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Michel Parreau : un acteur de l'évolution universitaire des cinquante ...

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LNA#58<br />

Invasion du campus<br />

par les CRS, le 19 mars<br />

1971, <strong>de</strong>vant le M1.<br />

<strong>Michel</strong> PARREAU :<br />

<strong>un</strong> <strong>acteur</strong> <strong>de</strong> l’évolution <strong>un</strong>iversitaire<br />

<strong>de</strong>s <strong>cinquante</strong> <strong>de</strong>rnières années<br />

<strong>Michel</strong> <strong>Parreau</strong> est mort le 4 septembre 2010. Ancien<br />

élève <strong>de</strong> l’École Normale Supérieure, mathématicien,<br />

spécialiste <strong>de</strong>s surfaces <strong>de</strong> Riemann ouvertes, enseignant<br />

dont les polycopiés sont toujours étudiés avi<strong>de</strong>ment,<br />

militant politique engagé, <strong>Michel</strong> fut aussi le plus je<strong>un</strong>e<br />

Doyen <strong>de</strong> France (1961-1964). Il assura le développement<br />

<strong>de</strong> la Faculté <strong>de</strong>s Sciences <strong>de</strong> Lille, conçut le programme<br />

<strong>de</strong> notre Cité Scientifique, assura la Prési<strong>de</strong>nce <strong>de</strong> Lille 1<br />

(1973-1975), fonda les Centres Scientifiques Universitaires<br />

<strong>de</strong> Calais (1963) et <strong>de</strong> Valenciennes (1964), mit en place<br />

l’Université du Littoral (1990), participa à la création et<br />

présida l’association ALIAS qui aboutit à l’ouverture du<br />

Forum <strong>de</strong>s Sciences, dont il fut aussi le premier Prési<strong>de</strong>nt<br />

(1982-2000). À ce témoin engagé <strong>de</strong> son temps, assurant<br />

<strong>un</strong> rôle majeur <strong>de</strong> l’évolution régionale <strong>de</strong> l’Université<br />

française, « Les Nouvelles d’Archimè<strong>de</strong> » avaient décidé,<br />

en mai 2010, <strong>de</strong> consacrer <strong>un</strong> numéro. Il en avait accepté<br />

l’idée du bout <strong>de</strong>s lèvres. Sa mort a différé définitivement<br />

le projet. Nous voulons ici, à plusieurs mains, retracer<br />

son parcours public, tant il illustre la manière dont <strong>un</strong><br />

homme peut participer et mo<strong>de</strong>ler l’histoire <strong>de</strong> son temps.<br />

D’autres décriront son activité mathématique par l’édition<br />

<strong>de</strong>s cours qu’il a professés.<br />

Tous ceux qui ont connu <strong>Michel</strong> <strong>Parreau</strong> étaient séduits<br />

par sa personnalité, sa vivacité d’esprit, sa capacité <strong>de</strong><br />

répartie, son naturel gai et railleur. Curieux <strong>de</strong> tout, armé<br />

<strong>de</strong> fortes convictions politiques mises au service <strong>de</strong> projets<br />

collectifs, il était dénué <strong>de</strong> toute ambition personnelle.<br />

Sa capacité d’écoute et son attention à autrui en firent <strong>un</strong><br />

conseiller précieux pour ses proches. Son autorité naturelle,<br />

utilisée avec diplomatie, galvanisait les forces pour créer et<br />

bâtir. Qualités rares que celles <strong>de</strong> cet épicurien, qui sut se<br />

montrer stoïcien <strong>de</strong>vant les drames et les douleurs <strong>de</strong> sa vie,<br />

gardant toujours je<strong>un</strong>esse intellectuelle et vivacité d’esprit.<br />

La réussite d’<strong>un</strong> garçon d’origine mo<strong>de</strong>ste, très politisé<br />

La mère <strong>de</strong> <strong>Parreau</strong> était issue d’<strong>un</strong>e famille nombreuse<br />

dont les parents avaient peu d’ambition pour leurs enfants,<br />

en particulier les filles. Elle veut rompre avec cette tradition<br />

« Femme au foyer », n’a qu’<strong>un</strong> seul enfant, qui se montre<br />

très bon élève. Les instituteurs doivent quand même expliquer<br />

à ses parents qu’il ne faut pas que <strong>Michel</strong> « aille au<br />

travail », mais se présente au concours d’entrée en 6 ème , ce<br />

à quoi ils consentent sans trop <strong>de</strong> peine ; néanmoins, sa mère<br />

exige qu’il passe son certificat d’étu<strong>de</strong>s primaires… Plus<br />

tard, <strong>un</strong> professeur <strong>de</strong> lycée dit à sa mère que son fils –<br />

qui assimile grec, latin, histoire, sciences très rapi<strong>de</strong>ment et<br />

dont les dimanches se passent au Louvre et en promena<strong>de</strong>s<br />

dans Paris – est capable <strong>de</strong> faire l’École Normale. « D’instituteurs<br />

» comprend la maman. « Supérieure » précise<br />

l’enseignant. C’est l’époque où la norme n’est pas <strong>de</strong> faire<br />

<strong>de</strong>s étu<strong>de</strong>s. Les enfants <strong>de</strong> famille mo<strong>de</strong>ste peuvent entrer<br />

en 6 ème , aller au lycée et obtenir le Bac, grâce auquel ils sont<br />

en droit <strong>de</strong> nourrir <strong>de</strong> légitimes ambitions professionnelles.<br />

De ses engagements <strong>de</strong> lycéen, <strong>Michel</strong> ne parle guère.<br />

23


LNA#58 /<br />

<strong>Michel</strong> <strong>Parreau</strong> à l’ENS en 1945.<br />

© Jean-Clau<strong>de</strong> Pecker.<br />

Il confie quand même <strong>un</strong> jour que lui, si peu sportif, a couru<br />

très vite <strong>un</strong> certain 11 novembre 1940, sur les Champs Elysées,<br />

pour échapper aux rafles <strong>de</strong> la police parisienne<br />

et du bataillon <strong>de</strong> la Wehrmacht que l’état-major nazi avait<br />

envoyé pour dégager le quartier...<br />

<strong>Michel</strong> entre donc à Normale Sup’ en 1943, <strong>de</strong>vient interne,<br />

quitte le milieu familial. Il se lie avec Laurent Schwartz,<br />

<strong>un</strong> peu plus âgé que lui, René Thom, Jean-Clau<strong>de</strong> Pecker.<br />

