les scénarios étudiés selon <strong>le</strong>s modes de transmutation (hétérogène et homogène)<br />

envisagés. AM et PF signifient respectivement actinides mineurs et produits de fission.<br />

•<br />

l’acquisition des données de partage indispensab<strong>le</strong>s à<br />

l’établissement des modè<strong>le</strong>s permettant de calcu<strong>le</strong>r, au<br />

moyen du code de simulation PAREX (PARtitioning<br />

by EXtraction), <strong>le</strong>s schémas à mettre en œuvre <strong>pour</strong><br />

tester la séparation An(III)/lanthanides Ln(III) ;<br />

•<br />

la réalisation d’essais d’intégration des schémas<br />

calculés, dans des contacteurs de laboratoire, sur<br />

des solutions inactives, puis sur des solutions simulées<br />

de moyenne activité (avec AM) et enfin sur des<br />

solutions de haute activité (issues du traitement de<br />

combustib<strong>le</strong>s usés). Ensuite, <strong>le</strong>s résultats de simulation<br />

du code PAREX sont confrontés aux résultats de<br />

chaque essai afin de vérifier la pertinence du modè<strong>le</strong><br />

et de cib<strong>le</strong>r <strong>le</strong>s études complémentaires nécessaires<br />

(itérations avec <strong>le</strong>s étapes précédentes) ; figure 3.<br />

Les stratégies de séparation<br />

Les étapes de trois stratégies de séparation des An sont<br />

présentées : la séparation Am+Cm puis cel<strong>le</strong> de l’Am<br />

« seul », dans <strong>le</strong> cadre d’une transmutation en mode<br />

hétérogène, et la séparation groupée des An, dans<br />

<strong>le</strong> cadre d’une transmutation en mode homogène.<br />

U<br />

U<br />

réacteur<br />

réacteur<br />

AM<br />

U Pu (Np)<br />

traitement/fabrication<br />

traitement/fabrication<br />

U Pu AM<br />

PF<br />

PF<br />

PAREX<br />

mise en œuvre des modè<strong>le</strong>s et<br />

résolution numérique<br />

orientation des<br />

expériences<br />

essais unitaires<br />

équilibres entre phases,<br />

cinétiques de réactions<br />

définition des<br />

schémas d’essais<br />

essais en (micro)pilotes<br />

conventionnels puis avec<br />

éléments radioactifs<br />

établissement des schémas de<br />

procédés, analyses de fonctionnement<br />

usines<br />

en fonctionnement,<br />

en projet<br />

Figure 3.<br />

Démarche de modélisation/<br />

simulation en support aux<br />

études de développement<br />

de concepts de séparation<br />

des actinides. Cette démarche<br />

itérative entre modélisation<br />

et expérimentation permet<br />

de rationaliser l’acquisition<br />

de données élémentaires<br />

et de limiter <strong>le</strong> nombre<br />

d’essais d’intégration. El<strong>le</strong><br />

présente éga<strong>le</strong>ment l’avantage<br />

d’une capitalisation des<br />

connaissances obtenues<br />

au sein du code de simulation,<br />

qui <strong>pour</strong>ra être mise à profit<br />

<strong>pour</strong> <strong>pour</strong>suivre <strong>le</strong> développement<br />

du procédé et/ou effectuer<br />

sa transposition sur<br />

une application industriel<strong>le</strong>.<br />

identification<br />

des phénomènes<br />

à représenter,<br />

développement<br />

de modè<strong>le</strong>s<br />

mathématiques<br />

données<br />

de base<br />

données de<br />

validation<br />

du tube à essais jusqu’au procédé industriel<br />

données de fonctionnement<br />

(retour d’expérience)<br />

<strong>CEA</strong><br />

CLEFS <strong>CEA</strong> - N° 60 - ÉTÉ 2011<br />

7


<strong>Chimie</strong> <strong>pour</strong> <strong>le</strong> <strong>nucléaire</strong><br />

La séparation américium et curium<br />

L’Am et <strong>le</strong> Cm sont <strong>le</strong>s principaux contributeurs<br />

à l’inven taire radiotoxique des effluents issus du<br />

procédé PUREX/COEX TM (après séparation du<br />

Pu) ; voir <strong>Chimie</strong> et génie chimique, <strong>le</strong> procédé COEX,<br />

p. 12. Ces deux éléments constituent par conséquent<br />

la cib<strong>le</strong> privilégiée des études de séparation-transmutation.<br />

La difficulté à surmonter <strong>pour</strong> définir <strong>le</strong>s<br />

molécu<strong>le</strong>s capab<strong>le</strong>s d’opérer la séparation de l’Am et<br />

du Cm d’un raffinat PUREX/COEX TM tient surtout<br />

à la grande similarité de comportement chimique des<br />

deux famil<strong>le</strong>s d’éléments An(III) et Ln(III) (éléments<br />

5f et 4f respectivement, voir Les spécificités chimiques<br />

des actinides, p. 10). Les An(III) sont des cations<br />

« durs », c’est-à-dire formant des liaisons de type<br />

purement ionique. Il est donc nécessaire d’utiliser<br />

des ligands à base de « donneurs durs », autrement dit<br />

des ligands oxygénés, <strong>pour</strong> <strong>le</strong>s extraire (théorie HSAB<br />

de Pearson). Afin de renforcer <strong>le</strong> pouvoir extractant<br />

de ces ligands tout en procurant une bonne sé<strong>le</strong>ctivité<br />

vis-à-vis du proton de l’acide nitrique, <strong>le</strong>s chercheurs<br />

recourent à un extractant multidendate et présentant<br />

un effet chélate. Cependant, ces famil<strong>le</strong>s d’extractants<br />

n’o ffrent qu’une très faib<strong>le</strong> sé<strong>le</strong>ctivité par rapport aux<br />

Ln, cations « durs » eux aussi. La solution a été trouvée<br />

dans <strong>le</strong> fait que l’expansion spatia<strong>le</strong> des orbita<strong>le</strong>s<br />

5f étant légèrement plus grande que cel<strong>le</strong> des orbita<strong>le</strong>s<br />

4f, <strong>le</strong>s An(III) s’avèrent des cations « légèrement plus<br />

mous » que <strong>le</strong>s Ln(III), autrement dit plus aptes à<br />

former des liaisons partiel<strong>le</strong>ment cova<strong>le</strong>ntes. Pour<br />

la séparation An(III)/Ln(III), il faut par conséquent<br />

recourir à des ligands azotés « donneurs mous ».<br />

Malheureusement, ces ligands présentent une faib<strong>le</strong><br />

sé<strong>le</strong>ctivité par rapport aux autres produits de fission<br />

PF (métaux de transition d) et vis-à-vis du proton.<br />

Les chercheurs vont élaborer une stratégie en deux<br />

temps <strong>pour</strong> aboutir à la séparation des An(III). Une<br />

première étape de coextraction des An(III) et des<br />

Ln(III) est mise en œuvre sur un raffinat PUREX,<br />

au moyen d’un extractant « donneurs durs »<br />

oxygéné multidendate. Une seconde étape de séparation<br />

An(III)/Ln(III), réalisée à partir de la solution<br />

de production de l’étape précédente (mélange<br />

An(III)+Ln(III)), moins acide que <strong>le</strong> raffinat PUREX,<br />

est effectuée à l’aide de ligands « donneurs mous »<br />

azotés.<br />

Pour la première étape, <strong>le</strong> Service de chimie des procédés<br />

de séparation (SCPS) du <strong>CEA</strong>/DRCP a développé<br />

<strong>le</strong> procédé DIAMEX (DIAMide EXtraction).<br />

Des procédés analogues mis au point aux États-<br />

Unis (TRUEX <strong>pour</strong> separation of TRansUranium<br />

e<strong>le</strong>ment by EXtraction) et au Japon (TODGA <strong>pour</strong><br />

Vue des colonnes pulsées implantées dans la CBP de<br />

l’installation ATALANTE. Leur principe de fonctionnement<br />

consiste à faire circu<strong>le</strong>r <strong>le</strong> solvant (la phase légère) de bas en<br />

haut dans un cylindre vertical à contre-courant de la phase<br />

aqueuse (lourde) immiscib<strong>le</strong>. Mesurant 4 mètres de haut,<br />

el<strong>le</strong>s sont représentatives des appareils utilisés à l’échel<strong>le</strong><br />

industriel<strong>le</strong>.<br />

TétraOctylDiGlycolAmide) sont éga<strong>le</strong>ment basés sur<br />

des famil<strong>le</strong>s d’extractants de type « donneurs oxygénés<br />

» multidendates et chélatants (figure 4). La faisabilité<br />

de la mise en œuvre du procédé DIAMEX dans<br />

des extracteurs à colonnes pulsées a été démontrée,<br />

en 2005, sur 15 kg de combustib<strong>le</strong> irradié dans la<br />

Chaîne Blindée Procédé (CBP) d’ATALANTE.<br />

Pour la seconde étape, <strong>le</strong> procédé SANEX, <strong>le</strong>s chercheurs<br />

ont développé différents extractants azotés<br />

multidendates. Réalisées dans <strong>le</strong> cadre de collaborations<br />

européennes, <strong>le</strong>urs études montrent que deux<br />

famil<strong>le</strong>s s’avèrent particulièrement performantes :<br />

<strong>le</strong>s bis-triazinyl-pyridines ou <strong>le</strong>s bis-triazinyl-bispyridines.<br />

Malheureusement, ces molécu<strong>le</strong>s présentent<br />

soit une tenue à la radiolyse insuffisante, soit<br />

des cinétiques d’extraction trop faib<strong>le</strong>s. D’où la<br />

recherche d’un nouveau concept. Celui-ci va consister<br />

à coextraire An(III) et Ln(III), puis à procéder à<br />

<strong>le</strong>ur partition par désextraction sé<strong>le</strong>ctive des An(III)<br />

<strong>CEA</strong><br />

C6H13<br />

C8H17<br />

P<br />

O<br />

O<br />

i(C4H9)<br />

N<br />

i(C4H9)<br />

CH3<br />

C8H17 C2H4<br />

O<br />

N<br />

O O<br />

C8H17<br />

N<br />

CH3<br />

C8H17<br />

C8H17<br />

N<br />

O<br />

O<br />

O<br />

C8H17<br />

N<br />

C8H17<br />

TRUEX (CMPO) DIAMEX TODGA<br />

Figure 4.<br />

Extractants bidendates (CMPO et diamide du procédé DIAMEX) ou tridendate (TODGA) nécessaires <strong>pour</strong> coextraire An(III)/Ln(III<br />

avec effet chélate. CMPO : octyl[phenyl]-N, N-diisobutylCarbamoylMethyl Phosphine Oxide ; TODGA : TétraOctylDiGlycolAmide.<br />

8 CLEFS <strong>CEA</strong> - N° 60 - ÉTÉ 2011


à l’aide d’un comp<strong>le</strong>xant hydrosolub<strong>le</strong>. Par exemp<strong>le</strong>,<br />

<strong>le</strong> procédé américain TALSPEAK (Triva<strong>le</strong>nt Actinide-<br />

Lanthanide Separation by Phosphorous reagent<br />

Extraction from Aqueous Comp<strong>le</strong>xes) emploie des<br />

acides polyaminocarboxyliques.<br />

Aujourd’hui, en juxtaposant <strong>le</strong>s avantages des<br />

procédés DIAMEX et TALSPEAK, <strong>le</strong>s chimistes<br />

opèrent cette séparation directement, et en une<br />

seu<strong>le</strong> étape, à partir d’un raffinat PUREX : il s’agit<br />

du procédé DIAMEX-SANEX. Son principe<br />

repose sur l’extraction sé<strong>le</strong>ctive de l’Am, du Cm<br />

et des Ln au moyen d’un diamide à forte acidité,<br />

<strong>le</strong> DiMéthylDiOctylHexylÉthoxyMAlonamide<br />

(DMDOHEMA). La séparation An(III)/Ln(III)<br />

est ensuite effectuée à un pH proche de 3 par<br />

désextraction sé<strong>le</strong>ctive en utilisant un acide polyaminocarboxylique,<br />

l’acide Hydroxy-Éthylène-<br />

Diamine-TriAcétique (HEDTA). Mais dans <strong>le</strong> milieu<br />

où <strong>le</strong> comp<strong>le</strong>xant s’avère efficace, <strong>le</strong> DMDOHEMA<br />

n’extrait plus <strong>le</strong>s cations. D’où <strong>le</strong> recours à un autre<br />

extractant : l’acide bis(2-ÉthylHexyl)Phosphorique<br />

(HDEHP), efficace dans cette zone d’acidité et qui<br />

sera donc ajouté au diamide.<br />

La séparation de l’américium « seul »<br />

La production d’un flux d’Am pur nécessite, non<br />

seu<strong>le</strong>ment une séparation An(III)/Ln(III) et An(III)/<br />

autres PF, mais aussi une séparation Am/Cm,<br />

deux éléments se caractérisant par un comportement<br />

chimique très proche. Sur la base du procédé<br />

DIAMEX-SANEX, cette séparation s’opère à partir<br />

de ce doub<strong>le</strong> constat : <strong>le</strong> DMDOHEMA extrait un<br />

peu mieux l’Am que <strong>le</strong> Cm, et la famil<strong>le</strong> des diglycolamides,<br />

notamment <strong>le</strong> TétraÉthylDiGlycolAmide<br />

(TEDGA), comp<strong>le</strong>xe mieux <strong>le</strong> Cm que l’Am.<br />

La compréhension de ce système a exigé de<br />

nombreuses études en inactif et en boîte-à-gants,<br />

mais aussi d’impor tants développements analytiques,<br />

en particulier <strong>pour</strong> comprendre <strong>le</strong> devenir<br />

du TEDGA dans <strong>le</strong> système. Comp<strong>le</strong>xant aqueux,<br />

<strong>le</strong> TEDGA peut comp<strong>le</strong>xer <strong>le</strong>s Ln(III) et <strong>le</strong>s An(III)<br />

sous diverses formes ou se trouver protoné par l’acide<br />

nitrique (figure 5). La mise au point du système<br />

final, testé lors d’une série d’essais sur ATALANTE,<br />

supposait une compréhension fine de l’ensemb<strong>le</strong> de<br />

ces phénomènes.<br />

Un essai de validation haute activité de l’ensemb<strong>le</strong><br />

de ce procédé, appelé EXAm (EXtraction de l’Américium),<br />

a été réalisé en mars 2010 dans la CBP<br />

d ’ATALANTE. Cet essai constitue une première<br />

mondia<strong>le</strong>. Il a montré la faisabilité du concept de la<br />

récupération de l’Am en un cyc<strong>le</strong> sur une solution<br />

réel<strong>le</strong> de haute activité. D’excel<strong>le</strong>ntes performances<br />

ont été obtenues dont la récupération de 99,2 % de<br />

l’Am à l’extraction-lavage (98,5 % sur la totalité du<br />

procédé) ainsi qu’un facteur de décontamination en<br />

Cm supérieur à 500.<br />

La séparation groupée des actinides<br />

L’opération s’effectue en deux temps. D’abord,<br />

intervient l’extraction sé<strong>le</strong>ctive de l’U (voir La chimie<br />

de l’uranium : des avancées importantes, p. 11), une<br />

étape reposant sur l’utilisation de molécu<strong>le</strong>s de la<br />

famil<strong>le</strong> des monoamides RC(O)NR’ 2 . En modifiant<br />

<strong>le</strong>ur structure, il devient possib<strong>le</strong> d’optimiser<br />

