Images du désir - Activités culturelles de l'Université de Genève

endez-vous […] on ne sait plus quelle conscience est
là dans le texte. La personne elle-même se trouve
fragmentée, c’est le texte seul qui se parle» 6 .
Pourtant, dans ces romans de la deuxième période,
la fragmentation n’atteint ni la phrase ni la substance
même du langage, comme c’est le cas par exemple
dans le Finnegan’s Wake de Joyce. Localement, sur
quelques pages, on retrouve des personnages, des
actions, le plaisir de l’intrigue: dans Projet pour une
révolution à New York, une adolescente appelée Laura
embrasse et gifle son copain dans un wagon de
métro; plus tard, cette adolescente est poursuivie et
kidnappée par deux individus. Mais le sens que l’on
retrouve brièvement dans une scène est suspendu
et interrompu, sans qu’il y ait de relations chronologiques
précises avec la scène qui suit, et avec des personnages
qui, bien qu’apparaissant comme étant les
mêmes, sont pourtant peut-être autres. C’est davantage
la signification globale du texte qui est mise en
question, de telle sorte à empêcher, comme sur une
bande de Mœbius, de donner une orientation précise
à la progression du récit 7 .
Ainsi, dans cette deuxième étape, les romans de
Robbe-Grillet préservent encore des contenus romanesques,
des fragments d’intrigue qu’il faut (dés)
organiser. Dans ses premiers romans, l’attaque sur
la tradition était basée sur une opération de vidage
de l’intériorité, et Roland Barthes avait pu écrire, à
propos du Voyeur, que «la fable est donc peu à peu
réduite, raréfiée. L’idéal serait évidemment de s’en
passer» 8 . Mais quand Robbe-Grillet pousse plus loin
la déconstruction du roman traditionnel, on ne retombe
pas pour autant sur le vide, mais plutôt sur
une richesse d’intrigues. Comme le dit lui-même
Robbe-Grillet dans un interview, à l’occasion de la
parution de Projet pour une révolution à New York,
«la littérature vers laquelle je m’achemine n’est pas
du tout une littérature du rien […] tout au contraire,
je mets de plus en plus en œuvre une quantité considérable
d’histoires, d’aventures, dont les fragments
au moins pourraient être appréhendés par le lecteur
innocent avec un certain “plaisir”, quoique fugitif… » 9 .
Quels sont donc ces matériaux romanesques qui
soutiennent les fragments de l’intrigue Ils sont
empruntés, tout premièrement, aux mythologies
et clichés du monde moderne, aux discours qu’une
société fait sur elle-même et qui relèvent souvent de
l’imaginaire et de l’idéologique, comme les légendes
urbaines sur le New York de la fin des années 1960 qui
ont été incorporées dans Projet pour une révolution
à New York 10 . Mais Robbe-Grillet considère ces discours
non pas comme «sujet» à traiter, mais comme
matériau de composition, ou, pour parler en termes
saussuriens, comme «signifiants» (non comme «signifiés»),
comme «langue» (non comme «parole») 11 .
Il faut aussi y inclure les produits de la culture de
masses et les genres littéraires populaires, comme
le roman policier, que Robbe-Grillet avait déjà utilisé
dans Les gommes. Dans cette deuxième période de sa
carrière littéraire, Robbe-Grillet va surtout montrer
une prédilection croissante pour le pulp érotique ou
semi-pornographique, qui constitue le matériau de
base pour La maison des rendez-vous et le Projet pour
une révolution à New York.
À la source de ces matériaux romanesques, on
retrouve également les fantasmes érotiques de
Robbe-Grillet lui-même, et en particulier ses fantasmes
sado-masochistes (SM), qui s’allieront
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