Ces <strong>de</strong>rniers <strong>de</strong>viennent ses « cothurnes » la <strong>de</strong>rnière année.<br />

Toute sa vie, il revendique cette qualité <strong>de</strong> normalien par<br />

fidélité à cette comm<strong>un</strong>auté intellectuelle dans laquelle il<br />

plonge alors, dans ses discussions, ses militances, ses oppositions<br />

(entre les « Talas » – ceux qui vont-t’-à-la messe – et<br />

ceux qui n’y vont pas, comme <strong>Michel</strong>). Normale Sup’, pendant<br />

la guerre, est <strong>un</strong> endroit assez luxueux (« le Palais »), où<br />

les conditions <strong>de</strong> travail sont bonnes, les élèves sont nourris<br />

– ce qui alors n’est pas évi<strong>de</strong>nt à Paris –, vivent heureux<br />

d’être ensemble, <strong>de</strong> travailler <strong>de</strong>s matières intéressantes...<br />

Relativisons : il pleut dans la chambre que partagent <strong>Parreau</strong>,<br />

Thom et Pecker. Celui-ci fait <strong>de</strong> <strong>Michel</strong> <strong>un</strong>e caricature « le<br />

chiadant sous la pluie ».<br />

La libération <strong>de</strong> Paris trouve <strong>Michel</strong> adhérent aux Je<strong>un</strong>esses<br />

Socialistes, dont il <strong>de</strong>vient Secrétaire National. Il a étudié<br />

Freud et Marx (« ses gourous »), est <strong>de</strong>venu trotskiste. Les<br />

oppositions <strong>de</strong> la Résistance sont bien présentes entre gaullistes,<br />

socialistes, comm<strong>un</strong>istes, chrétiens populaires. <strong>Michel</strong><br />

raconte volontiers « l’erreur <strong>de</strong> sa vie » : avoir facilité la prise<br />

<strong>de</strong> pouvoir <strong>de</strong> Guy Mollet sur la SFIO 1 . Une fois élu, Guy<br />

Mollet remercie ses appuis par la dissolution <strong>de</strong>s JS 2 . <strong>Michel</strong><br />

se retrouve, définitivement, a-parti. …On connaît la suite :<br />

Guy Mollet, élu du Front Républicain en 1956 pour faire<br />

la paix en Algérie, y envoie l’armée, lui donnant pouvoir <strong>de</strong><br />

police, couvrant les meurtres et les tortures. Cette erreur <strong>de</strong><br />

je<strong>un</strong>esse restera <strong>un</strong>e dure leçon pour <strong>Michel</strong>.<br />

<strong>Michel</strong> est recruté au CNRS 3 , après son agrégation <strong>de</strong> mathématiques<br />

(1946), comme attaché <strong>de</strong> recherches pour préparer<br />

sa thèse. Eh oui, jusqu’en 1970, on peut être titulaire au<br />

CNRS ou à la Faculté pour préparer <strong>un</strong>e thèse ! À défaut <strong>de</strong><br />

politique, <strong>Michel</strong> se lance dans le syndicalisme <strong>un</strong>iversitaire :<br />

il est bombardé représentant <strong>de</strong>s mathématiciens dans les<br />

comités du CNRS. Il y rencontre Georges Poitou, avec qui<br />

il noue <strong>de</strong>s liens d’amitié intime et qui sera son mentor. Une<br />

douzaine <strong>de</strong> membres représente alors toutes les disciplines.<br />

Dès la rentrée suivant la soutenance <strong>de</strong> sa thèse (juin 1952),<br />

<strong>Michel</strong> est nommé Maître <strong>de</strong> Conférences (actuel Professeur<br />

<strong>de</strong> 2 ème classe) à la Faculté <strong>de</strong>s Sciences <strong>de</strong> Toulouse, carrière<br />

normale pour l’époque... C’est ensuite Poitou, Professeur<br />

<strong>de</strong> mathématiques à Lille, qui le fait venir auprès <strong>de</strong> lui<br />

en 1956... Bientôt, <strong>Michel</strong> est nommé « Professeur à titre<br />

personnel », non à la <strong>de</strong>man<strong>de</strong> <strong>de</strong> la Faculté <strong>de</strong>s Sciences,<br />

comme c’est d’usage, mais <strong>de</strong>s « instances supérieures ». Poitou,<br />

Descombes, Mlle Chamfy, <strong>Parreau</strong>, tous normaliens – <strong>un</strong>e<br />

« ban<strong>de</strong> <strong>de</strong> copains » arrivée au front sans l’avoir voulu –<br />

entreprennent <strong>de</strong> remo<strong>de</strong>ler l’Institut <strong>de</strong> Mathématiques,<br />

d’y renouveler l’atmosphère et l’enseignement, <strong>de</strong> faire venir<br />

normaliens et sévriennes pour participer au chamboulement,<br />

dans la joie, la connivence et le plaisir.<br />

« Le plus je<strong>un</strong>e Doyen <strong>de</strong> France »<br />

Le Doyen <strong>de</strong> l’époque, Lefebvre, ne se caractérise guère par<br />

<strong>un</strong>e activité débordante. Il accomplit trois mandats successifs<br />

<strong>de</strong> trois ans. À sa <strong>de</strong>rnière élection, <strong>Parreau</strong> obtient quelques<br />

voix. En 1961, <strong>Michel</strong> « qui doit bien avoir <strong>de</strong> l’influence<br />

puisqu’il a été imposé comme Professeur », et dont l’action<br />

en mathématiques est connue, est élu. Arrivé à la tête <strong>de</strong><br />

la Faculté <strong>de</strong>s Sciences à 38 ans, là où l’habitu<strong>de</strong> voulait<br />

que soit élu <strong>un</strong> sexagénaire, <strong>Michel</strong> est le plus je<strong>un</strong>e Doyen<br />

jamais élu et fait la « <strong>un</strong>e » <strong>de</strong> France-Soir. Rapi<strong>de</strong>ment, mû<br />

en partie par la curiosité, pour voir « comment ça marche »,<br />

il renouvelle les pratiques, répartit les finances (c’est alors<br />

<strong>un</strong>e prérogative <strong>de</strong>s doyens) : il s’étonne <strong>de</strong> voir quatre vénérables<br />

professeurs <strong>de</strong> géologie lui <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r audience parce<br />

qu’ils n’arrivent pas à se partager l’enveloppe octroyée ; il<br />

les écoute longuement et les satisfait en leur attribuant à<br />

1<br />

Section Française <strong>de</strong> l’Internationale Ouvrière, ancêtre du PS.<br />