<strong>le</strong>urs propriétés extractantes. Pour y parvenir, la<br />

phase organique<br />

(TEDGA)(D) x (HP) y .HNO 3<br />

phase aqueuse<br />

TEDGA.HNO 3<br />

(D) x (HP) y .HNO 3<br />

TEDGA<br />

M(D) x (HP) y<br />

HNO 3 M 3+<br />

ramification du substituant alky<strong>le</strong> R (—C n H 2n+1 ) sur<br />

l’atome de carbone adjacent à la fonction carbony<strong>le</strong><br />

(C O) permet d’accroître la sé<strong>le</strong>ctivité U(VI)/Pu(IV),<br />

même à forte acidité nitrique, et donc d’extraire<br />

sé<strong>le</strong>ctivement l’U sans ajout d’autre réactif. Parmi<br />

différents monoamides à disposition, la molécu<strong>le</strong><br />

DEHiBA (N,N-Di-(Éthyl-2-Hexyl)-isoButyrAmide)<br />

a été sé<strong>le</strong>ctionnée <strong>pour</strong> sa capacité à produire la sé<strong>le</strong>ctivité<br />

recherchée.<br />

Ensuite, arrive <strong>le</strong> cyc<strong>le</strong> GANEX proprement dit, à<br />

savoir la séparation groupée des An (Np, Pu, Am,<br />

Cm). La particularité et l’enjeu de cette étape résident<br />

dans l’apti tude du procédé à gérer <strong>le</strong>s An sous <strong>le</strong>urs<br />

différents états d’oxydation en solution nitrique :<br />

+III (Am, Cm), +IV (Np, Pu), +V (Np), +VI (U, Np).<br />

Les études réalisées par <strong>le</strong> SCPS indiquent que <strong>le</strong><br />

système extractant du procédé DIAMEX-SANEX,<br />

contrairement aux extractants classiques, aboutit à<br />

l’extraction quantitative des An, quel que soit <strong>le</strong>ur<br />

degré d’oxydation en solution, à condition que l’acidité<br />

nitrique du milieu soit supérieure à 3 mol/L.<br />

D’où <strong>le</strong> choix de ce procédé, privilégié <strong>pour</strong> sa<br />

robustesse, comme point de départ <strong>pour</strong> cette séparation<br />

groupée des An. Concernant la récupération<br />

des An en phase aqueuse, <strong>le</strong>s études montrent que<br />

la désextraction conjointe de tous <strong>le</strong>s An (Np, Pu,<br />

Am, Cm) s’avère quantitative et sé<strong>le</strong>ctive vis-à-vis<br />

des PF extractib<strong>le</strong>s (Ln, Y, Zr, Fe). Cette opération<br />

exige néanmoins deux conditions : la présence d’un<br />

agent réducteur <strong>pour</strong> désextraire <strong>le</strong> Np sous forme de<br />

Np(IV) et Np(V) en phase aqueuse, mais aussi l’élévation<br />

de la température de 23 à 45 °C afin d’accélérer<br />

la cinétique de désextraction du Pu et du Np.<br />

En 2008, <strong>le</strong> succès des essais de validation de ces<br />

deux étapes dans la CBP d’ATALANTE a clairement<br />

démontré la faisabilité du concept GANEX sur solution<br />

réel<strong>le</strong> de haute activité.<br />

Aujourd’hui, <strong>le</strong>s performances des procédés démontrées<br />

sur des solutions réel<strong>le</strong>s permettent de répondre<br />

aux besoins des différents scénarios de séparationtransmutation.<br />

Il s’agit d’une avancée majeure.<br />

Même si de nombreux points restent à optimiser, <strong>le</strong>s<br />

études qu’ils ne manqueront pas de susciter <strong>pour</strong>ront<br />

s’appuyer efficacement sur <strong>le</strong>s progrès actuels<br />

enregistrés dans <strong>le</strong>s domaines de la modélisation/<br />

simulation et des approches multi-échel<strong>le</strong>s, en collaboration<br />

notamment avec l’ICSM (Institut de chimie<br />

séparative de Marcou<strong>le</strong>).<br />

> Pascal Baron<br />

Département radiochimie et procédés<br />

Direction de l’énergie <strong>nucléaire</strong><br />

<strong>CEA</strong> Centre de Marcou<strong>le</strong><br />

M(TEDGA)(D) x (HP) y<br />

M(TEDGA) M(TEDGA) 2-3<br />

TEDGA<br />

Figure 5.<br />

Synthèse des phénomènes<br />

qui interviennent en présence<br />

de TEDGA, montrant la<br />

comp<strong>le</strong>xité des différents<br />

équilibres mis en jeu<br />

(M: An(III) ou Ln(III),<br />

D : diamide, HP : HDEHP).<br />

Bien qu’on <strong>le</strong> trouve<br />

préférentiel<strong>le</strong>ment en<br />

phase aqueuse, <strong>le</strong> TEDGA<br />

se coextrait partiel<strong>le</strong>ment<br />

en phase organique avec<br />

l’acide nitrique (HNO 3 ) ou <strong>le</strong>s<br />

cations (M 3+ ). Le TEDGA seul<br />

et M(TEDGA) 2-3 ne sont pas<br />

extractib<strong>le</strong>s.<br />

CLEFS <strong>CEA</strong> - N° 60 - ÉTÉ 2011<br />

9


<strong>Chimie</strong> <strong>pour</strong> <strong>le</strong> <strong>nucléaire</strong><br />

Les spécificités chimiques des actinides<br />

La chimie des actinides (An) est une science<br />

jeune (1) issue des travaux sur la radioactivité<br />

(1896) et la théorie des quanta (1900).<br />

Ils ont permis au découvreur du plutonium<br />

– G<strong>le</strong>nn T. Seaborg – de déployer en 1944 une<br />

classification périodique intégrant <strong>le</strong>s souscouches<br />

4f et 5f (figure). Outre ces concepts,<br />

une approche multidisciplinaire (chimie<br />

analytique, spectroscopie, microchimie...) a<br />

guidé <strong>le</strong> développement de la chimie des An (2) .<br />

Avec des numéros atomiques (Z) compris<br />

entre 90 et 103, <strong>le</strong>s An possèdent des noyaux<br />

très lourds et un nombre é<strong>le</strong>vé d’é<strong>le</strong>ctrons.<br />

L’analogie de <strong>le</strong>ur comportement avec<br />

celui des lanthanides (Ln) est trop simplificatrice,<br />

même si el<strong>le</strong> est parfois uti<strong>le</strong>.<br />

L’accroissement de l’attraction coulombienne<br />

avec Z stabilise <strong>le</strong>s orbita<strong>le</strong>s f, provoquant<br />

une diminution régulière de la tail<strong>le</strong><br />

des ions +III et +IV (contraction actinidique<br />

et lanthanidique). Par ail<strong>le</strong>urs, <strong>le</strong>s orbita<strong>le</strong>s f<br />

manifestent une extension radia<strong>le</strong> restreinte<br />

par rapport aux sous-couches s et p, ce qui<br />

limite <strong>le</strong>ur réactivité. Pour <strong>le</strong>s Ln, la localisation<br />

plus importante des é<strong>le</strong>ctrons 4f<br />

(versus 5f) explique la prééminence du degré<br />

(1) L’uranium, <strong>le</strong> thorium et <strong>le</strong> protactinium ont été<br />

découverts respectivement en 1789, 1829 et 1917 ;<br />

l’actinium en 1899.<br />

(2) Voir « Le traitement-recyclage du combustib<strong>le</strong><br />

<strong>nucléaire</strong> usé », Monographie de la Direction de<br />

l’énergie <strong>nucléaire</strong> du <strong>CEA</strong>, Éditions du Moniteur<br />

(2008).<br />

(3) Ces ions sont constitués d’un cation métallique<br />

central lié à deux atomes d’oxygène dans<br />

+<br />

un assemblage moléculaire linéaire (An(V)O 2<br />

et An(VI)O 2+ 2 ).<br />

(4) La notion de dureté (et de mol<strong>le</strong>sse) proposée<br />

par R. Pearson correspond à un classement selon<br />

<strong>le</strong> caractère ionique (dur) ou cova<strong>le</strong>nt (mou)<br />

d’une liaison. Les atomes donneurs <strong>le</strong>s plus<br />

classiques sont <strong>le</strong>s ions halogénure (notamment <strong>le</strong>s<br />

ions fluorure qui forment des composés très stab<strong>le</strong>s<br />

et volatils), <strong>le</strong>s atomes d’oxygène, d’azote et de<br />

soufre (ces 3 derniers étant de plus en plus mous).<br />

d’oxydation (d.o.) +III. A contrario, <strong>pour</strong> <strong>le</strong>s An<br />

« légers » (de Pa à Am), la localisation moins<br />

importante des é<strong>le</strong>ctrons 5f augmente <strong>le</strong>ur<br />

participation aux liaisons chimiques et conduit<br />

à différents d.o. : de +III à +VII, ce qui <strong>le</strong>s apparente<br />

aux métaux de transition. Pour <strong>le</strong>s An<br />

« lourds », la localisation plus importante des<br />

é<strong>le</strong>ctrons 5f en fait des analogues des Ln(III).<br />

Des propriétés chimiques<br />

extrêmement variées<br />

Il est diffici<strong>le</strong> de résumer <strong>le</strong>s propriétés<br />

chimiques des An, compte tenu du grand<br />

nombre de d.o. Les ions An(III) et An(IV) sont<br />

hydratés avec une première couche de molécu<strong>le</strong>s<br />

d’eau (8 à 10) bien structurée, alors que<br />

<strong>le</strong>s An(V) et An(VI) sont sous la forme d’ions<br />

actiny<strong>le</strong> (AnO 2 n+ avec n = 1 ou 2) (3) – sauf <strong>le</strong> Pa –<br />

avec 5 molécu<strong>le</strong>s d’eau dans <strong>le</strong> plan équatorial.<br />

Les An(VII) sont des oxocations (AnO 3 + )<br />

en milieu acide et des oxoanions (AnO 4 (OH) 2<br />

3- )<br />

en milieu basique. Cette multitude de d.o.<br />

est encore comp<strong>le</strong>xifiée par <strong>le</strong>s réactions de<br />

dismutation et <strong>le</strong>s contraintes de cinétique de<br />

transfert de charge.<br />

Pour <strong>le</strong>s ions aquo (hydratés), la charge é<strong>le</strong>vée<br />

des An(IV) et <strong>le</strong>ur tail<strong>le</strong> donnent à ces cations<br />

un caractère acide de Pearson très dur et<br />

donc une très grande réactivité. Par exemp<strong>le</strong>,<br />

l’hydrolyse des An(IV) n’est plus négligeab<strong>le</strong><br />

<strong>pour</strong> des acidités inférieures à 1 mol/L. Pour<br />

<strong>le</strong> plutonium, il faut noter que la polycondensation<br />

des formes hydrolysées conduit<br />

à l’apparition de phases colloïda<strong>le</strong>s dont la<br />

réactivité est mal comprise. L’essentiel des<br />

liaisons avec <strong>le</strong>s An(IV) étant ioniques, une<br />

augmentation de la réactivité avec Z est généra<strong>le</strong>ment<br />

observée. La réactivité des An(III)<br />

est bien moins importante et, par exemp<strong>le</strong>,<br />

<strong>le</strong>ur hydrolyse est faib<strong>le</strong>. Pour <strong>le</strong>s actiny<strong>le</strong>s,<br />

la charge localisée sur <strong>le</strong> cation métallique<br />

est bien supérieure à cel<strong>le</strong> de l’ion – de l’ordre<br />

de 3 <strong>pour</strong> <strong>le</strong>s An(VI) – et cel<strong>le</strong> localisée sur<br />

<strong>le</strong>s atomes d’oxygène est d’autant abaissée.<br />

Cette propriété confère aux An(VI) une réactivité<br />

supérieure à cel<strong>le</strong> des An(III) (dans <strong>le</strong><br />

cas de faib<strong>le</strong>s contraintes stériques) et aux<br />

An(V) l’existence d’interactions cation-cation,<br />

caractéristique d’une exacerbation de la<br />

réactivité des atomes d’oxygène. À ce jour,<br />

<strong>le</strong>s An(VII) ont été peu étudiés et seu<strong>le</strong>s des<br />

données parcellaires sont disponib<strong>le</strong>s.<br />

Les nombres de coordination sont multip<strong>le</strong>s :<br />

ils s’étendent de 8 à 12 <strong>pour</strong> <strong>le</strong>s ions aquo<br />

et de 4(+2) à 6(+2) <strong>pour</strong> <strong>le</strong>s actiny<strong>le</strong>s, avec<br />

des polyèdres de coordination extrêmement<br />

variés <strong>pour</strong> <strong>le</strong>s deux famil<strong>le</strong>s. Enfin, il faut<br />

préciser que la réactivité des An diminue avec<br />

la mol<strong>le</strong>sse des atomes donneurs – au sens<br />

de Pearson (4) – conduisant à des liaisons où la<br />

cova<strong>le</strong>nce augmente.<br />

Cette base de connaissance, bien que déjà<br />

solide, est encore à compléter <strong>pour</strong> affronter<br />

<strong>le</strong>s ambitions d’une meil<strong>le</strong>ure compréhension<br />

de la chimie des An. En effet, des<br />

sujets aussi importants que la maîtrise et<br />

la prévision de <strong>le</strong>urs comportements dans<br />

<strong>le</strong> cyc<strong>le</strong> du combustib<strong>le</strong> (modélisation du<br />

comportement en solution, optimisation<br />

de la séparation, compréhension des effets<br />

induits par <strong>le</strong>s rayonnements ionisants, développement<br />

de nouveaux combustib<strong>le</strong>s...) et<br />

dans l’environnement (comportement dans<br />

la géo- et la biosphère, contrô<strong>le</strong> de la nonprolifération<br />

avec des mesures d’ultra-traces<br />

de nano-échantillons) ou l’acquisition de<br />

données fondamenta<strong>le</strong>s sont des demandes<br />

auxquel<strong>le</strong>s <strong>le</strong>s scientifiques ne peuvent<br />

répondre qu’en enrichissant <strong>le</strong>ur connaissance<br />

de ces éléments.<br />

> Philippe Moisy<br />

Département radiochimie et procédés<br />

Direction de l’énergie <strong>nucléaire</strong><br />

<strong>CEA</strong> Centre de Marcou<strong>le</strong><br />

métaux<br />

lanthanides (Ln)<br />

actinides (An)<br />

semi-métaux (métalloïdes)<br />

non-métaux<br />

Figure.<br />

La famil<strong>le</strong> des An (de configuration é<strong>le</strong>ctronique [Rn]5f n 6d m 7s 2 ) est constituée de 14 radioéléments (15 avec l’actinium) : du thorium à l’uranium <strong>pour</strong><br />

<strong>le</strong>s éléments naturels, et du neptunium au lawrencium <strong>pour</strong> <strong>le</strong>s artificiels. Toutefois, 3 isotopes du plutonium ne sont pas d’origine anthropogénique :<br />

244 Pu (primordial), 239 Pu (capture neutronique par fission spontanée de 238 U et doub<strong>le</strong> décroissance - ), 238 Pu (doub<strong>le</strong> décroissance - de 238 U).<br />

La configuration é<strong>le</strong>ctronique des Ln est [Xe]4f n 5d m 6s 2 .<br />

