28.11.2014 Views

livre

livre

livre

SHOW MORE
SHOW LESS

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

appelé malgré moi ce que c’était que partir, ne plus pouvoir chanter, vivre et vieillir au loin, et je suis revenu. Maintenant je pense que je serai<br />

incapable de m’arrêter tant que ma voix tiendra mon corps debout. La première salle était le Zénith de Saint-Etienne pour huit soirs pleins à craquer<br />

avec un public fervent auquel j’ai tout donné. J’arrivais sur scène au milieu d’un orage pour chanter « Ma gueule » avec les musiciens derrière qui me<br />

rejoignaient ensuite et j’enchaînais sur « Je veux te graver dans ma vie », « Joue pas de rock’n roll avec moi », et puis je déroulais « Diego »,<br />

« Excuse-moi partenaire », « Gabrielle », « Allumer le feu », « Requiem pour un fou » et les singles de mon nouvel album Ça ne finira jamais. Déjà de<br />

toutes les citer ça me fatigue, alors en sortant de scène, j’étais heureux mais épuisé. Comme toujours j’étais là pour tout donner à mon public. Tout<br />

allait bien quand je chantais, mais en dehors, mon corps semblait me dire que j’avais trop poussé sur la machine. J’ai dû me faire opérer d’un petit<br />

cancer du côlon au lieu de prendre des vacances dans l’interruption qu’on avait prévue pour ça.<br />

On a annulé quelques concerts et, après quelques semaines de répit, ça a été des maux de dos. Je suis grand et je me roule par terre avec une<br />

uitare depuis que je suis adolescent, forcément, ça esquinte. J’étais en tournée non-stop depuis un mois et demi, je savais que j’avais un petit break<br />

nsuite pour me faire opérer avant de rentrer chez moi à Los Angeles pour me reposer un peu. L’opération a eu l’air de bien se passer mais le<br />

endemain ma cicatrice suintait. Elle était ouverte en partie. On l’a recousue et puis, en accord avec Stéphane Delajoux, j’ai embarqué dans l’avion<br />

omme prévu.<br />

Ce que j’ignorais, c’est qu’au moment où il m’a recousu une infection a commencé. A bord, j’ai été pris de douleurs d’une grande violence, à tel<br />

point qu’il a fallu qu’on me mette dans un fauteuil roulant à l’atterrissage. Après douze heures d’avion, j’étais dans un état lamentable. Laeticia a<br />

appelé les urgences médicales et la valse des médecins a débuté à la maison. On nettoyait la cicatrice, on me donnait des calmants, mais l’infection<br />

empirait et ma douleur était démesurée. Jamais je n’avais vécu cela. Forcément mes démons m’ont repris et j’ai tenté de me soulager en buvant. Je me<br />

faisais des cocktails médicaments et alcool pour ne pas me taper la tête contre les murs. Je résistais à la souffrance à ma manière. On ne savait pas<br />

encore que Delajoux m’avait percé la dure-mère. Ça me fait sourire, ce mot, d’ailleurs quand quelques jours après on m’a mis dans le coma<br />

artificiellement, il paraît que j’ai appelé mon père toute la nuit. Je ne l’avais pourtant pas revu et il était mort depuis longtemps. J’avais essayé à un<br />

moment de renouer les liens, ou plutôt de les créer. Je l’avais fait venir à Paris, je lui avais acheté des costumes sur mesure chez Cerruti, installé dans<br />

un bel appartement. On avait passé la journée ensemble et je lui avais dit que je m’occuperais de lui désormais. Le lendemain, il avait mis le feu à son<br />

appart et il était retourné chez Cerruti pour revendre tous ses costumes à moitié prix. Il avait repris sa vie d’alcoolique.<br />

Quand je l’ai enterré dans le petit cimetière de Schaerbeek, plus de quinze ans avant ce putain de coma dans lequel on m’a plongé, j’étais seul<br />

derrière le cercueil.<br />

Et moi, quand j’ai failli mourir, je me suis senti seul aussi. C’est peut-être pour ça que j’appelais mon père ?<br />

Ils sont tous là à dire qu’ils sont venus. Qu’est-ce qu’on en a à foutre de la file devant la salle d’attente ? La vérité, c’est que Laeticia était très<br />

seule. D’abord la seule à prendre des décisions. Je ne me souviens plus de rien. C’est elle qui doit raconter ce moment-là, moi ces quelques jours je<br />

suis une parenthèse. Moi qui suis toujours dans la lumière, à l’avant, je ne suis rien. C’est elle qui décide de ses gestes d’amour, de me sauver la vie.<br />

J’ai une image étrange qui m’est restée en mémoire, c’est comme si j’avais été sur un bateau et que je me rapprochais d’un rivage. Sur l’île sur<br />

laquelle j’allais accoster, il y avait plein de gens disparus, je me souviens d’avoir vu Carlos. Et puis doucement, je me suis éloigné de cette île et j’ai<br />

retrouvé les visages des vivants.<br />

Ce n’est qu’après que j’ai compris que mon corps, cette drôle d’embarcation, avait pris l’eau plus de trois semaines durant lesquelles Laeticia a<br />

pris le relais de ma conscience.

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!