2<br />

Je<strong>un</strong>esses Socialistes.<br />

3<br />

Centre National <strong>de</strong> la Recherche Scientifique.<br />

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Le campus en 1970.<br />

chac<strong>un</strong> le quart <strong>de</strong> l’enveloppe.<br />

Plus sérieusement,<br />

il utilise ses fonctions<br />

pour bouleverser<br />

totalement la vieille<br />

Faculté mandarinale,<br />

puise dans « le trésor <strong>de</strong><br />

guerre » accumulé par<br />

l’immobilisme <strong>de</strong> son<br />

prédécesseur, profite <strong>de</strong><br />

l’engagement du Général<br />

<strong>de</strong> Gaulle en faveur <strong>de</strong><br />

la recherche scientifique.<br />

L’époque est celle <strong>de</strong> la<br />

conquête spatiale et <strong>de</strong><br />

l’armement nucléaire. De Gaulle, comme Mendès-France<br />

avant lui, pense que la force <strong>de</strong> la France passe par le développement<br />

<strong>de</strong> la recherche. Des investissements massifs sont<br />

possibles, tant en matériel qu’en personnel. Des postes sont<br />

créés, même s’ils sont parfois difficiles à pourvoir.<br />

À la Faculté <strong>de</strong>s Sciences, le Doyen <strong>Parreau</strong> construit<br />

et développe. En plus <strong>de</strong>s mathématiciens, il attire à Lille<br />

<strong>de</strong>s je<strong>un</strong>es professeurs pour occuper les postes qu’il obtient<br />

pour <strong>de</strong> nouvelles spécialités (chimie biologique, chimie<br />

minérale, chimie générale, mécanique <strong>de</strong>s flui<strong>de</strong>s, cristallographie,<br />

calcul numérique, géologie structurale, minéralogie,<br />

physiologie, psychophysiologie…). Ces nouveaux arrivants<br />

doivent avoir <strong>de</strong>s laboratoires. Les équipements sont obtenus.<br />

Où les loger ? <strong>Michel</strong> fractionne les hauteurs <strong>de</strong> salles, fait<br />

construire dans les cours <strong>de</strong>s bâtiments. Dans cette action,<br />

il est largement soutenu par le Recteur Debeyre, <strong>de</strong>rnier<br />

recteur à défendre son Académie, au besoin contre le ministère,<br />

au lieu <strong>de</strong> transmettre et appliquer les ordres <strong>de</strong> celui-ci.<br />

Debeyre ouvre <strong>de</strong>s classes dans le primaire, fait bâtir <strong>de</strong>s<br />

lycées, monte au créneau pour qu’<strong>un</strong> je<strong>un</strong>e et ambitieux<br />

Ministre <strong>de</strong>s Finances, qui <strong>de</strong>viendra Prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> la<br />

République, cesse <strong>de</strong> se faire tirer l’oreille pour débloquer<br />

les crédits obtenus. <strong>Parreau</strong> développe aussi l’administration<br />

auparavant squelettique : sa seule secrétaire, Yvette Salez,<br />

heureusement très efficace, connaît tous les enseignants.<br />

L’époque est aussi celle <strong>de</strong> la fin, douloureuse, <strong>de</strong> la guerre<br />

d’Algérie. Les manifestations pour l’indépendance, contre<br />

l’OAS 4 , contre les violences policières, se succè<strong>de</strong>nt.<br />

<strong>Michel</strong> y participe, bien évi<strong>de</strong>mment. Le milieu étudiant<br />

est alors très organisé, très politisé. À côté <strong>de</strong> l’Institut <strong>de</strong><br />

Mathématiques et du bureau du Doyen, place Philippe<br />

Lebon, se trouve la maison <strong>de</strong>s étudiants, l’U1, rue <strong>de</strong> Valmy,<br />

en « gestion directe » : les étudiants y gèrent <strong>un</strong> restaurant<br />

<strong>un</strong>iversitaire, <strong>un</strong> bar, <strong>un</strong>e coopérative, <strong>un</strong>e imprimerie.<br />

C’est le centre <strong>de</strong> la vie étudiante ; c’est là qu’ont lieu les ré<strong>un</strong>ions<br />

<strong>de</strong> coordination contre la guerre d’Algérie. L’UNEF 5 ,<br />

appuyée par le PSU 6 , est le lieu <strong>de</strong> rencontre du PCF 7 , <strong>de</strong><br />

la SFIO, <strong>de</strong> la CGT 8 et <strong>de</strong> la CFDT 9 . Alors que la société<br />

s’occupe peu <strong>de</strong> l’Université, celle-ci critique la société,<br />

discute <strong>de</strong> politique, à l’image <strong>de</strong> Poitou et <strong>de</strong> <strong>Parreau</strong>, dont<br />

la promena<strong>de</strong> quotidienne dans le quartier <strong>un</strong>iversitaire et<br />

les discussions animées amusent les étudiants assis aux<br />

terrasses <strong>de</strong>s cafés, noires d’<strong>un</strong> mon<strong>de</strong> qui refait le mon<strong>de</strong>.<br />

L’OAS plastique l’U1, les domiciles <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux professeurs <strong>de</strong><br />

sciences, <strong>un</strong> cinéma dans lequel se déroulent <strong>de</strong>s projections<br />

interdites. Les étudiants gar<strong>de</strong>nt l’U1, jour et nuit, éditent<br />

<strong>de</strong>s tracts, dénoncent les massacres d’Algériens à Paris le 17<br />

octobre 1961, puis les morts <strong>de</strong> Charonne. Certains ai<strong>de</strong>nt<br />

le FLN 10 , qui trouve la frontière belge perméable. La paix,<br />

enfin...<br />

Tous les problèmes ne sont pas résolus. La vieille Faculté<br />

<strong>de</strong>s Sciences, bâtie à la fin du XIX ème siècle pour 300 étudiants,<br />

explose sous leur nombre (+ 15 % d’accroissement annuel<br />

moyen, parfois doublement dans certains certificats d’<strong>un</strong>e<br />

année sur l’autre). L’aménagement <strong>de</strong>s combles, le fractionnement<br />