10<br />

CLEFS <strong>CEA</strong> - N° 60 - ÉTÉ 2011


La chimie de l’uranium : des avancées importantes<br />

Dans <strong>le</strong> cadre de la production d’énergie<br />

en France et dans <strong>le</strong> monde, <strong>le</strong> choix<br />

du recours au <strong>nucléaire</strong> demande une<br />

meil<strong>le</strong>ure compréhension de la chimie<br />

moléculaire des actinides, en particulier<br />

des processus redox impliqués dans<br />

<strong>le</strong>s procédés de traitement du combustib<strong>le</strong><br />

usé, dans la migration des actinides<br />

dans l’environnement et dans la mise au<br />

point de combustib<strong>le</strong>s plus performants.<br />

Ce besoin a réveillé un intérêt grandissant<br />

<strong>pour</strong> la chimie de l’uranium dans <strong>le</strong><br />

panorama scientifique mondial. En effet,<br />

l’étude de la chimie de l’uranium n’exige<br />

pas de conditions aussi restrictives que<br />

cel<strong>le</strong> de ses voisins : <strong>le</strong> neptunium et <strong>le</strong><br />

plutonium fortement radioactifs. El<strong>le</strong><br />

présente, cependant, de nombreuses<br />

similitudes et peut donc fournir des informations<br />

structura<strong>le</strong>s fondamenta<strong>le</strong>s<br />

sur <strong>le</strong>s actinides en général. L’uranium,<br />

comme ses voisins, subit des réactions<br />

d’hydrolyse, d’oxydation et de dismutation<br />

qui rendent très comp<strong>le</strong>xe la chimie de<br />

ces espèces dans l’eau.<br />

L’uranium dans tous ses états<br />

Les chercheurs du laboratoire Reconnaissance<br />

ionique et chimie de coordination<br />

2 H2O<br />

agrégat<br />

oxyde/hydroxyde<br />

U(IV)/U(V)<br />

U(III)<br />

5f 3<br />

agrégat nitrure<br />

U(IV)<br />

1 PyNO/1 H2O<br />

[(U V O<br />

CsN3 2Py 5)(Kl 2Py 2)] n<br />

+<br />

UO 2<br />

Figure 1.<br />

La réaction de U(III) avec l’eau (H 2 O) a<br />

permis d’iso<strong>le</strong>r plusieurs agrégats dans<br />

<strong>le</strong>squels des atomes d’uranium au degré<br />

d’oxydation V ou IV sont maintenus<br />

ensemb<strong>le</strong> par des groupes O 2- (ions oxyde)<br />

et OH - (ions hydroxyde) [G. NOCTON et al.,<br />

Angew. Chem., Intl. Ed. Engl., 46, 2007,<br />

p. 7574], alors que la réaction avec<br />

un mélange d’eau et d’oxyde de pyridine<br />

(PyNO) a rendu possib<strong>le</strong> l’isolation du<br />

premier comp<strong>le</strong>xe stab<strong>le</strong> d’urany<strong>le</strong> au degré<br />

d’oxydation V [L. NATRAJAN et al., J. Am. Chem.<br />

Soc., 128, 2006, p. 7152]. La réaction avec<br />

<strong>le</strong>s ions azoture conduit, quant à el<strong>le</strong>, à un<br />

rare exemp<strong>le</strong> d’agrégat d’ions uranium(IV)<br />

reliés par des groupes nitrure (N 3- ) et<br />

azoture (N- 3), et donc très riche en azote<br />

[G. NOCTON et al., Angew. Chem., Intl. Ed. Engl.,<br />

47, 2008, p. 3040].<br />

<strong>CEA</strong>/DSM<br />

de l’Institut nanosciences et cryogénie<br />

du <strong>CEA</strong> (Inac/RICC) explorent la chimie<br />

de l’uranium en milieux non aqueux <strong>pour</strong><br />

mieux appréhender <strong>le</strong>s mécanismes<br />

moléculaires mis en jeu dans <strong>le</strong>s réactions<br />

d’extraction sé<strong>le</strong>ctive, d’hydrolyse et de<br />

formation d’agrégats. En milieu anhydre,<br />

des espèces fugaces ou inusuel<strong>le</strong>s peuvent<br />

être préparées et <strong>le</strong>ur réactivité étudiée en<br />

s’affranchissant de la comp<strong>le</strong>xité du milieu<br />

aqueux.<br />

Des premières recherches en milieu<br />

anhydre, réalisées au RICC, ont permis<br />

de mettre en corrélation des différences<br />

structura<strong>le</strong>s et é<strong>le</strong>ctroniques observées<br />

dans l’interaction de l’uranium(III) et<br />

des lanthanides(III) avec des molécu<strong>le</strong>s<br />

azotées ou soufrées et l’efficacité de ces<br />

molécu<strong>le</strong>s dans la séparation An(III)/<br />

Ln(III) par extraction liquide-liquide. Les<br />

résultats obtenus ont livré des informations<br />

majeures <strong>pour</strong> la mise au point<br />

d’extractants plus performants.<br />

Des travaux récents, menés au RICC sur<br />

la réactivité redox de l’uranium triva<strong>le</strong>nt<br />

U(III) en milieu organique avec des molécu<strong>le</strong>s<br />

tel<strong>le</strong>s que l’eau ou l’ion azoture (N 3<br />

- )<br />

en quantité stœchiométrique, ont conduit à<br />

des agrégats d’uranium très intéressants<br />

(figure 1). Ceux produits dans la réaction<br />

avec l’eau modélisent bien <strong>le</strong>s nanoparticu<strong>le</strong>s<br />

solub<strong>le</strong>s d’oxydes d’actinides impliquées<br />

dans la migration des actinides<br />

dans l’environnement ou responsab<strong>le</strong>s de<br />

problèmes d’agrégation dans <strong>le</strong> cyc<strong>le</strong> de<br />

traitement du combustib<strong>le</strong>. Les agrégats<br />

formés dans la réaction avec CsN 3 sont des<br />

précurseurs moléculaires potentiels <strong>pour</strong><br />

<strong>le</strong> développement de nouveaux combustib<strong>le</strong>s<br />

plus performants.<br />

Une autre avancée significative a été la<br />

découverte au RICC d’un composé<br />

contenant l’ion urany<strong>le</strong> au degré d’oxydation<br />

(V) UO 2 + , obtenu par oxydation de<br />

l’uranium(III). En effet, la chimie des actinides<br />

à hauts degrés d’oxydation (V, VI)<br />

joue un rô<strong>le</strong> crucial dans la mise au point<br />

de nouvel<strong>le</strong>s stratégies de séparation du<br />

combustib<strong>le</strong> usé et dans <strong>le</strong> développement<br />

de stratégies de dépollution. Dans<br />

<strong>le</strong> milieu naturel, l’uranium existe sous<br />

deux formes majoritaires : l’urany<strong>le</strong>(VI)<br />

UO 2 2+ solub<strong>le</strong> et l’uranium(IV) insolub<strong>le</strong><br />

(donc pas mobi<strong>le</strong>), mais des espèces<br />

fugaces d’urany<strong>le</strong>(V) peuvent éga<strong>le</strong>ment<br />

être impliquées dans <strong>le</strong>s processus<br />

de réduction biologique ou minéral de<br />

l’urany<strong>le</strong>(VI) qui génèrent des espèces<br />

polymétalliques solub<strong>le</strong>s. La chimie de<br />

l’urany<strong>le</strong>(V) est aussi essentiel<strong>le</strong> comme<br />

<strong>CEA</strong>/DSM<br />

dimère<br />

O O<br />

K<br />

Figure 2.<br />

Les premiers comp<strong>le</strong>xes poly<strong>nucléaire</strong>s<br />

(dimère et tétramère) stab<strong>le</strong>s de<br />

l’uranium(V) ont été isolés en milieu anhydre<br />

[G. NOCTON et al., J. Am. Chem. Soc., 130, 2008,<br />

p. 16633 ; V. MOUGEL et al., Angew. Chem.,<br />

2009, p. 1843]. Ces espèces ont permis<br />

d’élucider <strong>le</strong> mécanisme de dismutation.<br />

La réaction avec des acides organiques mène<br />

à des composés d’uranium(IV) solub<strong>le</strong>s qui<br />

modélisent bien <strong>le</strong>s espèces responsab<strong>le</strong>s<br />

de la migration des actinides [V. MOUGEL et al.,<br />

Chem. Commun., 46, 2010, p. 8648 ;<br />

B. BISWAS et al., Angew. Chem., Intl. Ed. , 50,<br />

2011, p. 5745].<br />

N<br />

modè<strong>le</strong> de la chimie du neptuny<strong>le</strong>(V) NpO 2 + .<br />

La chimie de l’urany<strong>le</strong>(V), espèce considérée<br />

jusqu’alors trop instab<strong>le</strong> – du fait<br />

de sa tendance à dismuter – <strong>pour</strong> être<br />

isolée, était complètement inexplorée.<br />

Au cours de la réaction de dismutation,<br />

deux urany<strong>le</strong>s(V) réagissent l’un avec<br />

l’autre <strong>pour</strong> former un urany<strong>le</strong>(VI) et un<br />

uranium(IV). Récemment, <strong>le</strong>s chimistes<br />

grenoblois ont réussi à bloquer cette réaction<br />

et à stabiliser des comp<strong>le</strong>xes polymétalliques<br />

d’urany<strong>le</strong>(V), ouvrant la voie<br />

à une étude systématique de la réactivité<br />

et des propriétés é<strong>le</strong>ctroniques et magnétiques<br />

de ces composés (figure 2). Ces<br />

travaux devraient permettre d’identifier<br />

<strong>le</strong>s chemins réactionnels menant à des<br />

composés insolub<strong>le</strong>s d’uranium.<br />

> Marinella Mazzanti<br />

Institut nanosciences et cryogénie (Inac)<br />

Direction des sciences de la matière<br />

<strong>CEA</strong> Centre de Grenob<strong>le</strong><br />

N<br />

O - O -<br />

2 K +<br />

O<br />

U +<br />

O<br />

UO 2<br />

+<br />

5f 1<br />

tétramère<br />

U 6 O 4 OH 4<br />

U(IV)<br />

cluster<br />

hexamère<br />

CLEFS <strong>CEA</strong> - N° 60 - ÉTÉ 2011<br />

11


<strong>Chimie</strong> <strong>pour</strong> <strong>le</strong> <strong>nucléaire</strong><br />

<strong>Chimie</strong> et génie chimique, <strong>le</strong> procédé COEX<br />

Le procédé COEX, fruit de la R&D menée<br />

au <strong>CEA</strong> en partenariat avec Areva NC,<br />

constitue une innovation significative dans<br />

<strong>le</strong> traitement et <strong>le</strong> recyclage du combustib<strong>le</strong>.<br />

Adaptation du procédé PUREX<br />

exploité à La Hague (Manche), COEX<br />

contribue à une gestion optimisée du plutonium<br />

et de l’uranium, et anticipe <strong>le</strong>s évolutions<br />

du cyc<strong>le</strong> <strong>pour</strong> <strong>le</strong>s futurs systèmes<br />

<strong>nucléaire</strong>s.<br />

Au cours du traitement du combustib<strong>le</strong><br />

usé, démarrant par sa dissolution, <strong>le</strong>s<br />

matières recyclab<strong>le</strong>s – essentiel<strong>le</strong>ment<br />

l’uranium et <strong>le</strong> plutonium – sont séparées,<br />

par extraction liquide-liquide, des<br />

éléments non valorisab<strong>le</strong>s tels <strong>le</strong>s produits<br />

de fission. De PUREX à COEX, la principa<strong>le</strong><br />

différence tient en ce que <strong>le</strong> plutonium<br />

n’est plus purifié seul, dans des cyc<strong>le</strong>s de<br />

séparation dédiés à ce seul actinide, mais<br />

toujours en présence d’uranium, offrant<br />

une barrière supplémentaire vis-à-vis de<br />

la prolifération.<br />

Ce résultat est consécutif notamment à<br />

des processus de COEXtraction, produisant<br />

une solution aqueuse purifiée de<br />

plutonium et d’uranium. Ces éléments<br />

en mélange sont ensuite coprécipités en<br />

solution grâce à un ajout contrôlé d’acide<br />

oxalique (figure 1) : cette opération permet<br />

de récupérer quantitativement <strong>le</strong> plutonium<br />

avec l’uranium au sein d’une même<br />

phase solide. Cel<strong>le</strong>-ci, un oxalate mixte,<br />

est ensuite traitée thermiquement <strong>pour</strong><br />

conduire au produit final du COEX, un<br />

solution d’acide oxalique<br />

solution U(IV) + Pu(III)<br />

suspension du coprécipité<br />

d’oxalate mixte U(IV)-Pu(III)<br />

dans <strong>le</strong> réacteur à effet vortex<br />

Figure 1.<br />

Zoom sur l’opération de coprécipitation<br />

oxalique de la solution purifiée de plutonium<br />

et d’uranium issue des cyc<strong>le</strong>s de coextraction.<br />

Le mélange de la solution d’uranium et de<br />

plutonium d’une part, et de l’acide oxalique<br />

d’autre part, <strong>pour</strong> produire <strong>le</strong> coprécipité<br />

d’oxalate mixte, est effectué dans un réacteur<br />

à effet vortex, c’est-à-dire un réacteur agité<br />

magnétiquement à l’aide d’un barreau aimanté.<br />

<strong>CEA</strong><br />

combustib<strong>le</strong><br />

usé<br />

U(IV) + Pu(III)<br />

en solution<br />

séparations +<br />

purification<br />

traitement<br />

oxyde mixte de plutonium et d’uranium<br />

(figure 2).<br />

Ce retour à l’état solide prépare l’étape<br />

suivante du cyc<strong>le</strong> : <strong>le</strong> recyclage de ce plutonium<br />

avec l’uranium au sein d’un nouveau<br />

combustib<strong>le</strong> de type MOX (Mixed OXide),<br />

mélange intime d’oxyde de plutonium et<br />

d’uranium. Ce combustib<strong>le</strong> est destiné<br />

à alimenter aussi bien des réacteurs à<br />

eau légère (REL) que <strong>le</strong>s futurs réacteurs<br />

de quatrième génération à neutrons<br />

rapides (RNR) <strong>pour</strong> <strong>le</strong>squels il constitue <strong>le</strong><br />

combustib<strong>le</strong> de référence.<br />

Quant à la chimie des actinides, el<strong>le</strong> est<br />

au cœur de ce procédé, en particulier par<br />

l’ajustement des conditions de l’extraction<br />

liquide-liquide (une phase aqueuse<br />

et un solvant non miscib<strong>le</strong> contenant<br />

l’extractant phosphate de tri-n-buty<strong>le</strong>),<br />

en vue de séparer et de purifier <strong>le</strong> plutonium<br />

tout en <strong>le</strong> gardant associé à de<br />

l’uranium. La spécificité du plutonium et<br />

cel<strong>le</strong> de l’uranium, à <strong>le</strong>urs divers degrés<br />

d’oxydation, contribuent au contrô<strong>le</strong> de<br />

cette sé<strong>le</strong>ctivité. Le génie chimique, au<br />

travers de la mise en œuvre de colonnes<br />

pulsées ou d’extracteurs centrifuges,<br />

permet d’assurer en cascade la mise en<br />

contact des phases non miscib<strong>le</strong>s puis<br />

<strong>le</strong>ur séparation, autrement dit <strong>le</strong> nombre<br />

d’étages requis de séparation/purification<br />

(prévu par la modélisation de procédé), et<br />

d’accéder à des facteurs de décontamination<br />

très é<strong>le</strong>vés.<br />

Au niveau du retour à l’état solide, étape<br />

clé du recyclage, l’acide oxalique ajouté en<br />

solution comme réactif précipitant produit<br />

une phase mixte très insolub<strong>le</strong>, conduisant<br />

à la récupération en une seu<strong>le</strong> étape de<br />

plus de 99 % du mélange uranium + plutonium,<br />

ajusté initia<strong>le</strong>ment en U(IV) + Pu(III).<br />

Cette coprécipitation oxalique est<br />

acide oxalique<br />

coprécipitation<br />

oxalate mixte U(IV)-Pu(III)<br />

traitement thermique<br />

recyclage<br />

MOX<br />

(U,Pu)O 2<br />

Figure 2.<br />

Opération de coprécipitation du plutonium et de l’uranium puis de calcination en oxyde mixte,<br />

en fin du procédé COEX et en amont du recyclage en combustib<strong>le</strong> de type MOX.<br />

Préparation d’un essai de coprécipitation<br />

oxalique au laboratoire L15 d’ATALANTE <strong>pour</strong><br />

la modélisation de procédé.<br />

aujourd’hui réalisée dans un réacteur à<br />

effet vortex qui permet un fonctionnement<br />

en continu, avec un retour d’expérience<br />

industriel unique – ce réacteur est déjà<br />

employé à La Hague <strong>pour</strong> précipiter <strong>le</strong><br />

plutonium en fin du PUREX – et une<br />

connaissance aboutie du génie chimique,<br />

notamment grâce à la modélisation de son<br />

fonctionnement. La structure moléculaire<br />

du coprécipité U(IV)-Pu(III) ciblée dans <strong>le</strong><br />

procédé est à la base du mélange contrôlé<br />

du plutonium et de l’uranium dans la phase<br />

solide. Ce mélange, des plus homogènes,<br />

est préservé lors de la calcination en oxyde<br />

mixte (U,Pu)O 2 , offrant des possibilités<br />

de simplification dans la fabrication de<br />

combustib<strong>le</strong>s MOX <strong>pour</strong> <strong>le</strong>s REL et surtout<br />

