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Pouvoir de la violence et violence du pouvoir - Centre de ...

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être roi » (p. 156), comme ces orphelins <strong>de</strong>s contes qui découvrent qu’ils sont en réalité <strong>de</strong> sang<br />

royal.<br />

La sortie <strong>du</strong> Pa<strong>la</strong>is, dès lors, s’apparente à une « <strong>de</strong>uxième naissance » (p. 128).<br />

Le r<strong>et</strong>our<br />

Selon Campbell, le héros revient <strong>de</strong> son voyage porteur d’un message, d’un savoir ou d’un<br />

<strong>pouvoir</strong> qui sont un bienfait pour <strong>la</strong> communauté. Il s’agit <strong>de</strong> ramener « <strong>la</strong> princesse endormie au<br />

royaume <strong>de</strong>s hommes, où le don obtenu pourra contribuer à <strong>la</strong> renaissance <strong>de</strong> <strong>la</strong> collectivité » 14 :<br />

c’est précisément ce que fait Lobo en ramenant avec lui <strong>la</strong> Cualquiera en ville.<br />

Ayant remporté son « trophée » (p. 173) contre le Roi, il reste à Lobo à fuir sa colère.<br />

« La fuite magique » [2] est un passage important <strong>de</strong>s contes popu<strong>la</strong>ires (pensons à celle <strong>du</strong><br />

P<strong>et</strong>it Pouc<strong>et</strong> <strong>et</strong> ses frères, poursuivis par l’Ogre <strong>et</strong> ses bottes <strong>de</strong> sept lieues) : Lobo, poursuivi<br />

par le gar<strong>de</strong> qui a pour ordre <strong>de</strong> le tuer, s’acquitte <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te <strong>de</strong>rnière épreuve en s’enfonçant<br />

dans les profon<strong>de</strong>urs <strong>du</strong> Pa<strong>la</strong>is jusqu’au <strong>la</strong>boratoire où <strong>la</strong> Sorcière prépare pour le Roi ses<br />

filtres <strong>de</strong> fertilité, c’est-à-dire qu’il accepte finalement d’aller au-<strong>de</strong>vant <strong>de</strong> ses propres pulsions<br />

sexuelles 15 . Il se pro<strong>du</strong>it ici une intéressante inversion par rapport aux contes où le héros doit<br />

s’aventurer dans un château dont les habitants ont été transformés en pierre ou endormis (« La<br />

reine <strong>de</strong>s abeilles » ou « La belle au bois dormant ») : alors que l’intervention <strong>du</strong> héros a<br />

normalement pour eff<strong>et</strong> <strong>de</strong> désenchanter le château <strong>et</strong> <strong>de</strong> ramener ses habitants à <strong>la</strong> vie, celle <strong>de</strong><br />

Lobo au contraire plonge le Pa<strong>la</strong>is dans <strong>la</strong> mort : “el Pa<strong>la</strong>cio estaba <strong>de</strong>sierto. Magnífico y he<strong>la</strong>do<br />

como un sepulcro real” (p. 114). Il ne lui reste donc qu’à quitter ce territoire <strong>de</strong> <strong>la</strong> mort pour<br />

revenir vers <strong>la</strong> vie, sans qu’un « refus <strong>de</strong> r<strong>et</strong>our » [1] soit possible : l’équilibre <strong>de</strong>s choses s’en<br />

trouve rétabli, le Pa<strong>la</strong>is cessant d’être paradoxalement pour Lobo le refuge contre <strong>la</strong> <strong>violence</strong><br />

qu’il croyait l’apanage <strong>de</strong>s rues <strong>de</strong> <strong>la</strong> ville. Le mon<strong>de</strong> <strong>de</strong>s narcos apparaît alors tel qu’il est,<br />

comme le pa<strong>la</strong>is dans « Le pauvre pêcheur » re<strong>de</strong>vient finalement <strong>la</strong> cahute qu’il était (ou,<br />