<strong>de</strong>s étages, les constructions dans la cour ne<br />

suffisent plus. Dans cette Académie <strong>de</strong> Lille, qui englobe<br />

Reims et Amiens, <strong>Michel</strong> <strong>Parreau</strong> décentralise. Il crée <strong>un</strong><br />

Collège Scientifique Universitaire (CSU) à Calais (1963), à<br />

Valenciennes (1964), prépare celui <strong>de</strong> St Quentin qui sera<br />

mis en place par son successeur. Le patrimoine <strong>un</strong>iversitaire,<br />

4<br />

Organisation Armée Secrète.<br />

5<br />

Union Nationale <strong>de</strong>s Étudiants <strong>de</strong> France.<br />

6<br />

Parti Socialiste Unifié.<br />

7<br />

Parti Comm<strong>un</strong>iste Français.<br />

8<br />

Confédération Générale du Travail.<br />

9<br />

Confédération Française Démocratique du Travail.<br />

10<br />

Front <strong>de</strong> Libération Nationale.<br />

25


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Manifestation, mai 1968, Paris.<br />

26<br />

Mairie <strong>de</strong> Lille, <strong>de</strong> droite à gauche : Augustin Laurent - Maire ; Guy Debeyre - Recteur ; René Defretin ;<br />

Jacques Tillieu - Doyen et trois autres personnes non i<strong>de</strong>ntifiées.<br />

exigu, doit être rénové et étendu. Aux manifestations contre<br />

la guerre d’Algérie en succè<strong>de</strong>nt d’autres pour obtenir la<br />

création d’<strong>un</strong> campus <strong>un</strong>iversitaire. Grâce au Recteur<br />

Debeyre, qui pallie la carence <strong>de</strong> la ville <strong>de</strong> Lille, le principe<br />

<strong>de</strong> la construction d’<strong>un</strong>e Cité Scientifique est acquis. Ce<br />

sera le premier campus <strong>de</strong> France, situé à Annappes, sur<br />

<strong>de</strong>s terres cultivées. Il faut exproprier les paysans, qui manifestent.<br />

Les étudiants contre-manifestent pour protester<br />

contre les retards apportés à la construction. Enfin, la décision<br />

est prise. L’architecte est désigné : Le Maresquier, beaufrère<br />

du Premier Ministre <strong>de</strong> l’époque, <strong>Michel</strong> Debré. Le<br />

doyen <strong>Parreau</strong> est chargé <strong>de</strong> mettre au point le programme<br />

pédagogique <strong>de</strong> la future Faculté <strong>de</strong>s Sciences.<br />

La Cité Scientifique et les « événements <strong>de</strong> mai 1968 »<br />

En 1964, à l’issue <strong>de</strong> son mandat, <strong>Michel</strong> laisse la place à<br />

Jacques Tillieu, proposé par lui et Poitou, peut-être parce<br />

qu’adhérent du PSU, physicien théoricien dégagé <strong>de</strong>s besoins<br />

<strong>de</strong> crédits, amateur d’art qui avait fait spontanément <strong>de</strong>s<br />

propositions habiles (sculpture du nordiste Do<strong>de</strong>igne) pour<br />

utiliser le 1% artistique... Tillieu continue l’œuvre entreprise<br />

; le budget <strong>de</strong>vient public, il modifie la gestion <strong>de</strong> la<br />

Faculté en introduisant <strong>un</strong>e pratique <strong>de</strong> gestion collective :<br />

il crée <strong>un</strong> « bureau », composé <strong>de</strong> plusieurs professeurs, dont<br />

<strong>Michel</strong> accepte d’être membre ; il y a aussi <strong>un</strong> représentant<br />

<strong>de</strong>s étudiants, <strong>un</strong> <strong>de</strong>s maîtres-assistants. Jacques<br />

Tillieu fait ensuite adopter <strong>un</strong>e organisation <strong>de</strong><br />

la Faculté en « départements », dirigés par les<br />

assemblées <strong>de</strong>s professeurs, forme d’auto-organisation<br />

reprenant celle que « la ban<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />

copains » avait instituée en mathématiques et<br />

qui marchait si bien... mais que d’autres disciplines,<br />

les sciences naturelles, notamment,<br />

trouvent insupportable ; les Professeurs y crient<br />

à l’instauration <strong>de</strong>s « Soviets », alors que Tillieu<br />

n’a même pas incorporé dans les assemblées<br />

les maîtres-assistants, estimant que les droits se<br />

conquièrent et que les M.A. n’ont rien <strong>de</strong>mandé.<br />

Le décanat <strong>de</strong> Tillieu est marqué par l’installation,<br />

à Annappes, <strong>de</strong> la Faculté. En 1964,<br />

les « propé<strong>de</strong>utiques » (1 ère et 2 ème années <strong>de</strong><br />

chaque Faculté), les années les plus nombreuses,<br />

viennent suivre les enseignements dans <strong>de</strong>s<br />

bâtiments « provisoires ». Le Recteur Debeyre désengorge<br />

ainsi les locaux lillois. Le « provisoire » est installé en plein<br />

champ, au bord <strong>de</strong> la route <strong>de</strong> Lezennes et n’est pas <strong>de</strong>sservi<br />

par les bus. Ce sont seulement les nouveaux étudiants qui<br />

arrivent et sont coupés du riche milieu <strong>un</strong>iversitaire lillois.<br />

De 1965 à 1968 s’installent successivement les sciences<br />

naturelles, la chimie, la physique, les mathématiques. Les<br />

premiers installés sont plus traditionalistes : les « Mandarins<br />

» s’y réservent <strong>de</strong>s bureaux plus spacieux et luxueux, <strong>de</strong><br />

sorte qu’à l’arrivée <strong>de</strong> la physique et <strong>de</strong>s mathématiques il<br />

y a moins d’argent, il faut réduire le confort au profit <strong>de</strong>s<br />