<strong>pour</strong> <strong>le</strong>s RNR.<br />

En résumé, du traitement du combustib<strong>le</strong><br />

usé au recyclage, <strong>le</strong> procédé COEX<br />

traduit une chimie contrôlée du mélange<br />

plutonium + uranium.<br />

> Stéphane Grandjean<br />

Département radiochimie et procédés<br />

Direction de l’énergie <strong>nucléaire</strong><br />

<strong>CEA</strong> Centre de Marcou<strong>le</strong><br />

<strong>CEA</strong><br />

Sébastien Le Couster/TroisTiers Photographie<br />

12<br />

CLEFS <strong>CEA</strong> - N° 60 - ÉTÉ 2011


Les fluides supercritiques au service des procédés chimiques<br />

Lorsque la pression et la température d’un<br />

fluide sont simultanément supérieures à<br />

<strong>le</strong>urs va<strong>le</strong>urs au point critique (figure 1),<br />

<strong>le</strong> fluide est dit supercritique. Les fluides<br />

supercritiques présentent des propriétés<br />

physico-chimiques uniques, intermédiaires<br />

entre cel<strong>le</strong>s des liquides et des gaz, qui <strong>le</strong>s<br />

rendent attractifs <strong>pour</strong> une mise en œuvre<br />

dans <strong>le</strong>s procédés chimiques. En particulier,<br />

ils sont dotés de densités proches de<br />

cel<strong>le</strong>s des liquides et de viscosités proches<br />

de cel<strong>le</strong>s des gaz. Ces propriétés peuvent<br />

être modulées en ajustant <strong>le</strong>s conditions de<br />

pression et de température, <strong>le</strong>ur conférant<br />

un caractère de fluides à géométrie variab<strong>le</strong>.<br />

CO 2 supercritique :<br />

une chimie abondante<br />

<strong>pour</strong> des applications variées<br />

Le dioxyde de carbone CO 2 (P c = 73,8 bars,<br />

T c = 31 °C) est <strong>le</strong> composé <strong>le</strong> plus largement<br />

utilisé dans <strong>le</strong>s procédés supercritiques,<br />

du fait de son point critique modéré, de son<br />

abondance, de son absence de toxicité et de<br />

son caractère ininflammab<strong>le</strong> limitant ses<br />

impacts sanitaires et environnementaux.<br />

Les applications du CO 2 supercritique sont<br />

extrêmement variées : extraction à partir<br />

de substances solides, fractionnement de<br />

haute<br />

basse<br />

pression<br />

solide<br />

point trip<strong>le</strong><br />

basse<br />

liquide<br />

point critique<br />

température<br />

mélanges liquides, synthèse de matériaux…<br />

Une chimie abondante s’est construite<br />

autour de ce solvant combiné ou non à<br />

des additifs en faib<strong>le</strong>s teneurs qui peuvent<br />

modifier ses propriétés et renforcer son<br />

pouvoir solvant.<br />

Dans <strong>le</strong> domaine <strong>nucléaire</strong>, une chimie,<br />

inspirée de l’extraction en phase liquide, a<br />

été développée <strong>pour</strong> <strong>le</strong> CO 2 supercritique<br />

employé alors comme diluant en association<br />

avec des systèmes extractants tels que<br />

<strong>le</strong>s composés organophosphorés ou <strong>le</strong>s<br />

-dicétones. Le procédé japonais Super-<br />

DIREX (Supercritical fluid DIRect EXtraction)<br />

exploite <strong>le</strong> système chimique CO 2 supercritique<br />

– phosphate de tri-n-buty<strong>le</strong> – acide<br />

nitrique <strong>pour</strong> l’extraction des actinides à<br />

partir de combustib<strong>le</strong> usé. Aux États-Unis, <strong>le</strong><br />

même système chimique est mis en œuvre<br />

dans une installation industriel<strong>le</strong> de récupération<br />

d’uranium enrichi dans des cendres<br />

d’incinération. Le Laboratoire des fluides<br />

supercritiques et membranes du <strong>CEA</strong><br />

étudie ce type de procédé et s’oriente vers<br />

la conception et la mise au point d’additifs<br />

optimisés <strong>pour</strong> <strong>le</strong> CO 2 supercritique, à partir<br />

de molécu<strong>le</strong>s contenant des groupements<br />

fonctionnels présentant une forte affinité<br />

<strong>pour</strong> lui, tels que <strong>le</strong>s siloxanes.<br />

phase supercritique<br />

Figure 1.<br />

Diagramme de phases pression-température d’un corps pur. Les corps purs peuvent se trouver<br />

sous différents états classiques bien connus : solide, liquide, gaz. Dans ce diagramme, <strong>le</strong>s régions<br />

se rapportant à ces états sont séparées par <strong>le</strong>s courbes de changement d’état. La courbe de<br />

vaporisation, relative au changement d’état entre <strong>le</strong> gaz et <strong>le</strong> liquide, marque un point d’arrêt appelé<br />

point critique, correspondant à un coup<strong>le</strong> pression-température propre à chaque corps pur et noté<br />

(P c , T c ). Au-delà du point critique (P > P c et T > T c ), <strong>le</strong>s notions de gaz et de liquide disparaissent :<br />

un corps pur existe sous une seu<strong>le</strong> phase dite supercritique.<br />

gaz<br />

haute<br />

P. Dumas/<strong>CEA</strong><br />

Banc d’essais CO 2 supercritique installé<br />

au Laboratoire des fluides supercritiques<br />

et membranes du <strong>CEA</strong>/Marcou<strong>le</strong>.<br />

H 2 O supercritique :<br />

des propriétés remarquab<strong>le</strong>s<br />

<strong>pour</strong> des applications ciblées<br />

Du fait de la modification des interactions<br />

entre ses molécu<strong>le</strong>s avec la température,<br />

l’eau supercritique H 2 O (P c = 221 bars,<br />

T c = 374 °C) possède des propriétés de<br />

solvatation proches de cel<strong>le</strong>s des solvants<br />

organiques et présente la capacité de solubiliser<br />

des composés organiques insolub<strong>le</strong>s<br />

dans l’eau à l’état liquide. Cette propriété<br />

remarquab<strong>le</strong> est exploitée dans des<br />

procédés chimiques, trouvant des applications<br />

ciblées dans <strong>le</strong> domaine du traitement<br />

et de la valorisation des déchets et<br />

effluents organiques. L’eau supercritique<br />

constitue alors un solvant <strong>pour</strong> conduire<br />

des réactions chimiques mettant en jeu<br />

des composés organiques, dans un milieu<br />

monophasique, autorisant ainsi des cinétiques<br />

réactionnel<strong>le</strong>s extrêmement rapides.<br />

Les applications couvrent l’oxydation, la<br />

dépolymérisation contrôlée, la liquéfaction<br />

et la gazéification.<br />

Dans <strong>le</strong> domaine <strong>nucléaire</strong>, <strong>le</strong> <strong>CEA</strong> étudie<br />

l’oxydation en eau supercritique, éga<strong>le</strong>ment<br />

appelée oxydation hydrotherma<strong>le</strong>, <strong>pour</strong><br />

la minéralisation de solvants organiques<br />

contaminés. Ce procédé consiste en une<br />

réaction entre <strong>le</strong>s composés organiques<br />

à détruire et un oxydant (air) en milieu eau<br />

supercritique à environ 300 bars et 500 °C.<br />

Dans ces conditions, des taux de destruction<br />

supérieurs à 99,9 % peuvent être atteints<br />

avec des temps de séjour de quelques<br />

dizaines de secondes. L’unité nucléarisée<br />

DELOS de l’installation ATALANTE<br />

est prévue <strong>pour</strong> assurer <strong>le</strong> traitement de<br />

solvants organiques usagés contaminés.<br />

> Audrey Hertz et Frédéric Charton<br />

Département d’études du traitement<br />

et du conditionnement des déchets<br />

Direction de l’énergie <strong>nucléaire</strong><br />

<strong>CEA</strong> Centre de Marcou<strong>le</strong><br />

CLEFS <strong>CEA</strong> - N° 60 - ÉTÉ 2011<br />

13


<strong>Chimie</strong> <strong>pour</strong> <strong>le</strong> <strong>nucléaire</strong><br />

La chimie de la corrosion<br />

Afin de maintenir sa compétitivité économique tout en répondant à des exigences de sûreté<br />

renforcées, l’industrie du <strong>nucléaire</strong> travail<strong>le</strong> sur l’amélioration et sur l’optimisation<br />

des performances et de la durabilité de ses installations. La limitation et la maîtrise<br />

des phénomènes de corrosion représentent un enjeu crucial.<br />

Mise en place d’échantillons de corrosion sous contrainte dans l’installation Vénus située<br />

sur <strong>le</strong> Centre de Saclay.<br />

S<br />

elon l’IUPAC, la corrosion est une réaction<br />

interfacia<strong>le</strong> irréversib<strong>le</strong> entre un matériau et son<br />

environnement qui conduit à la dégradation du matériau.<br />

Cette réaction possède une cinétique qui est<br />

souvent l’objet principal des études réalisées dans <strong>le</strong><br />

domaine. L’aspect multi-physique, multi-échel<strong>le</strong> et<br />

fortement couplé de la « science de la corrosion » se<br />

décline en de nombreuses disciplines. Comme dans<br />

d’autres sciences des systèmes comp<strong>le</strong>xes, <strong>le</strong> processus<br />

de modélisation des phénomènes de corrosion<br />

ou d’altération est en interaction très étroite avec<br />

l’expérimentation et la simulation.<br />

Qu’il s’agisse d’alliages métalliques, de bétons,<br />

de verres..., <strong>le</strong>s matériaux utilisés dans l’industrie<br />

<strong>nucléaire</strong> s’altèrent plus ou moins rapidement au<br />

contact du ou des milieux dans <strong>le</strong>squels ils se trouvent<br />

et en fonction du type et de l’intensité des sollicitations.<br />

L’environnement physico-chimique détermine<br />

<strong>le</strong>s modalités du processus de corrosion. Les<br />

sollicitations associées peuvent être des précurseurs,<br />

des catalyseurs ou des amplificateurs de l’endommagement<br />

d’un matériau et mener à des propriétés<br />

dégradées, à des pertes de tenue ou d’intégrité<br />

du composant, de la structure ou des ouvrages. Les<br />

systèmes étudiés au <strong>CEA</strong> sont extrêmement variés,<br />

comp<strong>le</strong>xes et évolutifs dans <strong>le</strong> temps, puisqu’il<br />

s’agit de considérer : des matériaux homogènes ou<br />

hétérogènes, composites... et potentiel<strong>le</strong>ment réactifs<br />

; des environnements et donc des sollicitations<br />

P. Stroppa/<strong>CEA</strong><br />

susceptib<strong>le</strong>s de conduire à des phénoménologies<br />

simultanées, chaînées ou fortement couplées<br />

(multi-physique), parfois extrêmes (haute température,<br />

haute pression, irradiations, concentration<br />

chimique, contraintes mécaniques) ; des échel<strong>le</strong>s<br />

spatia<strong>le</strong>s étendues (multi-échel<strong>le</strong>), depuis l’échel<strong>le</strong><br />

du matériau (nano, micro, méso) jusqu’à l’échel<strong>le</strong><br />

de la structure (macro). De plus, des contraintes<br />

complémentaires, et plus spécifiques au <strong>nucléaire</strong>,<br />

sont à prendre en compte comme la notion de longue<br />

durée – jusqu’à plusieurs centaines de milliers d’années<br />

dans <strong>le</strong> cas, par exemp<strong>le</strong>, du stockage géologique<br />

de déchets radioactifs – qui imposent des approches<br />

robustes, fiab<strong>le</strong>s et prédictives.<br />

Trois exemp<strong>le</strong>s portant sur des matériaux différents<br />

illustrent <strong>le</strong>s problématiques liées aux phénomènes<br />

de corrosion et donnent un aperçu des développements<br />

effectués <strong>pour</strong> <strong>le</strong>s maîtriser. Ils permettent<br />

ainsi d’avoir une vue sur des cinétiques chimiques<br />

hétérogènes très variées qui sont traitées au <strong>CEA</strong>.<br />

Le comportement des matériaux<br />

métalliques<br />

En milieu aqueux, comme dans <strong>le</strong>s réacteurs à eau,<br />

la corrosion des matériaux métalliques (M) est de<br />

nature é<strong>le</strong>ctrochimique, c’est-à-dire que la réaction<br />

met en œuvre un certain nombre x d’é<strong>le</strong>ctrons (e - ).<br />

El<strong>le</strong> se traduit par l’existence d’au moins une réaction<br />

d’oxydation du métal : (M x+ , xe - ) (M x+ ) + x(e - ).<br />

Cette réaction est nécessairement couplée à au moins<br />

une réaction de réduction, qui correspond à la réduction<br />

de l’oxygène dissous (O 2 ) lorsqu’il est présent :<br />

O 2 + 2 H 2 O (eau) + 4 e - 4 OH - (ion hydroxyde)<br />

ou, en milieu désoxygéné, à la réduction de l’eau el<strong>le</strong>même,<br />

selon la réaction :<br />

H 2 O + e - ½ H 2 (hydrogène) + OH - .<br />

La corrosion aqueuse se caractérise par ces réactions<br />

é<strong>le</strong>ctrochimiques élémentaires qui se produisent soit<br />

uniformément sur toute la surface considérée, soit de<br />

façon plus hétérogène. Il est alors classique de séparer<br />

<strong>le</strong>s phénomènes de corrosion en deux groupes : la<br />

corrosion généralisée et la corrosion localisée.<br />

Dans <strong>le</strong>s réacteurs à eau sous pression (REP), la corrosion<br />

généralisée est rencontrée sur <strong>le</strong> gainage des<br />

éléments combustib<strong>le</strong>s. Les études dans ce domaine<br />

ont <strong>pour</strong> but d’évaluer <strong>le</strong> comportement des alliages<br />

de zirconium utilisés dans des conditions de fonctionnement<br />

de plus en plus exigeantes et de contribuer<br />

au développement de nouveaux alliages plus<br />

résistants. Un autre cas important de corrosion généralisée<br />

est celui des matériaux tels que <strong>le</strong>s alliages de<br />

nickel employés dans <strong>le</strong>s réacteurs, et plus spécifiquement<br />

<strong>pour</strong> <strong>le</strong>s tubes des générateurs de vapeur. Ici,<br />

<strong>le</strong> problème industriel n’est pas vraiment l’endommagement<br />

du matériau engendré par la corrosion,<br />

14 CLEFS <strong>CEA</strong> - N° 60 - ÉTÉ 2011


mais plutôt <strong>le</strong> relâchement et <strong>le</strong> transport de produits<br />

de corrosion, vecteurs de contamination radioactive.<br />

Le principal phénomène de corrosion localisée<br />

rencontré dans <strong>le</strong>s réacteurs est la corrosion sous<br />

contrainte touchant non seu<strong>le</strong>ment <strong>le</strong>s gaines des<br />

éléments combustib<strong>le</strong>s mais éga<strong>le</strong>ment <strong>le</strong>s alliages<br />

base nickel et <strong>le</strong>s aciers inoxydab<strong>le</strong>s, et donc pouvant<br />

affecter la plupart des composants de l’îlot <strong>nucléaire</strong><br />

(internes, couverc<strong>le</strong>s, tuyauteries, générateur de<br />

vapeur...). Dans ce domaine, <strong>le</strong> développement de<br />

modè<strong>le</strong>s capab<strong>le</strong>s de prévoir l’amorçage et la propagation<br />

des fissures est un objectif, en vue d’une<br />

optimisation des fréquences des contrô<strong>le</strong>s et des<br />

remplacements éventuels. De nombreux mécanismes<br />

sont proposés dans la littérature <strong>pour</strong> rendre<br />

compte de la corrosion sous contrainte des alliages de<br />

nickel (en particulier l’alliage 600) en milieu primaire<br />

des REP. Afin de discriminer parmi ces mécanismes,<br />

des expérimentations ciblées sont réalisées. El<strong>le</strong>s<br />

ont <strong>pour</strong> but d’acquérir des données manquantes,<br />

notamment en ce qui concerne <strong>le</strong> rô<strong>le</strong> de l’oxygène<br />

et de l’hydrogène, et de valider <strong>le</strong>s étapes des modè<strong>le</strong>s.<br />