plus communément, comme le carrosse <strong>de</strong> Cendrillon re<strong>de</strong>vient citrouille après minuit) : Lobo<br />

découvre son erreur, il s’est <strong>la</strong>issé prendre à un mirage.<br />

C’est, selon Campbell, une <strong>de</strong>s leçons que tire le héros <strong>de</strong> son aventure après « le passage <strong>du</strong><br />

seuil r<strong>et</strong>our » [3] : « en réalité, cependant — <strong>et</strong> c’est là une <strong>de</strong>s clés majeures pour comprendre<br />

le mythe <strong>et</strong> le symbole —, les <strong>de</strong>ux royaumes n’en forment qu’un » (p. 194). C<strong>et</strong>te dimension<br />

est suggérée tôt dans le roman, bien que Lobo se <strong>la</strong>isse prendre à l’opposition d’une réalité <strong>de</strong><br />

“lustre” <strong>et</strong> d’une autre <strong>de</strong> “<strong>de</strong>sdicha” (p. 20) : <strong>la</strong> ville comme le Pa<strong>la</strong>is sont reliés à l’or<strong>du</strong>re,<br />

Lobo se souvenant que dans son enfance les lieux où le Pa<strong>la</strong>is a été construit “en ese entonces era<br />

un basural, una trampa <strong>de</strong> infección y <strong>de</strong> <strong>de</strong>sperdicios” (p. 20) tandis que <strong>la</strong> Sorcière disqualifie<br />

ainsi <strong>la</strong> ville : “¿Qué hay allá Basura” (p. 76). L’or<strong>du</strong>re est partout, mais après son initiation<br />

dans le Pa<strong>la</strong>is maléfique, Lobo revient en ville avec le <strong>pouvoir</strong> <strong>de</strong> transfigurer c<strong>et</strong>te réalité<br />

sordi<strong>de</strong>.<br />

Si les <strong>de</strong>ux zones ne font qu’une, c’est parce le territoire inconnu est en réalité « une dimension<br />

oubliée <strong>du</strong> mon<strong>de</strong> que nous connaissons » (p. 194), oubliée parce que refoulée, c’est une zone<br />

intérieure, le moi. Désormais « maître <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux mon<strong>de</strong>s » [5], Lobo peut revenir à son point<br />

<strong>de</strong> départ, qui est aussi point d’arrivée <strong>et</strong> port d’attache : le bar, qualifié désormais <strong>de</strong> “Puerto”<br />

(p. 122), avec majuscule, comme le Pa<strong>la</strong>is (<strong>la</strong> structure <strong>de</strong> Trabajos <strong>de</strong>l reino est, comme celle<br />

<strong>de</strong>s contes, cyclique). La <strong>de</strong>scription <strong>de</strong> ce qu’il y trouve rappelle celle <strong>de</strong> <strong>la</strong> première fête au<br />

Pa<strong>la</strong>is <strong>et</strong> les histoires banales qu’il y entend lui semblent — c<strong>et</strong>te fois — aussi dignes d’être<br />

chantées que les exploits <strong>de</strong> <strong>la</strong> “Corte”. La Cualquiera n’est pas étrangère à ce changement<br />

42<br />

14. La « princesse endormie », <strong>la</strong> « Toison d’or » ou les « urnes <strong>de</strong> sagesse » sont les exemples que donne<br />

Campbell : je choisis le premier, qui correspond à <strong>la</strong> situation <strong>du</strong> roman d’Herrera.<br />

15. Au passage, <strong>la</strong> réflexion <strong>de</strong> <strong>la</strong> Sorcière — “quién iba a pensar que tan pequeña cosa jodiera tanto” — rappelle<br />

le conte « Tom Pouce » <strong>et</strong> les morales <strong>de</strong>s fables selon lesquelles on a toujours besoin d’un plus p<strong>et</strong>it que soi.

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