« paillasses »… Le campus reste assez longtemps à l’état<br />

<strong>de</strong> chantier où les « Annappiens » viennent en bottes. La<br />

rési<strong>de</strong>nce Gallois et le restaurant Pariselle ouvrent dans <strong>de</strong>s<br />

conditions précaires. Au début <strong>de</strong> 1968, toute la Faculté est<br />

installée sous l’autorité du Doyen Defretin. La création <strong>de</strong><br />

la ville nouvelle <strong>de</strong> « Villeneuve-d’Ascq » est alors décidée.<br />

Le mouvement <strong>de</strong> mai déclenché à Paris surprend tout le<br />

mon<strong>de</strong>, même si les mécontentements accumulés à partir <strong>de</strong><br />

la réforme <strong>un</strong>iversitaire Aigrain-Fouchet, le vieillissement<br />

d’<strong>un</strong>e société bloquée, son autoritarisme, même à propos <strong>de</strong>s<br />

mœurs individuelles, les luttes <strong>de</strong> travailleurs immigrés…<br />

auraient pu le faire présager. Ce mois <strong>de</strong> mai redonne fraîcheur<br />

et gaieté à <strong>Michel</strong>, nullement troublé par le soulèvement<br />

<strong>un</strong>iversitaire et, plus généralement, <strong>de</strong>s je<strong>un</strong>es <strong>de</strong> la civilisation<br />

occi<strong>de</strong>ntale. Il retrouve alors ses années militantes<br />

<strong>de</strong>s Je<strong>un</strong>esses Socialistes, participe au premier rang aux


LNA#58<br />

manifestations, dont la première en réaction à la dure<br />

répression à Paris dans la nuit du 3 mai et à l’investissement<br />

<strong>de</strong> la Sorbonne par la police. Des Assemblées Générales<br />

ont lieu. <strong>Michel</strong>, en sa qualité <strong>de</strong> directeur du département<br />

<strong>de</strong> Mathématiques, reçoit les Renseignements Généraux,<br />

qui viennent lui montrer <strong>de</strong>s photos prises, au cours d’<strong>un</strong>e<br />

A.G., afin qu’il y nomme les intervenants. À son grand<br />

regret, Monsieur le Doyen ne peut i<strong>de</strong>ntifier personne...<br />

Des groupes <strong>de</strong> réflexion sur l’avenir se forment. <strong>Michel</strong> y<br />

apporte <strong>de</strong>s cahiers couverts d’<strong>un</strong>e écriture fine, à partir<br />

<strong>de</strong>squels il fait revivre Marx et le mouvement <strong>de</strong> 1936. On<br />

étudie « Que faire ? ».<br />

Ces « événements », comme on les appelle, voient donc<br />

<strong>Michel</strong> au premier plan. Il réveille, au sens propre comme<br />

au sens figuré, les responsables étudiants qui ont tendance<br />

à s’endormir à l’U1. Il négocie par téléphone avec le Préfet,<br />

au nom <strong>de</strong> l’intersyndicale, le parcours d’<strong>un</strong>e manifestation<br />

et obtient, ce qui ne s’était jamais vu à Lille, que la<br />

dispersion se fasse <strong>de</strong>vant la Préfecture, sur la place <strong>de</strong> la<br />

République. Ce sont aussi <strong>de</strong>s collages d’affiches, <strong>un</strong>e arrestation<br />

<strong>de</strong> « colleurs » par la police <strong>de</strong> Roubaix qui fait <strong>de</strong>scendre<br />

d’<strong>un</strong>e voiture les quatre occupants. Le premier, à la<br />

<strong>de</strong>man<strong>de</strong> <strong>de</strong> ses nom et profession, répond « assistant à la<br />

Faculté <strong>de</strong>s Sciences », le second « Maître Assistant », le troisième<br />

« Maître <strong>de</strong> Conférences »… « Quant à moi, je suis<br />

le Doyen » déclare <strong>Michel</strong> aux flics médusés, qui ren<strong>de</strong>nt<br />

pots <strong>de</strong> colle, balais, brosses et laissent repartir le véhicule...<br />

<strong>Michel</strong>, mathématicien, créateur, administrateur, démontre<br />

alors <strong>un</strong>e inadaptation 11 qui lui permet <strong>de</strong> sentir les besoins<br />

d’<strong>un</strong>e société.<br />

À Lille, les « événements » furent calmes : manifestations<br />

massives et dynamiques, discussions permanentes à la salle<br />

Salengro (l’actuel Théâtre <strong>de</strong> la Grand’Place), organisation<br />

<strong>de</strong>s actions à l’U1, négociations avec le Préfet... Mais<br />

aussi manifestation interne au campus où les assistants<br />

et quelques maîtres-assistants, difficilement convaincus,<br />

viennent envahir le Conseil <strong>de</strong> Faculté, constitué <strong>de</strong> professeurs<br />

et réclament voix au chapitre : « Mandarins, attention<br />

aux pépins ! ». Ceux qui se sentent visés ont <strong>de</strong>s réactions<br />

diverses, <strong>de</strong> la dignité offensée au quasi effondrement.<br />

Ce sont ensuite ces ré<strong>un</strong>ions, du 22 mai au 7 juin, où sont<br />

élaborés <strong>de</strong> nouveaux statuts pour la Faculté et imaginé<br />

<strong>un</strong> avenir possible. La gestion sera dorénavant assurée par<br />

<strong>de</strong>s Conseils où siègeront <strong>de</strong>s élus appartenant à différents<br />

collèges : enseignants <strong>de</strong> rang A, <strong>de</strong> rang B, ATOS 12 ;<br />

étudiants ; « personnalités extérieures », industrielles,<br />

syndicalistes. Un slogan anarchiste qui fait mouche apparaît<br />

sur les murs du bâtiment <strong>de</strong> mathématiques « co-gestion<br />

= <strong>Parreau</strong>-dit-d’auto-gestion » et traduit les débats à<br />

gauche sur le principe même <strong>de</strong> la participation à la gestion<br />

<strong>de</strong> la Faculté.<br />

En juin, les conseils sont en place, acceptés par le<br />

Doyen Defretin et l’assemblée <strong>de</strong>s professeurs. Les élections<br />

nationales sont gagnées par la droite, le nouveau ministre <strong>de</strong><br />

l’Éducation Nationale, Edgar Faure, reçoit <strong>Michel</strong> <strong>Parreau</strong>, à<br />

la tête d’<strong>un</strong>e délégation lilloise. Quand celle-ci ressort, certains<br />

collègues sont désemparés : venus chercher <strong>de</strong>s instructions,<br />

ils enten<strong>de</strong>nt le ministre leur dire <strong>de</strong> faire à leur idée…<br />