Certaines des expérimentations ont été menées sur<br />

des matériaux à microstructure modè<strong>le</strong>. Enfin, des<br />

isotopes de l’oxygène et de l’hydrogène ont été mis en<br />

œuvre afin de mieux comprendre <strong>le</strong> rô<strong>le</strong> des espèces<br />

hydrogénées et oxygénées. À l’issue des expériences<br />

ciblées, une description fine des oxydes présents dans<br />

<strong>le</strong>s fissures et dans <strong>le</strong>s amorces de fissures a été proposée<br />

en fonction des spécificités de la fissure (fissures<br />

actives ou non). Un exemp<strong>le</strong> de ces caractérisations<br />

est proposé sur la figure 1.<br />

La dégradation des bétons armés<br />

Le béton armé est <strong>le</strong> matériau constitutif des enceintes<br />

de confinement des réacteurs <strong>nucléaire</strong>s et de <strong>le</strong>urs<br />

aéroréfrigérants. Il est éga<strong>le</strong>ment utilisé <strong>pour</strong> <strong>le</strong><br />

conditionnement des déchets <strong>nucléaire</strong>s (conteneurs<br />

et colis cimentés) et la conception d’ouvrages <strong>pour</strong><br />

la gestion à long terme de ces déchets. Ces structures<br />

en béton armé devront assurer non seu<strong>le</strong>ment un<br />

rô<strong>le</strong> dans la tenue mécanique mais aussi un rô<strong>le</strong> de<br />

barrière physico-chimique <strong>pour</strong> <strong>le</strong> confinement des<br />

radionucléides (stockage géologique). Cela impose<br />

des bétons capab<strong>le</strong>s de conserver <strong>le</strong>ur intégrité sur<br />

de longues échel<strong>le</strong>s de temps, et donc d’étudier ce<br />

type de matériau <strong>pour</strong> mieux prévoir sa dégradation<br />

et s’en prémunir.<br />

Le béton est caractérisé par un pH très alcalin (de<br />

l’ordre de 13). En conditions atmosphériques, <strong>le</strong><br />

principal vecteur de dégradation du béton armé est<br />

lié au phénomène de carbonatation. Le dioxyde de<br />

carbone (CO 2 ) de l’air se dissout dans la solution<br />

interstitiel<strong>le</strong> alcaline du béton suivant la réaction :<br />

CO 2 (gazeux) + H 2 O (eau) H 2 CO 3 (acide carbonique).<br />

Cette réaction entraîne une évolution physicochimique<br />

du béton, via la précipitation de carbonates<br />

de calcium à partir de la portlandite (principa<strong>le</strong>ment)<br />

constitutive du matériau, selon l’équation bilan :<br />

Ca(OH) 2 (portlandite) + H 2 CO 3<br />

CaCO 3 (carbonate<br />

de calcium) + 2 H 2 O.<br />

Afin de simu<strong>le</strong>r ce phénomène, <strong>le</strong> modè<strong>le</strong> de carbonatation<br />

atmosphérique considère que <strong>le</strong> béton<br />

est composé de trois phases – solide (hydrates<br />

du ciment), liquide (eau interstitiel<strong>le</strong>), gazeuse<br />

(CO 2 ) –, aux interfaces desquel<strong>le</strong>s se produisent des<br />

polycristaux<br />

de structure NiO<br />

spinel<strong>le</strong> riche en fer,<br />

chrome et nickel<br />

NiO Ni(Fe,Cr) 2 O 4 Cr 2 O 3 zone riche<br />

en nickel<br />

(déchromée)<br />

oxyde riche<br />

en chrome<br />

réactions chimiques de dissolution, de précipitation,<br />

de condensation et d’évaporation, associées à des<br />

phénomènes de transport (eau, CO 2 ) et d’évolution<br />

de la microstructure (colmatage de la porosité).<br />

La carbonatation conduit, notamment, à une baisse<br />

du pH de la solution interstitiel<strong>le</strong> du béton jusqu’à<br />

des va<strong>le</strong>urs <strong>pour</strong> <strong>le</strong>squel<strong>le</strong>s <strong>le</strong>s armatures en acier<br />

ne sont plus passives (pH au voisinage de 9). Les<br />

conséquences de cette corrosion des armatures sont<br />

de deux ordres <strong>pour</strong> l’ouvrage en béton armé. D’une<br />

part, la formation d’une couche d’oxydes plus volumineux<br />

que l’acier initial sera susceptib<strong>le</strong> de provoquer<br />

une fissuration, voire un éclatement du béton.<br />

Dans ces conditions, <strong>le</strong>s propriétés de transport et de<br />

confinement du béton sont altérées. D’autre part, la<br />

perte de section des armatures durant <strong>le</strong> processus de<br />

corrosion a <strong>pour</strong> conséquence une perte de capacité<br />

portante de la structure. La durée de vie de l’ouvrage<br />

en est alors diminuée.<br />

Pour l’étude et la modélisation sur <strong>le</strong> long terme<br />

des interactions entre <strong>le</strong>s matériaux CIMentaires et<br />

METALliques (programme CIMETAL) en conditions<br />

atmosphériques et de <strong>le</strong>ur impact sur la tenue<br />

mécanique du matériau, une démarche de type<br />

zone enrichie<br />

en nickel<br />

Étude de la réactivité des bétons vis-à-vis du CO 2 gazeux : réalisation d’un essai de<br />

carbonatation accélérée.<br />

joint<br />

de grains<br />

joint<br />

de grains<br />

Figure 1.<br />

Représentation schématique des oxydes contenus dans une fissure de corrosion sous contrainte<br />

formée dans une éprouvette en alliage de nickel [alliage 600 constitué d’environ 14 à 17 % de<br />

chrome (Cr), 6 à 10 % de fer (Fe) et de plus de 72 % de nickel (Ni)] exposée au milieu primaire<br />

d’un REP. En haut, cas d’une fissure active d’un joint de grains ; en bas, cas d’une fissure<br />

secondaire passive.<br />

F. Rhodes/<strong>CEA</strong> <strong>CEA</strong><br />

CLEFS <strong>CEA</strong> - N° 60 - ÉTÉ 2011<br />

15


<strong>Chimie</strong> <strong>pour</strong> <strong>le</strong> <strong>nucléaire</strong><br />

hydratation du verre à l’interface<br />

couche hydratée-verre<br />

verre<br />

sain<br />

traceurs<br />

couche<br />

hydratée<br />

(considérée comme un<br />

milieu poreux diffusif)<br />

micro-macro a été adoptée. L’ensemb<strong>le</strong> de ces travaux<br />

doit, in fine, mener à la mise en place d’un modè<strong>le</strong><br />

couplé prenant en compte <strong>le</strong> transport des agents<br />

agressifs dans <strong>le</strong> milieu cimentaire, <strong>le</strong>s mécanismes<br />

de corrosion des armatures, l’endommagement du<br />

béton d’enrobage, jusqu’à la capacité portante résiduel<strong>le</strong><br />

d’ouvrages.<br />

L’altération des verres<br />

Depuis près de vingt ans, la France traite et recyc<strong>le</strong> <strong>le</strong>s<br />

combustib<strong>le</strong>s usés des REP et vitrifie <strong>le</strong>s produits de<br />

fission et <strong>le</strong>s actinides mineurs (verre R7T7 principa<strong>le</strong>ment).<br />

Le verre a été retenu <strong>pour</strong> conditionner <strong>le</strong>s<br />

déchets de haute activité et à vie longue, en raison de<br />

sa résistance aux agressions chimiques, de sa faculté<br />

d’incorporer dans sa structure une large variété d’éléments<br />

chimiques et de sa relative facilité de mise en<br />

œuvre industriel<strong>le</strong>. Il est cependant reconnu que<br />

l’eau présente dans <strong>le</strong>s argi<strong>le</strong>s du stockage géologique<br />

sera capab<strong>le</strong> d’altérer <strong>le</strong> verre et de libérer une fraction<br />

des radionucléides qu’il contient. Toute la question<br />

est de savoir à quel<strong>le</strong> vitesse a lieu la dégradation,<br />

et donc quels en sont <strong>le</strong>s mécanismes.<br />

En présence d’eau, <strong>le</strong> verre de type R7T7, comme<br />

la plupart des borosilicates, est <strong>le</strong> siège de réactions<br />

attribuab<strong>le</strong>s, <strong>pour</strong> certaines, à la nature des liaisons<br />

chimiques au sein de la structure vitreuse et, <strong>pour</strong><br />

d’autres, aux propriétés des espèces dissoutes. Ces<br />

réactions s’articu<strong>le</strong>nt en quatre processus, à l’œuvre<br />

simultanément, et susceptib<strong>le</strong>s d’être décrits cinétiquement<br />

(figure 2). Ces processus, mis en équation<br />

dans <strong>le</strong> modè<strong>le</strong> GRAAL (1) , constituent <strong>le</strong> soc<strong>le</strong> <strong>pour</strong><br />

décrire <strong>le</strong>s différents régimes de vitesse d’altération<br />

des verres <strong>nucléaire</strong>s en conditions de stockage<br />

géologique.<br />

(1) Voir à ce sujet C<strong>le</strong>fs <strong>CEA</strong> N° 59, Le comportement à long terme<br />

des verres <strong>pour</strong> <strong>le</strong> confinement des déchets, Été 2010, p. 22-23.<br />

diffusion de l’eau à travers la couche<br />

hydratée déjà formée<br />

H 2 O<br />

dissolution de la couche<br />

hydratée par sa face externe<br />

eau<br />

précipitation<br />

de phases<br />

secondaires<br />

Figure 2.<br />

Représentation des quatre processus simultanément en jeu lors de l’altération du verre.<br />

1. Le verre d’oxydes se transforme en une « phase » de type oxo-hydroxydes, amorphe,<br />

poreuse et hydratée. 2. Le transport de l’eau par diffusion jusqu’à l’interface réactionnel<strong>le</strong><br />

à travers la couche hydratée déjà formée limite la réaction d’hydratation du verre.<br />

La couche hydratée joue donc un rô<strong>le</strong> passivant. 3. Cette couche se dissout sur sa face<br />

externe, avec une cinétique qui dépend des conditions de renouvel<strong>le</strong>ment de la solution<br />

au voisinage du verre. 4. Des phases secondaires précipitent en consommant des éléments<br />

formateurs de la couche d’hydroxydes. La mesure de la vitesse d’altération du verre<br />

se fait en analysant l’évolution de la concentration en solution des éléments traceurs<br />

(bore, sodium) libérés par <strong>le</strong> verre.<br />

<strong>CEA</strong><br />

Élaboration par fusion d’un verre de confinement de déchets<br />

en vue d’étudier son comportement à long terme.<br />

Vers une harmonisation<br />

des différentes approches<br />

L’impression généra<strong>le</strong> est qu’en matière de corrosion<br />

chaque cas est particulier, la corrosion ressemblant<br />

à une mosaïque de phénomènes indépendants. Or,<br />

il est indispensab<strong>le</strong> que <strong>le</strong>s aspects multi-physiques<br />

et multi-échel<strong>le</strong>s des phénomènes de corrosion que<br />

<strong>le</strong>s physico-chimistes décrivent soient couplés <strong>pour</strong><br />

comprendre <strong>le</strong>s processus globaux et <strong>le</strong>s modéliser.<br />

Même si <strong>le</strong>s échel<strong>le</strong>s d’espace et de temps s’éta<strong>le</strong>nt<br />

sur plusieurs ordres de grandeur, <strong>le</strong>s outils, qu’ils<br />

soient analytiques ou de simulation, progressent et<br />

devraient conduire à l’avenir à la mise en cohérence<br />

des approches <strong>pour</strong> prédire <strong>le</strong>s phénomènes et <strong>le</strong>ur<br />

impact sur la durabilité des matériaux.<br />

> Damien Féron 1 , Christophe Gallé 2,1<br />

et Stéphane Gin 3<br />

1 Département de physico-chimie<br />

2<br />

Département des matériaux<br />

<strong>pour</strong> <strong>le</strong> <strong>nucléaire</strong> (depuis février 2011)<br />

Direction de l’énergie <strong>nucléaire</strong><br />

<strong>CEA</strong> Centre de Saclay<br />

3<br />

Département d’études du traitement<br />

et du conditionnement des déchets<br />

Direction de l’énergie <strong>nucléaire</strong><br />

<strong>CEA</strong> Centre de Marcou<strong>le</strong><br />

POUR EN SAVOIR PLUS<br />

« La corrosion et l’altération des matériaux du<br />

<strong>nucléaire</strong> », Monographie de la Direction de l’énergie<br />

<strong>nucléaire</strong> du <strong>CEA</strong>, Éditions du Moniteur (2010).<br />

P.-F. Grosjean/<strong>CEA</strong><br />

16 CLEFS <strong>CEA</strong> - N° 60 - ÉTÉ 2011


MÉMO A<br />

Les progrès de la modélisation en chimie<br />

organisation des atomes à l’échel<strong>le</strong><br />

L’ microscopique résulte des forces<br />

attractives associées à <strong>le</strong>urs cortèges<br />

d’é<strong>le</strong>ctrons. Sans ces derniers, la répulsion<br />

entre <strong>le</strong>s noyaux porteurs de charges positives<br />

rendrait en effet impossib<strong>le</strong> la formation<br />

des édifices comp<strong>le</strong>xes qui constituent<br />

l’objet de la chimie. Par conséquent, la<br />

modélisation de ces structures nécessite en<br />

principe de décrire <strong>le</strong>s é<strong>le</strong>ctrons, tâche diffici<strong>le</strong><br />

compte tenu de <strong>le</strong>ur nombre et surtout<br />

de <strong>le</strong>ur caractère quantique. Le chimiste<br />

est alors confronté à un di<strong>le</strong>mme. Soit il<br />

s’efforce de calcu<strong>le</strong>r <strong>le</strong>s énergies des configurations<br />

atomiques à partir de l’équation de<br />

Schrödinger, ce qui n’est réalisab<strong>le</strong> que <strong>pour</strong><br />

un petit nombre d’atomes, soit la nature du<br />

problème lui impose de prendre en compte<br />

un grand nombre d’atomes, auquel cas<br />

il doit renoncer à un calcul quantique et<br />

recourir à des potentiels classiques, c’està-dire<br />

des expressions analytiques seu<strong>le</strong>s à<br />

même de garantir un temps de calcul acceptab<strong>le</strong>.<br />

Une troisième possibilité consiste<br />

à élaborer des modè<strong>le</strong>s prédictifs à partir<br />

de données expérimenta<strong>le</strong>s, sans passer<br />

par une description détaillée du système à<br />

l’échel<strong>le</strong> microscopique. Tous <strong>le</strong>s domaines<br />

d’activité de la chimie au <strong>CEA</strong> utilisent largement<br />

ces approches en modélisation, que<br />

ce soit <strong>pour</strong> <strong>le</strong> <strong>nucléaire</strong>, <strong>le</strong>s nanosciences,<br />

<strong>le</strong>s applications militaires ou <strong>le</strong>s sciences<br />

de la vie.<br />

Simulations par dynamique<br />

moléculaire de solutions<br />

aqueuses concentrées<br />

Dans <strong>le</strong> cyc<strong>le</strong> du combustib<strong>le</strong> <strong>nucléaire</strong>,<br />

la partie qui consiste à traiter <strong>le</strong> combustib<strong>le</strong><br />

usé passe par une dissolution dans<br />

Figure 2.<br />

Vues instantanées de la structure loca<strong>le</strong> autour d’un ion dysprosium(III) dans des solutions<br />

aqueuses de Dy(NO 3 ) 3 à 0,5 mol/kg, 1 mol/kg et 3 mol/kg d’eau ; cou<strong>le</strong>ur des atomes : H en blanc,<br />