Les conseils <strong>de</strong> Faculté et <strong>de</strong> départements continuent donc<br />

à siéger, bientôt institutionnalisés pour toute la France sous<br />

<strong>un</strong>e forme atténuée, par la « loi Faure », qui crée aussi les<br />

Universités pour remplacer les Facultés. À Lille, la Faculté<br />

<strong>de</strong>s sciences <strong>de</strong>vient « Lille 1 - Sciences et Techniques ». On y<br />

intègre les géographes qui ne supportaient plus les historiens,<br />

les économistes qui se sentaient mal à l’aise avec les juristes,<br />

les sociologues – moteur initial <strong>de</strong>s « événements » à Nanterre<br />

– qui effraient certains scientifiques. En accord avec<br />

l’avis <strong>de</strong> <strong>Michel</strong> <strong>Parreau</strong>, le Doyen Defretin, « qui n’a pas<br />

démérité », est élu <strong>de</strong> justesse Prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> l’Université.<br />

L’après 68 : le combat continue !<br />

L’après 68 fut bien agité à Lille 1. Avec l’élection <strong>de</strong> Pompidou<br />

commencent les années « Marcellin », celles <strong>de</strong> la répression<br />

contre les « groupes gauchistes », interdits. Anarchistes et<br />

maoïstes se disputent la présence sur le campus, ces <strong>de</strong>rniers<br />

voulant le transformer en « base rouge », <strong>de</strong>stiné à appuyer<br />

leur pénétration <strong>de</strong>s milieux ouvriers (mines, textile). Le 19<br />

mars 1971, au petit matin, c’est l’invasion du campus par<br />

les CRS commandés par le Procureur <strong>de</strong> la République sous<br />

le prétexte <strong>de</strong> rechercher <strong>un</strong> réfugié palestinien. En réalité,<br />

c’est <strong>un</strong>e affaire électorale : la droite (Ortoli) veut prendre la<br />

ville à la gauche (Augustin Laurent - Mauroy). D’astucieux<br />

11<br />

« …Ne te hâte pas vers l’adaptation. Toujours gar<strong>de</strong> en réserve <strong>de</strong> l’inadaptation<br />

»,
Henri Michaux, Poteaux d’angle.<br />

12<br />

Agent Technicien et Ouvrier <strong>de</strong> Services.<br />

27


LNA#58 /<br />

stratèges ministériels imaginent qu’<strong>un</strong>e belle provocation,<br />

justifiée par la situation, déclenchera <strong>un</strong> réflexe conservateur<br />

comme en juin 68. La troupe, au lieu <strong>de</strong>s militants<br />

et du matériel subversif espérés, ne trouve que le Directeur<br />

<strong>de</strong> l’UER 13 <strong>de</strong> mathématiques et du matériel <strong>un</strong>iversitaire<br />

; fiasco total ; les étudiants affluent, encerclent les<br />

CRS, qui tentent <strong>de</strong> se dégager par <strong>de</strong>s gaz lacrymogènes,<br />

se heurtent à l’adversité d’<strong>un</strong> vent mal<br />

orienté et, sans masques à gaz, doivent se<br />

retirer. L’après-midi, <strong>un</strong>e immense<br />

manifestation – Prési<strong>de</strong>nt Defretin,<br />

doyens <strong>Parreau</strong> et Tillieu en tête – va<br />

à pied du campus à la Préfecture du<br />

Nord. Le directeur <strong>de</strong> l’UER est relâché.<br />

Bilan <strong>de</strong> l’opération : l’effet est<br />

désastreux pour la droite ; Laurent<br />

- Mauroy remportent les élections,<br />

le Préfet est déplacé.<br />

La police, en civil, viendra<br />

restituer à l’Université le<br />

matériel saisi...<br />

La majorité syndicale<br />

SNESup 14 <strong>de</strong> Lille 1<br />

est très largement « gauchiste<br />

», ses délégués siègent<br />

dans les commissions nationales,<br />

mais le syndicat a<br />

été repris en mains par les<br />

comm<strong>un</strong>istes. Auc<strong>un</strong> texte<br />

opposé à eux ne passe plus<br />

dans la presse syndicale. La<br />

quasi totalité <strong>de</strong> la section <strong>de</strong><br />

Lille 1 déci<strong>de</strong> <strong>de</strong> démissionner en<br />

bloc du SNESup et d’adhérer au SGEN 15 qui, localement,<br />

ne compte que quelques adhérents. Cette<br />

démarche donne lieu à <strong>un</strong> grand article dans « Le<br />

Mon<strong>de</strong> ». C’est aussi, en cette pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> répression,<br />

la création du « Secours Rouge » <strong>de</strong>stiné à défendre<br />

les militants emprisonnés. « La Cause du Peuple »,<br />

journal maoïste dirigé par Jean-Paul Sartre, est<br />

13<br />

Unité d’Enseignement et <strong>de</strong> Recherche.<br />

14<br />

Syndicat National <strong>de</strong> l’Enseignement Supérieur.<br />

15<br />

Syndicat Général <strong>de</strong> l’Éducation Nationale.<br />

28


LNA#58<br />

Conseil <strong>de</strong> l’Université Lille 1, 1975.<br />

1975<br />

interdit. Pour défendre la liberté <strong>de</strong> la presse, <strong>de</strong>s syndiqués<br />

vont vendre le journal sur la grand’place <strong>de</strong> Lille.<br />

Parmi eux : Bkouche, Deboudt, <strong>Parreau</strong>, Tillieu, qui,<br />

l’action finie, prennent <strong>un</strong> pot dans <strong>un</strong> café, sont interpellés<br />

par <strong>de</strong>s R.G., furieux d’avoir été bernés. Cette prise :<br />

<strong>de</strong>ux doyens, <strong>un</strong> directeur d’UFR, <strong>un</strong> directeur <strong>de</strong> CSU,<br />

embarrasse bien vite les autorités locales qui en réfèrent à<br />

Paris et reçoivent à 4 heures du matin l’ordre : « relâchez-les<br />

immédiatement ! ». Le len<strong>de</strong>main, Conseil d’Université.<br />

Pas la moindre protestation contre l’arrestation, les « libertés<br />

» n’obligent pas à la solidarité <strong>un</strong>iversitaire. D’autres<br />

péripéties <strong>de</strong> ce genre, plus ou moins comiques, pourraient<br />

être relatées et montreraient que, pendant ces années, si<br />

nous avons construit <strong>un</strong>e nouvelle Université, nous nous<br />

sommes aussi bien amusés !<br />

En 1973, <strong>Michel</strong> prend la succession <strong>de</strong> Defretin à la prési<strong>de</strong>nce<br />

<strong>de</strong> Lille 1. Hélas, il tombe gravement mala<strong>de</strong> et<br />

laisse la place dès 1975. Rétabli, il reprend ses activités<br />

mathématiques. Le mandat <strong>de</strong>s doyens (trois ans) permettait<br />

<strong>un</strong> retour à la recherche. L’élu était <strong>un</strong> parmi les<br />

autres, accomplissant <strong>un</strong>e mission collective d’intérêt<br />

général (<strong>un</strong> ministre est <strong>un</strong> serviteur, se plaisait à rappeler<br />

<strong>Michel</strong>). Revenu en mathématiques, <strong>Parreau</strong> se trouve <strong>un</strong><br />

peu isolé à Lille dans les travaux qu’il mène ; il a favorisé<br />

<strong>de</strong>s recrutements assurant la présence <strong>de</strong> toutes les disciplines<br />

mathématiques, non <strong>de</strong> la sienne propre : sa culture<br />

lui montre la nécessité <strong>de</strong>s probabilités – discipline qui<br />

ne le passionne pas –, il développe les probabilités.<br />

S’il a toujours regretté l’absence <strong>de</strong> thésards<br />

travaillant sur ses sujets, il préfère favoriser<br />

le développement <strong>de</strong> nouveaux thèmes <strong>de</strong><br />

recherches, sans concentrer les efforts sur <strong>de</strong>s<br />

sujets à la mo<strong>de</strong> ou considérés rentables. C’est<br />

dans cet état d’esprit qu’il dirige les thèses <strong>de</strong><br />

<strong>de</strong>ux chercheurs venus solliciter son ai<strong>de</strong> dans<br />

<strong>un</strong> domaine qui n’est pas directement le sien,<br />

qu’il participe à <strong>de</strong> nombreux jurys <strong>de</strong> thèses <strong>de</strong><br />

troisième cycle, propose et suit <strong>de</strong>s seconds sujets<br />

<strong>de</strong> thèses d’état ; chaque fois son implication<br />

est totale, jamais elle ne se borne à accor<strong>de</strong>r <strong>un</strong><br />

simple patronage. D’après lui, il est important <strong>de</strong><br />

savoir tisser <strong>de</strong>s liens, explorer plusieurs pistes ;<br />

la pluridisciplinarité est pratiquée, elle ne peut<br />

être décidée, créée artificiellement. Inutile <strong>de</strong><br />

préciser que les tendances dominantes actuelles<br />

où le directeur <strong>de</strong> laboratoire, le prési<strong>de</strong>nt d’<strong>un</strong>iversité, sont<br />

conçus comme <strong>de</strong>s gestionnaires-comm<strong>un</strong>icants, chargés<br />

<strong>de</strong> trouver <strong>de</strong> l’argent et <strong>de</strong> faire valoir les résultats scientifiques<br />

obtenus par d’autres, étaient totalement étrangères à<br />

<strong>Michel</strong> et lui répugnaient profondément.<br />

L’ALIAS et le Centre Régional <strong>de</strong> Culture Scientifique<br />

1981 - Victoire <strong>de</strong> la Gauche. Tout <strong>de</strong>vient possible... croiton.<br />

Mais le « on a gagné » risque <strong>de</strong> remplacer l’envie <strong>de</strong> faire<br />

par soi-même. L’immense culture <strong>de</strong> <strong>Michel</strong> <strong>Parreau</strong>, son<br />

sens politique, la volonté d’associer les citoyens aux choix<br />

technologiques qui conditionnent leur avenir, font qu’il<br />

s’intéresse immédiatement au projet <strong>de</strong> l’ALIAS (Association<br />

Lilloise d’Information et d’Animation Scientifique et<br />

culturelle) : créer, dans le Nord-Pas <strong>de</strong> Calais, <strong>un</strong> centre <strong>de</strong><br />

Culture Scientifique et Technique. Il prési<strong>de</strong> l’Association,<br />

composée surtout d’<strong>un</strong>iversitaires, qui veut faire bâtir ce<br />

Centre hors <strong>de</strong> l’Université, en centre-ville <strong>de</strong> Lille, comme<br />

lieu <strong>de</strong> rencontres et <strong>de</strong> débats. De ce projet novateur, qui<br />

paraît a priori <strong>de</strong> concrétisation facile, narrer la réalisation<br />

nécessiterait <strong>un</strong>e longue chronique – <strong>de</strong> quatorze années<br />

au moins – qui ne trouve pas sa place ici. On comprendra que<br />

la tâche <strong>de</strong>vient vite compliquée en mentionnant quelques-<strong>un</strong>s<br />

<strong>de</strong>s protagonistes : Ministère <strong>de</strong> la recherche, Ministère<br />

<strong>de</strong> la culture, Région Nord-Pas <strong>de</strong> Calais ; villes <strong>de</strong> Lille,<br />

29


LNA#58 /<br />

Cérémonie <strong>de</strong> départ en retraite, juillet 1990.<br />

© Université Lille 1.<br />

Douai, Villeneuve d’Ascq ; Comm<strong>un</strong>auté Européenne,<br />

Comm<strong>un</strong>auté Urbaine, chac<strong>un</strong> avec ses exigences, ses<br />

ambitions concurrentielles, ses réticences à payer. À chaque<br />

nouvelle péripétie, <strong>Michel</strong> <strong>Parreau</strong> intervient, fait jouer ses<br />

talents <strong>de</strong> persuasion, <strong>de</strong> diplomatie, <strong>de</strong> fermeté dans le<br />

maintien <strong>de</strong>s exigences. Il contribue ainsi fortement au succès<br />

final, dû à <strong>un</strong>e activité <strong>de</strong> préfiguration <strong>de</strong> plus en plus<br />

développée par l’ALIAS, les succès publics <strong>de</strong> ces initiatives<br />

innovantes, la création <strong>de</strong> réseaux culturels scientifiques<br />