O en rouge, N en b<strong>le</strong>u, Dy en vert.<br />

l’acide nitrique (HNO 3 ) et diverses étapes<br />

de séparation par extraction liquide-liquide.<br />

Au cours de ce procédé, de nombreux<br />

cations métalliques se trouvent dans des<br />

solutions aqueuses fortement concentrées.<br />

Pour connaître et décrire correctement la<br />

chimie de ces cations, il est nécessaire de<br />

pouvoir caractériser à la fois la structure et<br />

la thermodynamique des espèces qui y sont<br />

présentes.<br />

Une des méthodes de choix <strong>pour</strong> la caractérisation<br />

de ces solutions est la dynamique<br />

moléculaire. Cette technique donne <strong>le</strong>s<br />

moyens de représenter <strong>le</strong>s atomes et <strong>le</strong>s<br />

molécu<strong>le</strong>s en prenant en compte l’agitation<br />

thermique qui est indispensab<strong>le</strong> <strong>pour</strong><br />

une représentation pertinente des effets de<br />

solvatation. Il est possib<strong>le</strong> d’effectuer ces<br />

simulations au niveau quantique (simulations<br />

Car-Parrinello). Si <strong>le</strong>s temps de simulation<br />

accessib<strong>le</strong>s actuel<strong>le</strong>ment (quelques<br />

dizaines de picosecondes) autorisent à<br />

rendre compte de chemins réactionnels à<br />

cinétique rapide, ils ne permettent toutefois<br />

pas d’obtenir un échantillonnage conformationnel<br />

suffisant <strong>pour</strong> des systèmes<br />

dans <strong>le</strong>squels <strong>le</strong>s degrés de liberté sont<br />

importants. Par conséquent, ces méthodes<br />

rendent éga<strong>le</strong>ment très ardu l’accès aux<br />

données thermodynamiques. À un niveau<br />

de représentation moins fin de la liaison<br />

chimique, <strong>le</strong>s simulations basées sur une<br />

représentation analytique de l’énergie<br />

d’interaction (issue de la mécanique classique)<br />

offrent la possibilité de traiter un grand<br />

nombre d’atomes de façon explicite, et donc<br />

de rendre compte des molécu<strong>le</strong>s à étudier et<br />

du solvant l’entourant avec <strong>le</strong> même formalisme<br />

(figure 1). Des simulations peuvent<br />

alors être réalisées sur des temps bien plus<br />

longs (quelques dizaines de nanosecondes),<br />

autorisant l’étude de l’influence de la solvatation<br />

sur la forme et <strong>le</strong> comportement<br />

des objets chimiques auxquels <strong>le</strong> chimiste<br />

s’intéresse (figure 2). Le couplage de ces<br />

méthodes avec des techniques tel<strong>le</strong>s que<br />

cel<strong>le</strong>s regroupées sous <strong>le</strong> nom de « modè<strong>le</strong>s<br />

gros-grains » – fondées sur <strong>le</strong>s interactions<br />

entre paires d’ions, avec un modè<strong>le</strong> de<br />

solvant implicite – permet ensuite d’accéder<br />

à des données thermodynamiques, comme<br />

<strong>le</strong>s coefficients d’activité indispensab<strong>le</strong>s<br />

<strong>pour</strong> la description de la thermodynamique<br />

dans <strong>le</strong>s milieux concentrés.<br />

<strong>CEA</strong>/DEN<br />

<strong>CEA</strong>/DEN<br />

Figure 1.<br />

Vues instantanées de simulations de dynamique moléculaire de solutions de perchlorate de dysprosium(III) à 0,5 mol/kg, 1 mol/kg et<br />

3 mol/kg d’eau ; cou<strong>le</strong>ur des atomes : H en blanc, O en rouge, Cl en cyan, Dy en vert.<br />

CLEFS <strong>CEA</strong> - N° 60 - ÉTÉ 2011<br />

17


<strong>Chimie</strong> <strong>pour</strong> <strong>le</strong> <strong>nucléaire</strong><br />

MÉMO A<br />

Propriétés des composés<br />

d’éléments f<br />

Au cours de ces dernières années, <strong>le</strong>s<br />

domaines d’application des éléments f (voir<br />

Les spécificités chimiques des actinides, p. 10)<br />

se sont multipliés. Cela concerne essentiel<strong>le</strong>ment<br />

<strong>le</strong>s composés de lanthanides<br />

avec des applications liées aux propriétés<br />

optiques, chimiques et structura<strong>le</strong>s ou<br />

magnétiques. Les actinides restent, quant<br />

à eux, plutôt associés aux sciences du<br />

<strong>nucléaire</strong>. La chimie expérimenta<strong>le</strong> des<br />

éléments f est aujourd’hui soutenue par la<br />

simulation numérique. Cel<strong>le</strong>-ci est encore<br />

en p<strong>le</strong>ine expansion et demeure un véritab<strong>le</strong><br />

défi scientifique en raison de la nature<br />

chimique des milieux étudiés et du caractère<br />

des éléments lanthanides et actinides. Ces<br />

conditions particulières ne permettent pas<br />

toujours d’exploiter <strong>le</strong>s outils théoriques<br />

« standard » de la simulation. Des développements<br />

méthodologiques sont indispensab<strong>le</strong>s.<br />

Ce n’est que récemment, grâce aux<br />

progrès des moyens informatiques et à la<br />

mise en œuvre de nouveaux algorithmes<br />

dans <strong>le</strong>s codes de calcul, que des composés<br />

de tail<strong>le</strong> réaliste ont pu être étudiés.<br />

L’objectif général des travaux menés<br />

au <strong>CEA</strong> est en premier lieu la modélisation<br />

et la compréhension approfondie du<br />

comportement chimique des radionucléides<br />

dans <strong>le</strong>s domaines du traitement<br />

du combustib<strong>le</strong> <strong>nucléaire</strong> usé, du conditionnement<br />

et du stockage des déchets<br />

radioactifs, et de la toxicologie <strong>nucléaire</strong>.<br />

Dans une deuxième étape, la recherche de<br />

relations entre <strong>le</strong>s grandeurs calculées et<br />

<strong>le</strong>s propriétés mesurées doit permettre<br />

d’orienter qualitativement <strong>le</strong> choix d’une<br />

ou plusieurs molécu<strong>le</strong>s dans une famil<strong>le</strong><br />

mais aussi, à partir d’un nouveau motif<br />

moléculaire, de conduire à évaluer a priori<br />

ses propriétés. Un des exemp<strong>le</strong>s <strong>le</strong>s plus<br />

frappants est la chimie du traitement des<br />

combustib<strong>le</strong>s <strong>nucléaire</strong>s usés, tant dans <strong>le</strong>s<br />

procédés actuels que dans une perspective<br />

de procédés futurs. Les outils théoriques à<br />

disposition sont principa<strong>le</strong>ment la chimie<br />

quantique et la dynamique moléculaire classique<br />

et ab initio. Les études sont réalisées<br />

au <strong>CEA</strong> en utilisant <strong>le</strong>s outils théoriques<br />

existants, mais éga<strong>le</strong>ment en assurant <strong>le</strong>s<br />

développements méthodologiques nécessaires.<br />

Ces derniers concernent l’analyse<br />

de la liaison chimique, la construction de<br />

champs de forces incluant <strong>le</strong>s effets non<br />

additifs <strong>pour</strong> des simulations de dynamique<br />

moléculaire classique et l’élaboration de<br />

pseudopotentiels adaptés aux éléments f<br />

<strong>pour</strong> des simulations de dynamique moléculaire<br />

ab initio. Par exemp<strong>le</strong>, <strong>le</strong>s développements<br />

effectués sur <strong>le</strong>s champs de<br />

forces polarisab<strong>le</strong>s, dans un premier temps<br />

sur <strong>le</strong>s lanthanides, ont rendu possib<strong>le</strong>s<br />

<strong>le</strong>s premières simulations quantitatives<br />

des propriétés dynamiques de l’ion Gd(III)<br />

hydraté et comp<strong>le</strong>xé à un polyaminocarboxylate<br />

(application en imagerie par<br />

résonance magnétique). Aujourd’hui, <strong>le</strong>s<br />

développements sont menés en vue de la<br />

simulation des propriétés dynamiques et<br />

thermodynamiques de composés d’actinides<br />

solvatés et/ou comp<strong>le</strong>xés avec des<br />

molécu<strong>le</strong>s organiques.<br />

Un autre aspect beaucoup plus prospectif<br />

de l’emploi des outils théoriques est<br />

Figure 3.<br />

Nouvel<strong>le</strong>s famil<strong>le</strong>s de composés très stab<strong>le</strong>s à base d’actinides. À gauche, comp<strong>le</strong>xe de symétrie<br />

tétraédrique constitué d’une cage de carbone encapsulant du Pu 4+ (Pu 4+ @C 28 ). À droite, visualisation<br />

de la fonction de localisation é<strong>le</strong>ctronique dans Pu 4+ @C 28 . La cou<strong>le</strong>ur rouge correspond à<br />

un maximum de densité é<strong>le</strong>ctronique. Les calculs montrent que <strong>le</strong>s orbita<strong>le</strong>s 7s, 7p, 6d et 5f de<br />

l’élément f central s’hybrident avec cel<strong>le</strong>s de la cage <strong>pour</strong> former un système à 32 é<strong>le</strong>ctrons.<br />

<strong>CEA</strong>/DSM<br />

l’imagination de nouveaux composés d’éléments<br />

f à propriétés chimiques, optiques,<br />

magnétiques ou é<strong>le</strong>ctroniques contrôlées.<br />

Par exemp<strong>le</strong>, grâce à la chimie théorique, un<br />

nouveau principe à 32 é<strong>le</strong>ctrons en chimie<br />

basé sur <strong>le</strong>s éléments f a été énoncé <strong>pour</strong><br />

la première fois ; il est analogue à la règ<strong>le</strong><br />

des 18 é<strong>le</strong>ctrons <strong>pour</strong> <strong>le</strong>s éléments d. Il<br />

permet de concevoir des composés très<br />

stab<strong>le</strong>s d’actinides (figure 3), alors que<br />

<strong>le</strong>s composés analogues de lanthanides<br />

ne possèdent pas des propriétés aussi<br />

intéressantes.<br />

Cependant, malgré des progrès récents,<br />

un long chemin reste à parcourir <strong>pour</strong> une<br />

description quantitative des propriétés<br />

physico-chimiques des composés de<br />

lanthanides ou d’actinides et l’élaboration<br />

de nouveaux systèmes à propriétés<br />

spécifiques. L’ensemb<strong>le</strong> de ces recherches<br />

fait l’objet de collaborations nationa<strong>le</strong>s et<br />

internationa<strong>le</strong>s.<br />

Des matériaux organiques<br />

explosifs<br />

Au contraire des composés précédents,<br />

<strong>le</strong>s matériaux organiques présentent<br />

des structures é<strong>le</strong>ctroniques simp<strong>le</strong>s. En<br />

revanche, <strong>le</strong>ur modélisation se heurte à des<br />

difficultés de nature combinatoire résultant<br />

du nombre é<strong>le</strong>vé de configurations possib<strong>le</strong>s<br />

<strong>pour</strong> <strong>le</strong>s molécu<strong>le</strong>s. Ces difficultés sont<br />

encore accrues dès lors que <strong>le</strong> chimiste<br />

s’intéresse à la réactivité de ces matériaux,<br />

du fait des nombreux mécanismes envisageab<strong>le</strong>s.<br />

C’est notamment <strong>le</strong> cas <strong>pour</strong> <strong>le</strong>s<br />

explosifs. Ces matériaux fournissent un<br />

terrain d’application privilégié à de nouvel<strong>le</strong>s<br />

techniques conciliant <strong>le</strong>s avantages de la<br />

chimie quantique et de la modélisation<br />

moléculaire classique, à savoir l’aptitude<br />

à décrire des réactions chimiques d’une<br />

part, et la prise en compte de nombreux<br />

degrés de liberté d’autre part. En effet, une<br />

explosion est <strong>le</strong> plus souvent initiée par<br />

une onde de choc. Si <strong>le</strong>s premiers effets<br />

de cel<strong>le</strong>-ci dans <strong>le</strong> matériau peuvent être<br />

simulés par des calculs ab initio (figure 4),<br />

décrire <strong>le</strong>s étapes ultérieures implique en<br />

revanche de disposer d’un potentiel non<br />

seu<strong>le</strong>ment réactif – c’est-à-dire capab<strong>le</strong> de<br />

décrire la rupture et la formation de liaisons<br />

chimiques – mais éga<strong>le</strong>ment efficace,<br />

autrement dit semi-analytique. Comme<br />

<strong>le</strong>s potentiels classiques de la mécanique<br />

moléculaire, <strong>le</strong>s potentiels réactifs sont<br />

définis par des expressions explicites de<br />

l’énergie en fonction de variab<strong>le</strong>s géométriques.<br />

Cependant, au contraire des potentiels<br />

non réactifs, ils ne sont pas en mesure<br />

18<br />

CLEFS <strong>CEA</strong> - N° 60 - ÉTÉ 2011


<strong>CEA</strong>/DAM<br />

Figure 4.<br />

Évolution de la mail<strong>le</strong> d’un cristal de nitrométhane (explosif modè<strong>le</strong>) soumis à une contrainte croissante de cisail<strong>le</strong>ment qui finit par arracher aux<br />

molécu<strong>le</strong>s des atomes d’hydrogène (représentés à droite par deux grosses sphères blanches).<br />

de faire intervenir des constantes associées<br />

aux liaisons chimiques, puisque la notion<br />

de liaison est mal définie <strong>pour</strong> des configurations<br />

hors-équilibre. Ces constantes<br />

sont alors remplacées par des fonctions<br />

qui dépendent d’un ordre de liaison continu,<br />

calculé <strong>pour</strong> chaque paire d’atomes en fonction<br />

de la distance <strong>le</strong>s séparant et de <strong>le</strong>ur<br />

environnement. Ces expressions doivent, en<br />

outre, être couplées à un modè<strong>le</strong> de charges<br />

variab<strong>le</strong>s, afin de décrire <strong>le</strong>s modifications<br />

de la distribution é<strong>le</strong>ctronique au cours<br />

des réactions. La recherche de modè<strong>le</strong>s<br />

toujours plus fiab<strong>le</strong>s et moins empiriques<br />

fait l’objet, depuis une dizaine d’années,<br />

d’une intense activité.<br />

Étude des lésions de l’ADN<br />

Les modifications structura<strong>le</strong>s de l’ADN<br />

(<strong>le</strong>s lésions) sont des processus chimiques<br />

particulièrement fréquents dans <strong>le</strong> noyau<br />

des cellu<strong>le</strong>s. El<strong>le</strong>s sont en général efficacement<br />

réparées par des mécanismes<br />

enzymatiques. Néanmoins, il arrive que la<br />

division cellulaire (mitose) précède la réparation<br />

des lésions. Dans ce cas, la cellu<strong>le</strong><br />

fil<strong>le</strong> présente la même lésion de l’ADN que la<br />

cellu<strong>le</strong> mère. Il est alors question de mutation.<br />

La mutation est à l’origine du vieillissement<br />

cellulaire et peut être <strong>le</strong> point de départ<br />

d’un processus de cancérisation. Il est donc<br />

crucial d’en comprendre <strong>le</strong>s mécanismes<br />

microscopiques.<br />

Le chimiste théoricien dispose de nombreux<br />

outils différents <strong>pour</strong> modéliser une réaction<br />

chimique. Parmi toutes <strong>le</strong>s méthodes disponib<strong>le</strong>s,<br />

la DFT conceptuel<strong>le</strong> est un paradigme<br />

de choix <strong>pour</strong> comparer la réactivité<br />

et la sé<strong>le</strong>ctivité de molécu<strong>le</strong>s chimiquement<br />

proches. L’essence de cette méthode<br />

consiste à évaluer <strong>le</strong>s variations de l’énergie<br />

et de la densité é<strong>le</strong>ctronique en tout début<br />

de réaction <strong>pour</strong> prédire l’état de transition<br />

<strong>le</strong> plus probab<strong>le</strong> et, par conséquent, <strong>le</strong><br />

produit cinétique majoritaire. L’estimation<br />

des variations de l’énergie ou de la densité<br />

é<strong>le</strong>ctronique est effectuée à l’aide d’un jeu<br />

d’indices qui traduisent numériquement <strong>le</strong>s<br />

caractéristiques chimiques de la molécu<strong>le</strong><br />

étudiée. Les indices <strong>le</strong>s plus fréquemment<br />

déterminés sont l’é<strong>le</strong>ctrophilie – attirance<br />

<strong>pour</strong> <strong>le</strong>s espèces chargées négativement<br />

– ou la nucléophilie – attirance <strong>pour</strong> <strong>le</strong>s<br />

espèces chargées positivement – globa<strong>le</strong><br />

d’une molécu<strong>le</strong> (réactivité) et <strong>le</strong>urs distributions<br />

loca<strong>le</strong>s (sé<strong>le</strong>ctivité).<br />

Cette approche peut être illustrée en considérant<br />

une lésion, dite tandem, entre la<br />

thymine et une base purique adjacente<br />

d’un nucléotide. Lors de la formation de<br />

cette lésion, une liaison cova<strong>le</strong>nte est créée<br />

entre <strong>le</strong> groupement méthy<strong>le</strong> (CH 3 ) de la<br />

thymine et <strong>le</strong> carbone C8 d’une guanine<br />

ou d’une adénine voisine. Les résultats<br />

guanine<br />

C8<br />

expérimentaux montrent que la guanine<br />

est cinq fois plus souvent impliquée que<br />

l’adénine. Le radical issu de la thymine,<br />

qui intervient au cours de la génération de<br />

cette lésion, est é<strong>le</strong>ctrophi<strong>le</strong>. Il faudra donc<br />

rechercher la base purique dont <strong>le</strong> carbone<br />

C8 est <strong>le</strong> plus nucléophi<strong>le</strong>. Dans ce cadre,<br />

l’indice <strong>le</strong> plus efficace est <strong>le</strong> descripteur<br />

dual grand canonique développé au <strong>CEA</strong><br />

en 2005-2006, qui est une fonction spatia<strong>le</strong><br />

dont <strong>le</strong> signe positif ou négatif indique<br />

respectivement <strong>le</strong> caractère é<strong>le</strong>ctrophi<strong>le</strong><br />

ou nucléophi<strong>le</strong> de la zone concernée. Cette<br />

fonction est représentée <strong>pour</strong> l’adénine et<br />

la guanine sur la figure 5. Il apparaît que <strong>le</strong><br />

carbone C8 de l’adénine est é<strong>le</strong>ctrophi<strong>le</strong>,<br />

tandis que celui de la guanine est nucléophi<strong>le</strong>.<br />

L’interaction avec la guanine est donc<br />

plus forte qu’avec l’adénine, démontrant<br />

ainsi la plus grande occurrence des lésions<br />

tandem thymine-guanine. Cet exemp<strong>le</strong> est<br />

typique de l’utilisation possib<strong>le</strong> de la DFT<br />

conceptuel<strong>le</strong> en réactivité.<br />

adénine<br />

Figure 5.<br />

Descripteurs duals grands canoniques f (2) ( ) <strong>pour</strong> la guanine et l’adénine. En rouge sont<br />

représentées <strong>le</strong>s zones positives (ou é<strong>le</strong>ctrophi<strong>le</strong>s) et en vert <strong>le</strong>s zones négatives (ou nucléophi<strong>le</strong>s).<br />

Le carbone C8 est indiqué par une flèche.<br />

C8<br />

<strong>CEA</strong>/DSM<br />

CLEFS <strong>CEA</strong> - N° 60 - ÉTÉ 2011<br />

19


<strong>Chimie</strong> <strong>pour</strong> <strong>le</strong> <strong>nucléaire</strong><br />

MÉMO A<br />

a<br />

b<br />

1,6<br />

0,5<br />

énergie potentiel<strong>le</strong> (eV)<br />

1,4<br />

1,2<br />

1,0<br />

0,8<br />

0,6<br />

0,4<br />

0,2<br />

énergie potentiel<strong>le</strong> (eV)<br />

0,4<br />

0,3<br />

0,2<br />

0,1<br />

0 0<br />

1,92 1,97 2,02 2,07 2,12<br />

1,92<br />

distance moyenne Mn-N (Å)<br />

2,12<br />

1,97 2,02 2,07<br />

distance moyenne Mn-N (Å)<br />

<strong>CEA</strong>/DSM<br />

Figure 6.<br />

Courbes d’énergie potentiel<strong>le</strong> (eV) de porphyrines (notées P) de Mn oxydées avec différentes localisations de la charge, en fonction de<br />

la distance moyenne entre l’atome de Mn central et <strong>le</strong>s 4 atomes d’azote de la porphyrine, Mn-N (Å). En b<strong>le</strong>u : état [Mn III P 2- ] + (S = 2) ;<br />

en rouge : état [Mn II P •- ] + (S = 3). En a, porphyrine sans substituant. Il existe un seul minimum quel<strong>le</strong> que soit la distance Mn-N.<br />

En b, porphyrine avec substituant. Il existe deux minima, un <strong>pour</strong> chaque état, précurseurs de bistabilité.<br />

La chimie théorique <strong>pour</strong><br />

<strong>le</strong>s nanosciences<br />

Les molécu<strong>le</strong>s greffées sur des nanoobjets<br />

offrent la possibilité de contrô<strong>le</strong>r<br />

ou d’enrichir <strong>le</strong>s propriétés de ces<br />

nanomatériaux, avec des applications<br />

importantes en imagerie, <strong>pour</strong> la nanostructuration,<br />

<strong>le</strong>s capteurs ou <strong>le</strong> stockage<br />

de l’information. Le premier enjeu est de<br />

calcu<strong>le</strong>r la propriété clé au niveau moléculaire<br />

: émission de lumière, transition<br />

magnétique, transfert de charge... Le<br />

deuxième enjeu concerne la modélisation<br />

du couplage entre la molécu<strong>le</strong> et <strong>le</strong><br />

nano-objet. Ces questions sont illustrées<br />

ici par la modélisation de « mémoires<br />

moléculaires » où des molécu<strong>le</strong>s présentant<br />

une activité redox sont greffées sur<br />

silicium (Si) <strong>pour</strong> assurer <strong>le</strong> stockage de<br />

l’information.<br />

Les molécu<strong>le</strong>s étudiées dans ce contexte<br />

sont des porphyrines « métallées »<br />

comportant un métal redox (Mn, Fe, Co).<br />

Un stockage efficace d’information (via<br />

une charge sur la molécu<strong>le</strong>) nécessite<br />

une bistabilité, propriété qui se traduit<br />

par l’existence de deux minima d’énergie<br />

potentiel<strong>le</strong>. Dans <strong>le</strong> cas des porphyrines<br />

de Mn(III), des calculs ab initio poussés<br />

<strong>pour</strong> deux états de spin S différents<br />

(collaboration avec l’ENS de Lyon) révè<strong>le</strong>nt<br />

qu’un choix judicieux des substituants<br />

permet d’obtenir une tel<strong>le</strong> bistabilité<br />

(figure 6). Cela entraîne l’existence d’un<br />

décalage entre <strong>le</strong>s potentiels d’oxydation<br />

et de réduction de la molécu<strong>le</strong>, condition<br />

indispensab<strong>le</strong> <strong>pour</strong> « stocker » une charge.<br />

Lorsque la molécu<strong>le</strong> est greffée de façon<br />

cova<strong>le</strong>nte – via un lien chimique appelé<br />

espaceur – au substrat de Si, se pose<br />

alors la question des transferts é<strong>le</strong>ctroniques<br />

entre la molécu<strong>le</strong> et <strong>le</strong> Si, qui sont<br />

gouvernés par <strong>le</strong> positionnement relatif<br />

de <strong>le</strong>urs niveaux é<strong>le</strong>ctroniques. Le calcul<br />

d’une molécu<strong>le</strong> redox greffée sur un<br />

agrégat de Si de tail<strong>le</strong> finie montre qu’il<br />

existe très peu d’hybridation entre <strong>le</strong>s<br />

niveaux é<strong>le</strong>ctroniques de la molécu<strong>le</strong> et<br />

<strong>le</strong>s états du Si. Plus significatif, <strong>le</strong>s écarts<br />

entre <strong>le</strong>s niveaux moléculaires et ceux<br />

du Si sont modulés essentiel<strong>le</strong>ment par<br />

l’espaceur. Ainsi, un espaceur court (fonction<br />

viny<strong>le</strong>) conduit à un gap d’énergie de<br />

transfert molécu<strong>le</strong>-Si faib<strong>le</strong>, tandis qu’un<br />

espaceur long (≥ 6 atomes de carbone)<br />

produit un gap plus grand. Ces résultats,<br />

valab<strong>le</strong>s <strong>pour</strong> toutes <strong>le</strong>s molécu<strong>le</strong>s redox<br />

utilisées dans l’étude, ont été corroborés<br />

par des expériences d’é<strong>le</strong>ctrochimie<br />

et de capacitance sur des substrats de<br />

silicium greffés (collaboration avec l’Institut<br />

Leti – Laboratoire d’é<strong>le</strong>ctronique<br />

et de technologie de l’information – du<br />

<strong>CEA</strong>). La validité des modè<strong>le</strong>s d’agrégats<br />

de Si a éga<strong>le</strong>ment été confortée par<br />

une approche quantique périodique, qui<br />

mène aux mêmes décalages de niveaux<br />

que l’approche moléculaire (collaboration<br />

avec l’Institut Leti).<br />

> Philippe Guilbaud 1 ,<br />

Jean-Pierre Dognon 2 ,<br />

Didier Mathieu 3 , Christophe Morell 4 ,<br />

André Grand 4 et Pasca<strong>le</strong> Maldivi 4<br />

1 Département radiochimie<br />

et procédés<br />

Direction de l’énergie <strong>nucléaire</strong><br />

<strong>CEA</strong> Centre de Marcou<strong>le</strong><br />

2 Institut rayonnement matière<br />

de Saclay (Iramis)<br />

Direction des sciences de la matière<br />

<strong>CEA</strong> Centre de Saclay<br />

3 Direction des applications militaires<br />

<strong>CEA</strong> Centre du Ripault<br />

4<br />

Institut nanosciences<br />

et cryogénie (Inac)<br />

Direction des sciences de la matière<br />

<strong>CEA</strong> Centre de Grenob<strong>le</strong><br />

20<br />

CLEFS <strong>CEA</strong> - N° 60 - ÉTÉ 2011


Comprendre <strong>le</strong>s mécanismes<br />

chimiques de la radiolyse<br />

Le phénomène de radiolyse se manifeste partout dans <strong>le</strong> cyc<strong>le</strong> du combustib<strong>le</strong>, puisqu’il est<br />

la conséquence de l’interaction du rayonnement <strong>nucléaire</strong> avec la matière, l’eau en particulier.<br />

Il provoque essentiel<strong>le</strong>ment la corrosion, la perte d’efficacité des procédés d’extraction des<br />

actinides et la production de gaz dangereux ou corrosifs. La chimie de la radiolyse, principa<strong>le</strong>ment<br />

radicalaire, doit être contrôlée et comprise jusque dans ses processus <strong>le</strong>s plus fins.<br />

<strong>CEA</strong>/Laboratoire de radiolyse<br />

Expérience menée <strong>pour</strong> déterminer <strong>le</strong>s rendements radiolytiques primaires de production des espèces radicalaires. La lumière<br />

transmise par un autoclave pouvant contenir de l’eau supercritique (374 °C, 221 bars) est dispersée avec un réseau optique, visib<strong>le</strong><br />

(du b<strong>le</strong>u au rouge) sur l’entrée d’une fente qui sé<strong>le</strong>ctionne la longueur d’onde envoyée au détecteur via une fibre optique (détection<br />

déportée). L’analyse en fonction du temps de l’intensité de lumière pendant une brève irradiation donnera la cinétique de formation<br />

et de recombinaison de l’espèce chimique considérée. Cette cinétique dépend fortement de la température, de la pression et du type<br />

de rayonnement utilisé.<br />

D<br />

epuis la découverte du radium en 1898, <strong>le</strong><br />

phénomène de radiolyse, qui correspond à<br />

la dissociation de molécu<strong>le</strong>s par des rayonnements<br />

ionisants, constaté peu après et se traduisant par<br />

l’observation d’un dégagement gazeux – mélange<br />

d’hydrogène et d’oxygène – lorsqu’un sel de radium<br />

était dissous dans de l’eau (H 2 O), n’a cessé de s’affiner<br />

<strong>pour</strong> devenir, dès <strong>le</strong> début des années 70, un modè<strong>le</strong><br />

comptant près de 50 réactions <strong>pour</strong> l’eau pure.<br />

C’est <strong>le</strong> système chimique <strong>le</strong> plus étudié et connu<br />

actuel<strong>le</strong>ment en radiolyse. Jusque dans <strong>le</strong>s années 90,<br />

des bases de données de constantes de vitesse ont<br />

été élaborées <strong>pour</strong> de nombreux solutés en phase<br />

gazeuse ou liquide.<br />

Le rayonnement <strong>nucléaire</strong> à la trace<br />

Même si <strong>le</strong>s premières études se faisaient avec du<br />

rayonnement alpha issu du radium par exemp<strong>le</strong>, <strong>le</strong>s<br />

mécanismes chimiques ont été étayés plus tard grâce à<br />

des faisceaux d’é<strong>le</strong>ctrons pulsés qui mimaient parfaitement<br />

<strong>le</strong>s effets des rayonnements gamma, mais<br />

avec une intensité de rayonnement bien plus forte.<br />

Observer l’effet des rayonnements alpha, protons,<br />

neutrons ou noyaux de recul oblige à polluer <strong>le</strong>s<br />

solutions avec des sels radioactifs qui prennent part<br />

à la chimie, ce qui complique l’interprétation des<br />

résultats. En effet, l’oxydation ou la réduction de ces<br />

sels par <strong>le</strong>s radicaux de l’eau modu<strong>le</strong> la production<br />

d’hydrogène moléculaire (H 2 ). Ces rayonnements<br />

présentent des transferts d’énergie linéiques (TEL)<br />

é<strong>le</strong>vés et ils sont accessib<strong>le</strong>s avec <strong>le</strong>s cyclotrons, en<br />

utilisant éventuel<strong>le</strong>ment <strong>le</strong>ur structure temporel<strong>le</strong><br />

intrinsèque. Le passage en mode impulsionnel permet<br />

la visualisation des radicaux libres de courte durée de<br />

vie (milliseconde maximum). La radiolyse gamma et<br />

é<strong>le</strong>ctrons de haute énergie est donc bien connue, alors<br />

qu’el<strong>le</strong> l’est beaucoup moins avec des rayonnements<br />

de TEL plus é<strong>le</strong>vé.<br />

Pour bien maîtriser un phénomène de radiolyse, il<br />

faut connaître <strong>le</strong>s doses déposées dans <strong>le</strong> milieu et <strong>le</strong>s<br />

rendements radiolytiques primaires de production<br />

des espèces radicalaires lorsqu’el<strong>le</strong>s ont suffisamment<br />

diffusé dans <strong>le</strong> milieu (figure 1). Pour l’eau à température<br />

et pression ambiantes, entre 100 ns et 1 s après<br />

<strong>le</strong> passage d’une particu<strong>le</strong> ionisante, <strong>le</strong>s espèces sont<br />

réparties de façon homogène dans <strong>le</strong> milieu. Dès lors<br />

que l’énergie de la particu<strong>le</strong> incidente est susceptib<strong>le</strong><br />

de provoquer une ionisation, typiquement au moins<br />

une dizaine d’eV, la chimie est prévisib<strong>le</strong>. Si la solution<br />

est bien décrite (solutés, réactions et constantes<br />

de vitesse), il est relativement aisé de prédire <strong>le</strong><br />

dégagement d’hydrogène et la production d’eau<br />

oxygénée (H 2 O 2 ). Souvent ce n’est pas aussi simp<strong>le</strong><br />

et des connaissances beaucoup plus poussées sont<br />

CLEFS <strong>CEA</strong> - N° 60 - ÉTÉ 2011<br />

21


<strong>Chimie</strong> <strong>pour</strong> <strong>le</strong> <strong>nucléaire</strong><br />

molécu<strong>le</strong>s d’eau du refroidissement des réacteurs à<br />

eau sous pression (REP), <strong>le</strong>s molécu<strong>le</strong>s extractantes<br />

de la séparation des actinides ou <strong>le</strong>s matériaux de<br />

confinement des déchets.<br />

12 C 6+<br />

3,5 GeV<br />

1 m<br />

HO ...<br />

200 nm<br />

Figure 1.<br />

Trace d’ionisation obtenue par simulation de Monte-Carlo. Les ionisations et <strong>le</strong>s radicaux qui<br />

en sont issus sont symbolisés par des points <strong>le</strong> long de l’axe de propagation de la particu<strong>le</strong><br />

ionisante (ici un ion carbone). Des axes secondaires (nommés rayons delta) sont créés par des<br />