régionaux, la mise au point d’<strong>un</strong> projet culturel. L’ouverture<br />

en 1996 du « Forum <strong>de</strong>s Sciences » à Villeneuve d’Ascq,<br />

avec ses différents espaces correspondant aux préfigurations<br />

patiemment testées et au rayonnement national, viendra<br />

couronner cette action. Mais l’activité <strong>de</strong> cet équipement<br />

sera longtemps menacée encore, avant la prise <strong>de</strong> sa gestion<br />

par le Conseil Général du Nord.<br />

L’Université du Littoral<br />

Cette aventure du Forum <strong>de</strong>s Sciences, imposée par<br />

<strong>un</strong> groupe <strong>de</strong> militants plutôt que voulue par <strong>de</strong>s élus, fut<br />

ponctuée par l’aggravation <strong>de</strong> la situation <strong>de</strong> santé <strong>de</strong> <strong>Michel</strong><br />

en 1987. Il est donné pour mort. <strong>Michel</strong> reprend vie et<br />

activité mais consent à faire valoir ses droits à la retraite.<br />

En 1990, le Ministre Allègre vient à Lille annoncer la création<br />

<strong>de</strong>s Universités d’Artois et du Littoral. Mais, <strong>de</strong>vant<br />

les concurrences locales traditionnelles, comment procé<strong>de</strong>r<br />

? Il faut <strong>un</strong> chargé <strong>de</strong> mission. À qui fait-on appel ?<br />

À <strong>Michel</strong>, qui accepte, toujours avec le même dévouement<br />

désintéressé – malgré l’âge et son engagement à l’Alias – <strong>de</strong><br />

se consacrer à cette tâche avec passion et <strong>un</strong>e certaine distanciation<br />

ironique quant au jeu <strong>de</strong>s vanités humaines qui<br />

se développent chez les responsables <strong>de</strong>s villes <strong>de</strong> Boulogne,<br />

Calais, D<strong>un</strong>kerque, Saint-Omer – rivales historiques –, <strong>de</strong>s<br />

départements du Nord et du Pas <strong>de</strong> Calais, <strong>de</strong>s structures<br />

<strong>un</strong>iversitaires existantes (CSU <strong>de</strong> Calais)… L’Université du<br />

Littoral, multipolaire, est mise en place avant celle <strong>de</strong> l’Artois.<br />

De nouveaux locaux sont bâtis… <strong>Michel</strong> est nommé administrateur<br />

provisoire en 1992 et 1993, pour préparer la mise<br />

en place du Conseil et l’élection du premier Prési<strong>de</strong>nt… La<br />

satisfaction est générale.<br />

Après le passage <strong>de</strong> relais au Forum <strong>de</strong>s Sciences, <strong>Michel</strong><br />

entre vraiment en retraite et dans <strong>un</strong>e phase plus douloureuse<br />

et contraignante <strong>de</strong> la maladie. Rechutes et rémissions qui<br />

le laissent toujours vif et intellectuellement curieux.<br />

Observateur avisé <strong>de</strong> la situation politique mondiale et<br />

nationale, qu’il aime commenter, la <strong>de</strong>rnière élection prési<strong>de</strong>ntielle<br />

le laisse assez désemparé : « le pire, c’est que je ne<br />

verrai peut-être pas l’après-Sarkozy, c’est dur <strong>de</strong> m’y faire ».<br />

Toujours aussi avi<strong>de</strong> <strong>de</strong> nouvelles <strong>de</strong> l’Université, il ne comprend<br />

pas comment ses membres peuvent ne pas s’élever<br />

contre ses dérives, mais au contraire y participer, les anticiper<br />

parfois, relayer les stéréotypes à la mo<strong>de</strong>. « Méfiez-vous <strong>de</strong>s<br />

mots utilisés. Je n’ai jamais été aussi libre que lorsque j’étais<br />

Doyen, sans liberté administrative reconnue. La décentralisation<br />

actuelle, les responsabilités élargies cachent <strong>un</strong><br />

renforcement tatillon du pouvoir central. Le privilège <strong>de</strong>s<br />

<strong>un</strong>iversitaires repose sur le fait qu’ils s’administrent euxmêmes<br />

; ils sont majeurs et doivent tenir à cette indépendance.<br />

Se soumettre aux normes administratives, c’est toute<br />

la liberté qui s’effondre, tout l’avenir qui s’obscurcit ». Aussi<br />

<strong>Michel</strong> voit-il, avec stupeur et inquiétu<strong>de</strong>, se mettre en place<br />

évaluations, classements, ANR 16 , AERES 17 et autres instances<br />

paperassières, dévoreuses <strong>de</strong> temps et d’argent, dont le but<br />

vise à la « normalisation » ; il ne comprend pas l’avidité à se<br />

précipiter sur ces sucettes : « plan-campus », « excellences »,<br />

PRES 18 , fusion <strong>de</strong>s Universités (« que cherchent-ils ? »). Il<br />

terminait par <strong>un</strong> constat assez amer : « je vois s’effondrer les<br />

trois choses dans lesquelles je croyais : la politique, le syndicalisme,<br />

l’Université » mais rappelait : « être libre, se faire<br />

plaisir, se maintenir en état <strong>de</strong> curiosité permanente sont les<br />

conditions nécessaires pour pouvoir penser ». Il ne verra pas<br />

la suite. Gageons qu’il aurait fait confiance à la naissance<br />

<strong>de</strong> nouvelles forces militantes…<br />

Bernard Maitte, Professeur d’histoire <strong>de</strong>s sciences et d’épistémologie<br />

Université Lille 1, CHSE/STL<br />

Jeanne <strong>Parreau</strong>, Maître <strong>de</strong> conférences honoraire en mathématiques,<br />

Université Lille 1<br />

Jean Rousseau, Maître <strong>de</strong> conférences honoraire en biophysique,<br />

Université Lille 2<br />

Jacques Tillieu, Professeur <strong>de</strong> physique théorique, Université<br />

Lille 1<br />

16<br />

Agence Nationale <strong>de</strong> la Recherche.<br />

17<br />

Agence d’Évaluation <strong>de</strong> la Recherche et <strong>de</strong> l’Enseignement Supérieur.<br />

18<br />

Pôle <strong>de</strong> Recherche et d’Enseignement Supérieur.<br />

30

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