é<strong>le</strong>ctrons énergétiques éjectés du cœur de la trace. Quand la densité de ces rayons delta devient<br />

homogène, c’est-à-dire lorsque <strong>le</strong> TEL augmente, ils forment ce qui est appelé la « pénombre »<br />

dont <strong>le</strong> dépôt d’énergie, en l’occurrence la va<strong>le</strong>ur du TEL, est celui des é<strong>le</strong>ctrons.<br />

e aq<br />

indispensab<strong>le</strong>s. En effet, <strong>le</strong>s rendements primaires ne<br />

sont pas connus avec précision <strong>pour</strong> tous <strong>le</strong>s types de<br />

rayonnement et il n’existe aucune loi permettant de<br />

<strong>le</strong>s déterminer. La seu<strong>le</strong> va<strong>le</strong>ur du TEL n’y donne pas<br />

accès. Ces rendements dépendent des concentrations<br />

des solutés lorsqu’el<strong>le</strong>s sont supérieures à 0,01 mo<strong>le</strong>/<br />

dm 3 , car <strong>le</strong>s captures chimiques interviennent avant<br />

que la répartition des radicaux libres soit homogène.<br />

Ils dépendent éga<strong>le</strong>ment de la température. De plus, la<br />

loi d’Arrhenius n’est plus applicab<strong>le</strong> au-delà de 250 °C<br />

<strong>pour</strong> calcu<strong>le</strong>r <strong>le</strong>s constantes de vitesse car l’eau devient<br />

aussi un réactif et n’est plus seu<strong>le</strong>ment un solvant<br />

spectateur. Des expériences à température plus é<strong>le</strong>vée<br />

sont nécessaires. En outre, <strong>le</strong>s rendements primaires<br />

ne sont valab<strong>le</strong>s qu’en milieu homogène, donc sans<br />

interface. En effet, des études récentes montrent que<br />

<strong>le</strong> rendement de production d’hydrogène moléculaire<br />

est multiplié par au moins un facteur 10 dans des<br />

porosités nanométriques et mésoscopiques. Une fine<br />

couche d’eau en surface d’oxyde de plutonium peut<br />

aussi présenter un taux inhabituel de radiolyse.<br />

Ces connaissances sont accessib<strong>le</strong>s mais relèvent de<br />

recherches « fines » faisant appel à des résolutions<br />

temporel<strong>le</strong>s allant de la femtoseconde à la nanoseconde.<br />

Puisque <strong>le</strong> modè<strong>le</strong> de radiolyse est un modè<strong>le</strong><br />

de diffusion, si l’échel<strong>le</strong> de temps observée est petite,<br />

<strong>le</strong>s dimensions spatia<strong>le</strong>s deviennent el<strong>le</strong>s aussi plus<br />

petites. Le zoom est à la fois temporel et spatial. Ces<br />

études doivent enfin révé<strong>le</strong>r l’histoire secrète de la<br />

va<strong>le</strong>ur des rendements primaires des espèces issues<br />

des ionisations, soit dans une chimie accélérée par la<br />

température ou par la proximité des ionisations à TEL<br />

é<strong>le</strong>vé, soit dans une chimie voulue hétérogène dans<br />

des pores ou à l’interface entre molécu<strong>le</strong> radiolysée et<br />

matériau. En outre, ces études en conditions extrêmes<br />

s’accompagnent de modélisation <strong>pour</strong> permettre un<br />

croisement simulation-expérience.<br />

Quels effets sur <strong>le</strong> cyc<strong>le</strong><br />

du combustib<strong>le</strong> ?<br />

Les effets de la radiolyse sont présents partout dans<br />

<strong>le</strong> cyc<strong>le</strong> du combustib<strong>le</strong> étant donné qu’ils résultent<br />

de l’interaction du rayonnement <strong>nucléaire</strong> avec <strong>le</strong>s<br />

La radiolyse de l’eau des REP<br />

La radiolyse de l’eau se manifeste de façon la plus<br />

flagrante dans <strong>le</strong>s REP. Très tôt, <strong>le</strong> dégagement de<br />

H 2 et la corrosion par H 2 O 2 se sont révélés être des<br />

problèmes dans la conception de ce type de réacteur.<br />

La chimie de la radiolyse a pu être contrôlée grâce à<br />

une bonne connaissance du mécanisme réactionnel,<br />

et notamment la réaction en chaîne dite de Al<strong>le</strong>n entre<br />

H 2 et H 2 O 2 :<br />

H 2 + HO• H• + H 2 O (réaction 1)<br />

H• + H 2 O 2 HO• + H 2 O (réaction 2).<br />

Ces dernières se produisent tant qu’il y a H 2 et H 2 O 2<br />

en solution, c’est-à-dire tant que la radiolyse se <strong>pour</strong>suit.<br />

Comme <strong>le</strong>s rendements primaires des radicaux<br />

hydroxy<strong>le</strong>s HO• et de H 2 sont très différents, il est<br />

nécessaire d’injecter de l’hydrogène (de l’ordre de<br />

0,001 mo<strong>le</strong>/dm 3 ) <strong>pour</strong> que la réaction en chaîne ait<br />

lieu. Aussi, l’injection d’hydrogène dans l’eau du<br />

circuit primaire des REP est une opération intégrée et<br />

maîtrisée par l’exploitant. Ainsi, tout se passe comme<br />

si l’eau ne se décomposait pas. Cependant, la chimie<br />

de l’eau des REP est comp<strong>le</strong>xe en raison des effets<br />

de la température, de la mixité des rayonnements<br />

à proximité des gaines de combustib<strong>le</strong>, des additifs<br />

destinés au maintien du pH... Les réacteurs du futur ne<br />

rencontreront pas forcément de problème de radiolyse<br />

puisque <strong>le</strong>s réacteurs à neutrons rapides de quatrième<br />

génération, par exemp<strong>le</strong>, ne contiendront pas d’eau.<br />

Ce n’est pas <strong>le</strong> cas d’ITER qui sera refroidi par eau et<br />

soumis à une irradiation neutronique de 14 MeV.<br />

La radiolyse des molécu<strong>le</strong>s extractantes<br />

Le recyclage du combustib<strong>le</strong> <strong>nucléaire</strong>, avant de<br />

produire des déchets ultimes, passe par des étapes<br />

d’extraction liquide-liquide <strong>pour</strong> extraire et séparer<br />

<strong>le</strong>s actinides mineurs de l’uranium réutilisab<strong>le</strong>. Après<br />

mise en solution dans l’acide nitrique concentré,<br />

des molécu<strong>le</strong>s comme <strong>le</strong> phosphate de tri-n-buty<strong>le</strong><br />

(TBP) dans <strong>le</strong> procédé PUREX subissent la radiolyse<br />

en présence de rayonnement du combustib<strong>le</strong> dissous.<br />

Bien que relativement stab<strong>le</strong>, <strong>le</strong> TBP se décompose<br />

et doit être recyclé <strong>pour</strong> maintenir son pouvoir<br />

d’extractant du plutonium. Les procédés « plus fins »<br />

(SANEX) permettant l’extraction du curium et de<br />

l’américium mettent en œuvre des molécu<strong>le</strong>s tel<strong>le</strong>s<br />

que <strong>le</strong>s malonamides. Les mécanismes chimiques de<br />

radiolyse de ces molécu<strong>le</strong>s sont étudiés et évalués, tant<br />

en termes de produits formés sous radiolyse que de<br />

radicaux transitoires. Comme el<strong>le</strong>s sont dotées d’une<br />

architecture comp<strong>le</strong>xe (forme de pince comp<strong>le</strong>xante),<br />

la spectroscopie infrarouge résolue en temps et la<br />

spectrométrie de masse donnent accès aux liaisons<br />

chimiques impliquées dans la radiolyse et à <strong>le</strong>ur mécanisme<br />

réactionnel.<br />

La radiolyse des matrices de confinement<br />

Les déchets ultimes sont confinés dans plusieurs<br />

types de matrices en fonction de <strong>le</strong>ur activité. Les<br />

verres R7T7 de confinement des hautes activités ne<br />

semb<strong>le</strong>nt pas être sensib<strong>le</strong>s à la radiolyse. Ce n’est pas<br />

<strong>le</strong> cas des matrices tel<strong>le</strong>s que <strong>le</strong> béton qui contient de<br />

22 CLEFS <strong>CEA</strong> - N° 60 - ÉTÉ 2011


l’eau à des pH extrêmement alcalins (13-14) et subit<br />

une radiolyse importante conduisant à un dégagement<br />

d’hydrogène susceptib<strong>le</strong> d’altérer <strong>le</strong> confinement<br />

et de s’échapper dans l’installation. Les études<br />

de la radiolyse de cette eau soumise à des rayonnements<br />

mixtes alpha et gamma sont comp<strong>le</strong>xes et <strong>le</strong>s<br />

raffinements des modè<strong>le</strong>s n’apportent pas toujours<br />

satisfaction. Les concentrations é<strong>le</strong>vées d’hydroxyde<br />

(ions HO - ) perturbent jusqu’à la définition même<br />

des rendements pris en compte dans <strong>le</strong>s simulations.<br />

De plus, l’influence de la porosité du béton augmente<br />

fortement <strong>le</strong>s rendements de production moléculaire<br />

connus <strong>pour</strong> l’eau libre, comme <strong>le</strong> ferait <strong>le</strong> TEL.<br />

Le défi réside dans l’établissement d’un lien entre<br />

<strong>le</strong>s simulations des temps courts (Monte-Carlo) et<br />

des temps longs (résolution de systèmes d’équations<br />

différentiel<strong>le</strong>s).<br />

-60 fs<br />

-40 fs<br />

Les défis futurs de la chimie<br />

sous rayonnement<br />

Pour répondre à des besoins appliqués liés à la<br />

sûreté des installations ou à la performance d’un<br />

procédé, mais aussi <strong>pour</strong> aider à comprendre <strong>le</strong>s<br />

processus impliqués en radiobiologie et en radiothérapie,<br />

<strong>le</strong>s chercheurs du Laboratoire de radiolyse<br />

(UMR 3299 <strong>CEA</strong>-CNRS) de l’Institut rayonnement<br />

matière de Saclay (<strong>CEA</strong>/Iramis) doivent re<strong>le</strong>ver de<br />

nombreux défis <strong>pour</strong> appréhender <strong>le</strong>s mécanismes<br />

intimes de la radiolyse dans <strong>le</strong>s conditions extrêmes :<br />

rayonnements de TEL é<strong>le</strong>vé, hautes températures<br />

et pressions, interface. L’objectif est de décrire dans<br />

<strong>le</strong> détail un dépôt d’énergie dans tout type de trace<br />

d’ionisation avec des simulations de Monte-Carlo en<br />

appui des expériences faisant un zoom sur <strong>le</strong>s processus<br />

initiaux dans <strong>le</strong> domaine s’étendant de la picoseconde<br />

à la nanoseconde. Ceci <strong>pour</strong>ra être réalisé<br />

en associant <strong>le</strong>s nouvel<strong>le</strong>s sources d’ions, notamment<br />

-15 fs<br />

0 fs<br />

Figure 3.<br />

Représentation des étapes du processus de formation dans l’eau d’un é<strong>le</strong>ctron hydraté e • aq à partir<br />

d’un proton H • et d’un ion hydroxyde HO - . À t = 0 s, il est montré dans sa cage de solvatation en b<strong>le</strong>u<br />

avec <strong>le</strong>s molécu<strong>le</strong>s d’eau pointant vers lui <strong>le</strong>urs atomes d’hydrogène. La dynamique moléculaire<br />

reconstitue la finesse des interactions dans une réaction d’équilibre longtemps restée hypothétique.<br />

déc<strong>le</strong>nchées par laser (figure 2), à des expériences<br />

couplant la microscopie et la résolution temporel<strong>le</strong><br />

<strong>pour</strong> observer <strong>le</strong>s hétérogénéités dans <strong>le</strong>s traces et<br />

évaluer <strong>le</strong>s modè<strong>le</strong>s. Les molécu<strong>le</strong>s plus comp<strong>le</strong>xes<br />

subissant <strong>le</strong>s effets de la radiolyse seront analysées<br />

par des spectroscopies résolues en temps capab<strong>le</strong>s<br />

de révé<strong>le</strong>r <strong>le</strong>s liaisons chimiques touchées. C’est aussi<br />

vrai <strong>pour</strong> <strong>le</strong>s nouveaux systèmes chimiques comme<br />

<strong>le</strong>s liquides ioniques susceptib<strong>le</strong>s d’accueillir des<br />

déchets <strong>nucléaire</strong>s et <strong>pour</strong> <strong>le</strong>squels de nombreuses<br />

études doivent être menées. En outre, <strong>le</strong>s simulations<br />

en dynamique moléculaire peuvent dévoi<strong>le</strong>r <strong>le</strong>s<br />

processus intimes de certaines réactions bien ciblées<br />

(figure 3).<br />

<strong>CEA</strong>/Laboratoire de radiolyse<br />

Figure 2.<br />

Parabo<strong>le</strong>s de Thomson : analyse du faisceau de particu<strong>le</strong>s<br />

(principa<strong>le</strong>ment des protons et des ions carbone de quelques<br />

MeV d’énergie) issues de l’interaction entre une impulsion laser<br />

ultrabrève (picoseconde) de très forte puissance (térawatt)<br />

et une cib<strong>le</strong> de diamant. Des projets de recherche actuels<br />

tentent d’utiliser ces particu<strong>le</strong>s, dont <strong>le</strong> TEL est é<strong>le</strong>vé, <strong>pour</strong><br />

étudier <strong>le</strong>s processus ultrabrefs dans <strong>le</strong>s traces d’ionisation<br />

dans de l’eau ou des polymères. L’emploi de ces particu<strong>le</strong>s<br />

en hadronthérapie est aussi un objectif lié au dépôt d’énergie<br />

en fin de trace (pic de Bragg) <strong>pour</strong> tuer <strong>le</strong>s tumeurs malignes<br />

de certains cancers. La connaissance des mécanismes<br />

radiolytiques dans cette région est donc primordia<strong>le</strong>.<br />

<strong>CEA</strong>/Laboratoire de radiolyse<br />

Un travail en réseau<br />

Les verrous technologiques et scientifiques posés par<br />

<strong>le</strong>s processus de radiolyse ne seront <strong>le</strong>vés qu’en diffusant<br />

en réseau <strong>le</strong>s compétences du <strong>CEA</strong>, de façon à ne<br />

plus subir la chimie de la radiolyse mais à l’intégrer<br />

au départ des réf<strong>le</strong>xions et des études préliminaires<br />

dans <strong>le</strong>s nouveaux concepts. C’est <strong>le</strong> rô<strong>le</strong> du Réseau<br />

<strong>CEA</strong> Radiolyse créé en 2007, et dont <strong>le</strong> Laboratoire<br />

de radiolyse est membre coordonnateur, qui capitalise<br />

<strong>le</strong>s connaissances et communique avec tous <strong>le</strong>s<br />

pô<strong>le</strong>s du <strong>CEA</strong> <strong>pour</strong> faciliter <strong>le</strong>s échanges dans tous<br />

<strong>le</strong>s domaines concernés par la radiolyse.<br />

> Gérard Baldacchino<br />

Institut rayonnement matière de Saclay (Iramis)<br />

Direction des sciences de la matière<br />

<strong>CEA</strong> Centre de Saclay<br />

CLEFS <strong>CEA</strong> - N° 60 - ÉTÉ 2011<br />

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